CatégorieTrès bons ouvrages

comte de Platen, « Odes italiennes : poèmes »

éd. La Différence, coll. Littérature-Le Fleuve et l’Écho, Paris

éd. La Dif­fé­rence, coll. Lit­té­ra­ture-Le Fleuve et l’Écho, Pa­ris

Il s’agit d’une tra­duc­tion par­tielle des « Odes » (« Oden ») du comte Au­gust von Pla­ten, dit Au­guste de Pla­ten, poète al­le­mand (XIXe siècle). Il ap­par­te­nait à une fa­mille noble et fut des­tiné, se­lon un usage ré­pandu dans les pays ger­ma­niques, à l’état mi­li­taire. Mais une iro­nie du des­tin sem­bla prendre plai­sir à lui en­le­ver toute oc­ca­sion de briller sur un champ de ba­taille. Car le jour où il de­vint of­fi­cier dans l’armée, le 31 mars 1814, fut le jour même où les Al­liés met­taient fin à leur pre­mière cam­pagne de France. Et quand, lors de la deuxième, la di­vi­sion ba­va­roise dont il fai­sait par­tie passa le Rhin à Mann­heim, le 13 juin 1815, elle se trouva bien trop loin de Wa­ter­loo pour prendre part au moindre com­bat. Aussi, notre sol­dat ren­tra en Al­le­magne en n’ayant ac­com­pli, se­lon ses mots, qu’une « ac­tion pa­ci­fique »1 en cette guerre. L’amour d’une Fran­çaise émi­grée à Mu­nich, la jo­lie mar­quise Eu­phra­sie de Bois­sé­son, sem­bla dé­sor­mais poindre en son cœur. Voici à quelle oc­ca­sion il avait fait sa ren­contre : « À la suite de la vic­toire rem­por­tée sur la France, il y eut ce ma­tin un “Te Deum” à la cha­pelle royale où j’étais de ser­vice. La joie me fut don­née d’y ren­con­trer la jeune mar­quise de B. qui est cer­tai­ne­ment la plus jo­lie jeune fille à la Cour »2. Mais cet amour fé­mi­nin, le seul, pa­raît-il, de sa vie, fut vite dis­sipé. Confiné dans une fierté al­tière, un fa­rouche iso­le­ment, il mon­tra de plus en plus de mé­pris pour les temps où il vi­vait et les goûts do­mi­nants de sa na­tion, qui n’offraient à ses yeux que pla­ti­tude et bas­sesse. Voué au seul ser­vice de la beauté an­tique, « im­muable et tou­jours es­sen­tielle » (« un­wan­del­bar und stets be­deut­sam »), il par­tit pour le sol sa­cré de l’Italie, qu’il ap­pela sa vé­ri­table pa­trie, et dont il s’institua le grand prêtre. Ses poèmes en mètres « an­ti­qui­sants » al­le­mands, où il chanta tan­tôt les dé­cep­tions hu­maines, tan­tôt les ruines ma­jes­tueuses de Rome, tan­tôt Ve­nise et le « sou­pir éter­nel » qui sort des « pa­lais où trô­naient ja­dis la joie et l’allégresse »3, sont les fleurs les plus pré­cieuses de sa cou­ronne ly­rique. La dé­ca­dence pré­sente, la gloire dé­chue des ci­tés ita­liennes, ne je­tant plus que l’ombre de leurs an­ciens jours, se voit dé­plo­rée par lui avec une so­briété et une vé­rité de co­lo­ris qui font par­ta­ger au lec­teur l’émotion de l’écrivain. « Au­cun poète », dit le comte Adolphe de Cir­court, « n’a senti plus pro­fon­dé­ment que Pla­ten, n’a ex­primé avec plus de vé­rité, cette émo­tion gé­né­reuse que l’aspect d’une grande ruine, la dis­so­lu­tion d’une an­tique puis­sance fait éprou­ver aux âmes ca­pables de sym­pa­thie pour ce que la Terre voit pas­ser d’élevé. » « Je n’ai pu moins faire que de re­con­naître la ri­chesse de son ta­lent », nuance Gœthe4, « mais il lui manque l’amour. Ja­mais il n’exercera toute l’action qu’il au­rait dû. »

  1. « Jour­naux », p. 172. Haut
  2. id. p. 72. Haut
  1. « Son­nets d’amour et Son­nets vé­ni­tiens », p. 147. Haut
  2. « Conver­sa­tions avec Gœthe dans les der­nières an­nées de sa vie ; trad. par Jean Chu­ze­ville. Tome I », p. 170. Haut

comte de Platen, « Églogues et Idylles • L’Élégie “Au théâtre de Taormina” »

éd. La Différence, coll. Le Fleuve et l’Écho, Paris

éd. La Dif­fé­rence, coll. Le Fleuve et l’Écho, Pa­ris

Il s’agit des « Églogues et Idylles » (« Ek­lo­gen und Idyl­len ») et « L’Élégie “Au théâtre de Taor­mina” » (« Die Ele­gie “Im Thea­ter von Taor­mina” ») du comte Au­gust von Pla­ten, dit Au­guste de Pla­ten, poète al­le­mand (XIXe siècle). Il ap­par­te­nait à une fa­mille noble et fut des­tiné, se­lon un usage ré­pandu dans les pays ger­ma­niques, à l’état mi­li­taire. Mais une iro­nie du des­tin sem­bla prendre plai­sir à lui en­le­ver toute oc­ca­sion de briller sur un champ de ba­taille. Car le jour où il de­vint of­fi­cier dans l’armée, le 31 mars 1814, fut le jour même où les Al­liés met­taient fin à leur pre­mière cam­pagne de France. Et quand, lors de la deuxième, la di­vi­sion ba­va­roise dont il fai­sait par­tie passa le Rhin à Mann­heim, le 13 juin 1815, elle se trouva bien trop loin de Wa­ter­loo pour prendre part au moindre com­bat. Aussi, notre sol­dat ren­tra en Al­le­magne en n’ayant ac­com­pli, se­lon ses mots, qu’une « ac­tion pa­ci­fique »1 en cette guerre. L’amour d’une Fran­çaise émi­grée à Mu­nich, la jo­lie mar­quise Eu­phra­sie de Bois­sé­son, sem­bla dé­sor­mais poindre en son cœur. Voici à quelle oc­ca­sion il avait fait sa ren­contre : « À la suite de la vic­toire rem­por­tée sur la France, il y eut ce ma­tin un “Te Deum” à la cha­pelle royale où j’étais de ser­vice. La joie me fut don­née d’y ren­con­trer la jeune mar­quise de B. qui est cer­tai­ne­ment la plus jo­lie jeune fille à la Cour »2. Mais cet amour fé­mi­nin, le seul, pa­raît-il, de sa vie, fut vite dis­sipé. Confiné dans une fierté al­tière, un fa­rouche iso­le­ment, il mon­tra de plus en plus de mé­pris pour les temps où il vi­vait et les goûts do­mi­nants de sa na­tion, qui n’offraient à ses yeux que pla­ti­tude et bas­sesse. Voué au seul ser­vice de la beauté an­tique, « im­muable et tou­jours es­sen­tielle » (« un­wan­del­bar und stets be­deut­sam »), il par­tit pour le sol sa­cré de l’Italie, qu’il ap­pela sa vé­ri­table pa­trie, et dont il s’institua le grand prêtre. Ses poèmes en mètres « an­ti­qui­sants » al­le­mands, où il chanta tan­tôt les dé­cep­tions hu­maines, tan­tôt les ruines ma­jes­tueuses de Rome, tan­tôt Ve­nise et le « sou­pir éter­nel » qui sort des « pa­lais où trô­naient ja­dis la joie et l’allégresse »3, sont les fleurs les plus pré­cieuses de sa cou­ronne ly­rique. La dé­ca­dence pré­sente, la gloire dé­chue des ci­tés ita­liennes, ne je­tant plus que l’ombre de leurs an­ciens jours, se voit dé­plo­rée par lui avec une so­briété et une vé­rité de co­lo­ris qui font par­ta­ger au lec­teur l’émotion de l’écrivain. « Au­cun poète », dit le comte Adolphe de Cir­court, « n’a senti plus pro­fon­dé­ment que Pla­ten, n’a ex­primé avec plus de vé­rité, cette émo­tion gé­né­reuse que l’aspect d’une grande ruine, la dis­so­lu­tion d’une an­tique puis­sance fait éprou­ver aux âmes ca­pables de sym­pa­thie pour ce que la Terre voit pas­ser d’élevé. » « Je n’ai pu moins faire que de re­con­naître la ri­chesse de son ta­lent », nuance Gœthe4, « mais il lui manque l’amour. Ja­mais il n’exercera toute l’action qu’il au­rait dû. »

  1. « Jour­naux », p. 172. Haut
  2. id. p. 72. Haut
  1. « Son­nets d’amour et Son­nets vé­ni­tiens », p. 147. Haut
  2. « Conver­sa­tions avec Gœthe dans les der­nières an­nées de sa vie ; trad. par Jean Chu­ze­ville. Tome I », p. 170. Haut

comte de Platen, « Le Livre des épigrammes »

éd. La Différence, coll. Le Fleuve et l’Écho, Paris

éd. La Dif­fé­rence, coll. Le Fleuve et l’Écho, Pa­ris

Il s’agit des « Épi­grammes » (« Epi­gramme ») du comte Au­gust von Pla­ten, dit Au­guste de Pla­ten, poète al­le­mand (XIXe siècle). Il ap­par­te­nait à une fa­mille noble et fut des­tiné, se­lon un usage ré­pandu dans les pays ger­ma­niques, à l’état mi­li­taire. Mais une iro­nie du des­tin sem­bla prendre plai­sir à lui en­le­ver toute oc­ca­sion de briller sur un champ de ba­taille. Car le jour où il de­vint of­fi­cier dans l’armée, le 31 mars 1814, fut le jour même où les Al­liés met­taient fin à leur pre­mière cam­pagne de France. Et quand, lors de la deuxième, la di­vi­sion ba­va­roise dont il fai­sait par­tie passa le Rhin à Mann­heim, le 13 juin 1815, elle se trouva bien trop loin de Wa­ter­loo pour prendre part au moindre com­bat. Aussi, notre sol­dat ren­tra en Al­le­magne en n’ayant ac­com­pli, se­lon ses mots, qu’une « ac­tion pa­ci­fique »1 en cette guerre. L’amour d’une Fran­çaise émi­grée à Mu­nich, la jo­lie mar­quise Eu­phra­sie de Bois­sé­son, sem­bla dé­sor­mais poindre en son cœur. Voici à quelle oc­ca­sion il avait fait sa ren­contre : « À la suite de la vic­toire rem­por­tée sur la France, il y eut ce ma­tin un “Te Deum” à la cha­pelle royale où j’étais de ser­vice. La joie me fut don­née d’y ren­con­trer la jeune mar­quise de B. qui est cer­tai­ne­ment la plus jo­lie jeune fille à la Cour »2. Mais cet amour fé­mi­nin, le seul, pa­raît-il, de sa vie, fut vite dis­sipé. Confiné dans une fierté al­tière, un fa­rouche iso­le­ment, il mon­tra de plus en plus de mé­pris pour les temps où il vi­vait et les goûts do­mi­nants de sa na­tion, qui n’offraient à ses yeux que pla­ti­tude et bas­sesse. Voué au seul ser­vice de la beauté an­tique, « im­muable et tou­jours es­sen­tielle » (« un­wan­del­bar und stets be­deut­sam »), il par­tit pour le sol sa­cré de l’Italie, qu’il ap­pela sa vé­ri­table pa­trie, et dont il s’institua le grand prêtre. Ses poèmes en mètres « an­ti­qui­sants » al­le­mands, où il chanta tan­tôt les dé­cep­tions hu­maines, tan­tôt les ruines ma­jes­tueuses de Rome, tan­tôt Ve­nise et le « sou­pir éter­nel » qui sort des « pa­lais où trô­naient ja­dis la joie et l’allégresse »3, sont les fleurs les plus pré­cieuses de sa cou­ronne ly­rique. La dé­ca­dence pré­sente, la gloire dé­chue des ci­tés ita­liennes, ne je­tant plus que l’ombre de leurs an­ciens jours, se voit dé­plo­rée par lui avec une so­briété et une vé­rité de co­lo­ris qui font par­ta­ger au lec­teur l’émotion de l’écrivain. « Au­cun poète », dit le comte Adolphe de Cir­court, « n’a senti plus pro­fon­dé­ment que Pla­ten, n’a ex­primé avec plus de vé­rité, cette émo­tion gé­né­reuse que l’aspect d’une grande ruine, la dis­so­lu­tion d’une an­tique puis­sance fait éprou­ver aux âmes ca­pables de sym­pa­thie pour ce que la Terre voit pas­ser d’élevé. » « Je n’ai pu moins faire que de re­con­naître la ri­chesse de son ta­lent », nuance Gœthe4, « mais il lui manque l’amour. Ja­mais il n’exercera toute l’action qu’il au­rait dû. »

  1. « Jour­naux », p. 172. Haut
  2. id. p. 72. Haut
  1. « Son­nets d’amour et Son­nets vé­ni­tiens », p. 147. Haut
  2. « Conver­sa­tions avec Gœthe dans les der­nières an­nées de sa vie ; trad. par Jean Chu­ze­ville. Tome I », p. 170. Haut

Lesseps, « Journal historique du voyage. Tome II »

XVIIIᵉ siècle

XVIIIe siècle

Il s’agit de la re­la­tion « Jour­nal his­to­rique du voyage » de Jean-Bap­tiste de Les­seps, seul sur­vi­vant de l’expédition La Pé­rouse dont il était l’interprète. Né à Sète, en France, il em­brassa la car­rière di­plo­ma­tique où son père l’avait pré­cédé, et où il sera suivi par son frère et son ne­veu. Ayant ac­quis de bonne heure une pro­fonde connais­sance de la langue russe, il fut at­ta­ché, en 1785, à l’expédition La Pé­rouse. Sa pré­sence pou­vait être d’autant plus utile que cette ex­pé­di­tion avait à re­lâ­cher dans les ports de l’Asie russe. En 1787, les na­vires la Bous­sole et l’Astrolabe, après deux ans de cir­cum­na­vi­ga­tion, mouillèrent à Pe­tro­pav­lovsk1, à l’extrémité de la presqu’île du Kamt­chatka. Le jeune Les­seps y fut chargé de la mis­sion de convoyer en France les pré­cieuses cartes et dé­pêches re­cueillies jusque-là. Les lettres de La Pé­rouse té­moignent en plu­sieurs en­droits du res­pect qu’il por­tait à notre in­ter­prète et de la foi qu’il avait en lui. Et il fal­lait une vraie foi pour lui don­ner une sem­blable mis­sion, non seule­ment dan­ge­reuse en cette par­tie du monde, mais en­core rem­plie d’obstacles, à une époque où les moyens de trans­port étaient ru­di­men­taires et rares : « M. de Les­seps que j’ai chargé de mes pa­quets », écrit La Pé­rouse, « est un jeune homme dont la conduite a été par­faite pen­dant toute la cam­pagne [de dé­cou­verte], et j’ai fait un vrai sa­cri­fice à l’amitié… en l’envoyant en France ; mais il est vrai­sem­bla­ble­ment des­tiné à oc­cu­per un jour la place de son père en Rus­sie. J’ai cru qu’un voyage par terre, au tra­vers de ce vaste Em­pire, lui pro­cu­re­rait les moyens d’acquérir des connais­sances utiles à notre com­merce et propres à aug­men­ter nos liai­sons avec ce royaume ». Les­seps ne pou­vait se dou­ter qu’il ne re­ver­rait au­cun des membres de l’équipage ; mais les adieux n’en furent pas moins bou­le­ver­sants et pleins de larmes, comme le rap­porte son « Jour­nal » : « Qu’on juge de ce que je souf­fris lorsque je les re­con­dui­sis aux ca­nots qui les at­ten­daient ; je ne pus ni par­ler ni les quit­ter. Ils m’embrassèrent tour à tour ; mes larmes ne leur prou­vèrent que trop la si­tua­tion de mon âme. Les of­fi­ciers, tous mes amis qui étaient à terre re­çurent aussi mes adieux. Tous s’attendrirent sur moi ; tous firent des vœux pour ma conser­va­tion… »

  1. En russe Петропавловск. Au­tre­fois trans­crit Pé­tro­paw­lovsk ou Saint-Pierre et Saint-Paul. Haut

Lesseps, « Journal historique du voyage. Tome I »

XVIIIᵉ siècle

XVIIIe siècle

Il s’agit de la re­la­tion « Jour­nal his­to­rique du voyage » de Jean-Bap­tiste de Les­seps, seul sur­vi­vant de l’expédition La Pé­rouse dont il était l’interprète. Né à Sète, en France, il em­brassa la car­rière di­plo­ma­tique où son père l’avait pré­cédé, et où il sera suivi par son frère et son ne­veu. Ayant ac­quis de bonne heure une pro­fonde connais­sance de la langue russe, il fut at­ta­ché, en 1785, à l’expédition La Pé­rouse. Sa pré­sence pou­vait être d’autant plus utile que cette ex­pé­di­tion avait à re­lâ­cher dans les ports de l’Asie russe. En 1787, les na­vires la Bous­sole et l’Astrolabe, après deux ans de cir­cum­na­vi­ga­tion, mouillèrent à Pe­tro­pav­lovsk1, à l’extrémité de la presqu’île du Kamt­chatka. Le jeune Les­seps y fut chargé de la mis­sion de convoyer en France les pré­cieuses cartes et dé­pêches re­cueillies jusque-là. Les lettres de La Pé­rouse té­moignent en plu­sieurs en­droits du res­pect qu’il por­tait à notre in­ter­prète et de la foi qu’il avait en lui. Et il fal­lait une vraie foi pour lui don­ner une sem­blable mis­sion, non seule­ment dan­ge­reuse en cette par­tie du monde, mais en­core rem­plie d’obstacles, à une époque où les moyens de trans­port étaient ru­di­men­taires et rares : « M. de Les­seps que j’ai chargé de mes pa­quets », écrit La Pé­rouse, « est un jeune homme dont la conduite a été par­faite pen­dant toute la cam­pagne [de dé­cou­verte], et j’ai fait un vrai sa­cri­fice à l’amitié… en l’envoyant en France ; mais il est vrai­sem­bla­ble­ment des­tiné à oc­cu­per un jour la place de son père en Rus­sie. J’ai cru qu’un voyage par terre, au tra­vers de ce vaste Em­pire, lui pro­cu­re­rait les moyens d’acquérir des connais­sances utiles à notre com­merce et propres à aug­men­ter nos liai­sons avec ce royaume ». Les­seps ne pou­vait se dou­ter qu’il ne re­ver­rait au­cun des membres de l’équipage ; mais les adieux n’en furent pas moins bou­le­ver­sants et pleins de larmes, comme le rap­porte son « Jour­nal » : « Qu’on juge de ce que je souf­fris lorsque je les re­con­dui­sis aux ca­nots qui les at­ten­daient ; je ne pus ni par­ler ni les quit­ter. Ils m’embrassèrent tour à tour ; mes larmes ne leur prou­vèrent que trop la si­tua­tion de mon âme. Les of­fi­ciers, tous mes amis qui étaient à terre re­çurent aussi mes adieux. Tous s’attendrirent sur moi ; tous firent des vœux pour ma conser­va­tion… »

  1. En russe Петропавловск. Au­tre­fois trans­crit Pé­tro­paw­lovsk ou Saint-Pierre et Saint-Paul. Haut

comte de Platen, « Journaux, [ou] Mémorandum de ma vie (1813-1835) »

éd. La Différence, coll. Littérature, Paris

éd. La Dif­fé­rence, coll. Lit­té­ra­ture, Pa­ris

Il s’agit des « Jour­naux » (« Die Ta­gebü­cher »), ou « Mé­mo­ran­dum de ma vie » (« Me­mo­ran­dum meines Le­bens ») du comte Au­gust von Pla­ten, dit Au­guste de Pla­ten, poète al­le­mand (XIXe siècle). Il ap­par­te­nait à une fa­mille noble et fut des­tiné, se­lon un usage ré­pandu dans les pays ger­ma­niques, à l’état mi­li­taire. Mais une iro­nie du des­tin sem­bla prendre plai­sir à lui en­le­ver toute oc­ca­sion de briller sur un champ de ba­taille. Car le jour où il de­vint of­fi­cier dans l’armée, le 31 mars 1814, fut le jour même où les Al­liés met­taient fin à leur pre­mière cam­pagne de France. Et quand, lors de la deuxième, la di­vi­sion ba­va­roise dont il fai­sait par­tie passa le Rhin à Mann­heim, le 13 juin 1815, elle se trouva bien trop loin de Wa­ter­loo pour prendre part au moindre com­bat. Aussi, notre sol­dat ren­tra en Al­le­magne en n’ayant ac­com­pli, se­lon ses mots, qu’une « ac­tion pa­ci­fique »1 en cette guerre. L’amour d’une Fran­çaise émi­grée à Mu­nich, la jo­lie mar­quise Eu­phra­sie de Bois­sé­son, sem­bla dé­sor­mais poindre en son cœur. Voici à quelle oc­ca­sion il avait fait sa ren­contre : « À la suite de la vic­toire rem­por­tée sur la France, il y eut ce ma­tin un “Te Deum” à la cha­pelle royale où j’étais de ser­vice. La joie me fut don­née d’y ren­con­trer la jeune mar­quise de B. qui est cer­tai­ne­ment la plus jo­lie jeune fille à la Cour »2. Mais cet amour fé­mi­nin, le seul, pa­raît-il, de sa vie, fut vite dis­sipé. Confiné dans une fierté al­tière, un fa­rouche iso­le­ment, il mon­tra de plus en plus de mé­pris pour les temps où il vi­vait et les goûts do­mi­nants de sa na­tion, qui n’offraient à ses yeux que pla­ti­tude et bas­sesse. Voué au seul ser­vice de la beauté an­tique, « im­muable et tou­jours es­sen­tielle » (« un­wan­del­bar und stets be­deut­sam »), il par­tit pour le sol sa­cré de l’Italie, qu’il ap­pela sa vé­ri­table pa­trie, et dont il s’institua le grand prêtre. Ses poèmes en mètres « an­ti­qui­sants » al­le­mands, où il chanta tan­tôt les dé­cep­tions hu­maines, tan­tôt les ruines ma­jes­tueuses de Rome, tan­tôt Ve­nise et le « sou­pir éter­nel » qui sort des « pa­lais où trô­naient ja­dis la joie et l’allégresse »3, sont les fleurs les plus pré­cieuses de sa cou­ronne ly­rique. La dé­ca­dence pré­sente, la gloire dé­chue des ci­tés ita­liennes, ne je­tant plus que l’ombre de leurs an­ciens jours, se voit dé­plo­rée par lui avec une so­briété et une vé­rité de co­lo­ris qui font par­ta­ger au lec­teur l’émotion de l’écrivain. « Au­cun poète », dit le comte Adolphe de Cir­court, « n’a senti plus pro­fon­dé­ment que Pla­ten, n’a ex­primé avec plus de vé­rité, cette émo­tion gé­né­reuse que l’aspect d’une grande ruine, la dis­so­lu­tion d’une an­tique puis­sance fait éprou­ver aux âmes ca­pables de sym­pa­thie pour ce que la Terre voit pas­ser d’élevé. » « Je n’ai pu moins faire que de re­con­naître la ri­chesse de son ta­lent », nuance Gœthe4, « mais il lui manque l’amour. Ja­mais il n’exercera toute l’action qu’il au­rait dû. »

  1. « Jour­naux », p. 172. Haut
  2. id. p. 72. Haut
  1. « Son­nets d’amour et Son­nets vé­ni­tiens », p. 147. Haut
  2. « Conver­sa­tions avec Gœthe dans les der­nières an­nées de sa vie ; trad. par Jean Chu­ze­ville. Tome I », p. 170. Haut

comte de Platen, « Sonnets d’amour et Sonnets vénitiens »

éd. La Différence, coll. Orphée, Paris

éd. La Dif­fé­rence, coll. Or­phée, Pa­ris

Il s’agit des « Son­nets vé­ni­tiens » (« So­nette aus Ve­ne­dig ») et des « Son­nets d’amour » (« Lie­bes­so­nette ») du comte Au­gust von Pla­ten, dit Au­guste de Pla­ten, poète al­le­mand (XIXe siècle). Il ap­par­te­nait à une fa­mille noble et fut des­tiné, se­lon un usage ré­pandu dans les pays ger­ma­niques, à l’état mi­li­taire. Mais une iro­nie du des­tin sem­bla prendre plai­sir à lui en­le­ver toute oc­ca­sion de briller sur un champ de ba­taille. Car le jour où il de­vint of­fi­cier dans l’armée, le 31 mars 1814, fut le jour même où les Al­liés met­taient fin à leur pre­mière cam­pagne de France. Et quand, lors de la deuxième, la di­vi­sion ba­va­roise dont il fai­sait par­tie passa le Rhin à Mann­heim, le 13 juin 1815, elle se trouva bien trop loin de Wa­ter­loo pour prendre part au moindre com­bat. Aussi, notre sol­dat ren­tra en Al­le­magne en n’ayant ac­com­pli, se­lon ses mots, qu’une « ac­tion pa­ci­fique »1 en cette guerre. L’amour d’une Fran­çaise émi­grée à Mu­nich, la jo­lie mar­quise Eu­phra­sie de Bois­sé­son, sem­bla dé­sor­mais poindre en son cœur. Voici à quelle oc­ca­sion il avait fait sa ren­contre : « À la suite de la vic­toire rem­por­tée sur la France, il y eut ce ma­tin un “Te Deum” à la cha­pelle royale où j’étais de ser­vice. La joie me fut don­née d’y ren­con­trer la jeune mar­quise de B. qui est cer­tai­ne­ment la plus jo­lie jeune fille à la Cour »2. Mais cet amour fé­mi­nin, le seul, pa­raît-il, de sa vie, fut vite dis­sipé. Confiné dans une fierté al­tière, un fa­rouche iso­le­ment, il mon­tra de plus en plus de mé­pris pour les temps où il vi­vait et les goûts do­mi­nants de sa na­tion, qui n’offraient à ses yeux que pla­ti­tude et bas­sesse. Voué au seul ser­vice de la beauté an­tique, « im­muable et tou­jours es­sen­tielle » (« un­wan­del­bar und stets be­deut­sam »), il par­tit pour le sol sa­cré de l’Italie, qu’il ap­pela sa vé­ri­table pa­trie, et dont il s’institua le grand prêtre. Ses poèmes en mètres « an­ti­qui­sants » al­le­mands, où il chanta tan­tôt les dé­cep­tions hu­maines, tan­tôt les ruines ma­jes­tueuses de Rome, tan­tôt Ve­nise et le « sou­pir éter­nel » qui sort des « pa­lais où trô­naient ja­dis la joie et l’allégresse »3, sont les fleurs les plus pré­cieuses de sa cou­ronne ly­rique. La dé­ca­dence pré­sente, la gloire dé­chue des ci­tés ita­liennes, ne je­tant plus que l’ombre de leurs an­ciens jours, se voit dé­plo­rée par lui avec une so­briété et une vé­rité de co­lo­ris qui font par­ta­ger au lec­teur l’émotion de l’écrivain. « Au­cun poète », dit le comte Adolphe de Cir­court, « n’a senti plus pro­fon­dé­ment que Pla­ten, n’a ex­primé avec plus de vé­rité, cette émo­tion gé­né­reuse que l’aspect d’une grande ruine, la dis­so­lu­tion d’une an­tique puis­sance fait éprou­ver aux âmes ca­pables de sym­pa­thie pour ce que la Terre voit pas­ser d’élevé. » « Je n’ai pu moins faire que de re­con­naître la ri­chesse de son ta­lent », nuance Gœthe4, « mais il lui manque l’amour. Ja­mais il n’exercera toute l’action qu’il au­rait dû. »

  1. « Jour­naux », p. 172. Haut
  2. id. p. 72. Haut
  1. « Son­nets d’amour et Son­nets vé­ni­tiens », p. 147. Haut
  2. « Conver­sa­tions avec Gœthe dans les der­nières an­nées de sa vie ; trad. par Jean Chu­ze­ville. Tome I », p. 170. Haut

le capitaine Dillon, « Voyage aux îles de la mer du Sud, en 1827 et 1828, et Relation de la découverte du sort de La Pérouse. Tome II »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit du « Voyage aux îles de la mer du Sud, en 1827 et 1828 » du ca­pi­taine Pe­ter Dillon1 et les re­cherches, cou­ron­nées de suc­cès, qu’il fit sur l’île de Va­ni­koro pour trou­ver une trace des fré­gates de La Pé­rouse. Le nom de La Pé­rouse est bien cé­lèbre, si­non au point de vue scien­ti­fique, du moins au point de vue dra­ma­tique, si j’ose dire. La Pé­rouse avait été en­voyé par Louis XVI pour un voyage de cir­cum­na­vi­ga­tion ; le roi avait des­siné l’itinéraire de sa propre main. Et par un pa­ral­lèle étrange, la tra­gique dis­pa­ri­tion du bour­lin­gueur coïn­cida, à peu de mois près, avec l’effondrement de la mo­nar­chie. La Pé­rouse pé­rit vic­time des flots ou des sau­vages ; et Louis XVI — des tem­pêtes ré­vo­lu­tion­naires. La lé­gende veut qu’en mon­tant sur l’échafaud le 21 jan­vier 1793, le roi ait de­mandé à ses bour­reaux : « A-t-on des nou­velles de M. de La Pé­rouse ? » On sait aujourd’hui le lieu du nau­frage des deux vais­seaux de l’expédition ; et c’est au ca­pi­taine Dillon, né en Mar­ti­nique, qu’appartient l’honneur de cette dé­cou­verte. Per­sonne ne connais­sait peut-être mieux les îles du Pa­ci­fique Sud et les cou­tumes des in­su­laires que ce ca­pi­taine che­vronné qui, pen­dant plus de vingt an­nées, avait na­vi­gué et tra­fi­qué dans ces pa­rages. Le 15 mai 1826, son na­vire de com­merce, le Saint-Pa­trick, dans sa route de Val­pa­raiso (Chili) à Cal­cutta (Inde), passa près de l’île de Ti­ko­pia, dans l’archipel des Sa­lo­mon. Sur les pi­rogues qui vinrent l’accoster se trou­vait le Prus­sien Mar­tin Bu­shart2 que le ca­pi­taine Dillon avait ja­dis dé­posé sur cette île, et qui lui mon­tra, au qua­trième ou cin­quième verre de rhum, la poi­gnée d’une épée qu’il avait ache­tée, une épée d’officier, sur la­quelle étaient gra­vés des ca­rac­tères. In­ter­rogé à cet égard, Bu­shart ré­pon­dit que cette épée pro­ve­nait du nau­frage de deux bâ­ti­ments, dont les dé­bris exis­taient en­core de­vant Va­ni­koro. De ce ré­cit, le ca­pi­taine Dillon in­féra que c’étaient les fré­gates de La Pé­rouse et per­suada Bu­shart à l’accompagner dans son en­quête. Ar­rivé à Cal­cutta, il fit part de ses soup­çons dans une lettre qu’il sou­mit à l’appréciation du se­cré­taire en chef du gou­ver­ne­ment du Ben­gale, Charles Lu­shing­ton. La voici3 : « Mon­sieur, étant convaincu que vous êtes animé de l’esprit de phi­lan­thro­pie qui a tou­jours mar­qué la conduite du gou­ver­ne­ment bri­tan­nique, je n’ai pas be­soin d’excuse pour ap­pe­ler votre at­ten­tion sur cer­taines cir­cons­tances qui me pa­raissent re­la­tives à l’infortuné na­vi­ga­teur fran­çais comte de La Pé­rouse, dont le sort est de­meuré in­connu de­puis près d’un demi-siècle… » La Com­pa­gnie des Indes orien­tales dé­cida qu’un na­vire, le Re­search, irait en­quê­ter sous les ordres du ca­pi­taine Dillon ; elle af­fecta mille rou­pies à l’achat des pré­sents à faire aux in­di­gènes et plaça à bord un di­plo­mate fran­çais, Eu­gène Chai­gneau, qui consta­te­rait la dé­cou­verte.

  1. On ren­contre aussi la gra­phie Pierre Dillon. Haut
  2. On ren­contre aussi les gra­phies Bus­sart, Bus­shardt, Bu­chart, Bu­chert et Bu­schert. Haut
  1. p. 39. Haut

le capitaine Dillon, « Voyage aux îles de la mer du Sud, en 1827 et 1828, et Relation de la découverte du sort de La Pérouse. Tome I »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit du « Voyage aux îles de la mer du Sud, en 1827 et 1828 » du ca­pi­taine Pe­ter Dillon1 et les re­cherches, cou­ron­nées de suc­cès, qu’il fit sur l’île de Va­ni­koro pour trou­ver une trace des fré­gates de La Pé­rouse. Le nom de La Pé­rouse est bien cé­lèbre, si­non au point de vue scien­ti­fique, du moins au point de vue dra­ma­tique, si j’ose dire. La Pé­rouse avait été en­voyé par Louis XVI pour un voyage de cir­cum­na­vi­ga­tion ; le roi avait des­siné l’itinéraire de sa propre main. Et par un pa­ral­lèle étrange, la tra­gique dis­pa­ri­tion du bour­lin­gueur coïn­cida, à peu de mois près, avec l’effondrement de la mo­nar­chie. La Pé­rouse pé­rit vic­time des flots ou des sau­vages ; et Louis XVI — des tem­pêtes ré­vo­lu­tion­naires. La lé­gende veut qu’en mon­tant sur l’échafaud le 21 jan­vier 1793, le roi ait de­mandé à ses bour­reaux : « A-t-on des nou­velles de M. de La Pé­rouse ? » On sait aujourd’hui le lieu du nau­frage des deux vais­seaux de l’expédition ; et c’est au ca­pi­taine Dillon, né en Mar­ti­nique, qu’appartient l’honneur de cette dé­cou­verte. Per­sonne ne connais­sait peut-être mieux les îles du Pa­ci­fique Sud et les cou­tumes des in­su­laires que ce ca­pi­taine che­vronné qui, pen­dant plus de vingt an­nées, avait na­vi­gué et tra­fi­qué dans ces pa­rages. Le 15 mai 1826, son na­vire de com­merce, le Saint-Pa­trick, dans sa route de Val­pa­raiso (Chili) à Cal­cutta (Inde), passa près de l’île de Ti­ko­pia, dans l’archipel des Sa­lo­mon. Sur les pi­rogues qui vinrent l’accoster se trou­vait le Prus­sien Mar­tin Bu­shart2 que le ca­pi­taine Dillon avait ja­dis dé­posé sur cette île, et qui lui mon­tra, au qua­trième ou cin­quième verre de rhum, la poi­gnée d’une épée qu’il avait ache­tée, une épée d’officier, sur la­quelle étaient gra­vés des ca­rac­tères. In­ter­rogé à cet égard, Bu­shart ré­pon­dit que cette épée pro­ve­nait du nau­frage de deux bâ­ti­ments, dont les dé­bris exis­taient en­core de­vant Va­ni­koro. De ce ré­cit, le ca­pi­taine Dillon in­féra que c’étaient les fré­gates de La Pé­rouse et per­suada Bu­shart à l’accompagner dans son en­quête. Ar­rivé à Cal­cutta, il fit part de ses soup­çons dans une lettre qu’il sou­mit à l’appréciation du se­cré­taire en chef du gou­ver­ne­ment du Ben­gale, Charles Lu­shing­ton. La voici3 : « Mon­sieur, étant convaincu que vous êtes animé de l’esprit de phi­lan­thro­pie qui a tou­jours mar­qué la conduite du gou­ver­ne­ment bri­tan­nique, je n’ai pas be­soin d’excuse pour ap­pe­ler votre at­ten­tion sur cer­taines cir­cons­tances qui me pa­raissent re­la­tives à l’infortuné na­vi­ga­teur fran­çais comte de La Pé­rouse, dont le sort est de­meuré in­connu de­puis près d’un demi-siècle… » La Com­pa­gnie des Indes orien­tales dé­cida qu’un na­vire, le Re­search, irait en­quê­ter sous les ordres du ca­pi­taine Dillon ; elle af­fecta mille rou­pies à l’achat des pré­sents à faire aux in­di­gènes et plaça à bord un di­plo­mate fran­çais, Eu­gène Chai­gneau, qui consta­te­rait la dé­cou­verte.

  1. On ren­contre aussi la gra­phie Pierre Dillon. Haut
  2. On ren­contre aussi les gra­phies Bus­sart, Bus­shardt, Bu­chart, Bu­chert et Bu­schert. Haut
  1. p. 39. Haut

« Les Folles Histoires du sage Nasredin »

éd. L’Iconoclaste-Allary, Paris

éd. L’Iconoclaste-Allary, Pa­ris

Il s’agit des plai­san­te­ries de Nas­red­din Hodja1, pro­duc­tions lé­gères de la lit­té­ra­ture turque qui tiennent une place qui ne leur est dis­pu­tée par au­cun autre ou­vrage. On peut même dire qu’elles consti­tuent, à elles seules, un genre spé­cial : le genre plai­sant. L’immense po­pu­la­rité ac­cor­dée, dans sa pa­trie, au Hodja et à ses fa­cé­ties ex­tra­va­gantes per­met de voir en lui la per­son­ni­fi­ca­tion même de cette belle hu­meur jo­viale, sou­vent ef­fron­tée, dé­dai­gnant toutes les conve­nances, har­die jusqu’à l’impudence, mais spi­ri­tuelle, mor­dante, ma­li­cieuse, par­fois grosse d’enseignements, qui fait la base de la conver­sa­tion turque. Ici, point de ces mé­ta­phores am­bi­tieuses dont les let­trés orien­taux peuvent, seuls, ap­pré­cier le mé­rite ; point de ces longues pé­riodes où la so­phis­ti­ca­tion et la re­cherche des ex­pres­sions font perdre à l’auteur le fil de son rai­son­ne­ment. Au lieu de ces or­ne­ments qui troublent le com­mun des mor­tels, on trouve de la bonne et franche gaieté ; un style simple, concis et na­tu­rel ; une verve naïve dont les éclairs in­at­ten­dus com­mandent le rire aux gens les plus sa­vants comme aux plus igno­rants, trop heu­reux de dé­ri­der leurs fronts sou­cieux, de dis­traire la mo­no­to­nie de leurs ré­flexions, de trom­per l’ennui de leurs veilles. « Il est peu pro­bable de trou­ver dans le monde en­tier », dit un cri­tique2, « un hé­ros du folk­lore poé­tique qui jouisse d’un tel in­té­rêt ou qui at­tire d’une telle force l’attention d’auteurs et de lec­teurs que Nas­red­din Hodja… La forme ser­rée qui en­ve­loppe l’idée des [anec­dotes] aide à les re­te­nir fa­ci­le­ment dans la mé­moire et à les dif­fu­ser… Il faut ajou­ter éga­le­ment que le per­son­nage de Nas­red­din Hodja marche sur les che­mins pous­sié­reux de l’Anatolie, dans les steppes de l’Azerbaïdjan et du Tad­ji­kis­tan et dans les vil­lages de [la pé­nin­sule bal­ka­nique] avec un dé­faut inné, ayant trou­blé plu­sieurs fois les orien­ta­listes et les folk­lo­ristes : il s’agit du ca­rac­tère contra­dic­toire du hé­ros qui est re­pré­senté tan­tôt comme un sot en trois lettres peu pers­pi­cace et im­pré­voyant, tan­tôt comme un sage pré­voyant et juste ; en tant que juge, il rend des sen­tences équi­tables ; en tant que dé­fen­seur des ac­cu­sés, il tranche des pro­cès em­brouillés que les juges of­fi­ciels ne sont pas ca­pables de ju­ger. »

  1. En turc Nas­red­din Hoca. On le dé­signe éga­le­ment comme Mulla (Molla) Nas­red­din, c’est-à-dire Maître Nas­red­din. Par­fois trans­crit Nas­re­din, Nas­ra­din, Nas­ri­din, Nas­ret­tin, Nas­tra­din, Nas­tra­tin, Nas­ret­din, Nas­rud­din, Nassr Ed­din ou Nazr-ed-din. Haut
  1. M. Vé­lit­chko Valt­chev. Haut

Çetin, « Le Livre de ma grand-mère • Les Fontaines de Havav »

éd. Parenthèses, coll. Diasporales, Marseille

éd. Pa­ren­thèses, coll. Dia­spo­rales, Mar­seille

Il s’agit du « Livre de ma grand-mère » (« An­nean­nem »1) et des « Fon­taines de Ha­vav : his­toire d’une res­tau­ra­tion » (« Ha­bap çeş­me­leri : bir res­to­ra­syo­nun öyküsü ») de Mme Fe­thiye Çe­tin, avo­cate au bar­reau d’Istanbul, mi­li­tante des droits de l’homme. Peu avant de s’éteindre, la grand-mère de Mme Çe­tin, Se­her, une bonne mu­sul­mane qui ne sor­tait ja­mais sans fou­lard, l’appela un jour au­près d’elle : « Si tu n’es pas oc­cu­pée, viens un peu près de moi, j’ai quelque chose à te dire ». Se­her prit les mains de Mme Çe­tin dans les siennes et lui confia ceci : « Mon nom était Hé­ra­nouche2, ma mère s’appelait Is­kouhi3… J’avais deux frères »4. Le ton neutre et le timbre de sa voix lais­saient en­tre­voir com­bien la dé­ci­sion de ré­vé­ler son pré­nom ar­mé­nien avait dû être dif­fi­cile. Elle avait at­tendu d’avoir plus de soixante-dix ans pour le­ver, en­fin, le voile du se­cret. Le re­gard rivé sur un point du ta­pis, elle ser­rait les mains de sa pe­tite-fille, in­ter­rom­pait sou­vent le cours de son ré­cit par la phrase « Que ces jours s’en aillent et ne re­viennent ja­mais ! », puis le re­pre­nait sur les in­sis­tances de Mme Çe­tin. Voici en sub­stance ce ré­cit. En 1915, Hé­ra­nouche avait dix ans. Elle vi­vait au vil­lage de Ha­vav (tur­cisé en Ha­bap). Blotti dans l’ombre pro­tec­trice du mo­nas­tère de la Sainte-Mère de Dieu à la Dé­lec­table Vue (Kaghts­ra­hayats Sourp Asd­vad­zad­zin5), avec ses deux écoles, ses neuf mou­lins, ses char­pen­tiers, ses tailleurs de pierre et ses for­ge­rons, ce vil­lage était le plus étendu et le plus flo­ris­sant des en­vi­rons. Un jour, les gen­darmes en­va­hirent le vil­lage. Le maire, Ni­go­ghos aga, qui grâce à sa maî­trise de la langue turque ser­vait d’interprète aux pay­sans, fut im­mé­dia­te­ment exé­cuté sur la place pu­blique. Puis, très vite, tous les hommes va­lides furent re­grou­pés sur cette même place. Les gen­darmes les at­ta­chèrent deux par deux, avant de les ame­ner. La mère de Hé­ra­nouche, Is­kouhi, pres­sen­tit com­bien l’heure était grave. Elle réunit ses sœurs et leur de­manda de se cou­per les che­veux et de se vê­tir des plus vils haillons. Toutes sui­virent ses conseils, sauf la co­quette Si­ra­nouche. Ce même soir, des hommes en­va­hirent le vil­lage et en­le­vèrent les belles jeunes filles et femmes, dont Si­ra­nouche, qu’ils ame­nèrent en la traî­nant par ses longs che­veux. Is­kouhi s’enfuit avec ses en­fants vers un autre vil­lage ar­mé­nien, qui avait été épar­gné par les at­taques. Ce­pen­dant, peu de temps après, les gen­darmes ar­ri­vèrent là aussi et en­tas­sèrent femmes et en­fants dans la cour d’une église, lais­sant les hommes à l’extérieur. Au bout d’un mo­ment, des cris à fendre l’âme se firent en­tendre au-de­hors. Les murs de la cour étaient bien hauts. Les femmes, pé­tri­fiées, ne pou­vaient voir ce qui se pas­sait, jusqu’à ce qu’elles his­sassent une fillette sur leurs épaules. Une fois re­des­cen­due, il fal­lut un long mo­ment avant que celle-ci ne pût leur dé­crire la scène : « Ils égorgent les hommes et les jettent dans la ri­vière »

  1. Par­fois tra­duit « Ma grand-mère ». Haut
  2. En ar­mé­nien Հրանուշ. Par­fois trans­crit He­ra­nuş ou Hé­ra­nouch. Haut
  3. En ar­mé­nien Իսկուհի. Par­fois trans­crit İsg­uhi ou Is­quhi. Haut
  1. p. 62. Haut
  2. En ar­mé­nien Քաղցրահայեաց Սուրբ Աստուածածին. Par­fois trans­crit Keğa­hayyats-Surp Asd­vad­zad­zin, Kaghts­ra­hayats Sourp Asd­wad­zad­zin, Kaghts­ra­hayats Sourp Asd­vad­sad­sine, Kaghts­ra­hayiats Soorp Asd­vad­zad­zin ou Kaghts­ra­hayiats Surb Ast­vat­sat­sin. Haut

Vigny, « Correspondance (1816-1863) »

éd. Calmann-Lévy, Paris

éd. Cal­mann-Lévy, Pa­ris

Il s’agit de la « Cor­res­pon­dance » d’Alfred de Vi­gny, poète fran­çais à la des­ti­née as­sez triste. Seul — ou presque seul — de tous les ro­man­tiques, il n’a pas fait école. On ne l’a pas suivi dans ses dé­marches lit­té­raires. On l’a re­mar­qué sans en rien dire à per­sonne, sans qu’au sur­plus il s’en plai­gnît lui-même. Il était né cinq ans avant Vic­tor Hugo, sept ans après La­mar­tine. Mais tan­dis que les noms de ces deux géants rem­plis­saient toutes les bouches, ce n’étaient pas ses « Poé­sies », mais un as­sez mau­vais drame — « Chat­ter­ton » en 1835 — qui ti­rait ce poète, pour quelques jours à peine, de sa re­traite un peu mys­té­rieuse, de sa sainte so­li­tude où il ren­trait aus­si­tôt. À quoi cela tient-il ? À ses dé­fauts d’abord, dont il faut conve­nir. Sou­vent, ses pro­duc­tions manquent de forte cou­leur et de re­lief. Au­cune n’est avor­tée, mais presque toutes sont lan­guis­santes et ma­la­dives. Leur étio­le­ment, comme ce­lui de toutes les gé­né­ra­tions dif­fi­ciles en vase clos, vient de ce qu’elles ont sé­journé trop long­temps dans l’esprit de leur au­teur. Il ne les a créées qu’en s’isolant com­plè­te­ment dans son si­lence, comme dans une tour in­ac­ces­sible : « [Ses] poé­sies sont nées, non comme naissent les belles choses vi­vantes — par une chaude gé­né­ra­tion, mais comme naissent les… choses pré­cieuses et froides, les perles, les co­raux… avec les­quels elles ont de l’affinité — par ag­glu­ti­na­tion, co­hé­sion lente, in­vi­sible conden­sa­tion », dé­clare un cri­tique1. « L’exécution de Vi­gny sou­vent brillante et tou­jours élé­gante n’a pas moins quelque chose d’habituellement pé­nible et de la­bo­rieux… Et d’une ma­nière gé­né­rale, jusque dans ses plus belles pièces, jusque dans “Éloa”, jusque dans “La Mai­son du ber­ger”, sa li­berté de poète est per­pé­tuel­le­ment en­tra­vée par je ne sais quelle hé­si­ta­tion ou quelle im­puis­sance d’artiste », ajoute un autre cri­tique2. Ce­pen­dant, cette hé­si­ta­tion est le fait d’un homme qui se po­sait les ques­tions su­pé­rieures et qui éprou­vait la vie. Et quelle que fût la por­tée — ou mé­diocre ou éle­vée — de son es­prit, cet es­prit vi­vait au moins dans les hautes ré­gions de la pen­sée : « Pauvres faibles que nous sommes, per­dus par le tor­rent des pen­sées et nous ac­cro­chant à toutes les branches pour prendre quelques points [d’appui] dans le vide qui nous en­ve­loppe ! », dit-il3. Et aussi : « J’allume mes bou­gies et j’écris, mes yeux en sont brû­lés. Je les éteins ; re­viennent les sou­ve­nirs… ; et les larmes, que j’ai la force de ca­cher aux vi­vants dans la jour­née, re­prennent leur cours. En­fin ar­rive la lu­mière du jour »

  1. Émile Mon­té­gut. Haut
  2. Fer­di­nand Bru­ne­tière. Haut
  1. « Tome VI. Jour­nal d’un poète », p. 132. Haut

Schiller, « Histoire du soulèvement des Pays-Bas contre la domination espagnole »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de l’« His­toire du sou­lè­ve­ment des Pays-Bas contre la do­mi­na­tion es­pa­gnole »1 (« Ges­chichte des Ab­falls der ve­rei­nig­ten Nie­der­lande von der spa­ni­schen Re­gie­rung ») de Frie­drich Schil­ler. En 1782, « Les Bri­gands » furent joués pour la pre­mière fois sur le théâtre de Mann­heim, de­vant une foule pres­sée de spec­ta­teurs ac­cou­rus de près et de loin. L’affluence fut telle que, si l’on n’avait ré­servé une place à Schil­ler, il eût pu dif­fi­ci­le­ment as­sis­ter à sa propre pièce. Ce fut un triomphe, un en­thou­siasme comme on n’en avait ja­mais vu en Al­le­magne. Ce­pen­dant, cette heu­reuse cir­cons­tance, notre poète l’expiait par de cruels sou­cis dus à la même cause. Car les dettes qu’il avait contrac­tées en fai­sant im­pri­mer cette pièce à ses frais et à ses risques de­ve­naient de jour en jour plus criantes. Tous les exem­plaires s’étaient ven­dus, mais les bé­né­fices étaient pour le li­braire. Notre poète, déses­péré, ne sut vers qui se tour­ner. Et le di­rec­teur du théâtre lui fit la sourde oreille quand, se dé­bat­tant contre la pau­vreté, Schil­ler vint im­plo­rer son aide gé­né­reuse et la fa­veur d’un congé, en pro­met­tant de dire bien haut : « C’est à un dieu que nous de­vons ces loi­sirs ; car il sera pour moi, tou­jours, un dieu » (« Deus no­bis hæc otia fe­cit ; namque erit ille mihi sem­per deus »2). Le re­fus du di­rec­teur dé­ter­mina notre poète à ré­si­gner ses fonc­tions de dra­ma­turge. Libre, mais tou­jours sans res­sources, il es­saya un moyen de sa­lut qui, dans ce temps-là comme main­te­nant, était bien pré­caire. Il fonda une re­vue lit­té­raire. « La Tha­lie du Rhin »3 (« Rhei­nische Tha­lia »), tel fut le titre de ce re­cueil. Les abon­nés firent dé­faut. Les dé­trac­teurs, en re­vanche, s’acharnèrent sur Schil­ler, à tel point que le sé­jour à Mann­heim lui de­vint im­pos­sible, in­to­lé­rable. Il par­tit à Goh­lis, un vil­lage des en­vi­rons de Leip­zig, où il loua une mo­deste chambre de pay­san, pla­cée sous les combles. C’est là qu’il alla cher­cher re­fuge pour mû­rir ses pen­sées et pour ache­ver ses pièces, en écou­tant le concert des voix de la na­ture. Un ma­tin, le ha­sard de sa pro­me­nade le condui­sit dans un bos­quet sur les bords de la Pleisse. À quelques pas de­vant lui, il aper­çut un jeune homme pâle, les yeux ha­gards, les poi­gnets liés par un ban­deau, prêt à se je­ter dans l’abîme. Schil­ler, sa­chant lui aussi de quel poids pèsent sur le cœur cer­tains mo­ments de la vie, poussa les branches et lia conver­sa­tion avec le mi­sé­rable. C’était un étu­diant en théo­lo­gie, presque un ado­les­cent, qui de­puis six mois vi­vait seule­ment de pain et d’eau, et à qui il ne res­tait plus ni forces phy­siques pour sup­por­ter ces pri­va­tions ni forces mo­rales pour es­pé­rer. Notre poète lui donna le peu qu’il avait sur lui, et lui de­manda en échange la pro­messe de re­tar­der de huit jours son pro­jet de sui­cide. Le len­de­main ou le sur­len­de­main, Schil­ler as­sis­tait à une fête de ma­riage dans une riche fa­mille de Leip­zig. Au mo­ment où l’assemblée était la plus bruyante, il se leva sou­dain, il ra­conta avec cha­leur et élo­quence la scène dont il avait été té­moin, il ré­clama de tous les in­vi­tés des se­cours pour le mal­heu­reux et il fit lui-même la quête, une as­siette à la main. La col­lecte fut si consi­dé­rable qu’elle suf­fit à sou­te­nir le pauvre étu­diant jusqu’au jour où il eut une place.

  1. Par­fois tra­duit « His­toire du sou­lè­ve­ment des Pays-Bas sous Phi­lippe II, roi d’Espagne », « His­toire de la ré­volte qui dé­ta­cha les Pays-Bas de la do­mi­na­tion es­pa­gnole » ou « His­toire de la dé­fec­tion des Pays-Bas réunis de l’Espagne ». Haut
  2. Vir­gile, « Bu­co­liques », poème I, v. 6-7. Haut
  1. Par­fois tra­duit « La Tha­lie rhé­nane ». Tha­lie, muse de la co­mé­die et de la poé­sie pas­to­rale, tient dans la main droite le bâ­ton re­courbé des ber­gers et porte de la main gauche un masque co­mique. Haut