CatégorieTrès bons ouvrages

Schiller, « Les Brigands : drame en cinq actes »

XVIIIᵉ siècle

XVIIIe siècle

Il s’agit des « Bri­gands » (« Die Räu­ber ») de Frie­drich Schil­ler1, poète et dra­ma­turge al­le­mand (XVIIIe-XIXe siècle) dont l’œuvre se re­con­naît im­mé­dia­te­ment comme sienne par un mé­lange par­ti­cu­lier qui tient à la poé­sie par les pas­sions et à la phi­lo­so­phie par le goût pour les ré­flexions — un mé­lange qui a tant im­pré­gné l’art dra­ma­tique en Al­le­magne « que de­puis lors il est dif­fi­cile de par­ler, de s’exprimer au théâtre sans “faire du Schil­ler” »2. L’inclination de Schil­ler pour le théâtre al­lait, pour­tant, à l’encontre des lois de l’École mi­li­taire où il fut édu­qué. Huit an­nées du­rant, son en­thou­siasme lutta contre la dis­ci­pline que lui im­po­saient ses ins­ti­tu­teurs. La sur­veillance, l’uniformité ré­pé­tée des mêmes gestes, les pu­ni­tions cor­po­relles qui sui­vaient de près les me­naces, bles­saient pro­fon­dé­ment un jeune homme qui sen­tait en lui-même des pen­chants plus éle­vés, plus purs et plus di­vins que la di­rec­tion où il était poussé de force. Elles au­raient dû étouf­fer sa pas­sion pour le théâtre ; elles ne firent, au contraire, que l’attiser. « Les Bri­gands » qu’il écri­vit en ca­chette étant élève ré­vé­lèrent au monde un poète uni­ver­sel à l’intelligence trop éten­due pour voir les li­mites de l’humanité dans les fron­tières de sa pa­trie : « J’écris en ci­toyen du monde qui ne sert au­cun prince. J’ai perdu, jeune, ma pa­trie pour l’échanger contre le vaste monde… », dit-il3. Com­bien il est sin­gu­lier, d’ailleurs, que les pièces de Schil­ler pro­mènent aux quatre coins de l’Europe et se fassent tou­jours les in­ter­prètes du pa­trio­tisme d’autres peuples : les Pays-Bas avec « Don Car­los », la France avec « La Pu­celle d’Orléans », la Suisse avec « Guillaume Tell », l’Écosse avec « Ma­rie Stuart ». Quand la mort vint le sai­sir, il tra­vaillait en­core à « Dé­mé­trius », dont il avait ins­tallé l’intrigue dans une Rus­sie où il n’était pas da­van­tage allé que dans les autres pays. Il n’y a que « Wal­len­stein » qui soit réel­le­ment al­le­mand ; mais non pas l’Allemagne mo­derne, celle du Saint-Em­pire. « Ci­toyen de l’univers qui ac­cueille dans sa fa­mille tous les vi­sages hu­mains et em­brasse avec fra­ter­nité l’intérêt col­lec­tif, je me sens ap­pelé à pour­suivre l’homme der­rière tous les dé­cors de la vie en so­ciété, à le re­cher­cher dans tous les cercles, et si je puis em­ployer cette image, à po­ser sur son cœur l’aiguille de la bous­sole », dit-il4. On com­prend pour­quoi la Ré­pu­blique fran­çaise nou­vel­le­ment éta­blie, qui ap­pe­lait l’humanité à ve­nir se joindre à elle, conféra à ce poète de toutes les na­tions le titre de ci­toyen fran­çais par un dé­cret si­gné par Dan­ton en 1792.

  1. Au­tre­fois trans­crit Fré­dé­ric Schil­ler. Haut
  2. Mann, « Es­sai sur Schil­ler ». Haut
  1. « Écrits sur le théâtre », p. 101. Haut
  2. id. p. 104. Haut

Schiller et Gœthe, « Correspondance (1794-1805). Tome II »

éd. Gallimard, Paris

éd. Gal­li­mard, Pa­ris

Il s’agit de la « Cor­res­pon­dance entre Schil­ler et Gœthe » (« Brief­wech­sel zwi­schen Schil­ler und Goethe »). Il est dif­fi­cile d’apprécier la ren­contre, le choc sym­pa­thique, l’alliance se­reine et fé­conde de deux gé­nies tels que l’auteur de « Faust » et l’auteur de « Wal­len­stein », à moins de connaître exac­te­ment leur an­ti­pa­thie de dé­part. Écou­tons-les se ju­ger l’un l’autre, au mo­ment où, ar­ri­vés tous deux à l’apogée de leur re­nom­mée par des che­mins concur­rents et pa­ral­lèles, ils te­naient l’admiration de l’Allemagne en sus­pens : « Je dé­tes­tais Schil­ler, parce que son ta­lent vi­gou­reux, mais sans ma­tu­rité, avait dé­chaîné à tra­vers l’Allemagne, comme un tor­rent im­pé­tueux, tous les pa­ra­doxes mo­raux et dra­ma­tiques dont je m’étais ef­forcé de pu­ri­fier mon in­tel­li­gence », di­sait Gœthe. « Je se­rais mal­heu­reux si je me ren­con­trais sou­vent avec Gœthe. Il n’a pas un seul mo­ment d’expansion, même avec ses amis les plus in­times. Il an­nonce son exis­tence par les bien­faits, mais à la ma­nière des dieux, sans se don­ner lui-même », di­sait Schil­ler. Étant très grands l’un et l’autre, ils étaient en même temps très dif­fé­rents et très op­po­sés. « Ja­mais deux hommes ne sont par­tis de si loin pour se ren­con­trer », dit un cri­tique1. Gœthe était un réa­liste, tourné vers la na­ture ex­té­rieure en spec­ta­teur im­mo­bile et pai­sible ; Schil­ler, au contraire, était un idéa­liste, ne voyant le monde qu’à tra­vers les brumes de ses rêves, et le voyant plus vi­brant et plus en­traî­nant qu’il n’apparaissait à la plu­part des gens. Bien­tôt pour­tant, ces deux âmes al­laient unir leurs sen­ti­ments et leurs pen­sées ; ces deux es­prits al­laient se com­plé­ter, s’enrichir mu­tuel­le­ment, prendre un même es­sor vers de nou­velles ré­gions de la lit­té­ra­ture, et s’insuffler une se­conde jeu­nesse ; tout cela à un âge où ils étaient plei­ne­ment for­més l’un et l’autre. « On peut com­prendre par là toute la va­leur de [leurs] lettres : elles ne contiennent pas seule­ment des confi­dences pleines de charme et d’intérêt ; elles forment un vé­ri­table cours de lit­té­ra­ture, où les ques­tions les plus im­por­tantes de l’art et de la poé­sie sont trai­tées avec la lar­geur de vue et le sen­ti­ment pro­fond qui n’appartiennent qu’au gé­nie. Ce sont deux poètes qui nous livrent, en quelque sorte, le se­cret de leur art ; qui nous ini­tient à leurs plus in­times pré­oc­cu­pa­tions, et nous font en­trer ainsi dans ce qu’a de plus pro­fond leur es­prit par­ti­cu­lier, d’abord, et en­suite l’esprit de leur race », dit un tra­duc­teur

  1. Adolphe Bos­sert. Haut

Schiller et Gœthe, « Correspondance (1794-1805). Tome I »

éd. Gallimard, Paris

éd. Gal­li­mard, Pa­ris

Il s’agit de la « Cor­res­pon­dance entre Schil­ler et Gœthe » (« Brief­wech­sel zwi­schen Schil­ler und Goethe »). Il est dif­fi­cile d’apprécier la ren­contre, le choc sym­pa­thique, l’alliance se­reine et fé­conde de deux gé­nies tels que l’auteur de « Faust » et l’auteur de « Wal­len­stein », à moins de connaître exac­te­ment leur an­ti­pa­thie de dé­part. Écou­tons-les se ju­ger l’un l’autre, au mo­ment où, ar­ri­vés tous deux à l’apogée de leur re­nom­mée par des che­mins concur­rents et pa­ral­lèles, ils te­naient l’admiration de l’Allemagne en sus­pens : « Je dé­tes­tais Schil­ler, parce que son ta­lent vi­gou­reux, mais sans ma­tu­rité, avait dé­chaîné à tra­vers l’Allemagne, comme un tor­rent im­pé­tueux, tous les pa­ra­doxes mo­raux et dra­ma­tiques dont je m’étais ef­forcé de pu­ri­fier mon in­tel­li­gence », di­sait Gœthe. « Je se­rais mal­heu­reux si je me ren­con­trais sou­vent avec Gœthe. Il n’a pas un seul mo­ment d’expansion, même avec ses amis les plus in­times. Il an­nonce son exis­tence par les bien­faits, mais à la ma­nière des dieux, sans se don­ner lui-même », di­sait Schil­ler. Étant très grands l’un et l’autre, ils étaient en même temps très dif­fé­rents et très op­po­sés. « Ja­mais deux hommes ne sont par­tis de si loin pour se ren­con­trer », dit un cri­tique1. Gœthe était un réa­liste, tourné vers la na­ture ex­té­rieure en spec­ta­teur im­mo­bile et pai­sible ; Schil­ler, au contraire, était un idéa­liste, ne voyant le monde qu’à tra­vers les brumes de ses rêves, et le voyant plus vi­brant et plus en­traî­nant qu’il n’apparaissait à la plu­part des gens. Bien­tôt pour­tant, ces deux âmes al­laient unir leurs sen­ti­ments et leurs pen­sées ; ces deux es­prits al­laient se com­plé­ter, s’enrichir mu­tuel­le­ment, prendre un même es­sor vers de nou­velles ré­gions de la lit­té­ra­ture, et s’insuffler une se­conde jeu­nesse ; tout cela à un âge où ils étaient plei­ne­ment for­més l’un et l’autre. « On peut com­prendre par là toute la va­leur de [leurs] lettres : elles ne contiennent pas seule­ment des confi­dences pleines de charme et d’intérêt ; elles forment un vé­ri­table cours de lit­té­ra­ture, où les ques­tions les plus im­por­tantes de l’art et de la poé­sie sont trai­tées avec la lar­geur de vue et le sen­ti­ment pro­fond qui n’appartiennent qu’au gé­nie. Ce sont deux poètes qui nous livrent, en quelque sorte, le se­cret de leur art ; qui nous ini­tient à leurs plus in­times pré­oc­cu­pa­tions, et nous font en­trer ainsi dans ce qu’a de plus pro­fond leur es­prit par­ti­cu­lier, d’abord, et en­suite l’esprit de leur race », dit un tra­duc­teur

  1. Adolphe Bos­sert. Haut

Lindgren, « Karlsson sur le toit. Tome III. Le Meilleur Karlsson du monde »

éd. Le Livre de poche jeunesse, Paris

éd. Le Livre de poche jeu­nesse, Pa­ris

Il s’agit du « Meilleur Karls­son du monde » (« Karls­son på ta­ket smy­ger igen ») de Mme As­trid Lind­gren, la grande dame de la lit­té­ra­ture pour en­fants, la créa­trice de la ga­mine la plus ef­fron­tée sor­tie de l’imagination sué­doise : Fifi Brin­da­cier. Au­cun au­teur sué­dois n’a été tra­duit en au­tant de langues que Mme Lind­gren. On ra­conte que M. Bo­ris Pan­kine1, am­bas­sa­deur d’U.R.S.S. à Stock­holm, confia un jour à l’écrivaine que presque tous les foyers so­vié­tiques comp­taient deux livres : son « Karls­son sur le toit » et la Bible ; ce à quoi elle ré­pli­qua : « Comme c’est étrange ! J’ignorais to­ta­le­ment que la Bible était si po­pu­laire ! »2 C’est en 1940 ou 1941 que Fifi Brin­da­cier vit le jour comme per­son­nage de fic­tion, au mo­ment où l’Allemagne fai­sait main basse sur l’Europe, sem­blable à « un monstre ma­lé­fique qui, à in­ter­valles ré­gu­liers, sort de son trou pour se pré­ci­pi­ter sur une nou­velle vic­time »3. Le sang cou­lait, les gens re­ve­naient mu­ti­lés, tout n’était que mal­heur et déses­poir. Et mal­gré les mille rai­sons d’être dé­cou­ra­gée face à l’avenir de notre hu­ma­nité, Mme Lind­gren ne pou­vait s’empêcher d’éprouver un cer­tain op­ti­misme quand elle voyait les per­sonnes de de­main : les en­fants, les ga­mins. Ils étaient « joyeux, sin­cères et sûrs d’eux, et ce, comme au­cune gé­né­ra­tion pré­cé­dente ne l’a été »4. Mme Lind­gren com­prit, alors, que l’avenir du monde dor­mait dans les chambres des en­fants. C’est là que tout se jouait pour que les hommes et les femmes de de­main de­viennent des es­prits sains et bien­veillants, qui voient le monde tel qu’il est, qui en connaissent la beauté. Le suc­cès de Mme Lind­gren tient à cette foi. L’amour qu’elle porte aux faibles et aux op­pri­més lui vaut éga­le­ment le res­pect des pe­tits et des grands. Beau­coup de ses ré­cits ont pour cadre des bour­gades res­sem­blant à sa bour­gade na­tale. Mais il ne s’agit là que du cadre. Car l’essence de ses ré­cits ré­side dans l’imagination dé­bor­dante de l’enfant so­li­taire — ce ter­ri­toire in­té­rieur où nul ne peut plus être tra­qué, où la li­berté seule est pos­sible. « Je veux écrire pour des lec­teurs qui savent créer des mi­racles. Les en­fants savent créer des mi­racles en li­sant », dit-elle5. De même que toute per­fec­tion, dans n’importe quel genre, dé­passe les li­mites de ce genre et de­vient quelque chose d’incomparable ; de même, les ou­vrages de Mme Lind­gren dé­passent les li­mites étroites de la lit­té­ra­ture pour la jeu­nesse. Ce sont des le­çons de li­berté pour tous les âges et tous les siècles : « : Li­berté ! Car sans li­berté, la fleur du poème fa­nera où qu’elle pousse »6.

  1. En russe Борис Дмитриевич Панкин. Haut
  2. Dans « Dos­sier : As­trid Lind­gren ». Haut
  3. Dans Jens An­der­sen, « As­trid Lind­gren ». Haut
  1. id. Haut
  2. Dans « Dos­sier : As­trid Lind­gren ». Haut
  3. Dans Jens An­der­sen, « As­trid Lind­gren ». Haut

Lindgren, « Karlsson sur le toit. Tome II. Le Retour de Karlsson sur le toit »

éd. Le Livre de poche jeunesse, Paris

éd. Le Livre de poche jeu­nesse, Pa­ris

Il s’agit du « Re­tour de Karls­son sur le toit » (« Karls­son på ta­ket fly­ger igen ») de Mme As­trid Lind­gren, la grande dame de la lit­té­ra­ture pour en­fants, la créa­trice de la ga­mine la plus ef­fron­tée sor­tie de l’imagination sué­doise : Fifi Brin­da­cier. Au­cun au­teur sué­dois n’a été tra­duit en au­tant de langues que Mme Lind­gren. On ra­conte que M. Bo­ris Pan­kine1, am­bas­sa­deur d’U.R.S.S. à Stock­holm, confia un jour à l’écrivaine que presque tous les foyers so­vié­tiques comp­taient deux livres : son « Karls­son sur le toit » et la Bible ; ce à quoi elle ré­pli­qua : « Comme c’est étrange ! J’ignorais to­ta­le­ment que la Bible était si po­pu­laire ! »2 C’est en 1940 ou 1941 que Fifi Brin­da­cier vit le jour comme per­son­nage de fic­tion, au mo­ment où l’Allemagne fai­sait main basse sur l’Europe, sem­blable à « un monstre ma­lé­fique qui, à in­ter­valles ré­gu­liers, sort de son trou pour se pré­ci­pi­ter sur une nou­velle vic­time »3. Le sang cou­lait, les gens re­ve­naient mu­ti­lés, tout n’était que mal­heur et déses­poir. Et mal­gré les mille rai­sons d’être dé­cou­ra­gée face à l’avenir de notre hu­ma­nité, Mme Lind­gren ne pou­vait s’empêcher d’éprouver un cer­tain op­ti­misme quand elle voyait les per­sonnes de de­main : les en­fants, les ga­mins. Ils étaient « joyeux, sin­cères et sûrs d’eux, et ce, comme au­cune gé­né­ra­tion pré­cé­dente ne l’a été »4. Mme Lind­gren com­prit, alors, que l’avenir du monde dor­mait dans les chambres des en­fants. C’est là que tout se jouait pour que les hommes et les femmes de de­main de­viennent des es­prits sains et bien­veillants, qui voient le monde tel qu’il est, qui en connaissent la beauté. Le suc­cès de Mme Lind­gren tient à cette foi. L’amour qu’elle porte aux faibles et aux op­pri­més lui vaut éga­le­ment le res­pect des pe­tits et des grands. Beau­coup de ses ré­cits ont pour cadre des bour­gades res­sem­blant à sa bour­gade na­tale. Mais il ne s’agit là que du cadre. Car l’essence de ses ré­cits ré­side dans l’imagination dé­bor­dante de l’enfant so­li­taire — ce ter­ri­toire in­té­rieur où nul ne peut plus être tra­qué, où la li­berté seule est pos­sible. « Je veux écrire pour des lec­teurs qui savent créer des mi­racles. Les en­fants savent créer des mi­racles en li­sant », dit-elle5. De même que toute per­fec­tion, dans n’importe quel genre, dé­passe les li­mites de ce genre et de­vient quelque chose d’incomparable ; de même, les ou­vrages de Mme Lind­gren dé­passent les li­mites étroites de la lit­té­ra­ture pour la jeu­nesse. Ce sont des le­çons de li­berté pour tous les âges et tous les siècles : « : Li­berté ! Car sans li­berté, la fleur du poème fa­nera où qu’elle pousse »6.

  1. En russe Борис Дмитриевич Панкин. Haut
  2. Dans « Dos­sier : As­trid Lind­gren ». Haut
  3. Dans Jens An­der­sen, « As­trid Lind­gren ». Haut
  1. id. Haut
  2. Dans « Dos­sier : As­trid Lind­gren ». Haut
  3. Dans Jens An­der­sen, « As­trid Lind­gren ». Haut

Lindgren, « Karlsson sur le toit. Tome I. [Petit-Frère et Karlsson sur le toit] »

éd. Le Livre de poche jeunesse, Paris

éd. Le Livre de poche jeu­nesse, Pa­ris

Il s’agit de « Pe­tit-Frère et Karls­son sur le toit » (« Lil­le­bror och Karls­son på ta­ket ») de Mme As­trid Lind­gren, la grande dame de la lit­té­ra­ture pour en­fants, la créa­trice de la ga­mine la plus ef­fron­tée sor­tie de l’imagination sué­doise : Fifi Brin­da­cier. Au­cun au­teur sué­dois n’a été tra­duit en au­tant de langues que Mme Lind­gren. On ra­conte que M. Bo­ris Pan­kine1, am­bas­sa­deur d’U.R.S.S. à Stock­holm, confia un jour à l’écrivaine que presque tous les foyers so­vié­tiques comp­taient deux livres : son « Karls­son sur le toit » et la Bible ; ce à quoi elle ré­pli­qua : « Comme c’est étrange ! J’ignorais to­ta­le­ment que la Bible était si po­pu­laire ! »2 C’est en 1940 ou 1941 que Fifi Brin­da­cier vit le jour comme per­son­nage de fic­tion, au mo­ment où l’Allemagne fai­sait main basse sur l’Europe, sem­blable à « un monstre ma­lé­fique qui, à in­ter­valles ré­gu­liers, sort de son trou pour se pré­ci­pi­ter sur une nou­velle vic­time »3. Le sang cou­lait, les gens re­ve­naient mu­ti­lés, tout n’était que mal­heur et déses­poir. Et mal­gré les mille rai­sons d’être dé­cou­ra­gée face à l’avenir de notre hu­ma­nité, Mme Lind­gren ne pou­vait s’empêcher d’éprouver un cer­tain op­ti­misme quand elle voyait les per­sonnes de de­main : les en­fants, les ga­mins. Ils étaient « joyeux, sin­cères et sûrs d’eux, et ce, comme au­cune gé­né­ra­tion pré­cé­dente ne l’a été »4. Mme Lind­gren com­prit, alors, que l’avenir du monde dor­mait dans les chambres des en­fants. C’est là que tout se jouait pour que les hommes et les femmes de de­main de­viennent des es­prits sains et bien­veillants, qui voient le monde tel qu’il est, qui en connaissent la beauté. Le suc­cès de Mme Lind­gren tient à cette foi. L’amour qu’elle porte aux faibles et aux op­pri­més lui vaut éga­le­ment le res­pect des pe­tits et des grands. Beau­coup de ses ré­cits ont pour cadre des bour­gades res­sem­blant à sa bour­gade na­tale. Mais il ne s’agit là que du cadre. Car l’essence de ses ré­cits ré­side dans l’imagination dé­bor­dante de l’enfant so­li­taire — ce ter­ri­toire in­té­rieur où nul ne peut plus être tra­qué, où la li­berté seule est pos­sible. « Je veux écrire pour des lec­teurs qui savent créer des mi­racles. Les en­fants savent créer des mi­racles en li­sant », dit-elle5. De même que toute per­fec­tion, dans n’importe quel genre, dé­passe les li­mites de ce genre et de­vient quelque chose d’incomparable ; de même, les ou­vrages de Mme Lind­gren dé­passent les li­mites étroites de la lit­té­ra­ture pour la jeu­nesse. Ce sont des le­çons de li­berté pour tous les âges et tous les siècles : « : Li­berté ! Car sans li­berté, la fleur du poème fa­nera où qu’elle pousse »6.

  1. En russe Борис Дмитриевич Панкин. Haut
  2. Dans « Dos­sier : As­trid Lind­gren ». Haut
  3. Dans Jens An­der­sen, « As­trid Lind­gren ». Haut
  1. id. Haut
  2. Dans « Dos­sier : As­trid Lind­gren ». Haut
  3. Dans Jens An­der­sen, « As­trid Lind­gren ». Haut

Ibn Rushd (Averroès), « Traité décisif (“Façl el-maqâl”) sur l’accord de la religion et de la philosophie • L’Appendice (“Dhamîma”) »

éd. Carbonel, coll. Bibliothèque arabe-française, Alger

éd. Car­bo­nel, coll. Bi­blio­thèque arabe-fran­çaise, Al­ger

Il s’agit de l’« Ac­cord de la re­li­gion et de la phi­lo­so­phie », ou lit­té­ra­le­ment « (Livre du) traité dé­ci­sif sur l’accord de la re­li­gion et de la phi­lo­so­phie »1 (« (K.) faṣl al-ma­qâl wa-ta­q­rîr mâ bayna l-sharî‘a wa-l-ḥikma min al-it­tiṣâl »2), et de l’« Ap­pen­dice » (« Ḍa­mîma »3) d’Ibn Ru­shd4 (XIIe siècle apr. J.-C.). De tous les phi­lo­sophes que l’islam donna à l’Espagne, ce­lui qui laissa le plus de traces dans la mé­moire des peuples, grâce à ses re­mar­quables com­men­taires sur les écrits d’Aris­tote, fut Ibn Ru­shd, éga­le­ment connu sous les noms cor­rom­pus d’Aben-Rost, Aver­roïs, Aver­rhoës ou Aver­roès5. Dans son An­da­lou­sie na­tale, ce coin pri­vi­lé­gié du monde, le goût des sciences et des belles choses avait éta­bli au Xe siècle une to­lé­rance dont notre époque mo­derne peut à peine of­frir un exemple. « Chré­tiens, juifs, mu­sul­mans par­laient la même langue, chan­taient les mêmes poé­sies, par­ti­ci­paient aux mêmes études lit­té­raires et scien­ti­fiques. Toutes les bar­rières qui sé­parent les hommes étaient tom­bées ; tous tra­vaillaient d’un même ac­cord à l’œuvre de la ci­vi­li­sa­tion com­mune », dit Re­nan. Abû Ya‘ḳûb Yû­suf6, ca­life de l’Andalousie et contem­po­rain d’Ibn Ru­shd, fut le prince le plus let­tré de son temps. L’illustre phi­lo­sophe Ibn Tho­faïl ob­tint à sa Cour une grande in­fluence et en pro­fita pour y at­ti­rer les sa­vants de re­nom. Ce fut d’après le vœu ex­primé par Yû­suf et sur les ins­tances d’Ibn Tho­faïl qu’Ibn Ru­shd en­tre­prit de com­men­ter Aris­tote. Ja­mais ce der­nier n’avait reçu de soins aussi éten­dus, aussi sin­cères et dé­voués que ceux que lui pro­di­guera Ibn Ru­shd. L’aristotélisme ne sera plus grec ; il sera arabe. « Mais la cause fa­tale qui a étouffé chez les mu­sul­mans les plus beaux germes de dé­ve­lop­pe­ment in­tel­lec­tuel, le fa­na­tisme re­li­gieux, pré­pa­rait déjà la ruine [de la phi­lo­so­phie] », dit Re­nan. Vers la fin du XIIe siècle, l’antipathie des imams et du peuple contre les études ra­tion­nelles se dé­chaîne sur toute la sur­face du monde mu­sul­man. Bien­tôt il suf­fira de dire d’un homme : « Un tel tra­vaille à la phi­lo­so­phie ou donne des le­çons d’astronomie », pour que les gens du peuple lui ap­pliquent im­mé­dia­te­ment le nom d’« im­pie », de « mé­créant », etc. ; et que, si par mal­heur il per­sé­vère, ils le frappent dans la rue ou lui brûlent sa mai­son.

  1. Par­fois tra­duit « Exa­men cri­tique et So­lu­tion de la ques­tion de l’accord entre la loi re­li­gieuse et la phi­lo­so­phie », « (Livre de la) dé­ci­sion de la ques­tion et de l’établissement de ce qui est entre la loi re­li­gieuse et la phi­lo­so­phie en fait d’accord », « (Livre du) dis­cours dé­ci­sif où l’on éta­blit la connexion exis­tant entre la ré­vé­la­tion et la phi­lo­so­phie », « La Pa­role dé­ci­sive au su­jet du rap­port entre la phi­lo­so­phie et la re­li­gion » ou « (Le Livre du) dis­cours dé­ci­sif et de la dé­ter­mi­na­tion du rap­port entre la loi et la sa­gesse ». Haut
  2. En arabe « (كتاب) فصل المقال وتقرير ما بين الشريعة والحكمة من الاتصال ». Au­tre­fois trans­crit « (K.) faṣl al-maḳāl wa-taḳrīr mā bayna al-sharī‘a wa’l-ḥikma min al-it­tiṣāl », « (K.) fasl al-ma­qal wa-ta­q­rir ma baïna ‘ch-chari’a wa’l hikma min el-it­ti­çal », « (K.) faṣl el ma­qâl wa ta­q­rîr mâ baina’l šarî‘et wa’l ḥik­met min el it­tiṣâl » ou « (K.) façl el ma­qâl wa-ta­q­rîr ma baïn ech-charî‘a wa-l-hikma min el-it­ti­çâl ». Haut
  3. En arabe « ضميمة ». Au­tre­fois trans­crit « Dha­mîma » ou « Dha­mî­mat ». Haut
  1. En arabe ابن رشد. Au­tre­fois trans­crit Ibn-Ro­sched, Ebn-Roëch, Ebn Ro­schd, Ibn-Ro­shd, Ibn Ro­chd ou Ibn Rušd. Haut
  2. Par sub­sti­tu­tion d’Aven (Aben) à Ibn. Haut
  3. En arabe أبو يعقوب يوسف. Au­tre­fois trans­crit Abu Ya­qub Yu­suf, Abou Ya‘qoûb Yoû­çof ou Abou-Ya’coub You­souf. Haut

Ibn Bâğğa (Avempace), « La Conduite de l’isolé et Deux Autres Épîtres »

éd. J. Vrin, coll. Textes et Traditions, Paris

éd. J. Vrin, coll. Textes et Tra­di­tions, Pa­ris

Il s’agit de la « Conduite de l’isolé »1 (« Tad­bîr al-mu­ta­waḥḥid »2), l’« Épître d’adieu »3 (« Ri­sâ­lat al-wadâ‘ »4) et la « Conjonc­tion de l’intellect avec l’homme » (« It­tiṣâl al-‘aql bi-al-in­sân »5) d’Ibn Bâğğa6. Cet Arabe d’Espagne, dont le nom sera cor­rompu en ce­lui d’Aben Bache, Avem­pache ou Avem­pace7, fut le pre­mier homme d’Andalousie à avoir cultivé avec suc­cès les sciences et les spé­cu­la­tions phi­lo­so­phiques, qui seules, se­lon lui, pou­vaient ame­ner l’être hu­main à se connaître lui-même. Ses écrits lui va­lurent d’être ac­cusé d’hérésie et jeté en pri­son, mais il fut fi­na­le­ment li­béré grâce à l’intervention du cadi Abû l-Wa­lîd ibn Ru­shd, grand-père d’Aver­roès. Il mou­rut em­poi­sonné en 1138 apr. J.-C. Son suc­ces­seur, Ibn Tho­faïl, lui ren­dra ce grand hom­mage d’avoir sur­passé tous « les hommes d’un es­prit su­pé­rieur qui ont vécu en An­da­lou­sie » ; mais, en même temps, il re­gret­tera que les af­faires de ce monde et une mort pré­ma­tu­rée n’aient pas per­mis à Ibn Bâğğa de par­ta­ger les tré­sors de son sa­voir ; car, dira-t-il8, « la plu­part des ou­vrages qu’on trouve de lui manquent de fini et sont tron­qués à la fin… Quant à ses écrits ache­vés, ce sont des abré­gés et de pe­tits trai­tés ré­di­gés à la hâte. Il en fait lui-même l’aveu : il dé­clare que la thèse dont il s’est pro­posé la dé­mons­tra­tion dans le traité de la “Conjonc­tion de l’intellect avec l’homme”, ce traité n’en peut don­ner une idée claire qu’au prix de beau­coup de peine et de fa­tigue… ; et que, s’il en pou­vait trou­ver le temps, il les re­ma­nie­rait vo­lon­tiers ». Ses ou­vrages phi­lo­so­phiques portent sur la fin ex­trême de l’existence hu­maine, qui est d’entrer dans une union (une « conjonc­tion ») de plus en plus étroite avec l’intellect et de se mettre ainsi en rap­port avec Dieu. En ef­fet, se­lon Ibn Bâğğa, l’intellect est l’essence et la na­ture de l’homme, comme le tran­chant est l’essence et la na­ture du cou­teau ; et si c’est par les actes cor­po­rels que l’homme existe, c’est uni­que­ment par les actes in­tel­lec­tuels qu’il est di­vin : « L’intellect est donc l’existant le plus cher à Dieu Très-Haut, et lorsque l’homme at­teint cet in­tel­lect lui-même… cet homme a at­teint la chose créée la plus chère à Dieu »9. Cette théo­rie est em­prun­tée à l’« Éthique à Ni­co­maque » ; mais ce qui im­porte ici, c’est qu’en im­pri­mant au culte de Dieu un mou­ve­ment vers la phi­lo­so­phie et la libre pen­sée, elle trace la voie sur la­quelle mar­che­ront les illustres Aver­roès et Maï­mo­nide — et par-delà les Ju­déo-Arabes, Al­bert le Grand, saint Tho­mas et Jean de Jan­dun.

  1. Par­fois tra­duit « Livre du ré­gime du so­li­taire ». Haut
  2. En arabe « تدبير المتوحد ». Par­fois trans­crit « Tad­bîr el-mo­ta­wah­hid ». Haut
  3. Par­fois tra­duit « Lettre d’adieu » ou « Épître de l’adieu ». Haut
  4. En arabe « رسالة الوداع ». Par­fois trans­crit « Ri­sâ­let al-widâ’ ». Haut
  5. En arabe « اتصال العقل بالإنسان ». Par­fois trans­crit « It­tiṣāl al-‘aḳl bi-l-insān ». Haut
  1. En arabe ابن باجة. Au­tre­fois trans­crit Ebn Ba­giah, Ebn Ba­geh, Aben­beja, Ibn Bâd­jeh, Ebn-Ba­jah, Ibn Ba­j­jah, Ibn Bâ­jja, Ibn Bâddja, Ibn Bâdja ou Ibn Bād­jdja. Éga­le­ment connu sous le sur­nom d’Ibn al-Ṣā’iġ (ابن الصائغ), c’est-à-dire « Fils de l’Orfèvre ». Au­tre­fois trans­crit Ebn al-Saïegh, Ebn Al­saïeg, Ibn-al-Sayegh, Ibn-al-Çayeg, Ibn eç-Çâ’igh ou Ibn al-Sa’igh. Haut
  2. Par­fois trans­crit Aven­pace ou Avem­peche. Haut
  3. « Hayy ben Ya­qd­hân ; tra­duc­tion par Léon Gau­thier », p. 11. Haut
  4. p. 163. Haut

« Théâtre chinois, ou Choix de pièces de théâtre composées sous les Empereurs mongols »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit du « Res­sen­ti­ment de Dou E, qui touche le ciel et émeut la terre » (« Gan Tian Dong Di, Dou E Yuan »1) et autres pièces du théâtre des Yuan. Les let­trés chi­nois tra­vaillaient peu pour le théâtre et re­cueillaient peu de re­nom­mée de leurs pièces, parce que ce genre était plu­tôt to­léré que per­mis en Chine ; les an­ciens sages l’ayant constam­ment dé­crié et re­gardé comme un art cor­rup­teur. Il faut at­tendre le XIIIe siècle apr. J.-C. pour trou­ver des pro­duc­tions très im­por­tantes à la fois en qua­lité et en quan­tité. Un dé­sastre na­tio­nal, le pas­sage de la Chine sous le joug mon­gol, fut l’occasion de cette sou­daine flo­rai­son. Du­rant une pé­riode de quatre-vingt-dix ans, les sau­vages en­va­his­seurs, qui ne pos­sé­daient pas d’écriture, abo­lirent le sys­tème des concours où se re­cru­taient les fonc­tion­naires, et re­lé­guèrent les let­trés, qui for­maient la classe la plus ho­no­rée de la so­ciété chi­noise, à un des éche­lons les plus bas, tout juste de­vant les pros­ti­tuées et les men­diants. Par dés­œu­vre­ment, ces let­trés se tour­nèrent alors vers le théâtre — genre dont la grande vogue com­men­çait à se des­si­ner, et qu’ils contri­buèrent très vite à per­fec­tion­ner. Ce­pen­dant, le dis­cré­dit at­ta­ché au théâtre sub­sista. Ces let­trés n’accédèrent ja­mais aux hon­neurs et durent se conten­ter d’exercer de mo­destes em­plois — pe­tits com­mer­çants, apo­thi­caires, de­vins ou simples ac­teurs. Aussi, ne sommes-nous pas éton­nés de ne trou­ver au­cun ren­sei­gne­ment sur leur bio­gra­phie. Et mal­gré la pu­bli­ca­tion, en 1616, d’une cen­taine de leurs chefs-d’œuvre dans l’« An­tho­lo­gie de pièces des Yuan » (« Yuan Qu Xuan »2), le théâtre est resté jusqu’à nos jours le genre le moins connu de toutes les lit­té­ra­tures de di­ver­tis­se­ment qu’a eues la Chine. « Évi­dem­ment, la tech­nique [de ce théâtre] est ex­trê­me­ment gros­sière », ex­plique Adolf-Eduard Zu­cker3. « Les per­son­nages se font connaître à l’auditoire, en dé­taillant leur exis­tence pas­sée et la part qu’ils sont ap­pe­lés à jouer dans le drame… On peut dire que, dans l’ensemble, les pièces n’atteignent guère un plan spi­ri­tuel très élevé. Il se dé­gage, ce­pen­dant, un grand charme de ce théâtre qui nous pré­sente des per­son­nages de toute condi­tion et nous donne une vaste fresque de l’abondante vie de l’Empire du Mi­lieu, aux jours dé­crits par Marco Polo. »

  1. En chi­nois « 感天動地,竇娥冤 ». Au­tre­fois trans­crit « Kan-tien-tong-ti, Teou-ngo-youen ». Éga­le­ment connu sous le titre de « Liu Yue Xue » (« 六月雪 »), c’est-à-dire « La Neige en plein été ». L’auteur de cette pièce est Guan Han­qing (關漢卿). Au­tre­fois trans­crit Kouan-han-king ou Kuan Han-ch’ing. Haut
  2. En chi­nois « 元曲選 ». Au­tre­fois trans­crit « Yuan K’iu Siuan », « Yuen-kiu-siuen » ou « Yüan-ch’ü Hsüan ». Éga­le­ment connu sous le titre de « Yuan Ren Bai Zhong Qu » (« 元人百種曲 »), c’est-à-dire « Cent Pièces d’auteurs des Yuan ». Au­tre­fois trans­crit « Yüan-jen Pai Chung Ch’ü » ou « Youen Jin Pe Tchong Keu ». Haut
  1. Dans Ca­mille Pou­peye, « Le Théâtre chi­nois », p. 130-131. Haut

« La Conception de la vie des Coréens à travers des proverbes »

dans « Cahiers d’études coréennes », nº 7, p. 245-268

dans « Ca­hiers d’études co­réennes », no 7, p. 245-268

Il s’agit d’un re­cueil de pro­verbes co­réens. Nul genre d’enseignement n’est plus an­cien que ce­lui des pro­verbes. Son ori­gine re­monte aux âges les plus re­cu­lés du globe. Dès que les hommes, mus par un ins­tinct ir­ré­sis­tible ou pous­sés par la vo­lonté di­vine, se furent réunis en so­ciété ; dès qu’ils eurent consti­tué un lan­gage suf­fi­sant à l’expression de leurs be­soins, les pro­verbes prirent nais­sance en tant que ré­sumé na­tu­rel des idées com­munes de l’humanité. « S’ils avaient pu se conser­ver, s’ils étaient par­ve­nus jusqu’à nous sous leur forme pri­mi­tive », dit Pierre-Ma­rie Qui­tard1, « ils se­raient le plus cu­rieux mo­nu­ment du pro­grès des pre­mières so­cié­tés ; ils jet­te­raient un jour mer­veilleux sur l’histoire de la ci­vi­li­sa­tion, dont ils mar­que­raient le point de dé­part avec une ir­ré­cu­sable fi­dé­lité. » La Bible, qui contient plu­sieurs livres de pro­verbes, dit : « Ce­lui qui ap­plique son âme à ré­flé­chir sur la Loi du Très-Haut… re­cherche le sens se­cret des pro­verbes et re­vient sans cesse sur les énigmes des maximes »2. Les sages de la Grèce eurent la même pen­sée que la Bible. Confu­cius imita les pro­verbes et fut à son tour imité par ses dis­ciples. De même que l’âge de l’arbre peut se ju­ger par le tronc ; de même, les pro­verbes nous ap­prennent le gé­nie ou l’esprit propre à chaque na­tion, et les dé­tails de sa vie pri­vée. On en te­nait cer­tains en telle es­time, qu’on les di­sait d’origine cé­leste : « C’est du ciel », dit Ju­vé­nal3, « que nous est ve­nue la maxime : “Connais-toi toi-même”. Il la fau­drait gra­ver dans son cœur et la mé­di­ter tou­jours. » C’est pour­quoi, d’ailleurs, on les gra­vait sur le de­vant des portes des temples, sur les co­lonnes et les marbres. Ces ins­crip­tions, très nom­breuses du temps de Pla­ton, fai­saient dire à ce phi­lo­sophe qu’on pou­vait faire un ex­cellent cours de mo­rale en voya­geant à pied, si l’on vou­lait les lire ; les pro­verbes étant « le fruit de l’expérience de tous les peuples et comme le bon sens de tous les siècles ré­duit en for­mules »

  1. « Études his­to­riques, lit­té­raires et mo­rales sur les pro­verbes fran­çais et le lan­gage pro­ver­bial », p. 2. Haut
  2. « Livre de l’Ecclésiastique », XXXIX, 1-3. Haut
  1. « Sa­tires », poème XI, v. 27-28. Haut

Aristote, « Grande Morale »

dans « Revue de l’Institut catholique de Paris », nº 23, p. 3-90

dans « Re­vue de l’Institut ca­tho­lique de Pa­ris », no 23, p. 3-90

Il s’agit de la « Grande Mo­rale » (« Êthika me­gala »1) d’Aristote. Il se trouve dans le cor­pus aris­to­té­li­cien, tel qu’il nous est par­venu, trois trai­tés d’éthique ou de mo­rale, in­ti­tu­lés res­pec­ti­ve­ment l’« Éthique à Ni­co­maque », l’« Éthique à Eu­dème » et la « Grande Mo­rale ». Ces trai­tés ex­posent les mêmes ma­tières, avec des dé­ve­lop­pe­ments ana­logues, dans le même ordre ; ce sont trois ré­dac­tions d’une seule pen­sée. Qu’est-ce donc que ces trois ré­dac­tions ? Quels rap­ports exacts ont-elles entre elles ? Sont-elles des le­çons re­cueillies par des dis­ciples ? Est-ce Aris­tote lui-même qui s’est re­pris jusqu’à trois fois pour ex­po­ser son sys­tème ? Ce sont là des ques­tions dé­li­cates et très mal­ai­sées à ré­soudre. Les conjec­tures qu’ont sus­ci­tées les titres mêmes de ces trai­tés montrent, peut-être mieux que tout, l’incertitude où nous sommes sur leur sta­tut. L’« Éthique à Eu­dème » par exemple, est-elle une « Éthique pour Eu­dème », c’est-à-dire un traité qu’Aristote au­rait dé­dié à un de ses dis­ciples, nommé Eu­dème ? Est-elle, au contraire, une « Éthique d’Eudème », c’est-à-dire un traité dont ce dis­ciple au­rait été l’éditeur, voire l’auteur ? Rien de sûr. Pour l’« Éthique à Ni­co­maque », le plus soi­gné des trois trai­tés, le plus connu et le seul que saint Tho­mas d’Aquin ait com­menté, l’incertitude est presque iden­tique, à ceci près que Ni­co­maque se­rait, d’après Ci­cé­ron, le fils d’Aristote. Quant à la « Grande Mo­rale », qui ne mé­rite ce nom ni par sa lon­gueur ni par la dif­fi­culté de ses idées, elle sem­ble­rait, d’après Por­phyre et Da­vid l’Arménien, avoir été ap­pe­lée au­tre­fois la « Pe­tite Mo­rale à Ni­co­maque » ; ce nom lui convient mieux. Mais lais­sons de côté ces ques­tions. Il n’est pas un seul traité d’Aristote qui ne soit en désordre : soit par la faute de l’auteur qui, sur­pris par la mort, n’y au­rait pas mis la der­nière main, soit par la faute de quelque co­piste peu avisé qui au­rait tout bou­le­versé. « C’est fort re­gret­table », ex­plique un tra­duc­teur2, « mais si l’on de­vait condam­ner tout ou­vrage d’Aristote par cela seul qu’il est ir­ré­gu­lier, il faut re­con­naître qu’il ne nous en res­te­rait plus un seul : de­puis la “Mé­ta­phy­sique” jusqu’à la “Poé­tique” ! »

  1. En grec « Ἠθικὰ μεγάλα ». Haut
  1. Jules Bar­thé­lémy Saint-Hi­laire. Haut

Aristote, « Éthique à Eudème »

éd. J. Vrin-Presses de l’Université de Montréal, coll. Bibliothèque des textes philosophiques, Paris-Montréal

éd. J. Vrin-Presses de l’Université de Mont­réal, coll. Bi­blio­thèque des textes phi­lo­so­phiques, Pa­ris-Mont­réal

Il s’agit de l’« Éthique à Eu­dème » (« Êthika Eu­dê­mia »1) d’Aristote. Il se trouve dans le cor­pus aris­to­té­li­cien, tel qu’il nous est par­venu, trois trai­tés d’éthique ou de mo­rale, in­ti­tu­lés res­pec­ti­ve­ment l’« Éthique à Ni­co­maque », l’« Éthique à Eu­dème » et la « Grande Mo­rale ». Ces trai­tés ex­posent les mêmes ma­tières, avec des dé­ve­lop­pe­ments ana­logues, dans le même ordre ; ce sont trois ré­dac­tions d’une seule pen­sée. Qu’est-ce donc que ces trois ré­dac­tions ? Quels rap­ports exacts ont-elles entre elles ? Sont-elles des le­çons re­cueillies par des dis­ciples ? Est-ce Aris­tote lui-même qui s’est re­pris jusqu’à trois fois pour ex­po­ser son sys­tème ? Ce sont là des ques­tions dé­li­cates et très mal­ai­sées à ré­soudre. Les conjec­tures qu’ont sus­ci­tées les titres mêmes de ces trai­tés montrent, peut-être mieux que tout, l’incertitude où nous sommes sur leur sta­tut. L’« Éthique à Eu­dème » par exemple, est-elle une « Éthique pour Eu­dème », c’est-à-dire un traité qu’Aristote au­rait dé­dié à un de ses dis­ciples, nommé Eu­dème ? Est-elle, au contraire, une « Éthique d’Eudème », c’est-à-dire un traité dont ce dis­ciple au­rait été l’éditeur, voire l’auteur ? Rien de sûr. Pour l’« Éthique à Ni­co­maque », le plus soi­gné des trois trai­tés, le plus connu et le seul que saint Tho­mas d’Aquin ait com­menté, l’incertitude est presque iden­tique, à ceci près que Ni­co­maque se­rait, d’après Ci­cé­ron, le fils d’Aristote. Quant à la « Grande Mo­rale », qui ne mé­rite ce nom ni par sa lon­gueur ni par la dif­fi­culté de ses idées, elle sem­ble­rait, d’après Por­phyre et Da­vid l’Arménien, avoir été ap­pe­lée au­tre­fois la « Pe­tite Mo­rale à Ni­co­maque » ; ce nom lui convient mieux. Mais lais­sons de côté ces ques­tions. Il n’est pas un seul traité d’Aristote qui ne soit en désordre : soit par la faute de l’auteur qui, sur­pris par la mort, n’y au­rait pas mis la der­nière main, soit par la faute de quelque co­piste peu avisé qui au­rait tout bou­le­versé. « C’est fort re­gret­table », ex­plique un tra­duc­teur2, « mais si l’on de­vait condam­ner tout ou­vrage d’Aristote par cela seul qu’il est ir­ré­gu­lier, il faut re­con­naître qu’il ne nous en res­te­rait plus un seul : de­puis la “Mé­ta­phy­sique” jusqu’à la “Poé­tique” ! »

  1. En grec « Ἠθικὰ Εὐδήμια ». Haut
  1. Jules Bar­thé­lémy Saint-Hi­laire. Haut

Sayyâb, « Le Golfe et le Fleuve : poèmes »

éd. Sindbad-Actes Sud, coll. UNESCO d’œuvres représentatives-La Petite Bibliothèque de Sindbad, Arles

éd. Sind­bad-Actes Sud, coll. UNESCO d’œuvres re­pré­sen­ta­tives-La Pe­tite Bi­blio­thèque de Sind­bad, Arles

Il s’agit de M. Badr Cha­ker es-Sayyâb1, poète ira­kien, qui a af­fran­chi la poé­sie arabe de deux mille ans de mé­trique pour la sou­mettre aux contraintes de la vie nou­velle (XXe siècle). À l’âge de six ans, il perd sa mère ; et son père s’étant re­ma­rié, il est re­cueilli par son grand-père. Ce sera pour le poète un pre­mier choc dont il ne se re­met­tra ja­mais, et le dé­but d’une dé­marche nos­tal­gique qui l’accompagnera tout au long de sa vie, abré­gée su­bi­te­ment par la ma­la­die. Cette dé­marche, c’est la re­cherche de sa mère, et au-delà, celle de son pe­tit vil­lage na­tal de Djay­koûr2 qu’il as­si­mile à l’authenticité, à la terre « [de] l’enfance, [de] l’adolescence qui une fois fut »3. Cette terre pa­rée de rires, de chants et de par­fums re­pré­sente pour M. Sayyâb une sorte d’Éden dont il n’a été éloi­gné que par « le choc mé­tal­lique de l’argent » et « la ru­meur des ma­chines »4. Comme Sind­bad le Ma­rin ou Ulysse sur son ba­teau, hanté par le dé­sir du re­tour, M. Sayyâb s’imagine la nuit em­bar­quer sur le crois­sant de lune et « pé­ré­gri­ner avec des nuages pour voiles et l’impossible pour tout port »5. Comme Achille qui ai­me­rait mille fois mieux être, sur terre, aux gages d’un pauvre homme, que de ré­gner sur les ombres, M. Sayyâb pré­fère être « un en­fant af­famé, en larmes dans la nuit d’Irak, [plu­tôt que] ce mort qui n’eut ja­mais de la vie qu’un spec­tacle »6. On voit que c’est en mé­lan­geant mythe an­tique et temps mo­dernes que M. Sayyâb pro­duit l’alliage de sa poé­sie : « L’expression di­recte de ce qui n’est pas poé­sie », dit-il7, « ne peut de­ve­nir poé­tique. Où est alors la so­lu­tion ? En ré­ponse, le poète ira vers le mythe, [les] lé­gendes qui ont gardé leur in­ten­sité et leur fraî­cheur ; il s’en ser­vira comme ma­té­riaux pour bâ­tir les mondes qui dé­fie­ront la lo­gique de l’or et de l’acier ». En­fin, no­tons le contraste que M. Sayyâb se plaît à faire entre la ville et le vil­lage : Pa­ris, le pa­ran­gon des villes, la cité des ci­tés, est un lieu du vice, où « des hommes pris de vin sortent leurs cou­teaux », où « l’air se crispe sous l’éclat de rire des pu­tains » ; tan­dis que Djay­koûr est une source de l’innocence « avec un ho­ri­zon de fleurs dans un vase, astres bleus et rouges d’un rêve d’enfant »

  1. En arabe بدر شاكر السياب. Au­tre­fois trans­crit Badr Šā­kir al-Sayyāb, Badr Sha­ker al-Sayyab, Badr Cha­kir al-Sayyab ou Badr Sha­kir as-Sayyab. Haut
  2. En arabe جيكور. Par­fois trans­crit Ǧaykūr, Jay­kour ou Jay­kur. Haut
  3. Poème « La Mai­son de mon grand-père ». Haut
  4. Poème « L’Élégie de Djay­koûr ». Haut
  1. Poème « La Mai­son de mon grand-père ». Haut
  2. Poème « Iq­bâl et la Nuit ». Haut
  3. Dans « Les Ca­hiers de l’Oronte », p. 90. Haut