CatégorieTrès bons ouvrages

le marquis Costa de Beauregard, « Mémoires historiques sur la maison royale de Savoie. Tome I »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des « Mé­moires his­to­riques » du mar­quis Jo­seph-Henri Costa de Beau­re­gard, chef d’état-major et his­to­rien de la mai­son royale de Sa­voie, et sur­tout ami in­time du comte Jo­seph de Maistre. L’amitié des deux hommes da­tait de très loin : ils s’étaient connus à Tu­rin, où l’un était of­fi­cier et l’autre étu­diant. Chaque an­née, ils se voyaient au châ­teau de Beau­re­gard, sur les bords du Lé­man, avec ses arbres sé­cu­laires se mi­rant dans les eaux du lac et avec ses pro­me­nades in­fi­nies. C’est là que Maistre ve­nait goû­ter ses « plai­sirs d’automne »1. C’est là qu’il « ver­bait » avec le mar­quis et la mar­quise au su­jet de la Ré­pu­blique fran­çaise nou­vel­le­ment dé­cré­tée, à l’heure où l’Europe en­tière, et le roi de Sar­daigne tout le pre­mier, trem­blait de­vant ses sol­dats. Tous les deux étaient pas­sion­nés par cette fu­neste voi­sine, qui di­vi­sait les meilleurs es­prits du temps ; et tout en se dé­fen­dant d’aimer la France, ils ne sa­vaient pen­ser à un autre pays, ni s’entretenir sur un autre su­jet. Maistre, les yeux fixés sur ce qu’il ap­pe­lait « les deux bras » de la na­tion fran­çaise, c’est-à-dire « sa langue et l’esprit de pro­sé­ly­tisme qui forme l’essence de son ca­rac­tère »2, main­te­nait et pro­cla­mait la vo­ca­tion de cette na­tion : être à la tête du monde. Au coin de la che­mi­née dé­co­rée de maximes, dont celle qui dit : « La vie, même en s’en al­lant, laisse der­rière elle l’espérance pour fer­mer les portes »3 — au coin de la che­mi­née, dis-je, il pré­pa­rait ses « Consi­dé­ra­tions sur la France » et il je­tait sur le pa­pier les im­pro­vi­sa­tions de son cer­veau vol­ca­nique pour les sou­mettre au mar­quis. Et cet ami, doué d’un es­prit peut-être in­fé­rieur par la force et l’étendue, mais plus sage et plus pon­déré, tan­çait le grand homme sur sa ten­dance à l’emphase et sur ses em­por­te­ments ex­ces­sifs. Quant à la mar­quise, elle ap­por­tait, au sein de ce duo d’inséparables, le charme de son ba­billage et de ses di­vi­na­tions po­li­tiques. « Quelles per­sonnes, bon Dieu ! Quelles soi­rées ! Quelles conver­sa­tions ! », se sou­vien­dra Maistre4 avec nos­tal­gie.

  1. « Un Homme d’autrefois : sou­ve­nirs », p. 92. Haut
  2. « Œuvres com­plètes. Tome I », p. 24-25. Haut
  1. « Un Homme d’autrefois : sou­ve­nirs », p. 311. Haut
  2. « Œuvres com­plètes. Tome XIII », p. 315. Haut

« L’Histoire d’Aḥiqar en éthiopien »

dans « Annales d’Éthiopie », vol. 11, p. 141-152

dans « An­nales d’Éthiopie », vol. 11, p. 141-152

Il s’agit de la ver­sion éthio­pienne de l’« His­toire et Sa­gesse d’Aḥikar l’Assyrien », un conte qui existe dans presque toutes les langues du Proche-Orient an­tique (VIIe av. J.-C.). Voici le ré­sumé de ce conte : Aḥi­qar1 était un homme ver­tueux et un conseiller des rois d’Assyrie. N’ayant pas de fils, il adopta le fils de sa sœur, Na­dan. Il l’éleva et lui adressa une pre­mière sé­rie de le­çons, sous forme de maximes et de pro­verbes. Plus tard, em­pê­ché par les in­fir­mi­tés de la vieillesse de rem­plir ses fonc­tions, Aḥi­qar pré­senta Na­dan comme son suc­ces­seur. Com­blé d’honneurs, Na­dan ne tarda pas à faire preuve de la plus noire in­gra­ti­tude. Il tra­hit in­di­gne­ment son père adop­tif et bien­fai­teur : il le ca­lom­nia au­près du roi As­sa­rhad­don (de l’an 680 à l’an 669 av. J.-C.), le­quel or­donna sa mort. Ce­pen­dant, le bour­reau était un obligé d’Aḥiqar et ne rem­plit pas l’ordre donné. Il exé­cuta un autre cri­mi­nel, dont il ap­porta la tête au roi, et tint Aḥi­qar ca­ché. En­hardi par la nou­velle de la mort du conseiller royal, le pha­raon d’Égypte lança au roi le défi de ré­soudre plu­sieurs énigmes per­fides, sous peine d’avoir à lui payer un tri­but. Sorti de sa ca­chette, Aḥi­qar alla en Égypte, ré­pon­dit aux énigmes du pha­raon et, à son re­tour, de­manda que Na­dan lui fût li­vré. Il le frappa de mille coups, pour faire en­trer la sa­gesse « par der­rière son dos »2 puisqu’elle n’avait pu en­trer par les oreilles, et lui adressa une deuxième sé­rie de le­çons, sous forme de fables, et des­ti­nées à prou­ver qu’il va­lait mieux vivre dans une hutte en homme juste que dans un pa­lais en cri­mi­nel.

  1. En ara­méen אחיקר, en sy­riaque ܐܚܝܩܪ. Par­fois trans­crit Achi­char, Achi­qar, Achi­kar, Aḥi­car ou Aḥi­kar. On ren­contre aussi la gra­phie Ḥi­qar (ܚܝܩܪ). Par­fois trans­crit Hai­qâr, Haï­kar, Hey­car, Hi­car, Khi­kar ou Ḥi­kar. Haut
  1. « His­toire et Sa­gesse d’Aḥikar l’Assyrien ; tra­duc­tion des ver­sions sy­riaques par Fran­çois Nau », p. 236. Haut

le marquis Costa de Beauregard, « Journal de voyage d’un jeune noble savoyard à Paris en 1766-1767 »

éd. Presses universitaires du Septentrion, coll. Documents et témoignages, Villeneuve-d’Ascq

éd. Presses uni­ver­si­taires du Sep­ten­trion, coll. Do­cu­ments et té­moi­gnages, Villeneuve-d’Ascq

Il s’agit du « Jour­nal de voyage à Pa­ris en 1766-1767 » du mar­quis Jo­seph-Henri Costa de Beau­re­gard, chef d’état-major et his­to­rien de la mai­son royale de Sa­voie, et sur­tout ami in­time du comte Jo­seph de Maistre. L’amitié des deux hommes da­tait de très loin : ils s’étaient connus à Tu­rin, où l’un était of­fi­cier et l’autre étu­diant. Chaque an­née, ils se voyaient au châ­teau de Beau­re­gard, sur les bords du Lé­man, avec ses arbres sé­cu­laires se mi­rant dans les eaux du lac et avec ses pro­me­nades in­fi­nies. C’est là que Maistre ve­nait goû­ter ses « plai­sirs d’automne »1. C’est là qu’il « ver­bait » avec le mar­quis et la mar­quise au su­jet de la Ré­pu­blique fran­çaise nou­vel­le­ment dé­cré­tée, à l’heure où l’Europe en­tière, et le roi de Sar­daigne tout le pre­mier, trem­blait de­vant ses sol­dats. Tous les deux étaient pas­sion­nés par cette fu­neste voi­sine, qui di­vi­sait les meilleurs es­prits du temps ; et tout en se dé­fen­dant d’aimer la France, ils ne sa­vaient pen­ser à un autre pays, ni s’entretenir sur un autre su­jet. Maistre, les yeux fixés sur ce qu’il ap­pe­lait « les deux bras » de la na­tion fran­çaise, c’est-à-dire « sa langue et l’esprit de pro­sé­ly­tisme qui forme l’essence de son ca­rac­tère »2, main­te­nait et pro­cla­mait la vo­ca­tion de cette na­tion : être à la tête du monde. Au coin de la che­mi­née dé­co­rée de maximes, dont celle qui dit : « La vie, même en s’en al­lant, laisse der­rière elle l’espérance pour fer­mer les portes »3 — au coin de la che­mi­née, dis-je, il pré­pa­rait ses « Consi­dé­ra­tions sur la France » et il je­tait sur le pa­pier les im­pro­vi­sa­tions de son cer­veau vol­ca­nique pour les sou­mettre au mar­quis. Et cet ami, doué d’un es­prit peut-être in­fé­rieur par la force et l’étendue, mais plus sage et plus pon­déré, tan­çait le grand homme sur sa ten­dance à l’emphase et sur ses em­por­te­ments ex­ces­sifs. Quant à la mar­quise, elle ap­por­tait, au sein de ce duo d’inséparables, le charme de son ba­billage et de ses di­vi­na­tions po­li­tiques. « Quelles per­sonnes, bon Dieu ! Quelles soi­rées ! Quelles conver­sa­tions ! », se sou­vien­dra Maistre4 avec nos­tal­gie.

  1. « Un Homme d’autrefois : sou­ve­nirs », p. 92. Haut
  2. « Œuvres com­plètes. Tome I », p. 24-25. Haut
  1. « Un Homme d’autrefois : sou­ve­nirs », p. 311. Haut
  2. « Œuvres com­plètes. Tome XIII », p. 315. Haut

le marquis Costa de Beauregard, « Mélanges tirés d’un portefeuille militaire. Tome II »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de « Mé­langes ti­rés d’un por­te­feuille mi­li­taire » du mar­quis Jo­seph-Henri Costa de Beau­re­gard, chef d’état-major et his­to­rien de la mai­son royale de Sa­voie, et sur­tout ami in­time du comte Jo­seph de Maistre. L’amitié des deux hommes da­tait de très loin : ils s’étaient connus à Tu­rin, où l’un était of­fi­cier et l’autre étu­diant. Chaque an­née, ils se voyaient au châ­teau de Beau­re­gard, sur les bords du Lé­man, avec ses arbres sé­cu­laires se mi­rant dans les eaux du lac et avec ses pro­me­nades in­fi­nies. C’est là que Maistre ve­nait goû­ter ses « plai­sirs d’automne »1. C’est là qu’il « ver­bait » avec le mar­quis et la mar­quise au su­jet de la Ré­pu­blique fran­çaise nou­vel­le­ment dé­cré­tée, à l’heure où l’Europe en­tière, et le roi de Sar­daigne tout le pre­mier, trem­blait de­vant ses sol­dats. Tous les deux étaient pas­sion­nés par cette fu­neste voi­sine, qui di­vi­sait les meilleurs es­prits du temps ; et tout en se dé­fen­dant d’aimer la France, ils ne sa­vaient pen­ser à un autre pays, ni s’entretenir sur un autre su­jet. Maistre, les yeux fixés sur ce qu’il ap­pe­lait « les deux bras » de la na­tion fran­çaise, c’est-à-dire « sa langue et l’esprit de pro­sé­ly­tisme qui forme l’essence de son ca­rac­tère »2, main­te­nait et pro­cla­mait la vo­ca­tion de cette na­tion : être à la tête du monde. Au coin de la che­mi­née dé­co­rée de maximes, dont celle qui dit : « La vie, même en s’en al­lant, laisse der­rière elle l’espérance pour fer­mer les portes »3 — au coin de la che­mi­née, dis-je, il pré­pa­rait ses « Consi­dé­ra­tions sur la France » et il je­tait sur le pa­pier les im­pro­vi­sa­tions de son cer­veau vol­ca­nique pour les sou­mettre au mar­quis. Et cet ami, doué d’un es­prit peut-être in­fé­rieur par la force et l’étendue, mais plus sage et plus pon­déré, tan­çait le grand homme sur sa ten­dance à l’emphase et sur ses em­por­te­ments ex­ces­sifs. Quant à la mar­quise, elle ap­por­tait, au sein de ce duo d’inséparables, le charme de son ba­billage et de ses di­vi­na­tions po­li­tiques. « Quelles per­sonnes, bon Dieu ! Quelles soi­rées ! Quelles conver­sa­tions ! », se sou­vien­dra Maistre4 avec nos­tal­gie.

  1. « Un Homme d’autrefois : sou­ve­nirs », p. 92. Haut
  2. « Œuvres com­plètes. Tome I », p. 24-25. Haut
  1. « Un Homme d’autrefois : sou­ve­nirs », p. 311. Haut
  2. « Œuvres com­plètes. Tome XIII », p. 315. Haut

le marquis Costa de Beauregard, « Mélanges tirés d’un portefeuille militaire. Tome I »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de « Mé­langes ti­rés d’un por­te­feuille mi­li­taire » du mar­quis Jo­seph-Henri Costa de Beau­re­gard, chef d’état-major et his­to­rien de la mai­son royale de Sa­voie, et sur­tout ami in­time du comte Jo­seph de Maistre. L’amitié des deux hommes da­tait de très loin : ils s’étaient connus à Tu­rin, où l’un était of­fi­cier et l’autre étu­diant. Chaque an­née, ils se voyaient au châ­teau de Beau­re­gard, sur les bords du Lé­man, avec ses arbres sé­cu­laires se mi­rant dans les eaux du lac et avec ses pro­me­nades in­fi­nies. C’est là que Maistre ve­nait goû­ter ses « plai­sirs d’automne »1. C’est là qu’il « ver­bait » avec le mar­quis et la mar­quise au su­jet de la Ré­pu­blique fran­çaise nou­vel­le­ment dé­cré­tée, à l’heure où l’Europe en­tière, et le roi de Sar­daigne tout le pre­mier, trem­blait de­vant ses sol­dats. Tous les deux étaient pas­sion­nés par cette fu­neste voi­sine, qui di­vi­sait les meilleurs es­prits du temps ; et tout en se dé­fen­dant d’aimer la France, ils ne sa­vaient pen­ser à un autre pays, ni s’entretenir sur un autre su­jet. Maistre, les yeux fixés sur ce qu’il ap­pe­lait « les deux bras » de la na­tion fran­çaise, c’est-à-dire « sa langue et l’esprit de pro­sé­ly­tisme qui forme l’essence de son ca­rac­tère »2, main­te­nait et pro­cla­mait la vo­ca­tion de cette na­tion : être à la tête du monde. Au coin de la che­mi­née dé­co­rée de maximes, dont celle qui dit : « La vie, même en s’en al­lant, laisse der­rière elle l’espérance pour fer­mer les portes »3 — au coin de la che­mi­née, dis-je, il pré­pa­rait ses « Consi­dé­ra­tions sur la France » et il je­tait sur le pa­pier les im­pro­vi­sa­tions de son cer­veau vol­ca­nique pour les sou­mettre au mar­quis. Et cet ami, doué d’un es­prit peut-être in­fé­rieur par la force et l’étendue, mais plus sage et plus pon­déré, tan­çait le grand homme sur sa ten­dance à l’emphase et sur ses em­por­te­ments ex­ces­sifs. Quant à la mar­quise, elle ap­por­tait, au sein de ce duo d’inséparables, le charme de son ba­billage et de ses di­vi­na­tions po­li­tiques. « Quelles per­sonnes, bon Dieu ! Quelles soi­rées ! Quelles conver­sa­tions ! », se sou­vien­dra Maistre4 avec nos­tal­gie.

  1. « Un Homme d’autrefois : sou­ve­nirs », p. 92. Haut
  2. « Œuvres com­plètes. Tome I », p. 24-25. Haut
  1. « Un Homme d’autrefois : sou­ve­nirs », p. 311. Haut
  2. « Œuvres com­plètes. Tome XIII », p. 315. Haut

Sagard, « Histoire du Canada, [ou] Voyages que les frères mineurs récollets y ont faits depuis l’an 1615. Tome IV »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de la re­la­tion « His­toire du Ca­nada » du frère Ga­briel Sa­gard, mis­sion­naire fran­çais, qui a fi­dè­le­ment dé­crit le quo­ti­dien des In­diens parmi les­quels il vé­cut pen­dant près d’un an, ainsi que l’œuvre di­vine qu’il eut la convic­tion d’accomplir, lorsque, la croix sur le cœur, le re­gard au ciel, il vint s’enfoncer dans les so­li­tudes du Ca­nada. Il en a tiré deux re­la­tions : « Le Grand Voyage du pays des Hu­rons » et « His­toire du Ca­nada », qui sont pré­cieuses en ce qu’elles nous ren­seignent sur les mœurs et l’esprit de tri­bus aujourd’hui éteintes ou ré­duites à une poi­gnée d’hommes. Ce fut le 18 mars 1623 que le frère Sa­gard par­tit de Pa­ris, à pied et sans ar­gent, voya­geant « à l’apostolique »1, pour se rendre à Dieppe, lieu de l’embarquement. La grande et épou­van­table tra­ver­sée de l’océan l’incommoda fort et le contrai­gnit « de rendre le tri­but à la mer [de vo­mir] » tout au long des trois mois et six jours de na­vi­ga­tion qu’il lui fal­lut pour ar­ri­ver à la ville de Qué­bec. De là, « ayant tra­versé d’île en île » en pe­tit ca­not, il prit terre au pays des Hu­rons tant dé­siré « par un jour de di­manche, fête de Saint-Ber­nard2, en­vi­ron midi, [alors] que le so­leil don­nait à plomb »3. Tous les In­diens sor­tirent de leurs ca­banes pour ve­nir le voir et lui firent un fort bon ac­cueil à leur fa­çon ; et par des ca­resses ex­tra­or­di­naires, ils lui té­moi­gnèrent « l’aise et le conten­te­ment » qu’ils avaient de sa ve­nue. Notre zélé re­li­gieux se mit aus­si­tôt à l’étude de la langue hu­ronne, dont il ne man­qua pas de dres­ser un lexique : « J’écrivais, et ob­ser­vant soi­gneu­se­ment les mots de la langue… j’en dres­sais des mé­moires que j’étudiais et ré­pé­tais de­vant mes sau­vages, les­quels y pre­naient plai­sir et m’aidaient à m’y per­fec­tion­ner… ; m’[appelant] sou­vent “Aviel”, au lieu de “Ga­briel” qu’ils ne pou­vaient pro­non­cer à cause de la lettre “b” qui ne se trouve point en toute leur langue… “Ga­briel, prends ta plume et écris”, puis ils m’expliquaient au mieux qu’ils pou­vaient ce que je dé­si­rais sa­voir »4. Peu à peu, il par­vint à s’habituer dans un lieu si mi­sé­rable. Peu à peu, aussi, il ap­prit la langue des In­diens. Il s’entretint alors fra­ter­nel­le­ment avec eux ; il les at­ten­drit par sa man­sué­tude et dou­ceur ; et comme il se mon­trait tou­jours si bon en­vers eux, il les per­suada ai­sé­ment que le Dieu dont il leur prê­chait la loi, était le bon Dieu. « Telle a été l’action bien­fai­sante de la France dans ses pos­ses­sions d’Amérique. Au Sud, les Es­pa­gnols sup­pli­ciaient, mas­sa­craient la pauvre race in­dienne. Au Nord, les An­glais la re­fou­laient de zone en zone jusque dans les froids et arides dé­serts. Nos mis­sion­naires l’adoucissaient et l’humanisaient », dit Xa­vier Mar­mier

  1. « Le Grand Voyage du pays des Hu­rons », p. 7. Haut
  2. Le 20 août. Haut
  1. id. p. 81. Haut
  2. id. p. 87-88. Haut

Sagard, « Histoire du Canada, [ou] Voyages que les frères mineurs récollets y ont faits depuis l’an 1615. Tome III »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de la re­la­tion « His­toire du Ca­nada » du frère Ga­briel Sa­gard, mis­sion­naire fran­çais, qui a fi­dè­le­ment dé­crit le quo­ti­dien des In­diens parmi les­quels il vé­cut pen­dant près d’un an, ainsi que l’œuvre di­vine qu’il eut la convic­tion d’accomplir, lorsque, la croix sur le cœur, le re­gard au ciel, il vint s’enfoncer dans les so­li­tudes du Ca­nada. Il en a tiré deux re­la­tions : « Le Grand Voyage du pays des Hu­rons » et « His­toire du Ca­nada », qui sont pré­cieuses en ce qu’elles nous ren­seignent sur les mœurs et l’esprit de tri­bus aujourd’hui éteintes ou ré­duites à une poi­gnée d’hommes. Ce fut le 18 mars 1623 que le frère Sa­gard par­tit de Pa­ris, à pied et sans ar­gent, voya­geant « à l’apostolique »1, pour se rendre à Dieppe, lieu de l’embarquement. La grande et épou­van­table tra­ver­sée de l’océan l’incommoda fort et le contrai­gnit « de rendre le tri­but à la mer [de vo­mir] » tout au long des trois mois et six jours de na­vi­ga­tion qu’il lui fal­lut pour ar­ri­ver à la ville de Qué­bec. De là, « ayant tra­versé d’île en île » en pe­tit ca­not, il prit terre au pays des Hu­rons tant dé­siré « par un jour de di­manche, fête de Saint-Ber­nard2, en­vi­ron midi, [alors] que le so­leil don­nait à plomb »3. Tous les In­diens sor­tirent de leurs ca­banes pour ve­nir le voir et lui firent un fort bon ac­cueil à leur fa­çon ; et par des ca­resses ex­tra­or­di­naires, ils lui té­moi­gnèrent « l’aise et le conten­te­ment » qu’ils avaient de sa ve­nue. Notre zélé re­li­gieux se mit aus­si­tôt à l’étude de la langue hu­ronne, dont il ne man­qua pas de dres­ser un lexique : « J’écrivais, et ob­ser­vant soi­gneu­se­ment les mots de la langue… j’en dres­sais des mé­moires que j’étudiais et ré­pé­tais de­vant mes sau­vages, les­quels y pre­naient plai­sir et m’aidaient à m’y per­fec­tion­ner… ; m’[appelant] sou­vent “Aviel”, au lieu de “Ga­briel” qu’ils ne pou­vaient pro­non­cer à cause de la lettre “b” qui ne se trouve point en toute leur langue… “Ga­briel, prends ta plume et écris”, puis ils m’expliquaient au mieux qu’ils pou­vaient ce que je dé­si­rais sa­voir »4. Peu à peu, il par­vint à s’habituer dans un lieu si mi­sé­rable. Peu à peu, aussi, il ap­prit la langue des In­diens. Il s’entretint alors fra­ter­nel­le­ment avec eux ; il les at­ten­drit par sa man­sué­tude et dou­ceur ; et comme il se mon­trait tou­jours si bon en­vers eux, il les per­suada ai­sé­ment que le Dieu dont il leur prê­chait la loi, était le bon Dieu. « Telle a été l’action bien­fai­sante de la France dans ses pos­ses­sions d’Amérique. Au Sud, les Es­pa­gnols sup­pli­ciaient, mas­sa­craient la pauvre race in­dienne. Au Nord, les An­glais la re­fou­laient de zone en zone jusque dans les froids et arides dé­serts. Nos mis­sion­naires l’adoucissaient et l’humanisaient », dit Xa­vier Mar­mier

  1. « Le Grand Voyage du pays des Hu­rons », p. 7. Haut
  2. Le 20 août. Haut
  1. id. p. 81. Haut
  2. id. p. 87-88. Haut

Sagard, « Histoire du Canada, [ou] Voyages que les frères mineurs récollets y ont faits depuis l’an 1615. Tome II »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de la re­la­tion « His­toire du Ca­nada » du frère Ga­briel Sa­gard, mis­sion­naire fran­çais, qui a fi­dè­le­ment dé­crit le quo­ti­dien des In­diens parmi les­quels il vé­cut pen­dant près d’un an, ainsi que l’œuvre di­vine qu’il eut la convic­tion d’accomplir, lorsque, la croix sur le cœur, le re­gard au ciel, il vint s’enfoncer dans les so­li­tudes du Ca­nada. Il en a tiré deux re­la­tions : « Le Grand Voyage du pays des Hu­rons » et « His­toire du Ca­nada », qui sont pré­cieuses en ce qu’elles nous ren­seignent sur les mœurs et l’esprit de tri­bus aujourd’hui éteintes ou ré­duites à une poi­gnée d’hommes. Ce fut le 18 mars 1623 que le frère Sa­gard par­tit de Pa­ris, à pied et sans ar­gent, voya­geant « à l’apostolique »1, pour se rendre à Dieppe, lieu de l’embarquement. La grande et épou­van­table tra­ver­sée de l’océan l’incommoda fort et le contrai­gnit « de rendre le tri­but à la mer [de vo­mir] » tout au long des trois mois et six jours de na­vi­ga­tion qu’il lui fal­lut pour ar­ri­ver à la ville de Qué­bec. De là, « ayant tra­versé d’île en île » en pe­tit ca­not, il prit terre au pays des Hu­rons tant dé­siré « par un jour de di­manche, fête de Saint-Ber­nard2, en­vi­ron midi, [alors] que le so­leil don­nait à plomb »3. Tous les In­diens sor­tirent de leurs ca­banes pour ve­nir le voir et lui firent un fort bon ac­cueil à leur fa­çon ; et par des ca­resses ex­tra­or­di­naires, ils lui té­moi­gnèrent « l’aise et le conten­te­ment » qu’ils avaient de sa ve­nue. Notre zélé re­li­gieux se mit aus­si­tôt à l’étude de la langue hu­ronne, dont il ne man­qua pas de dres­ser un lexique : « J’écrivais, et ob­ser­vant soi­gneu­se­ment les mots de la langue… j’en dres­sais des mé­moires que j’étudiais et ré­pé­tais de­vant mes sau­vages, les­quels y pre­naient plai­sir et m’aidaient à m’y per­fec­tion­ner… ; m’[appelant] sou­vent “Aviel”, au lieu de “Ga­briel” qu’ils ne pou­vaient pro­non­cer à cause de la lettre “b” qui ne se trouve point en toute leur langue… “Ga­briel, prends ta plume et écris”, puis ils m’expliquaient au mieux qu’ils pou­vaient ce que je dé­si­rais sa­voir »4. Peu à peu, il par­vint à s’habituer dans un lieu si mi­sé­rable. Peu à peu, aussi, il ap­prit la langue des In­diens. Il s’entretint alors fra­ter­nel­le­ment avec eux ; il les at­ten­drit par sa man­sué­tude et dou­ceur ; et comme il se mon­trait tou­jours si bon en­vers eux, il les per­suada ai­sé­ment que le Dieu dont il leur prê­chait la loi, était le bon Dieu. « Telle a été l’action bien­fai­sante de la France dans ses pos­ses­sions d’Amérique. Au Sud, les Es­pa­gnols sup­pli­ciaient, mas­sa­craient la pauvre race in­dienne. Au Nord, les An­glais la re­fou­laient de zone en zone jusque dans les froids et arides dé­serts. Nos mis­sion­naires l’adoucissaient et l’humanisaient », dit Xa­vier Mar­mier

  1. « Le Grand Voyage du pays des Hu­rons », p. 7. Haut
  2. Le 20 août. Haut
  1. id. p. 81. Haut
  2. id. p. 87-88. Haut

Sagard, « Histoire du Canada, [ou] Voyages que les frères mineurs récollets y ont faits depuis l’an 1615. Tome I »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de la re­la­tion « His­toire du Ca­nada » du frère Ga­briel Sa­gard, mis­sion­naire fran­çais, qui a fi­dè­le­ment dé­crit le quo­ti­dien des In­diens parmi les­quels il vé­cut pen­dant près d’un an, ainsi que l’œuvre di­vine qu’il eut la convic­tion d’accomplir, lorsque, la croix sur le cœur, le re­gard au ciel, il vint s’enfoncer dans les so­li­tudes du Ca­nada. Il en a tiré deux re­la­tions : « Le Grand Voyage du pays des Hu­rons » et « His­toire du Ca­nada », qui sont pré­cieuses en ce qu’elles nous ren­seignent sur les mœurs et l’esprit de tri­bus aujourd’hui éteintes ou ré­duites à une poi­gnée d’hommes. Ce fut le 18 mars 1623 que le frère Sa­gard par­tit de Pa­ris, à pied et sans ar­gent, voya­geant « à l’apostolique »1, pour se rendre à Dieppe, lieu de l’embarquement. La grande et épou­van­table tra­ver­sée de l’océan l’incommoda fort et le contrai­gnit « de rendre le tri­but à la mer [de vo­mir] » tout au long des trois mois et six jours de na­vi­ga­tion qu’il lui fal­lut pour ar­ri­ver à la ville de Qué­bec. De là, « ayant tra­versé d’île en île » en pe­tit ca­not, il prit terre au pays des Hu­rons tant dé­siré « par un jour de di­manche, fête de Saint-Ber­nard2, en­vi­ron midi, [alors] que le so­leil don­nait à plomb »3. Tous les In­diens sor­tirent de leurs ca­banes pour ve­nir le voir et lui firent un fort bon ac­cueil à leur fa­çon ; et par des ca­resses ex­tra­or­di­naires, ils lui té­moi­gnèrent « l’aise et le conten­te­ment » qu’ils avaient de sa ve­nue. Notre zélé re­li­gieux se mit aus­si­tôt à l’étude de la langue hu­ronne, dont il ne man­qua pas de dres­ser un lexique : « J’écrivais, et ob­ser­vant soi­gneu­se­ment les mots de la langue… j’en dres­sais des mé­moires que j’étudiais et ré­pé­tais de­vant mes sau­vages, les­quels y pre­naient plai­sir et m’aidaient à m’y per­fec­tion­ner… ; m’[appelant] sou­vent “Aviel”, au lieu de “Ga­briel” qu’ils ne pou­vaient pro­non­cer à cause de la lettre “b” qui ne se trouve point en toute leur langue… “Ga­briel, prends ta plume et écris”, puis ils m’expliquaient au mieux qu’ils pou­vaient ce que je dé­si­rais sa­voir »4. Peu à peu, il par­vint à s’habituer dans un lieu si mi­sé­rable. Peu à peu, aussi, il ap­prit la langue des In­diens. Il s’entretint alors fra­ter­nel­le­ment avec eux ; il les at­ten­drit par sa man­sué­tude et dou­ceur ; et comme il se mon­trait tou­jours si bon en­vers eux, il les per­suada ai­sé­ment que le Dieu dont il leur prê­chait la loi, était le bon Dieu. « Telle a été l’action bien­fai­sante de la France dans ses pos­ses­sions d’Amérique. Au Sud, les Es­pa­gnols sup­pli­ciaient, mas­sa­craient la pauvre race in­dienne. Au Nord, les An­glais la re­fou­laient de zone en zone jusque dans les froids et arides dé­serts. Nos mis­sion­naires l’adoucissaient et l’humanisaient », dit Xa­vier Mar­mier

  1. « Le Grand Voyage du pays des Hu­rons », p. 7. Haut
  2. Le 20 août. Haut
  1. id. p. 81. Haut
  2. id. p. 87-88. Haut

Judith Gautier, « Œuvres complètes. Tome II »

éd. Classiques Garnier, coll. Bibliothèque du XIXᵉ siècle, Paris

éd. Clas­siques Gar­nier, coll. Bi­blio­thèque du XIXe siècle, Pa­ris

Il s’agit de « Fleurs d’Orient » et autres œuvres de Ju­dith Gau­tier1, femme de lettres fran­çaise (XIXe-XXe siècle). Fille de Théo­phile Gau­tier, elle fut peut-être le chef-d’œuvre de son père. Ce der­nier fa­çonna cette âme d’enfant, comme on fa­çonne l’argile, et l’embellit de toute la pu­reté ro­ma­nesque et de toute la chas­teté fière dont il prô­nait le culte. De son sa­lon, qui réunis­sait tout ce que Pa­ris avait de poètes et de ro­man­ciers, il lui fit une sorte de ber­ceau, au fond du­quel il se plut à la voir gran­dir. En­fin, il pré­dis­posa cette âme au rêve, en lui ou­vrant les livres de l’orientalisme. En ce temps, l’Orient, soit comme image soit comme pen­sée, était de­venu une oc­cu­pa­tion gé­né­rale pour les sa­vants au­tant que pour les ar­tistes, comme ex­plique Hugo2 : « Les études orien­tales n’ont ja­mais été pous­sées si avant. Au siècle de Louis XIV, on était hel­lé­niste ; main­te­nant on est orien­ta­liste. Il y a un pas de fait. Ja­mais tant d’intelligences n’ont fouillé à la fois ce grand abîme de l’Asie ». Très vite, Ju­dith re­con­nut l’Orient comme une se­conde pa­trie, dont les images, les cadres, la mu­sique, la so­no­rité des noms vinrent em­preindre toutes ses pen­sées, toutes ses rê­ve­ries. Chez les poètes de la Chine et chez les prêtres de l’Inde, elle dé­cou­vrait sa phi­lo­so­phie ca­chée, sa propre phi­lo­so­phie, qu’elle ne s’était pas dite en­core ; et dans les ré­cits de voyage au Ja­pon, elle re­voyait ses rêves et tout un Éden déjà presque fa­mi­lier. Alors, elle peu­pla cet Éden d’amantes et d’amants aux cœurs aussi purs que le sien et de nobles fi­gures ir­réelles. Hugo, au­quel elle en­voya son pre­mier ro­man, écrit ceci de­puis l’exil : « J’ai lu votre “Dra­gon im­pé­rial”. Quel art puis­sant et gra­cieux que le vôtre !… Al­ler en Chine, c’est presque al­ler dans la lune ; vous nous faites faire ce voyage si­dé­ral. On vous suit avec ex­tase, et vous fuyez dans le bleu pro­fond du rêve, ai­lée et étoi­lée ». Elle vé­cut dans un tel monde étoilé, à me­sure qu’elle le créait. Du nôtre, elle ne connut rien ou n’en vou­lut rien connaître. « Pa­ris est pour elle une ca­pi­tale loin­taine qu’elle n’a même point le dé­sir de vi­si­ter un jour. Les formes y manquent de splen­deur et de mys­tère ; les mai­sons en sont grises ; la foule en est terne… Elle ignore ; mais par une in­tui­tive conscience de pro­phé­tesse, elle de­vine des lai­deurs qu’elle veut igno­rer, et s’en dé­tourne comme d’un ruis­seau, pour évi­ter la boue… Elle est ja­lou­se­ment en­fer­mée dans une sorte de cloître qu’elle a for­ti­fié d’indifférence », ra­conte Ed­mond Ha­rau­court.

  1. Éga­le­ment connue sous le sur­nom de Ju­dith Wal­ter, ainsi que sous le nom de femme ma­riée de Ju­dith Men­dès (1866-1874). Haut
  1. « Les Orien­tales ». Haut

Judith Gautier, « Œuvres complètes. Tome I »

éd. Classiques Garnier, coll. Bibliothèque du XIXᵉ siècle, Paris

éd. Clas­siques Gar­nier, coll. Bi­blio­thèque du XIXe siècle, Pa­ris

Il s’agit du « Dra­gon im­pé­rial » et autres œuvres de Ju­dith Gau­tier1, femme de lettres fran­çaise (XIXe-XXe siècle). Fille de Théo­phile Gau­tier, elle fut peut-être le chef-d’œuvre de son père. Ce der­nier fa­çonna cette âme d’enfant, comme on fa­çonne l’argile, et l’embellit de toute la pu­reté ro­ma­nesque et de toute la chas­teté fière dont il prô­nait le culte. De son sa­lon, qui réunis­sait tout ce que Pa­ris avait de poètes et de ro­man­ciers, il lui fit une sorte de ber­ceau, au fond du­quel il se plut à la voir gran­dir. En­fin, il pré­dis­posa cette âme au rêve, en lui ou­vrant les livres de l’orientalisme. En ce temps, l’Orient, soit comme image soit comme pen­sée, était de­venu une oc­cu­pa­tion gé­né­rale pour les sa­vants au­tant que pour les ar­tistes, comme ex­plique Hugo2 : « Les études orien­tales n’ont ja­mais été pous­sées si avant. Au siècle de Louis XIV, on était hel­lé­niste ; main­te­nant on est orien­ta­liste. Il y a un pas de fait. Ja­mais tant d’intelligences n’ont fouillé à la fois ce grand abîme de l’Asie ». Très vite, Ju­dith re­con­nut l’Orient comme une se­conde pa­trie, dont les images, les cadres, la mu­sique, la so­no­rité des noms vinrent em­preindre toutes ses pen­sées, toutes ses rê­ve­ries. Chez les poètes de la Chine et chez les prêtres de l’Inde, elle dé­cou­vrait sa phi­lo­so­phie ca­chée, sa propre phi­lo­so­phie, qu’elle ne s’était pas dite en­core ; et dans les ré­cits de voyage au Ja­pon, elle re­voyait ses rêves et tout un Éden déjà presque fa­mi­lier. Alors, elle peu­pla cet Éden d’amantes et d’amants aux cœurs aussi purs que le sien et de nobles fi­gures ir­réelles. Hugo, au­quel elle en­voya son pre­mier ro­man, écrit ceci de­puis l’exil : « J’ai lu votre “Dra­gon im­pé­rial”. Quel art puis­sant et gra­cieux que le vôtre !… Al­ler en Chine, c’est presque al­ler dans la lune ; vous nous faites faire ce voyage si­dé­ral. On vous suit avec ex­tase, et vous fuyez dans le bleu pro­fond du rêve, ai­lée et étoi­lée ». Elle vé­cut dans un tel monde étoilé, à me­sure qu’elle le créait. Du nôtre, elle ne connut rien ou n’en vou­lut rien connaître. « Pa­ris est pour elle une ca­pi­tale loin­taine qu’elle n’a même point le dé­sir de vi­si­ter un jour. Les formes y manquent de splen­deur et de mys­tère ; les mai­sons en sont grises ; la foule en est terne… Elle ignore ; mais par une in­tui­tive conscience de pro­phé­tesse, elle de­vine des lai­deurs qu’elle veut igno­rer, et s’en dé­tourne comme d’un ruis­seau, pour évi­ter la boue… Elle est ja­lou­se­ment en­fer­mée dans une sorte de cloître qu’elle a for­ti­fié d’indifférence », ra­conte Ed­mond Ha­rau­court.

  1. Éga­le­ment connue sous le sur­nom de Ju­dith Wal­ter, ainsi que sous le nom de femme ma­riée de Ju­dith Men­dès (1866-1874). Haut
  1. « Les Orien­tales ». Haut

Tin-Tun-Ling, « La Petite Pantoufle, “Thou-sio-sié” »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit du ro­man « La Pe­tite Pan­toufle » (« Thou-sio-sié »1) de Tin-Tun-Ling2, let­tré chi­nois exilé en France après la ré­volte des Tai­ping (XIXe siècle). On vit un jour, par une ma­ti­née de prin­temps, ce Chi­nois, ce vrai Chi­nois de Chine, « por­tant une robe ba­rio­lée de fleurs et de chi­mères, une longue queue dans le dos et un pa­ra­sol à la main »3, er­rer aux abords so­li­taires de l’Odéon, à Pa­ris, ar­rê­tant tous les pas­sants pour leur mon­trer une lettre sur la­quelle un nom était écrit. « En­core un sourd-muet ! Est-ce qu’ils vont por­ter un uni­forme main­te­nant ? »4, di­saient avec hu­meur les pas­sants, et au­cun ne pre­nait seule­ment la peine de lire. Un seul, plus cha­ri­table, com­prit que le mal­heu­reux de­man­dait qu’on le condui­sît à la rue Mon­sieur-le-Prince in­di­quée sur l’enveloppe. Cette rue avait une tren­taine de nu­mé­ros, et la lettre en­voyait Tin-Tun-Ling au 169. On in­ter­ro­gea néan­moins tous les concierges, et il fut bien­tôt conclu que le nom de la per­sonne re­cher­chée était tout aussi ir­réel que son adresse. Que faire de l’étranger ? Le pas­sant cha­ri­table, qui dî­nait le soir même chez Théo­phile Gau­tier, eut l’idée gé­niale d’en faire part au cé­lèbre écri­vain. Ce der­nier ado­rait l’Orient, et le voilà aus­si­tôt at­ten­dri sur le sort de ce Chi­nois échoué sur le pavé de Pa­ris : « Je me vois à Pé­kin, sans un sou », s’exclama Gau­tier5, « ne sa­chant pas un mot de chi­nois et ayant, pour toute re­com­man­da­tion, un as­pect in­so­lite qui ameute les foules à mes trousses et les chiens contre mes mol­lets !… Amène-moi ton Chi­nois. On tâ­chera de réunir pour lui un pe­tit ma­got et de ra­pa­trier l’exilé. Viens dé­jeu­ner de­main ici avec lui. » Le pas­sant, fi­dèle au ren­dez-vous, pré­senta, le len­de­main, à la fa­mille Gau­tier Tin-Tun-Ling, qui leur fit les sa­luts les plus res­pec­tueux. On es­saya d’échanger quelques phrases avec lui ; mais ce n’était pas com­mode, car le peu de fran­çais qu’il sa­vait, il le pro­non­çait d’une fa­çon in­at­ten­due. Ce­pen­dant, quand il com­prit qu’on avait l’intention de lui four­nir les moyens de re­tour­ner dans son pays loin­tain, il ma­ni­festa une grande épou­vante : « Moi, pas tour­ner Chine ! », s’écria-t-il6. Il était un an­cien Tai­ping, qui avait conspiré. Il s’était battu, et un de ses bras gar­dait la marque d’une af­freuse bles­sure.

  1. En chi­nois « 偸小鞋 ». Par­fois trans­crit « Tou xiao xie ». Haut
  2. En chi­nois 丁敦齡. Par­fois trans­crit Ting Touen-Ling, Tin-Tun-Lin, Ting Tun-ling ou Ding Dun­ling. Haut
  3. Ar­mand Sil­vestre, « Por­traits et sou­ve­nirs ». Haut
  1. id. Haut
  2. Dans Ju­dith Gau­tier, « Le Se­cond Rang du col­lier ». Haut
  3. id. Haut

« La Colonne trajane au musée de Saint-Germain »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de la co­lonne tra­jane. De tous les fo­rums ro­mains, ce­lui de l’Empereur Tra­jan était le plus beau, le plus ré­gu­lier, avec sa place en­tou­rée de ta­vernes à l’usage des mar­chands, ses sta­tues de toute es­pèce, sa ba­si­lique, son temple, ses deux bi­blio­thèques, l’une pour les col­lec­tions grecques et l’autre pour les la­tines, et tant d’autres somp­tuo­si­tés. L’imagination de ceux qui voyaient pour la pre­mière fois cet en­semble unique de construc­tions en était vi­ve­ment frap­pée, comme en té­moigne Am­mien Mar­cel­lin : « construc­tions gi­gan­tesques » (« gi­gan­teos contex­tus »), dit-il, « qui dé­fient la des­crip­tion » (« nec re­latu ef­fa­biles »), « et que les mor­tels ne cher­che­ront plus à re­pro­duire » (« nec rur­sus mor­ta­li­bus ad­pe­ten­dos »). Qu’est de­ve­nue cette si pro­di­gieuse ma­gni­fi­cence ? Il n’en reste aujourd’hui que la co­lonne qui se trou­vait au mi­lieu et qui est bien conser­vée. L’idée de ce mo­nu­ment est gran­diose. D’un pié­des­tal sur le­quel on peut lire : « Le sé­nat et le peuple ro­main (ont consa­cré cette co­lonne) à l’Empereur, fils du di­vin Nerva, Tra­jan… père de la pa­trie, pour mar­quer de quelle hau­teur était la mon­tagne et la place qu’on a dé­blayées pour y construire de si grands mo­nu­ments » s’élance une de ces co­lonnes creuses que l’on ap­pe­lait « co­lumna co­chleata », à cause de l’escalier tour­nant en co­li­ma­çon (« co­chlea ») creusé dans le marbre et condui­sant au som­met, là où re­po­sait la sta­tue de l’Empereur Tra­jan. Mais le mé­rite prin­ci­pal de ce mo­nu­ment est ailleurs : il est dans les bas-re­liefs qui, en forme de spi­rale, le dé­corent de haut en bas. Tous les ex­ploits que Tra­jan a faits pen­dant son règne, entre autres les vic­toires qu’il a rem­por­tées sur les Daces (en Rou­ma­nie), fi­gurent sur ces bas-re­liefs his­to­riques ser­pen­tant au­tour de la co­lonne comme les pages im­mor­telles d’un rou­leau ma­nus­crit (« vo­lu­men »). La suite conti­nue qu’ils forment, monte vers l’Empereur vic­to­rieux et vient se pros­ter­ner à ses pieds. L’effet est ma­jes­tueux. L’ensemble est d’une puis­sance, d’une éner­gie in­con­tes­tables. « On y voit des ani­maux, des armes, des en­seignes, des marches, des camps, des ma­chines, des ha­rangues aux sol­dats, des sa­cri­fices, des ba­tailles, des vic­toires, des tro­phées… Tout est ex­primé avec in­tel­li­gence, comme on peut l’observer dans l’intrépidité de ces femmes daces qui se jettent, ar­mées de torches, sur les pri­son­niers ro­mains ; et… le déses­poir de leurs ma­ris qui, pour ne pas tom­ber dans l’esclavage, brûlent leur ville et s’empoisonnent », dit très bien Fran­cesco Mi­li­zia