Il s’agit des « Mémoires historiques » du marquis Joseph-Henri Costa de Beauregard, chef d’état-major et historien de la maison royale de Savoie, et surtout ami intime du comte Joseph de Maistre. L’amitié des deux hommes datait de très loin : ils s’étaient connus à Turin, où l’un était officier et l’autre étudiant. Chaque année, ils se voyaient au château de Beauregard, sur les bords du Léman, avec ses arbres séculaires se mirant dans les eaux du lac et avec ses promenades infinies. C’est là que Maistre venait goûter ses « plaisirs d’automne »1. C’est là qu’il « verbait » avec le marquis et la marquise au sujet de la République française nouvellement décrétée, à l’heure où l’Europe entière, et le roi de Sardaigne tout le premier, tremblait devant ses soldats. Tous les deux étaient passionnés par cette funeste voisine, qui divisait les meilleurs esprits du temps ; et tout en se défendant d’aimer la France, ils ne savaient penser à un autre pays, ni s’entretenir sur un autre sujet. Maistre, les yeux fixés sur ce qu’il appelait « les deux bras » de la nation française, c’est-à-dire « sa langue et l’esprit de prosélytisme qui forme l’essence de son caractère »2, maintenait et proclamait la vocation de cette nation : être à la tête du monde. Au coin de la cheminée décorée de maximes, dont celle qui dit : « La vie, même en s’en allant, laisse derrière elle l’espérance pour fermer les portes »3 — au coin de la cheminée, dis-je, il préparait ses « Considérations sur la France » et il jetait sur le papier les improvisations de son cerveau volcanique pour les soumettre au marquis. Et cet ami, doué d’un esprit peut-être inférieur par la force et l’étendue, mais plus sage et plus pondéré, tançait le grand homme sur sa tendance à l’emphase et sur ses emportements excessifs. Quant à la marquise, elle apportait, au sein de ce duo d’inséparables, le charme de son babillage et de ses divinations politiques. « Quelles personnes, bon Dieu ! Quelles soirées ! Quelles conversations ! », se souviendra Maistre4 avec nostalgie.
Très bons ouvrages
« L’Histoire d’Aḥiqar en éthiopien »
Il s’agit de la version éthiopienne de l’« Histoire et Sagesse d’Aḥikar l’Assyrien », un conte qui existe dans presque toutes les langues du Proche-Orient antique (VIIe av. J.-C.). Voici le résumé de ce conte : Aḥiqar1 était un homme vertueux et un conseiller des rois d’Assyrie. N’ayant pas de fils, il adopta le fils de sa sœur, Nadan. Il l’éleva et lui adressa une première série de leçons, sous forme de maximes et de proverbes. Plus tard, empêché par les infirmités de la vieillesse de remplir ses fonctions, Aḥiqar présenta Nadan comme son successeur. Comblé d’honneurs, Nadan ne tarda pas à faire preuve de la plus noire ingratitude. Il trahit indignement son père adoptif et bienfaiteur : il le calomnia auprès du roi Assarhaddon (de l’an 680 à l’an 669 av. J.-C.), lequel ordonna sa mort. Cependant, le bourreau était un obligé d’Aḥiqar et ne remplit pas l’ordre donné. Il exécuta un autre criminel, dont il apporta la tête au roi, et tint Aḥiqar caché. Enhardi par la nouvelle de la mort du conseiller royal, le pharaon d’Égypte lança au roi le défi de résoudre plusieurs énigmes perfides, sous peine d’avoir à lui payer un tribut. Sorti de sa cachette, Aḥiqar alla en Égypte, répondit aux énigmes du pharaon et, à son retour, demanda que Nadan lui fût livré. Il le frappa de mille coups, pour faire entrer la sagesse « par derrière son dos »2 puisqu’elle n’avait pu entrer par les oreilles, et lui adressa une deuxième série de leçons, sous forme de fables, et destinées à prouver qu’il valait mieux vivre dans une hutte en homme juste que dans un palais en criminel.
le marquis Costa de Beauregard, « Journal de voyage d’un jeune noble savoyard à Paris en 1766-1767 »

éd. Presses universitaires du Septentrion, coll. Documents et témoignages, Villeneuve-d’Ascq
Il s’agit du « Journal de voyage à Paris en 1766-1767 » du marquis Joseph-Henri Costa de Beauregard, chef d’état-major et historien de la maison royale de Savoie, et surtout ami intime du comte Joseph de Maistre. L’amitié des deux hommes datait de très loin : ils s’étaient connus à Turin, où l’un était officier et l’autre étudiant. Chaque année, ils se voyaient au château de Beauregard, sur les bords du Léman, avec ses arbres séculaires se mirant dans les eaux du lac et avec ses promenades infinies. C’est là que Maistre venait goûter ses « plaisirs d’automne »1. C’est là qu’il « verbait » avec le marquis et la marquise au sujet de la République française nouvellement décrétée, à l’heure où l’Europe entière, et le roi de Sardaigne tout le premier, tremblait devant ses soldats. Tous les deux étaient passionnés par cette funeste voisine, qui divisait les meilleurs esprits du temps ; et tout en se défendant d’aimer la France, ils ne savaient penser à un autre pays, ni s’entretenir sur un autre sujet. Maistre, les yeux fixés sur ce qu’il appelait « les deux bras » de la nation française, c’est-à-dire « sa langue et l’esprit de prosélytisme qui forme l’essence de son caractère »2, maintenait et proclamait la vocation de cette nation : être à la tête du monde. Au coin de la cheminée décorée de maximes, dont celle qui dit : « La vie, même en s’en allant, laisse derrière elle l’espérance pour fermer les portes »3 — au coin de la cheminée, dis-je, il préparait ses « Considérations sur la France » et il jetait sur le papier les improvisations de son cerveau volcanique pour les soumettre au marquis. Et cet ami, doué d’un esprit peut-être inférieur par la force et l’étendue, mais plus sage et plus pondéré, tançait le grand homme sur sa tendance à l’emphase et sur ses emportements excessifs. Quant à la marquise, elle apportait, au sein de ce duo d’inséparables, le charme de son babillage et de ses divinations politiques. « Quelles personnes, bon Dieu ! Quelles soirées ! Quelles conversations ! », se souviendra Maistre4 avec nostalgie.
le marquis Costa de Beauregard, « Mélanges tirés d’un portefeuille militaire. Tome II »
Il s’agit de « Mélanges tirés d’un portefeuille militaire » du marquis Joseph-Henri Costa de Beauregard, chef d’état-major et historien de la maison royale de Savoie, et surtout ami intime du comte Joseph de Maistre. L’amitié des deux hommes datait de très loin : ils s’étaient connus à Turin, où l’un était officier et l’autre étudiant. Chaque année, ils se voyaient au château de Beauregard, sur les bords du Léman, avec ses arbres séculaires se mirant dans les eaux du lac et avec ses promenades infinies. C’est là que Maistre venait goûter ses « plaisirs d’automne »1. C’est là qu’il « verbait » avec le marquis et la marquise au sujet de la République française nouvellement décrétée, à l’heure où l’Europe entière, et le roi de Sardaigne tout le premier, tremblait devant ses soldats. Tous les deux étaient passionnés par cette funeste voisine, qui divisait les meilleurs esprits du temps ; et tout en se défendant d’aimer la France, ils ne savaient penser à un autre pays, ni s’entretenir sur un autre sujet. Maistre, les yeux fixés sur ce qu’il appelait « les deux bras » de la nation française, c’est-à-dire « sa langue et l’esprit de prosélytisme qui forme l’essence de son caractère »2, maintenait et proclamait la vocation de cette nation : être à la tête du monde. Au coin de la cheminée décorée de maximes, dont celle qui dit : « La vie, même en s’en allant, laisse derrière elle l’espérance pour fermer les portes »3 — au coin de la cheminée, dis-je, il préparait ses « Considérations sur la France » et il jetait sur le papier les improvisations de son cerveau volcanique pour les soumettre au marquis. Et cet ami, doué d’un esprit peut-être inférieur par la force et l’étendue, mais plus sage et plus pondéré, tançait le grand homme sur sa tendance à l’emphase et sur ses emportements excessifs. Quant à la marquise, elle apportait, au sein de ce duo d’inséparables, le charme de son babillage et de ses divinations politiques. « Quelles personnes, bon Dieu ! Quelles soirées ! Quelles conversations ! », se souviendra Maistre4 avec nostalgie.
le marquis Costa de Beauregard, « Mélanges tirés d’un portefeuille militaire. Tome I »
Il s’agit de « Mélanges tirés d’un portefeuille militaire » du marquis Joseph-Henri Costa de Beauregard, chef d’état-major et historien de la maison royale de Savoie, et surtout ami intime du comte Joseph de Maistre. L’amitié des deux hommes datait de très loin : ils s’étaient connus à Turin, où l’un était officier et l’autre étudiant. Chaque année, ils se voyaient au château de Beauregard, sur les bords du Léman, avec ses arbres séculaires se mirant dans les eaux du lac et avec ses promenades infinies. C’est là que Maistre venait goûter ses « plaisirs d’automne »1. C’est là qu’il « verbait » avec le marquis et la marquise au sujet de la République française nouvellement décrétée, à l’heure où l’Europe entière, et le roi de Sardaigne tout le premier, tremblait devant ses soldats. Tous les deux étaient passionnés par cette funeste voisine, qui divisait les meilleurs esprits du temps ; et tout en se défendant d’aimer la France, ils ne savaient penser à un autre pays, ni s’entretenir sur un autre sujet. Maistre, les yeux fixés sur ce qu’il appelait « les deux bras » de la nation française, c’est-à-dire « sa langue et l’esprit de prosélytisme qui forme l’essence de son caractère »2, maintenait et proclamait la vocation de cette nation : être à la tête du monde. Au coin de la cheminée décorée de maximes, dont celle qui dit : « La vie, même en s’en allant, laisse derrière elle l’espérance pour fermer les portes »3 — au coin de la cheminée, dis-je, il préparait ses « Considérations sur la France » et il jetait sur le papier les improvisations de son cerveau volcanique pour les soumettre au marquis. Et cet ami, doué d’un esprit peut-être inférieur par la force et l’étendue, mais plus sage et plus pondéré, tançait le grand homme sur sa tendance à l’emphase et sur ses emportements excessifs. Quant à la marquise, elle apportait, au sein de ce duo d’inséparables, le charme de son babillage et de ses divinations politiques. « Quelles personnes, bon Dieu ! Quelles soirées ! Quelles conversations ! », se souviendra Maistre4 avec nostalgie.
Sagard, « Histoire du Canada, [ou] Voyages que les frères mineurs récollets y ont faits depuis l’an 1615. Tome IV »
Il s’agit de la relation « Histoire du Canada » du frère Gabriel Sagard, missionnaire français, qui a fidèlement décrit le quotidien des Indiens parmi lesquels il vécut pendant près d’un an, ainsi que l’œuvre divine qu’il eut la conviction d’accomplir, lorsque, la croix sur le cœur, le regard au ciel, il vint s’enfoncer dans les solitudes du Canada. Il en a tiré deux relations : « Le Grand Voyage du pays des Hurons » et « Histoire du Canada », qui sont précieuses en ce qu’elles nous renseignent sur les mœurs et l’esprit de tribus aujourd’hui éteintes ou réduites à une poignée d’hommes. Ce fut le 18 mars 1623 que le frère Sagard partit de Paris, à pied et sans argent, voyageant « à l’apostolique »1, pour se rendre à Dieppe, lieu de l’embarquement. La grande et épouvantable traversée de l’océan l’incommoda fort et le contraignit « de rendre le tribut à la mer [de vomir] » tout au long des trois mois et six jours de navigation qu’il lui fallut pour arriver à la ville de Québec. De là, « ayant traversé d’île en île » en petit canot, il prit terre au pays des Hurons tant désiré « par un jour de dimanche, fête de Saint-Bernard2, environ midi, [alors] que le soleil donnait à plomb »3. Tous les Indiens sortirent de leurs cabanes pour venir le voir et lui firent un fort bon accueil à leur façon ; et par des caresses extraordinaires, ils lui témoignèrent « l’aise et le contentement » qu’ils avaient de sa venue. Notre zélé religieux se mit aussitôt à l’étude de la langue huronne, dont il ne manqua pas de dresser un lexique : « J’écrivais, et observant soigneusement les mots de la langue… j’en dressais des mémoires que j’étudiais et répétais devant mes sauvages, lesquels y prenaient plaisir et m’aidaient à m’y perfectionner… ; m’[appelant] souvent “Aviel”, au lieu de “Gabriel” qu’ils ne pouvaient prononcer à cause de la lettre “b” qui ne se trouve point en toute leur langue… “Gabriel, prends ta plume et écris”, puis ils m’expliquaient au mieux qu’ils pouvaient ce que je désirais savoir »4. Peu à peu, il parvint à s’habituer dans un lieu si misérable. Peu à peu, aussi, il apprit la langue des Indiens. Il s’entretint alors fraternellement avec eux ; il les attendrit par sa mansuétude et douceur ; et comme il se montrait toujours si bon envers eux, il les persuada aisément que le Dieu dont il leur prêchait la loi, était le bon Dieu. « Telle a été l’action bienfaisante de la France dans ses possessions d’Amérique. Au Sud, les Espagnols suppliciaient, massacraient la pauvre race indienne. Au Nord, les Anglais la refoulaient de zone en zone jusque dans les froids et arides déserts. Nos missionnaires l’adoucissaient et l’humanisaient », dit Xavier Marmier
Sagard, « Histoire du Canada, [ou] Voyages que les frères mineurs récollets y ont faits depuis l’an 1615. Tome III »
Il s’agit de la relation « Histoire du Canada » du frère Gabriel Sagard, missionnaire français, qui a fidèlement décrit le quotidien des Indiens parmi lesquels il vécut pendant près d’un an, ainsi que l’œuvre divine qu’il eut la conviction d’accomplir, lorsque, la croix sur le cœur, le regard au ciel, il vint s’enfoncer dans les solitudes du Canada. Il en a tiré deux relations : « Le Grand Voyage du pays des Hurons » et « Histoire du Canada », qui sont précieuses en ce qu’elles nous renseignent sur les mœurs et l’esprit de tribus aujourd’hui éteintes ou réduites à une poignée d’hommes. Ce fut le 18 mars 1623 que le frère Sagard partit de Paris, à pied et sans argent, voyageant « à l’apostolique »1, pour se rendre à Dieppe, lieu de l’embarquement. La grande et épouvantable traversée de l’océan l’incommoda fort et le contraignit « de rendre le tribut à la mer [de vomir] » tout au long des trois mois et six jours de navigation qu’il lui fallut pour arriver à la ville de Québec. De là, « ayant traversé d’île en île » en petit canot, il prit terre au pays des Hurons tant désiré « par un jour de dimanche, fête de Saint-Bernard2, environ midi, [alors] que le soleil donnait à plomb »3. Tous les Indiens sortirent de leurs cabanes pour venir le voir et lui firent un fort bon accueil à leur façon ; et par des caresses extraordinaires, ils lui témoignèrent « l’aise et le contentement » qu’ils avaient de sa venue. Notre zélé religieux se mit aussitôt à l’étude de la langue huronne, dont il ne manqua pas de dresser un lexique : « J’écrivais, et observant soigneusement les mots de la langue… j’en dressais des mémoires que j’étudiais et répétais devant mes sauvages, lesquels y prenaient plaisir et m’aidaient à m’y perfectionner… ; m’[appelant] souvent “Aviel”, au lieu de “Gabriel” qu’ils ne pouvaient prononcer à cause de la lettre “b” qui ne se trouve point en toute leur langue… “Gabriel, prends ta plume et écris”, puis ils m’expliquaient au mieux qu’ils pouvaient ce que je désirais savoir »4. Peu à peu, il parvint à s’habituer dans un lieu si misérable. Peu à peu, aussi, il apprit la langue des Indiens. Il s’entretint alors fraternellement avec eux ; il les attendrit par sa mansuétude et douceur ; et comme il se montrait toujours si bon envers eux, il les persuada aisément que le Dieu dont il leur prêchait la loi, était le bon Dieu. « Telle a été l’action bienfaisante de la France dans ses possessions d’Amérique. Au Sud, les Espagnols suppliciaient, massacraient la pauvre race indienne. Au Nord, les Anglais la refoulaient de zone en zone jusque dans les froids et arides déserts. Nos missionnaires l’adoucissaient et l’humanisaient », dit Xavier Marmier
Sagard, « Histoire du Canada, [ou] Voyages que les frères mineurs récollets y ont faits depuis l’an 1615. Tome II »
Il s’agit de la relation « Histoire du Canada » du frère Gabriel Sagard, missionnaire français, qui a fidèlement décrit le quotidien des Indiens parmi lesquels il vécut pendant près d’un an, ainsi que l’œuvre divine qu’il eut la conviction d’accomplir, lorsque, la croix sur le cœur, le regard au ciel, il vint s’enfoncer dans les solitudes du Canada. Il en a tiré deux relations : « Le Grand Voyage du pays des Hurons » et « Histoire du Canada », qui sont précieuses en ce qu’elles nous renseignent sur les mœurs et l’esprit de tribus aujourd’hui éteintes ou réduites à une poignée d’hommes. Ce fut le 18 mars 1623 que le frère Sagard partit de Paris, à pied et sans argent, voyageant « à l’apostolique »1, pour se rendre à Dieppe, lieu de l’embarquement. La grande et épouvantable traversée de l’océan l’incommoda fort et le contraignit « de rendre le tribut à la mer [de vomir] » tout au long des trois mois et six jours de navigation qu’il lui fallut pour arriver à la ville de Québec. De là, « ayant traversé d’île en île » en petit canot, il prit terre au pays des Hurons tant désiré « par un jour de dimanche, fête de Saint-Bernard2, environ midi, [alors] que le soleil donnait à plomb »3. Tous les Indiens sortirent de leurs cabanes pour venir le voir et lui firent un fort bon accueil à leur façon ; et par des caresses extraordinaires, ils lui témoignèrent « l’aise et le contentement » qu’ils avaient de sa venue. Notre zélé religieux se mit aussitôt à l’étude de la langue huronne, dont il ne manqua pas de dresser un lexique : « J’écrivais, et observant soigneusement les mots de la langue… j’en dressais des mémoires que j’étudiais et répétais devant mes sauvages, lesquels y prenaient plaisir et m’aidaient à m’y perfectionner… ; m’[appelant] souvent “Aviel”, au lieu de “Gabriel” qu’ils ne pouvaient prononcer à cause de la lettre “b” qui ne se trouve point en toute leur langue… “Gabriel, prends ta plume et écris”, puis ils m’expliquaient au mieux qu’ils pouvaient ce que je désirais savoir »4. Peu à peu, il parvint à s’habituer dans un lieu si misérable. Peu à peu, aussi, il apprit la langue des Indiens. Il s’entretint alors fraternellement avec eux ; il les attendrit par sa mansuétude et douceur ; et comme il se montrait toujours si bon envers eux, il les persuada aisément que le Dieu dont il leur prêchait la loi, était le bon Dieu. « Telle a été l’action bienfaisante de la France dans ses possessions d’Amérique. Au Sud, les Espagnols suppliciaient, massacraient la pauvre race indienne. Au Nord, les Anglais la refoulaient de zone en zone jusque dans les froids et arides déserts. Nos missionnaires l’adoucissaient et l’humanisaient », dit Xavier Marmier
Sagard, « Histoire du Canada, [ou] Voyages que les frères mineurs récollets y ont faits depuis l’an 1615. Tome I »
Il s’agit de la relation « Histoire du Canada » du frère Gabriel Sagard, missionnaire français, qui a fidèlement décrit le quotidien des Indiens parmi lesquels il vécut pendant près d’un an, ainsi que l’œuvre divine qu’il eut la conviction d’accomplir, lorsque, la croix sur le cœur, le regard au ciel, il vint s’enfoncer dans les solitudes du Canada. Il en a tiré deux relations : « Le Grand Voyage du pays des Hurons » et « Histoire du Canada », qui sont précieuses en ce qu’elles nous renseignent sur les mœurs et l’esprit de tribus aujourd’hui éteintes ou réduites à une poignée d’hommes. Ce fut le 18 mars 1623 que le frère Sagard partit de Paris, à pied et sans argent, voyageant « à l’apostolique »1, pour se rendre à Dieppe, lieu de l’embarquement. La grande et épouvantable traversée de l’océan l’incommoda fort et le contraignit « de rendre le tribut à la mer [de vomir] » tout au long des trois mois et six jours de navigation qu’il lui fallut pour arriver à la ville de Québec. De là, « ayant traversé d’île en île » en petit canot, il prit terre au pays des Hurons tant désiré « par un jour de dimanche, fête de Saint-Bernard2, environ midi, [alors] que le soleil donnait à plomb »3. Tous les Indiens sortirent de leurs cabanes pour venir le voir et lui firent un fort bon accueil à leur façon ; et par des caresses extraordinaires, ils lui témoignèrent « l’aise et le contentement » qu’ils avaient de sa venue. Notre zélé religieux se mit aussitôt à l’étude de la langue huronne, dont il ne manqua pas de dresser un lexique : « J’écrivais, et observant soigneusement les mots de la langue… j’en dressais des mémoires que j’étudiais et répétais devant mes sauvages, lesquels y prenaient plaisir et m’aidaient à m’y perfectionner… ; m’[appelant] souvent “Aviel”, au lieu de “Gabriel” qu’ils ne pouvaient prononcer à cause de la lettre “b” qui ne se trouve point en toute leur langue… “Gabriel, prends ta plume et écris”, puis ils m’expliquaient au mieux qu’ils pouvaient ce que je désirais savoir »4. Peu à peu, il parvint à s’habituer dans un lieu si misérable. Peu à peu, aussi, il apprit la langue des Indiens. Il s’entretint alors fraternellement avec eux ; il les attendrit par sa mansuétude et douceur ; et comme il se montrait toujours si bon envers eux, il les persuada aisément que le Dieu dont il leur prêchait la loi, était le bon Dieu. « Telle a été l’action bienfaisante de la France dans ses possessions d’Amérique. Au Sud, les Espagnols suppliciaient, massacraient la pauvre race indienne. Au Nord, les Anglais la refoulaient de zone en zone jusque dans les froids et arides déserts. Nos missionnaires l’adoucissaient et l’humanisaient », dit Xavier Marmier
Judith Gautier, « Œuvres complètes. Tome II »
Il s’agit de « Fleurs d’Orient » et autres œuvres de Judith Gautier1, femme de lettres française (XIXe-XXe siècle). Fille de Théophile Gautier, elle fut peut-être le chef-d’œuvre de son père. Ce dernier façonna cette âme d’enfant, comme on façonne l’argile, et l’embellit de toute la pureté romanesque et de toute la chasteté fière dont il prônait le culte. De son salon, qui réunissait tout ce que Paris avait de poètes et de romanciers, il lui fit une sorte de berceau, au fond duquel il se plut à la voir grandir. Enfin, il prédisposa cette âme au rêve, en lui ouvrant les livres de l’orientalisme. En ce temps, l’Orient, soit comme image soit comme pensée, était devenu une occupation générale pour les savants autant que pour les artistes, comme explique Hugo2 : « Les études orientales n’ont jamais été poussées si avant. Au siècle de Louis XIV, on était helléniste ; maintenant on est orientaliste. Il y a un pas de fait. Jamais tant d’intelligences n’ont fouillé à la fois ce grand abîme de l’Asie ». Très vite, Judith reconnut l’Orient comme une seconde patrie, dont les images, les cadres, la musique, la sonorité des noms vinrent empreindre toutes ses pensées, toutes ses rêveries. Chez les poètes de la Chine et chez les prêtres de l’Inde, elle découvrait sa philosophie cachée, sa propre philosophie, qu’elle ne s’était pas dite encore ; et dans les récits de voyage au Japon, elle revoyait ses rêves et tout un Éden déjà presque familier. Alors, elle peupla cet Éden d’amantes et d’amants aux cœurs aussi purs que le sien et de nobles figures irréelles. Hugo, auquel elle envoya son premier roman, écrit ceci depuis l’exil : « J’ai lu votre “Dragon impérial”. Quel art puissant et gracieux que le vôtre !… Aller en Chine, c’est presque aller dans la lune ; vous nous faites faire ce voyage sidéral. On vous suit avec extase, et vous fuyez dans le bleu profond du rêve, ailée et étoilée ». Elle vécut dans un tel monde étoilé, à mesure qu’elle le créait. Du nôtre, elle ne connut rien ou n’en voulut rien connaître. « Paris est pour elle une capitale lointaine qu’elle n’a même point le désir de visiter un jour. Les formes y manquent de splendeur et de mystère ; les maisons en sont grises ; la foule en est terne… Elle ignore ; mais par une intuitive conscience de prophétesse, elle devine des laideurs qu’elle veut ignorer, et s’en détourne comme d’un ruisseau, pour éviter la boue… Elle est jalousement enfermée dans une sorte de cloître qu’elle a fortifié d’indifférence », raconte Edmond Haraucourt.
Judith Gautier, « Œuvres complètes. Tome I »
Il s’agit du « Dragon impérial » et autres œuvres de Judith Gautier1, femme de lettres française (XIXe-XXe siècle). Fille de Théophile Gautier, elle fut peut-être le chef-d’œuvre de son père. Ce dernier façonna cette âme d’enfant, comme on façonne l’argile, et l’embellit de toute la pureté romanesque et de toute la chasteté fière dont il prônait le culte. De son salon, qui réunissait tout ce que Paris avait de poètes et de romanciers, il lui fit une sorte de berceau, au fond duquel il se plut à la voir grandir. Enfin, il prédisposa cette âme au rêve, en lui ouvrant les livres de l’orientalisme. En ce temps, l’Orient, soit comme image soit comme pensée, était devenu une occupation générale pour les savants autant que pour les artistes, comme explique Hugo2 : « Les études orientales n’ont jamais été poussées si avant. Au siècle de Louis XIV, on était helléniste ; maintenant on est orientaliste. Il y a un pas de fait. Jamais tant d’intelligences n’ont fouillé à la fois ce grand abîme de l’Asie ». Très vite, Judith reconnut l’Orient comme une seconde patrie, dont les images, les cadres, la musique, la sonorité des noms vinrent empreindre toutes ses pensées, toutes ses rêveries. Chez les poètes de la Chine et chez les prêtres de l’Inde, elle découvrait sa philosophie cachée, sa propre philosophie, qu’elle ne s’était pas dite encore ; et dans les récits de voyage au Japon, elle revoyait ses rêves et tout un Éden déjà presque familier. Alors, elle peupla cet Éden d’amantes et d’amants aux cœurs aussi purs que le sien et de nobles figures irréelles. Hugo, auquel elle envoya son premier roman, écrit ceci depuis l’exil : « J’ai lu votre “Dragon impérial”. Quel art puissant et gracieux que le vôtre !… Aller en Chine, c’est presque aller dans la lune ; vous nous faites faire ce voyage sidéral. On vous suit avec extase, et vous fuyez dans le bleu profond du rêve, ailée et étoilée ». Elle vécut dans un tel monde étoilé, à mesure qu’elle le créait. Du nôtre, elle ne connut rien ou n’en voulut rien connaître. « Paris est pour elle une capitale lointaine qu’elle n’a même point le désir de visiter un jour. Les formes y manquent de splendeur et de mystère ; les maisons en sont grises ; la foule en est terne… Elle ignore ; mais par une intuitive conscience de prophétesse, elle devine des laideurs qu’elle veut ignorer, et s’en détourne comme d’un ruisseau, pour éviter la boue… Elle est jalousement enfermée dans une sorte de cloître qu’elle a fortifié d’indifférence », raconte Edmond Haraucourt.
Tin-Tun-Ling, « La Petite Pantoufle, “Thou-sio-sié” »
Il s’agit du roman « La Petite Pantoufle » (« Thou-sio-sié »1) de Tin-Tun-Ling2, lettré chinois exilé en France après la révolte des Taiping (XIXe siècle). On vit un jour, par une matinée de printemps, ce Chinois, ce vrai Chinois de Chine, « portant une robe bariolée de fleurs et de chimères, une longue queue dans le dos et un parasol à la main »3, errer aux abords solitaires de l’Odéon, à Paris, arrêtant tous les passants pour leur montrer une lettre sur laquelle un nom était écrit. « Encore un sourd-muet ! Est-ce qu’ils vont porter un uniforme maintenant ? »4, disaient avec humeur les passants, et aucun ne prenait seulement la peine de lire. Un seul, plus charitable, comprit que le malheureux demandait qu’on le conduisît à la rue Monsieur-le-Prince indiquée sur l’enveloppe. Cette rue avait une trentaine de numéros, et la lettre envoyait Tin-Tun-Ling au 169. On interrogea néanmoins tous les concierges, et il fut bientôt conclu que le nom de la personne recherchée était tout aussi irréel que son adresse. Que faire de l’étranger ? Le passant charitable, qui dînait le soir même chez Théophile Gautier, eut l’idée géniale d’en faire part au célèbre écrivain. Ce dernier adorait l’Orient, et le voilà aussitôt attendri sur le sort de ce Chinois échoué sur le pavé de Paris : « Je me vois à Pékin, sans un sou », s’exclama Gautier5, « ne sachant pas un mot de chinois et ayant, pour toute recommandation, un aspect insolite qui ameute les foules à mes trousses et les chiens contre mes mollets !… Amène-moi ton Chinois. On tâchera de réunir pour lui un petit magot et de rapatrier l’exilé. Viens déjeuner demain ici avec lui. » Le passant, fidèle au rendez-vous, présenta, le lendemain, à la famille Gautier Tin-Tun-Ling, qui leur fit les saluts les plus respectueux. On essaya d’échanger quelques phrases avec lui ; mais ce n’était pas commode, car le peu de français qu’il savait, il le prononçait d’une façon inattendue. Cependant, quand il comprit qu’on avait l’intention de lui fournir les moyens de retourner dans son pays lointain, il manifesta une grande épouvante : « Moi, pas tourner Chine ! », s’écria-t-il6. Il était un ancien Taiping, qui avait conspiré. Il s’était battu, et un de ses bras gardait la marque d’une affreuse blessure.
« La Colonne trajane au musée de Saint-Germain »
Il s’agit de la colonne trajane. De tous les forums romains, celui de l’Empereur Trajan était le plus beau, le plus régulier, avec sa place entourée de tavernes à l’usage des marchands, ses statues de toute espèce, sa basilique, son temple, ses deux bibliothèques, l’une pour les collections grecques et l’autre pour les latines, et tant d’autres somptuosités. L’imagination de ceux qui voyaient pour la première fois cet ensemble unique de constructions en était vivement frappée, comme en témoigne Ammien Marcellin : « constructions gigantesques » (« giganteos contextus »), dit-il, « qui défient la description » (« nec relatu effabiles »), « et que les mortels ne chercheront plus à reproduire » (« nec rursus mortalibus adpetendos »). Qu’est devenue cette si prodigieuse magnificence ? Il n’en reste aujourd’hui que la colonne qui se trouvait au milieu et qui est bien conservée. L’idée de ce monument est grandiose. D’un piédestal sur lequel on peut lire : « Le sénat et le peuple romain (ont consacré cette colonne) à l’Empereur, fils du divin Nerva, Trajan… père de la patrie, pour marquer de quelle hauteur était la montagne et la place qu’on a déblayées pour y construire de si grands monuments » s’élance une de ces colonnes creuses que l’on appelait « columna cochleata », à cause de l’escalier tournant en colimaçon (« cochlea ») creusé dans le marbre et conduisant au sommet, là où reposait la statue de l’Empereur Trajan. Mais le mérite principal de ce monument est ailleurs : il est dans les bas-reliefs qui, en forme de spirale, le décorent de haut en bas. Tous les exploits que Trajan a faits pendant son règne, entre autres les victoires qu’il a remportées sur les Daces (en Roumanie), figurent sur ces bas-reliefs historiques serpentant autour de la colonne comme les pages immortelles d’un rouleau manuscrit (« volumen »). La suite continue qu’ils forment, monte vers l’Empereur victorieux et vient se prosterner à ses pieds. L’effet est majestueux. L’ensemble est d’une puissance, d’une énergie incontestables. « On y voit des animaux, des armes, des enseignes, des marches, des camps, des machines, des harangues aux soldats, des sacrifices, des batailles, des victoires, des trophées… Tout est exprimé avec intelligence, comme on peut l’observer dans l’intrépidité de ces femmes daces qui se jettent, armées de torches, sur les prisonniers romains ; et… le désespoir de leurs maris qui, pour ne pas tomber dans l’esclavage, brûlent leur ville et s’empoisonnent », dit très bien Francesco Milizia