Mot-clefchinois

Bai Juyi et Phan Huy Vịnh, « Tỳ bà hành »

dans « L’Univers des “truyện nôm” : manuscrit » (éd. École française d’Extrême-Orient, coll. Bibliothèque vietnamienne, Hanoï), p. 211-223

dans « L’Univers des “truyện nôm” : ma­nus­crit » (éd. École fran­çaise d’Extrême-Orient, coll. Bi­blio­thèque viet­na­mienne, Ha­noï), p. 211-223

Il s’agit du « Tỳ bà hành », adap­ta­tion par Phan Huy Vịnh de l’un des poèmes chi­nois qui a le plus mar­qué la lit­té­ra­ture du Viêt-nam : la « Bal­lade du luth »1 (« Pi pa xing »2) de Bai Juyi. Longue de quatre-vingt-huit vers, cette « Bal­lade » re­late l’émotion res­sen­tie par le poète et ses amis, qui rac­com­pagnent un vi­si­teur au dé­bar­ca­dère de la ri­vière, quand ils en­tendent quelqu’un, sur l’une des barques, jouer du luth — ren­contre noc­turne, pleine d’ombres et de mys­tères, évo­quée puis­sam­ment dès les pre­miers vers : « L’immensité des eaux était im­pré­gnée de la clarté de la lune lim­pide. Nous en­ten­dîmes alors, au loin sur le fleuve, les notes d’[un luth]. J’oubliais de m’en re­tour­ner ; mon ami dif­fé­rait sa des­cente du fleuve. À la voix, nous de­man­dâmes qui jouait ainsi. [Le luth] sou­dain s’arrêta de jouer et il y eut un mo­ment de si­lence ». Le poète et ses amis en ou­blient qu’ils doivent ren­trer ; le vi­si­teur en ou­blie qu’il doit re­par­tir. Ils font ap­pro­cher leur barque de celle de l’interprète et l’invitent à se mon­trer. Après mille et mille sup­pliques, ils voient sor­tir avec hé­si­ta­tion une femme : celle-ci tient en­core en main le luth qui lui cache la moi­tié du vi­sage. Elle ef­fleure les cordes et fait tin­ter une note, et deux, et trois. Chaque corde semble por­ter une âme ; chaque son semble dire une pen­sée. Elle joue, elle joue tou­jours : « Les grosses cordes sem­blaient ver­ser des ra­fales de pluie ; les pe­tites cordes sem­blaient su­sur­rer plain­ti­ve­ment des confi­dences… Son at­ti­tude si­len­cieuse aug­men­tait la beauté du mo­ment. Puis ce fut comme un vase d’argent qui éclate [et ré­pand] son li­quide sur la sur­face d’une eau ; comme des che­vaux ar­dents qui ga­lopent… »

  1. Par­fois tra­duit « Bal­lade du pipa », « Bal­lade de la gui­tare », « La Gui­tare » ou « La Chan­son du luth ». Haut
  1. En chi­nois « 琵琶行 ». Par­fois trans­crit « P’i-pa-hing », « Pi pa sing » ou « Pï-pá hsing ». Haut

« La Double Inspiration du poète Po Kiu-yi (772-846) »

éd. P. Bossuet, coll. Faculté des lettres de l’Université de Paris, Paris

éd. P. Bos­suet, coll. Fa­culté des lettres de l’Université de Pa­ris, Pa­ris

Il s’agit de Bai Juyi1, le poète le plus ta­len­tueux de la Chine, avec Li Po (IXe siècle apr. J.-C.). Au contraire de son pays, où sa po­pu­la­rité dé­crut au fil des siècles, le Viêt-nam et le Ja­pon, sans doute grâce à leur lec­to­rat fé­mi­nin, le tinrent tou­jours pour un mo­dèle su­prême et al­lèrent jusqu’à en faire une sorte de dieu tu­té­laire. Déjà de son vi­vant, sa « Chan­son des re­grets éter­nels » (« Chang hen ge »2) et sa « Bal­lade du luth » (« Pi pa xing »3) jouis­saient d’un pres­tige in­com­pa­rable au­près des femmes : « Veuves et vierges ont sou­vent, à la bouche, un poème de moi… À ma vue, les chan­teuses me dé­si­gnent du doigt, en se di­sant entre elles : voici le maître de la “Chan­son des re­grets éter­nels” », dit-il dans une lettre4. « Le trait prin­ci­pal… de Bai Juyi, qui fait son mé­rite prin­ci­pal en tant que poète », dit un cri­tique5, « c’est l’extrême sim­pli­cité de son élo­cu­tion, le na­tu­rel de toute son œuvre ». Bai Juyi re­non­çait au lan­gage trop sa­vant, trop froid, trop dense que ses pré­dé­ces­seurs po­lis­saient et ci­se­laient de­puis des siècles jusqu’à être sou­vent un peu obs­curs. On pré­tend qu’il li­sait ses vers à une vieille dame illet­trée et ne ces­sait de les chan­ger jusqu’à ce que cette der­nière lui fît en­tendre qu’elle avait tout com­pris. On com­pare son style simple, abon­dant, ré­gu­lier à l’eau d’une fon­taine qui coule nuit et jour sur la pe­tite place du vil­lage, et où tout le monde s’abreuve :

« Dan­seuse tar­tare ! Dan­seuse tar­tare !
L’âme ré­pond au son des cordes,
Les mains ré­pondent au tam­bour.
La mu­sique pré­lude, elle s’élance, manches hautes.
Pal­pi­tante comme la neige, fré­mis­sante comme le ro­seau,
À droite et à gauche, in­las­sable, elle pi­vote,
Mille et mille tours se pour­suivent sans trêve.
Rien de ce monde ne pour­rait l’égaler :
Voi­ture, moins ra­pide ; tour­billon, moins pri­me­sau­tier.
La danse fi­nie, à plu­sieurs re­prises elle sa­lue et re­mer­cie
Le sou­ve­rain qui sou­rit lé­gè­re­ment
 »

  1. En chi­nois 白居易. Au­tre­fois trans­crit Pé-kiu-y, Po Kiu-i, Po Kiu-yi, Po Tchu-yi, Pai Chui, Bo Ju yi, Po Chü-i ou Po Chu yi. Haut
  2. En chi­nois « 長恨歌 ». Au­tre­fois trans­crit « Tch’ang-hen-ko » ou « Ch’ang-hen ko ». Haut
  3. En chi­nois « 琵琶行 ». Au­tre­fois trans­crit « P’i-pa-hing », « Pi pa sing » ou « Pï-pá hsing ». Haut
  1. Dans Lo Ta-kang, « La Double Ins­pi­ra­tion du poète Po Kiu-yi », p. 135. Haut
  2. M. Georges Mar­gou­liès. Haut

Yuan Mei, « Choses dont le Maître ne parlait jamais : cinq contes tirés du “Zi bu yu” »

éd. électronique

éd. élec­tro­nique

Il s’agit d’une tra­duc­tion par­tielle de « Ce dont le Maître ne par­lait pas » (« Zi bu yu »1) de Yuan Mei, col­lec­tion chi­noise de contes, d’historiettes, de faits di­vers, met­tant en scène toutes sortes d’esprits ou d’êtres sur­na­tu­rels (XVIIIe siècle). Le titre ren­voie au pas­sage sui­vant des « En­tre­tiens de Confu­cius » : « Le Maître ne trai­tait ni des pro­diges, ni de la vio­lence, ni du désordre, ni des es­prits »2. Or, tels sont jus­te­ment les thèmes qui sont abor­dés avec pré­di­lec­tion dans « Ce dont le Maître ne par­lait pas ». Par la suite, sans doute pour évi­ter de trop se com­pro­mettre aux yeux des bien-pen­sants, Yuan Mei chan­gea ce titre quelque peu fron­deur par ce­lui de « Nou­veau “Qi xie” » (« Xin “Qi xie” »3) tiré, cette fois-ci, de « L’Œuvre com­plète » de Tchouang-tseu, où il est ques­tion d’un livre ou d’un homme qui au­rait re­cueilli des lé­gendes et qui se se­rait ap­pelé Qi xie. Yuan Mei s’empara donc de cette ap­pel­la­tion obs­cure pour en ti­rer une nou­velle, vo­lon­tai­re­ment énig­ma­tique, et sur la­quelle ses ad­ver­saires ne pou­vaient faire que des conjec­tures, en l’absence de toute autre ex­pli­ca­tion. « Aux yeux de la pos­té­rité, le re­nom de Yuan Mei tient sur­tout à l’originalité et au charme de sa poé­sie. Le “Zi bu yu” n’est sou­vent consi­déré que comme une œuvre mi­neure, si­non même in­digne de son au­teur », ex­plique M. Jean-Pierre Diény4. Dans un XVIIIe siècle mar­qué, en Chine, par une éclo­sion de contes, le re­cueil de Yuan Mei fait, en ef­fet, mo­deste fi­gure aux cô­tés de deux re­cueils plus im­por­tants : les « Contes ex­tra­or­di­naires du pa­villon des loi­sirs » du su­blime Pu Son­gling, qui mou­rut un an avant la nais­sance de Yuan Mei, et les « Notes de la chau­mière des ob­ser­va­tions sub­tiles » de l’érudit Ji Yun, son ca­det de quelques an­nées. En ban­nis­sant de sa prose les élé­gances de la poé­sie, en ne cher­chant l’inspiration que dans les confi­dences de pa­rents et d’amis, en abor­dant le sexe jusque dans ses as­pects les moins at­ten­dus, Yuan Mei est par trop dé­sin­volte, et les herbes folles abondent dans son ou­vrage. Il le pré­sente avec rai­son, dans sa pré­face, comme un re­cueil « de ré­cits abra­ca­da­brants, sans pro­fonde si­gni­fi­ca­tion » fait prin­ci­pa­le­ment « pour le plai­sir »5 ; il dit ailleurs6 avoir voulu « dans les his­toires de fan­tômes se dé­fou­ler de l’absurdité ».

  1. En chi­nois « 子不語 ». Au­tre­fois trans­crit « Tseu-pou-yu » ou « Tzu pu yu ». Haut
  2. VII, 21. Haut
  3. En chi­nois « 新齊諧 ». Au­tre­fois trans­crit « Sin “Ts’i-hiai” ». Haut
  1. p. 26. Haut
  2. Dans Pierre Ka­ser, « Yuan Mei et son “Zi bu yu” », p. 84-85. Haut
  3. « Di­vers Plai­sirs à la villa Sui », p. 40. Haut

Yuan Mei, « Ce dont le Maître ne parle pas, “Zi bu yu” : contes »

dans « Le Visage vert », nº 16, p. 65-82

dans « Le Vi­sage vert », no 16, p. 65-82

Il s’agit d’une tra­duc­tion par­tielle de « Ce dont le Maître ne par­lait pas » (« Zi bu yu »1) de Yuan Mei, col­lec­tion chi­noise de contes, d’historiettes, de faits di­vers, met­tant en scène toutes sortes d’esprits ou d’êtres sur­na­tu­rels (XVIIIe siècle). Le titre ren­voie au pas­sage sui­vant des « En­tre­tiens de Confu­cius » : « Le Maître ne trai­tait ni des pro­diges, ni de la vio­lence, ni du désordre, ni des es­prits »2. Or, tels sont jus­te­ment les thèmes qui sont abor­dés avec pré­di­lec­tion dans « Ce dont le Maître ne par­lait pas ». Par la suite, sans doute pour évi­ter de trop se com­pro­mettre aux yeux des bien-pen­sants, Yuan Mei chan­gea ce titre quelque peu fron­deur par ce­lui de « Nou­veau “Qi xie” » (« Xin “Qi xie” »3) tiré, cette fois-ci, de « L’Œuvre com­plète » de Tchouang-tseu, où il est ques­tion d’un livre ou d’un homme qui au­rait re­cueilli des lé­gendes et qui se se­rait ap­pelé Qi xie. Yuan Mei s’empara donc de cette ap­pel­la­tion obs­cure pour en ti­rer une nou­velle, vo­lon­tai­re­ment énig­ma­tique, et sur la­quelle ses ad­ver­saires ne pou­vaient faire que des conjec­tures, en l’absence de toute autre ex­pli­ca­tion. « Aux yeux de la pos­té­rité, le re­nom de Yuan Mei tient sur­tout à l’originalité et au charme de sa poé­sie. Le “Zi bu yu” n’est sou­vent consi­déré que comme une œuvre mi­neure, si­non même in­digne de son au­teur », ex­plique M. Jean-Pierre Diény4. Dans un XVIIIe siècle mar­qué, en Chine, par une éclo­sion de contes, le re­cueil de Yuan Mei fait, en ef­fet, mo­deste fi­gure aux cô­tés de deux re­cueils plus im­por­tants : les « Contes ex­tra­or­di­naires du pa­villon des loi­sirs » du su­blime Pu Son­gling, qui mou­rut un an avant la nais­sance de Yuan Mei, et les « Notes de la chau­mière des ob­ser­va­tions sub­tiles » de l’érudit Ji Yun, son ca­det de quelques an­nées. En ban­nis­sant de sa prose les élé­gances de la poé­sie, en ne cher­chant l’inspiration que dans les confi­dences de pa­rents et d’amis, en abor­dant le sexe jusque dans ses as­pects les moins at­ten­dus, Yuan Mei est par trop dé­sin­volte, et les herbes folles abondent dans son ou­vrage. Il le pré­sente avec rai­son, dans sa pré­face, comme un re­cueil « de ré­cits abra­ca­da­brants, sans pro­fonde si­gni­fi­ca­tion » fait prin­ci­pa­le­ment « pour le plai­sir »5 ; il dit ailleurs6 avoir voulu « dans les his­toires de fan­tômes se dé­fou­ler de l’absurdité ».

  1. En chi­nois « 子不語 ». Au­tre­fois trans­crit « Tseu-pou-yu » ou « Tzu pu yu ». Haut
  2. VII, 21. Haut
  3. En chi­nois « 新齊諧 ». Au­tre­fois trans­crit « Sin “Ts’i-hiai” ». Haut
  1. p. 26. Haut
  2. Dans Pierre Ka­ser, « Yuan Mei et son “Zi bu yu” », p. 84-85. Haut
  3. « Di­vers Plai­sirs à la villa Sui », p. 40. Haut

Yuan Mei, « Ce dont le Maître ne parlait pas : le merveilleux onirique »

éd. Gallimard, Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard, Connais­sance de l’Orient, Pa­ris

Il s’agit d’une tra­duc­tion par­tielle de « Ce dont le Maître ne par­lait pas » (« Zi bu yu »1) de Yuan Mei, col­lec­tion chi­noise de contes, d’historiettes, de faits di­vers, met­tant en scène toutes sortes d’esprits ou d’êtres sur­na­tu­rels (XVIIIe siècle). Le titre ren­voie au pas­sage sui­vant des « En­tre­tiens de Confu­cius » : « Le Maître ne trai­tait ni des pro­diges, ni de la vio­lence, ni du désordre, ni des es­prits »2. Or, tels sont jus­te­ment les thèmes qui sont abor­dés avec pré­di­lec­tion dans « Ce dont le Maître ne par­lait pas ». Par la suite, sans doute pour évi­ter de trop se com­pro­mettre aux yeux des bien-pen­sants, Yuan Mei chan­gea ce titre quelque peu fron­deur par ce­lui de « Nou­veau “Qi xie” » (« Xin “Qi xie” »3) tiré, cette fois-ci, de « L’Œuvre com­plète » de Tchouang-tseu, où il est ques­tion d’un livre ou d’un homme qui au­rait re­cueilli des lé­gendes et qui se se­rait ap­pelé Qi xie. Yuan Mei s’empara donc de cette ap­pel­la­tion obs­cure pour en ti­rer une nou­velle, vo­lon­tai­re­ment énig­ma­tique, et sur la­quelle ses ad­ver­saires ne pou­vaient faire que des conjec­tures, en l’absence de toute autre ex­pli­ca­tion. « Aux yeux de la pos­té­rité, le re­nom de Yuan Mei tient sur­tout à l’originalité et au charme de sa poé­sie. Le “Zi bu yu” n’est sou­vent consi­déré que comme une œuvre mi­neure, si­non même in­digne de son au­teur », ex­plique M. Jean-Pierre Diény4. Dans un XVIIIe siècle mar­qué, en Chine, par une éclo­sion de contes, le re­cueil de Yuan Mei fait, en ef­fet, mo­deste fi­gure aux cô­tés de deux re­cueils plus im­por­tants : les « Contes ex­tra­or­di­naires du pa­villon des loi­sirs » du su­blime Pu Son­gling, qui mou­rut un an avant la nais­sance de Yuan Mei, et les « Notes de la chau­mière des ob­ser­va­tions sub­tiles » de l’érudit Ji Yun, son ca­det de quelques an­nées. En ban­nis­sant de sa prose les élé­gances de la poé­sie, en ne cher­chant l’inspiration que dans les confi­dences de pa­rents et d’amis, en abor­dant le sexe jusque dans ses as­pects les moins at­ten­dus, Yuan Mei est par trop dé­sin­volte, et les herbes folles abondent dans son ou­vrage. Il le pré­sente avec rai­son, dans sa pré­face, comme un re­cueil « de ré­cits abra­ca­da­brants, sans pro­fonde si­gni­fi­ca­tion » fait prin­ci­pa­le­ment « pour le plai­sir »5 ; il dit ailleurs6 avoir voulu « dans les his­toires de fan­tômes se dé­fou­ler de l’absurdité ».

  1. En chi­nois « 子不語 ». Au­tre­fois trans­crit « Tseu-pou-yu » ou « Tzu pu yu ». Haut
  2. VII, 21. Haut
  3. En chi­nois « 新齊諧 ». Au­tre­fois trans­crit « Sin “Ts’i-hiai” ». Haut
  1. p. 26. Haut
  2. Dans Pierre Ka­ser, « Yuan Mei et son “Zi bu yu” », p. 84-85. Haut
  3. « Di­vers Plai­sirs à la villa Sui », p. 40. Haut

Yuan Mei, « Divers Plaisirs à la villa Sui : poèmes »

éd. Moundarren, Millemont

éd. Moun­dar­ren, Mil­le­mont

Il s’agit des « Poèmes » de Yuan Zi­cai1, plus connu sous le sur­nom de Yuan Mei2, poète et conteur chi­nois, que son in­dé­pen­dance, son sa­voir, sa li­berté d’esprit met­taient en marge des aca­dé­mismes du temps. Il na­quit en l’an 1716 apr. J.-C. Sa fa­mille était loin d’être riche. Son père voya­geait comme se­cré­taire dans des pro­vinces re­cu­lées pour en­voyer de quoi nour­rir la mai­son­née, tan­dis que sa mère res­tait à Hangz­hou avec plu­sieurs fils et filles en bas âge et fai­sait des pro­diges d’économie pour les éle­ver. Déjà dans son en­fance, Yuan Mei ché­ris­sait les livres plus qu’il ne ché­ris­sait la vie. Chaque fois qu’il pas­sait de­vant une li­brai­rie, ses pieds s’arrêtaient na­tu­rel­le­ment, et l’eau lui en ve­nait à la bouche ; mais les prix étaient trop éle­vés : « Il n’y avait que dans le rêve que j’en ache­tais », dit-il non sans amer­tume3. Le goût des livres lui était « plus suave que ce­lui d’un vin vieux »4. Le but de sa vie était la sa­tis­fac­tion de ce goût, et non pas la réus­site aux concours ni l’obtention des di­plômes qui ou­vraient les portes du man­da­ri­nat : « Une fois le livre ou­vert, j’ignore les cent af­faires. Quand j’ai un livre an­cien, je suis comme ivre ; homme d’aujourd’hui je gas­pille mon temps avec les hommes d’autrefois », dit-il dans un de ses poèmes5. À l’âge de qua­rante ans, ayant ac­quis une cer­taine for­tune, Yuan Mei s’adonna tout en­tier aux belles-lettres. Pour ne pas être dis­trait de ses tra­vaux par « les pen­sées du monde de pous­sière »6, il alla se fixer dans une villa qu’il avait ache­tée aux portes de Nan­kin. Dans son « Re­cueil de lit­té­ra­ture de la mai­son sise sur la Col­line du Gre­nier » (« Xiao­cang shan­fang wenji »7), l’on peut lire de nom­breux dé­tails sur cette villa, son his­toire et ses en­vi­rons : « À deux “li” à l’Ouest du pont de la porte sep­ten­trio­nale de Nan­kin, je trou­vai la Col­line du Gre­nier… Là, au temps de l’Empereur Kangxi8, un cer­tain Sui, di­rec­teur de la Fa­brique im­pé­riale de Soie­ries, avait élevé un pa­villon sur le pic sep­ten­trio­nal de la Col­line, avait planté au­tour des arbres, des ar­bustes et avait cir­cons­crit le tout d’un mur. Tous les ha­bi­tants de Nan­kin ve­naient se pro­me­ner et ad­mi­rer la na­ture dans cet en­droit : on l’appelait “Sui yuan”9 (“villa Sui”, ou lit­té­ra­le­ment “jar­din de Sui”), du nom de son pro­prié­taire. Trente ans plus tard, lorsque je fus nommé [ma­gis­trat] à Nan­kin, ce jar­din était presque en­tiè­re­ment dé­truit, et le pa­villon s’était trans­formé en un vul­gaire ca­ba­ret où les char­re­tiers et les por­teurs de chaises se dis­pu­taient tout le jour. À cette vue j’eus le cœur serré ; je pris ce jar­din en pi­tié et de­man­dai le prix du ter­rain »

  1. En chi­nois 袁子才. Au­tre­fois trans­crit Yuan Tseu-ts’aï ou Yüan Tzu-ts’ai. Haut
  2. En chi­nois 袁枚. Au­tre­fois trans­crit Yuen Mei. Haut
  3. p. 117. Haut
  4. p. 96. Haut
  5. p. 113. Haut
  1. p. 13. Haut
  2. En chi­nois « 小倉山房文集 ». Au­tre­fois trans­crit « Siao-ts’ang-chan-fang-ouen-tsi », « Siao tshang chan fang oen tsi » ou « Hsiao-ts’ang shan-fang wen-chi ». Haut
  3. Qui ré­gnait entre les an­nées 1661 et 1722. Haut
  4. En chi­nois 隨園. Au­tre­fois trans­crit « Soei yuen » ou « Soueï-yuan ». Haut

« Le Livre de phrases de trois mots, “San-tseu-king” »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit du « Livre de phrases de trois mots »1 (« San zi jing »2), ma­nuel d’enseignement élé­men­taire (XIIIe siècle apr. J.-C.) que les maîtres ou les pa­rents met­taient entre les mains des dé­bu­tants, pour qu’il fût ap­pris par cœur, re­tenu et ré­cité. Le texte, comme le titre l’indique, était dis­posé par phrases de trois mots ou de trois ca­rac­tères, de telle sorte qu’il of­frait le pré­cieux avan­tage de consti­tuer une in­tro­duc­tion idéale à la lec­ture du chi­nois clas­sique, en même temps que le ré­sumé des connais­sances qui for­maient la base de l’éducation confu­céenne. « À l’origine de l’homme, sa na­ture est ra­di­ca­le­ment bonne ; la na­ture rap­proche les hommes, mais leur conduite les éloigne ». Tel était le dé­but du « Livre de phrases de trois mots »3. La suite trai­tait de l’importance des de­voirs, des trois grands pou­voirs, des quatre sai­sons, des cinq ver­tus constantes, des six es­pèces de grains, des sept pas­sions, des huit notes de mu­sique, des neuf de­grés de pa­renté, des dix de­voirs re­la­tifs, de l’histoire gé­né­rale et de la suc­ces­sion des dy­nas­ties im­pé­riales ; le tout com­plété par des re­marques sur l’importance de l’étude. Pen­dant sept siècles et jusqu’à la Ré­vo­lu­tion cultu­relle, ce fut le livre le plus ré­pandu dans les écoles pri­maires de l’Asie orien­tale : « Ce fut en réa­lité », dit un com­men­ta­teur4, « comme un ra­deau que, dans les com­men­ce­ments de leurs études, les jeunes gens qui cher­chaient à s’instruire pou­vaient em­ployer pour ar­ri­ver à at­teindre les sources pro­fondes de l’étude de l’Antiquité ». Son in­fluence fut im­mense, et plu­sieurs de ses phrases de trois mots sont pas­sées en lo­cu­tions pro­ver­biales dans l’usage cou­rant : « C’est un livre d’une mo­rale ir­ré­pro­chable », dit Ma­rie-René Rous­sel, mar­quis de Courcy5, « mais d’une par­faite ari­dité, pro­cé­dant par sen­tences brèves, af­fir­ma­tives, heur­tées… La plu­part de [ses] no­tions dé­passent de beau­coup l’intelligence de l’enfant. Aussi, ré­pète-t-il d’abord le “San zi jing” uni­que­ment comme il ré­pé­te­rait un syl­la­baire, sans com­prendre les signes qu’il lit, ni les sons qu’il émet. Quand, après deux an­nées d’un la­beur as­sidu, il énonce sans hé­si­ta­tion tous les ca­rac­tères du clas­sique tri­mé­trique, avec les in­to­na­tions vou­lues, et les re­trace élé­gam­ment à l’aide du pin­ceau, son maître com­mence à lui en ex­pli­quer la si­gni­fi­ca­tion ; et dès que son in­tel­li­gence peut la sai­sir, il place sous ses yeux d’autres ou­vrages, comme “Le Livre des mille mots” où il re­trouve les mêmes mots et fait connais­sance avec de nou­veaux signes ».

  1. Par­fois tra­duit « Clas­sique tri­mé­trique » ou « Le Livre clas­sique des trois ca­rac­tères ». Haut
  2. En chi­nois « 三字經 ». Au­tre­fois trans­crit « San tzu ching », « San-tsi-king », « San-tsze-king », « San-tse-king », « San-ze-king » ou « San-tseu-king ». Haut
  3. À rap­pro­cher du grand prin­cipe de Rous­seau « que la na­ture a fait l’homme heu­reux et bon, mais que la so­ciété le dé­prave », etc. Haut
  1. Wang Jin­sheng (王晉升). Haut
  2. « L’Empire du Mi­lieu ». Haut

Đặng Trần Côn, Đoàn Thị Điểm et Hoàng Xuân Nhị, « Plaintes de la femme d’un guerrier »

éd. Sudestasie, Paris

éd. Su­des­ta­sie, Pa­ris

Il s’agit des « Plaintes de la femme d’un guer­rier »1 (« Chinh phụ ngâm »2), poème viet­na­mien (XVIIIe siècle apr. J.-C.) où sont ex­pri­mées les dou­leurs d’une femme sé­pa­rée de son mari par la guerre, en même temps que les dé­cep­tions éter­nelles d’une hu­ma­nité as­pi­rant aux simples joies de l’amour. Bien que ces « Plaintes » ne soient pas un pam­phlet an­ti­mi­li­ta­riste, elles prennent un tel ac­cent d’impuissant déses­poir, elles sont si sin­cères dans leur in­quié­tude, qu’elles sus­citent une aver­sion ins­tinc­tive contre la guerre. On ra­conte que cer­tains sol­dats, en les en­ten­dant chan­ter, dé­ser­taient :

« Sur les champs de car­nage, la vie aven­tu­reuse du sol­dat
N’est que trop sem­blable à la cou­leur des feuilles !
 »3

Écrites d’abord en chi­nois clas­sique par Đặng Trần Côn, ces « Plaintes » furent en­suite adap­tées en viet­na­mien par une femme cé­lèbre, Đoàn Thị Điểm, et en­fin en fran­çais par un écri­vain in­jus­te­ment ou­blié, M. Hoàng Xuân Nhị. Tous les trois étaient Viet­na­miens ; tous les trois vi­vaient des époques trou­blées, des époques qui ar­ra­chaient les jeunes gens à leurs foyers ; et les scènes dé­chi­rantes dont ils étaient les té­moins, en­traient pour quelque chose dans leur ins­pi­ra­tion. De Đặng Trần Côn, nous ne sa­vons rien de vrai­ment bien pré­cis, si­non qu’il com­posa son poème dans une pé­riode de luttes in­tes­tines entre les sei­gneurs du Nord et du Sud. Tout le monde le li­sait et l’admirait, et quelques-uns al­laient jusqu’à dire : « Toute son in­tel­li­gence se ma­ni­feste dans ce long poème. L’auteur vi­vra en­core trois ans tout au plus »4. Cette pro­phé­tie fut mal­heu­reu­se­ment réa­li­sée : Đặng Trần Côn mou­rut, en ef­fet, trois ans plus tard, poussé, semble-t-il, au sui­cide. Quant à la poé­tesse Đoàn Thị Điểm, sur­nom­mée Hồng Hà (« Re­flets-Roses »), nous n’avons d’autres ren­sei­gne­ments sur elle que ceux four­nis par son orai­son fu­nèbre : « En agi­tant son pin­ceau pour dé­crire les pay­sages, elle ex­prima des sen­ti­ments très pro­fonds… ca­pables d’émouvoir même les Im­mor­tels… Hé­las ! elle n’avait pas de de­meure stable… Ma­riée seule­ment après la tren­taine, elle quitta la terre la qua­ran­taine pas­sée. Sa voix et sa phy­sio­no­mie res­tèrent in­con­nues ; ses œuvres ar­tis­tiques — sans écho ; elle par­tit sans aver­tir sa vieille mère. N’est-ce pas que le des­tin est bi­zarre ? Le ciel est-il donc in­juste ? »

  1. Par­fois tra­duit « La Com­plainte de l’épouse du guer­rier », « Chant de la femme du com­bat­tant » ou « Plaintes d’une femme dont le mari est parti pour la guerre ». Haut
  2. En chi­nois « 征婦吟 ». Haut
  1. p. 46. Haut
  2. Dans Bùi Văn Lăng, « Pré­face à “Com­plainte de la femme d’un guer­rier” », p. II. Haut

Bao Zhao, « Sur les berges du fleuve »

éd. La Différence, coll. Orphée, Paris

éd. La Dif­fé­rence, coll. Or­phée, Pa­ris

Il s’agit de Bao Zhao1, poète chi­nois (Ve siècle apr. J.-C.). Il était un vé­ri­table maître du « yuefu »2 (« poème chanté »), au­quel il re­donna une vi­gueur nou­velle en y ré­in­tro­dui­sant le ton de la langue po­pu­laire. Ses dix-neuf « yuefu » sur le thème de « La route est dif­fi­cile »3 (« Xing lu nan »4) passent pour des mo­dèles ache­vés de ce genre poé­tique ; ils ne traitent pas seule­ment de la dif­fi­culté des voyages so­li­taires, mais aussi des peines de la vie, en par­ti­cu­lier de la mé­lan­co­lie de l’âme. Plus tard, sous les Tang5, Li Po s’en ins­pira et Tu Fu les ad­mira. Des autres œuvres de Bao Zhao, je re­tiens sur­tout sa longue rhap­so­die in­ti­tu­lée « Chant de la ville dé­vas­tée »6 (« Wu cheng fu »7). C’est une re­mar­quable mé­di­ta­tion sur la va­nité des gran­deurs hu­maines, dont voici les pre­miers vers : « Au­tre­fois, au temps de gran­deur, les es­sieux des chars se tou­chaient, les hommes étaient ser­rés épaule contre épaule le long de ces routes. La plaine était cou­verte de vil­lages et de fermes, les cris et les chants em­plis­saient la voûte cé­leste. On ex­ploi­tait les ter­rains de sel, on creu­sait les mon­tagnes pour en ex­traire du cuivre. Les hommes étaient forts et pleins de ta­lents… Aussi se sont-ils per­mis d’enfreindre les lois, de né­gli­ger les pré­ceptes royaux ; ils ont dressé de hautes for­te­resses, creusé de pro­fonds ré­ser­voirs d’eau, ils ont pro­jeté de rendre leur des­tin brillant et de de­ve­nir les pre­miers de leur temps. Voici pour­quoi ils ont élevé des bâ­ti­ments et des mu­railles si grands, pour­quoi ils ont mul­ti­plié [les] pa­villons et [les] tours d’observation ; leurs édi­fices s’élevaient comme les bords es­car­pés d’un tor­rent »

  1. En chi­nois 鮑照. Au­tre­fois trans­crit Pao Tchao ou Pao Chao. Haut
  2. En chi­nois 樂府. Au­tre­fois trans­crit « yo-fou » ou « yüeh-fu ». Haut
  3. Par­fois tra­duit « Les Peines du voyage », « Dif­fi­cul­tés de la route » ou « Ah ! que dure est la route ! ». Haut
  4. En chi­nois « 行路難 » Au­tre­fois trans­crit « Hsing lu nan ». Haut
  1. De l’an 618 à l’an 907. Haut
  2. Par­fois tra­duit « La Ville aban­don­née : “fou” » ou « Rhap­so­die de la ville en ruines ». Haut
  3. En chi­nois « 蕪城賦 ». Au­tre­fois trans­crit « Wou tch’eng fou » ou « Wu-ch’eng fu ». Haut

Li He, « Poèmes »

éd. Gallimard, coll. Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Connais­sance de l’Orient, Pa­ris

Il s’agit de Li He1, poète chi­nois (VIIIe-IXe siècle) qui mou­rut à vingt-sept ans des suites d’une tu­ber­cu­lose pul­mo­naire. Un ca­rac­tère om­bra­geux et cha­grin, dou­ble­ment at­teint par la ma­la­die et par le deuil, dis­si­mulé sous les de­hors d’un or­gueil in­com­men­su­rable, telle fut la cause de ses mal­heurs et peut-être aussi de ses re­vers. L’homme était d’humeur à créer au­tour de lui une at­mo­sphère plus hos­tile qu’accueillante. La lé­gende veut qu’un de ses cou­sins l’ait haï à ce point qu’à la nou­velle de sa mort il jeta dans les égouts, avec un sou­pir de sou­la­ge­ment, les poèmes de Li He qu’il avait gar­dés. Une quin­zaine d’années plus tard, ces poèmes, dont beau­coup s’étaient déjà per­dus, au­raient achevé de dis­pa­raître, si un de ses amis n’en avait re­trouvé une co­pie mi­ra­cu­leu­se­ment ca­chée dans des ba­gages. Ce fut avec les yeux mouillés de larmes que cet ami écri­vit au poète Du Mu pour lui de­man­der la fa­veur d’une pré­face aux œuvres de ce­lui qui n’avait laissé, après sa mort pré­ma­tu­rée, ni hé­ri­tage ni hé­ri­tiers. La nuit sui­vante, Du Mu fut sur­pris dans son som­meil par les cris d’un mes­sa­ger urgent. Il ré­veilla son do­mes­tique, se fit pré­sen­ter le pa­quet et le dé­ca­cheta à la lueur d’une chan­delle. Il consen­tit à ré­di­ger la pré­face, ce qu’il fit en des termes élo­gieux : « Les nuages et brouillards dont les contours, len­te­ment, se confondent les uns dans les autres ne peuvent don­ner tout à fait une juste image de la ma­nière de Li He ; ni les vastes éten­dues d’eau, celle de ses sen­ti­ments ; ni la ver­dure au prin­temps, celle de sa vi­gueur ; ni la claire lu­mière de l’automne, celle de son style »2. Et plus loin : « Avec de pro­fonds sou­pirs, il s’afflige de choses dont per­sonne n’avait ja­mais rien dit ni de nos jours ni ja­dis »3.

  1. En chi­nois 李賀. Par­fois trans­crit Li Ho. Haut
  2. Dans p. 8-9. Haut
  1. Dans p. 14. Haut

« Les Poèmes de Cao Cao (155-220) »

éd. Collège de France-Institut des hautes études chinoises, coll. Bibliothèque de l’Institut des hautes études chinoises, Paris

éd. Col­lège de France-Ins­ti­tut des hautes études chi­noises, coll. Bi­blio­thèque de l’Institut des hautes études chi­noises, Pa­ris

Il s’agit des poèmes de Ts’ao Ts’ao1, gé­né­ral et po­li­ti­cien chi­nois, dé­fait dans la ba­taille de la fa­laise Rouge en 208 apr. J.-C. Cet homme ivre d’action qui, simple chef de bande à ses dé­buts, sut se tailler, dans la Chine dis­lo­quée et trou­blée de la fin des Han, la part du lion, et mo­men­ta­né­ment du moins, à uni­fier le pays sous son au­to­rité — cet homme ivre d’action, dis-je, trouva parmi ses sou­cis d’État et de guerre as­sez de loi­sirs pour se li­vrer à la poé­sie. Aussi, les bio­graphes le dé­crivent-ils as­sis à dos de che­val, « la longue lance en tra­vers de sa selle », bu­vant du vin et « com­po­sant des vers in­ébran­lables »2 pleins d’énergie mâle et de force hé­roïque :

« Du vieux cour­sier, cou­ché dans l’écurie,
L’idéal se si­tue à mille “li”
[c’est-à-dire sur un champ de ba­taille loin­tain].
Quand le hé­ros touche au soir de la vie,
Son cœur vaillant n’a pas fini de battre
 »3.

Sa ré­pu­ta­tion ac­quise, Ts’ao Ts’ao em­ploya tous les res­sorts de son gé­nie pour ob­te­nir d’être nommé pre­mier mi­nistre. Il réus­sit ; et élevé dans ce poste, il ne tra­vailla dé­sor­mais qu’à se faire des pro­té­gés, en em­bau­chant ceux qui lui pa­rais­saient dé­voués à ses in­té­rêts, et en des­ti­tuant qui­conque n’adhérait pas aveu­glé­ment à toutes ses vo­lon­tés. Son am­bi­tion fi­nit par éteindre en lui ses belles qua­li­tés. « Il avait dé­li­vré son [Em­pe­reur] d’un ty­ran qui le per­sé­cu­tait ; mais ce fut pour le faire gé­mir sous une autre ty­ran­nie, moins cruelle sans doute, mais qui n’en était pas moins réelle », dit très bien le père Jo­seph Amiot4. « Il de­vint fourbe, vin­di­ca­tif, cruel, per­fide, et ne garda pas même l’extérieur de ce qu’on ap­pe­lait ses an­ciennes ver­tus. » Ts’ao Ts’ao mou­rut en 220 apr. J.-C., en em­por­tant avec lui la haine d’une na­tion, dont il au­rait pu être l’idole s’il s’était contenté d’être le pre­mier des su­jets de son sou­ve­rain lé­gi­time. Peu de temps au­pa­ra­vant, il avait as­so­cié son fils au pre­mier mi­nis­tère et l’avait nommé son suc­ces­seur dans la prin­ci­pauté de Ouei ; ce­lui-ci donna à Ts’ao Ts’ao, son père, le titre post­hume de « Ouei-Ou-Ti »5 (« Em­pe­reur Ou des Ouei »).

  1. En chi­nois 曹操. Par­fois trans­crit Cao Cao. Haut
  2. En chi­nois 橫槊賦詩. Haut
  3. p. 152. Haut
  1. « Ouei-ou-ti, mi­nistre », p. 105. Haut
  2. En chi­nois 魏武帝. Par­fois trans­crit « Wei-Wu-Di ». Haut

Shen Fu, « Récits d’une vie fugitive : mémoires d’un lettré pauvre »

éd. Gallimard, coll. UNESCO d’œuvres représentatives-Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. UNESCO d’œuvres re­pré­sen­ta­tives-Connais­sance de l’Orient, Pa­ris

Il s’agit des « Six Ré­cits au fil in­cons­tant des jours »1 (« Fu sheng liu ji »2) de Shen Fu3. Ces six ré­cits — qui, en vé­rité, ne sont que quatre, les deux der­niers n’étant pas par­ve­nus jusqu’à nous — consti­tuent un mo­nu­ment élevé par Shen Fu à la mé­moire de Yun, son épouse dé­funte. « C’était le 30 mars 1803 », dit-il4. « Sa main agrip­pant la mienne, Yun vou­lut par­ler… ; mais, sans forces, elle ne put que ré­pé­ter dans un souffle : “lai shi, lai shi”… “l’existence fu­ture”…5 Sou­dain, elle ha­leta, sa mâ­choire se rai­dit et son re­gard di­laté prit une fixité sai­sis­sante. Je l’appelai et l’appelai de nou­veau et en­core ; mais en vain. Elle ne pou­vait plus pro­fé­rer une pa­role. Deux ruis­seaux de larmes conti­nuèrent à cou­ler le long de ses joues. Bien­tôt, son souffle s’affaiblit, ses larmes se ta­rirent et en­fin son âme s’éteignit. » Ce sont des ré­cits uniques jusque-là dans la lit­té­ra­ture chi­noise par leurs pe­tits faits exacts et par leurs dé­tails fa­mi­liers sur la vie conju­gale. Nous nous trou­vons in­tro­duits, sans pré­ten­tion et en toute sim­pli­cité, dans l’intimité d’un pauvre let­tré qui ma­nie la langue clas­sique d’une ma­nière certes mal­ha­bile, mais dont l’austère sin­cé­rité nous émeut par­fois : « Mon re­gret », dit-il6, « est de n’avoir reçu, étant en­fant, qu’une ins­truc­tion in­com­plète et d’être borné dans mes connais­sances. Aussi, ne re­la­te­rai-je, sans or­ne­ment, que des sen­ti­ments vrais et des faits réels. Re­cher­cher le style dans ce que j’écris se­rait comme exi­ger l’éclat d’un mi­roir non poli ». Pa­ra­doxa­le­ment, c’est ce ca­rac­tère or­di­naire de Shen Fu qui fait son ex­tra­or­di­naire mo­der­nité et qui est la rai­son ma­jeure du suc­cès que connut son ou­vrage de­puis qu’il a été trouvé sur l’étal d’un bro­can­teur en 1849.

  1. Au­tre­fois tra­duit « Six Cha­pitres d’une vie flot­tante » ou « Six Mé­moires sur une vie flot­tante ». Haut
  2. En chi­nois « 浮生六記 ». Au­tre­fois trans­crit « Fou-cheng lieou-ki » ou « Fou­sheng liuji ». Titre em­prunté au poème « Chun ye yan tao li yuan xu » (« 春夜宴桃李園序 ») de Li Po : « L’univers n’est que [la halte] des créa­tures, et le temps — l’hôte pro­vi­soire de l’éternité ; “au fil in­cons­tant des jours”, notre vie n’est qu’un songe », etc. Haut
  3. En chi­nois 沈復. Au­tre­fois trans­crit Chen Fou. Haut
  1. p. 98. Haut
  2. En chi­nois 來世. C’est, se­lon les croyances boud­dhiques, l’existence qui vient im­mé­dia­te­ment après l’existence ac­tuelle. Haut
  3. p. 21. Haut

« Les Dix-neuf Poèmes anciens »

éd. Les Belles Lettres, coll. Bibliothèque chinoise, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. Bi­blio­thèque chi­noise, Pa­ris

Il s’agit des « Dix-neuf Poèmes an­ciens »1 (« Gu­shi shi­jiu shou »2), en­semble de dix-neuf poèmes chi­nois, tous ano­nymes, qui tirent leur beauté des images douces et sym­bo­liques et de l’expression toute per­son­nelle de leur mé­lan­co­lie. Très peu connus en Oc­ci­dent, ils datent pro­ba­ble­ment du dé­clin de la dy­nas­tie des Han (IIe siècle apr. J.-C.), qui fut mar­qué par de graves troubles po­li­tiques, et l’emprise du confu­cia­nisme se re­lâ­chant, par une éman­ci­pa­tion de la poé­sie qui s’intéressa non plus aux choses, mais aux sen­ti­ments in­times. Pour la pre­mière fois en Chine, les « Dix-neuf Poèmes an­ciens » évo­quèrent — certes sur un ton po­pu­laire, mais avec art tout de même, et un art qui a ses titres de no­blesse — l’amertume de l’échec, la nos­tal­gie de l’amour idéal, le sen­ti­ment dou­lou­reux de la fra­gi­lité hu­maine, la han­tise du temps qui passe et de la mort : « Se­lon une brillante étude du pro­fes­seur Yo­shi­kawa3, l’idée que l’homme est le jouet d’un des­tin in­com­pré­hen­sible et ca­pri­cieux ne se dé­ve­loppe en Chine que sous les Han. Bien qu’en réa­lité [cette] idée ap­pa­raisse déjà dans le “Shi Jing” et dans les “Élé­gies de Chu”… les per­son­nages du “Shi Jing” croient en gé­né­ral à la jus­tice du ciel, et ceux des “Élé­gies de Chu” ac­cusent plu­tôt les hommes que le ha­sard de leurs mal­heurs. Il semble donc que la dé­so­la­tion si­len­cieuse des “Dix-neuf Poèmes an­ciens” soit bien l’indice d’un pes­si­misme nou­veau », ex­plique M. Jean-Pierre Diény

  1. Au­tre­fois tra­duit « Les Dix-Neuf Poèmes des temps très re­cu­lés ». Haut
  2. En chi­nois « 古詩十九首 ». Au­tre­fois trans­crit « Kou che che kieou cheou » ou « Ku-shih shih-chiu shou ». Haut
  1. Kô­jirô Yo­shi­kawa, « 推移の悲哀ー古詩十九首の主題 » (« La Tris­tesse de l’impermanence — le thème prin­ci­pal des “Dix-neuf Poèmes an­ciens” »), in­édit en fran­çais. Haut