Mot-clefcivilisation médiévale

« Deux Sagas islandaises légendaires »

éd. Les Belles Lettres, coll. Vérité des mythes-Sources, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. Vé­rité des mythes-Sources, Pa­ris

Il s’agit de la « Saga de Gau­trekr » (« Gau­treks Saga ») et autres sa­gas is­lan­daises. Du­rant le siècle et demi de leur ré­dac­tion, entre les an­nées 1200 et 1350 apr. J.-C., les sa­gas s’imposent par leur in­ten­sité dra­ma­tique, par leur style ra­massé et presque bourru, par leur réa­lisme dur, tem­péré d’héroïsme et d’exemples de vertu, comme la lec­ture fa­vo­rite des hommes du Nord et comme le fleu­ron de l’art nar­ra­tif eu­ro­péen. Le mot « saga » vient du verbe « segja » (« dire », « ra­con­ter »), qu’on re­trouve dans toutes les langues du Nord : da­nois, « sige » ; sué­dois, « säga » ; al­le­mand, « sa­gen » ; néer­lan­dais, « zeg­gen » ; an­glais, « say ». On au­rait tort ce­pen­dant d’attribuer à la Scan­di­na­vie en­tière la pa­ter­nité de ce genre qui, à une ou deux ex­cep­tions près, est ty­pi­que­ment et ex­clu­si­ve­ment is­lan­dais. Il faut avouer que l’Islande est peu connue, en de­hors de quelques spé­cia­listes. Il n’est donc pas éton­nant que le vul­gaire re­garde les ha­bi­tants de cette île loin­taine presque avec dé­dain. Il les consi­dère comme des demi-bar­bares ha­billés de peaux de bêtes. Et puis, lorsqu’on vient lui dire que ces mi­sé­rables sau­vages nous ont donné l’ensemble des sa­gas et tout ce que nous li­sons de plus an­cien sur les ci­vi­li­sa­tions nor­diques, à telle en­seigne que la vieille langue de ces ci­vi­li­sa­tions est sur­nom­mée « le vieil is­lan­dais », cela lui pa­raît un pa­ra­doxe. Mais es­sayons de ré­ta­blir la vé­rité ! En 874 apr. J.-C. les Nor­vé­giens prirent pied en Is­lande, où ils ne tar­dèrent pas à éta­blir une ré­pu­blique aris­to­cra­tique. Quel était le nombre des pre­miers co­lons ? C’est ce que rien n’indique. On sait seule­ment que, parmi ceux qui y construi­sirent leur de­meure, on comp­tait une ma­jo­rité de fa­milles nobles fuyant le des­pote Ha­rald Ier1, trop lasses de sa do­mi­na­tion ou trop fières pour l’accepter : « Vers la fin de la vie de Ke­till », dit une saga2, « s’éleva la puis­sance du roi Ha­rald à la Belle Che­ve­lure, si bien qu’aucun [sei­gneur], non plus qu’aucun autre homme d’importance, ne pros­pé­rait dans le pays si le roi ne dis­po­sait à lui seul de [toutes les] pré­ro­ga­tives… Lorsque Ke­till ap­prit que le roi Ha­rald lui des­ti­nait le même lot qu’aux autres puis­sants hommes, [il dit à ses proches] : “J’ai des in­for­ma­tions vé­ri­diques sur la haine que nous voue le roi Ha­rald… ; j’ai l’impression que l’on nous donne à choi­sir entre deux choses : fuir le pays ou être tués cha­cun chez soi” ». Tous ceux qui ne vou­laient pas cour­ber la tête sous le sceptre du roi, s’en al­laient à tra­vers les flots cher­cher une heu­reuse « terre de glace » où il n’y avait en­core ni au­to­rité ni mo­narque ; où chaque chef de fa­mille pou­vait ré­gner en li­berté dans sa de­meure, sans avoir peur du roi : « Il y avait là de bonnes terres, et il n’y avait pas be­soin d’argent pour les ache­ter… ; on y pre­nait du sau­mon et d’autres pois­sons à lon­gueur d’année », ajoute la même saga. Les émi­gra­tions de­vinrent en peu de temps si fré­quentes et si nom­breuses, que Ha­rald Ier, crai­gnant de voir la Nor­vège se dé­peu­pler, im­posa un tri­but à tous ceux qui la quit­te­raient et par­fois s’empara de leurs biens.

  1. On ren­contre aussi les gra­phies Ha­ral­dur et Ha­raldr. Haut
  1. « Saga des gens du Val-au-Sau­mon ». Haut

« La Saga des Orcadiens, “Orkneyinga Saga” »

éd. Aubier, Paris

éd. Au­bier, Pa­ris

Il s’agit de la « Saga des Or­ca­diens » (« Ork­neyinga Saga ») et autres sa­gas is­lan­daises. Du­rant le siècle et demi de leur ré­dac­tion, entre les an­nées 1200 et 1350 apr. J.-C., les sa­gas s’imposent par leur in­ten­sité dra­ma­tique, par leur style ra­massé et presque bourru, par leur réa­lisme dur, tem­péré d’héroïsme et d’exemples de vertu, comme la lec­ture fa­vo­rite des hommes du Nord et comme le fleu­ron de l’art nar­ra­tif eu­ro­péen. Le mot « saga » vient du verbe « segja » (« dire », « ra­con­ter »), qu’on re­trouve dans toutes les langues du Nord : da­nois, « sige » ; sué­dois, « säga » ; al­le­mand, « sa­gen » ; néer­lan­dais, « zeg­gen » ; an­glais, « say ». On au­rait tort ce­pen­dant d’attribuer à la Scan­di­na­vie en­tière la pa­ter­nité de ce genre qui, à une ou deux ex­cep­tions près, est ty­pi­que­ment et ex­clu­si­ve­ment is­lan­dais. Il faut avouer que l’Islande est peu connue, en de­hors de quelques spé­cia­listes. Il n’est donc pas éton­nant que le vul­gaire re­garde les ha­bi­tants de cette île loin­taine presque avec dé­dain. Il les consi­dère comme des demi-bar­bares ha­billés de peaux de bêtes. Et puis, lorsqu’on vient lui dire que ces mi­sé­rables sau­vages nous ont donné l’ensemble des sa­gas et tout ce que nous li­sons de plus an­cien sur les ci­vi­li­sa­tions nor­diques, à telle en­seigne que la vieille langue de ces ci­vi­li­sa­tions est sur­nom­mée « le vieil is­lan­dais », cela lui pa­raît un pa­ra­doxe. Mais es­sayons de ré­ta­blir la vé­rité ! En 874 apr. J.-C. les Nor­vé­giens prirent pied en Is­lande, où ils ne tar­dèrent pas à éta­blir une ré­pu­blique aris­to­cra­tique. Quel était le nombre des pre­miers co­lons ? C’est ce que rien n’indique. On sait seule­ment que, parmi ceux qui y construi­sirent leur de­meure, on comp­tait une ma­jo­rité de fa­milles nobles fuyant le des­pote Ha­rald Ier1, trop lasses de sa do­mi­na­tion ou trop fières pour l’accepter : « Vers la fin de la vie de Ke­till », dit une saga2, « s’éleva la puis­sance du roi Ha­rald à la Belle Che­ve­lure, si bien qu’aucun [sei­gneur], non plus qu’aucun autre homme d’importance, ne pros­pé­rait dans le pays si le roi ne dis­po­sait à lui seul de [toutes les] pré­ro­ga­tives… Lorsque Ke­till ap­prit que le roi Ha­rald lui des­ti­nait le même lot qu’aux autres puis­sants hommes, [il dit à ses proches] : “J’ai des in­for­ma­tions vé­ri­diques sur la haine que nous voue le roi Ha­rald… ; j’ai l’impression que l’on nous donne à choi­sir entre deux choses : fuir le pays ou être tués cha­cun chez soi” ». Tous ceux qui ne vou­laient pas cour­ber la tête sous le sceptre du roi, s’en al­laient à tra­vers les flots cher­cher une heu­reuse « terre de glace » où il n’y avait en­core ni au­to­rité ni mo­narque ; où chaque chef de fa­mille pou­vait ré­gner en li­berté dans sa de­meure, sans avoir peur du roi : « Il y avait là de bonnes terres, et il n’y avait pas be­soin d’argent pour les ache­ter… ; on y pre­nait du sau­mon et d’autres pois­sons à lon­gueur d’année », ajoute la même saga. Les émi­gra­tions de­vinrent en peu de temps si fré­quentes et si nom­breuses, que Ha­rald Ier, crai­gnant de voir la Nor­vège se dé­peu­pler, im­posa un tri­but à tous ceux qui la quit­te­raient et par­fois s’empara de leurs biens.

  1. On ren­contre aussi les gra­phies Ha­ral­dur et Ha­raldr. Haut
  1. « Saga des gens du Val-au-Sau­mon ». Haut

« Saga de Hrólfr kraki, “Hrólfs Saga kraka” »

éd. Anacharsis, Toulouse

éd. Ana­char­sis, Tou­louse

Il s’agit de la « Saga de Hrólfr kraki » (« Hrólfs Saga kraka ») et autres sa­gas is­lan­daises. Du­rant le siècle et demi de leur ré­dac­tion, entre les an­nées 1200 et 1350 apr. J.-C., les sa­gas s’imposent par leur in­ten­sité dra­ma­tique, par leur style ra­massé et presque bourru, par leur réa­lisme dur, tem­péré d’héroïsme et d’exemples de vertu, comme la lec­ture fa­vo­rite des hommes du Nord et comme le fleu­ron de l’art nar­ra­tif eu­ro­péen. Le mot « saga » vient du verbe « segja » (« dire », « ra­con­ter »), qu’on re­trouve dans toutes les langues du Nord : da­nois, « sige » ; sué­dois, « säga » ; al­le­mand, « sa­gen » ; néer­lan­dais, « zeg­gen » ; an­glais, « say ». On au­rait tort ce­pen­dant d’attribuer à la Scan­di­na­vie en­tière la pa­ter­nité de ce genre qui, à une ou deux ex­cep­tions près, est ty­pi­que­ment et ex­clu­si­ve­ment is­lan­dais. Il faut avouer que l’Islande est peu connue, en de­hors de quelques spé­cia­listes. Il n’est donc pas éton­nant que le vul­gaire re­garde les ha­bi­tants de cette île loin­taine presque avec dé­dain. Il les consi­dère comme des demi-bar­bares ha­billés de peaux de bêtes. Et puis, lorsqu’on vient lui dire que ces mi­sé­rables sau­vages nous ont donné l’ensemble des sa­gas et tout ce que nous li­sons de plus an­cien sur les ci­vi­li­sa­tions nor­diques, à telle en­seigne que la vieille langue de ces ci­vi­li­sa­tions est sur­nom­mée « le vieil is­lan­dais », cela lui pa­raît un pa­ra­doxe. Mais es­sayons de ré­ta­blir la vé­rité ! En 874 apr. J.-C. les Nor­vé­giens prirent pied en Is­lande, où ils ne tar­dèrent pas à éta­blir une ré­pu­blique aris­to­cra­tique. Quel était le nombre des pre­miers co­lons ? C’est ce que rien n’indique. On sait seule­ment que, parmi ceux qui y construi­sirent leur de­meure, on comp­tait une ma­jo­rité de fa­milles nobles fuyant le des­pote Ha­rald Ier1, trop lasses de sa do­mi­na­tion ou trop fières pour l’accepter : « Vers la fin de la vie de Ke­till », dit une saga2, « s’éleva la puis­sance du roi Ha­rald à la Belle Che­ve­lure, si bien qu’aucun [sei­gneur], non plus qu’aucun autre homme d’importance, ne pros­pé­rait dans le pays si le roi ne dis­po­sait à lui seul de [toutes les] pré­ro­ga­tives… Lorsque Ke­till ap­prit que le roi Ha­rald lui des­ti­nait le même lot qu’aux autres puis­sants hommes, [il dit à ses proches] : “J’ai des in­for­ma­tions vé­ri­diques sur la haine que nous voue le roi Ha­rald… ; j’ai l’impression que l’on nous donne à choi­sir entre deux choses : fuir le pays ou être tués cha­cun chez soi” ». Tous ceux qui ne vou­laient pas cour­ber la tête sous le sceptre du roi, s’en al­laient à tra­vers les flots cher­cher une heu­reuse « terre de glace » où il n’y avait en­core ni au­to­rité ni mo­narque ; où chaque chef de fa­mille pou­vait ré­gner en li­berté dans sa de­meure, sans avoir peur du roi : « Il y avait là de bonnes terres, et il n’y avait pas be­soin d’argent pour les ache­ter… ; on y pre­nait du sau­mon et d’autres pois­sons à lon­gueur d’année », ajoute la même saga. Les émi­gra­tions de­vinrent en peu de temps si fré­quentes et si nom­breuses, que Ha­rald Ier, crai­gnant de voir la Nor­vège se dé­peu­pler, im­posa un tri­but à tous ceux qui la quit­te­raient et par­fois s’empara de leurs biens.

  1. On ren­contre aussi les gra­phies Ha­ral­dur et Ha­raldr. Haut
  1. « Saga des gens du Val-au-Sau­mon ». Haut

« Les Sagas miniatures, “Þættir” »

éd. Les Belles Lettres, coll. Vérité des mythes-Sources, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. Vé­rité des mythes-Sources, Pa­ris

Il s’agit du « Dit d’Ormr fils de Stórólfr » (« Orms Þáttr Stórólf­sso­nar ») et autres sa­gas is­lan­daises. Du­rant le siècle et demi de leur ré­dac­tion, entre les an­nées 1200 et 1350 apr. J.-C., les sa­gas s’imposent par leur in­ten­sité dra­ma­tique, par leur style ra­massé et presque bourru, par leur réa­lisme dur, tem­péré d’héroïsme et d’exemples de vertu, comme la lec­ture fa­vo­rite des hommes du Nord et comme le fleu­ron de l’art nar­ra­tif eu­ro­péen. Le mot « saga » vient du verbe « segja » (« dire », « ra­con­ter »), qu’on re­trouve dans toutes les langues du Nord : da­nois, « sige » ; sué­dois, « säga » ; al­le­mand, « sa­gen » ; néer­lan­dais, « zeg­gen » ; an­glais, « say ». On au­rait tort ce­pen­dant d’attribuer à la Scan­di­na­vie en­tière la pa­ter­nité de ce genre qui, à une ou deux ex­cep­tions près, est ty­pi­que­ment et ex­clu­si­ve­ment is­lan­dais. Il faut avouer que l’Islande est peu connue, en de­hors de quelques spé­cia­listes. Il n’est donc pas éton­nant que le vul­gaire re­garde les ha­bi­tants de cette île loin­taine presque avec dé­dain. Il les consi­dère comme des demi-bar­bares ha­billés de peaux de bêtes. Et puis, lorsqu’on vient lui dire que ces mi­sé­rables sau­vages nous ont donné l’ensemble des sa­gas et tout ce que nous li­sons de plus an­cien sur les ci­vi­li­sa­tions nor­diques, à telle en­seigne que la vieille langue de ces ci­vi­li­sa­tions est sur­nom­mée « le vieil is­lan­dais », cela lui pa­raît un pa­ra­doxe. Mais es­sayons de ré­ta­blir la vé­rité ! En 874 apr. J.-C. les Nor­vé­giens prirent pied en Is­lande, où ils ne tar­dèrent pas à éta­blir une ré­pu­blique aris­to­cra­tique. Quel était le nombre des pre­miers co­lons ? C’est ce que rien n’indique. On sait seule­ment que, parmi ceux qui y construi­sirent leur de­meure, on comp­tait une ma­jo­rité de fa­milles nobles fuyant le des­pote Ha­rald Ier1, trop lasses de sa do­mi­na­tion ou trop fières pour l’accepter : « Vers la fin de la vie de Ke­till », dit une saga2, « s’éleva la puis­sance du roi Ha­rald à la Belle Che­ve­lure, si bien qu’aucun [sei­gneur], non plus qu’aucun autre homme d’importance, ne pros­pé­rait dans le pays si le roi ne dis­po­sait à lui seul de [toutes les] pré­ro­ga­tives… Lorsque Ke­till ap­prit que le roi Ha­rald lui des­ti­nait le même lot qu’aux autres puis­sants hommes, [il dit à ses proches] : “J’ai des in­for­ma­tions vé­ri­diques sur la haine que nous voue le roi Ha­rald… ; j’ai l’impression que l’on nous donne à choi­sir entre deux choses : fuir le pays ou être tués cha­cun chez soi” ». Tous ceux qui ne vou­laient pas cour­ber la tête sous le sceptre du roi, s’en al­laient à tra­vers les flots cher­cher une heu­reuse « terre de glace » où il n’y avait en­core ni au­to­rité ni mo­narque ; où chaque chef de fa­mille pou­vait ré­gner en li­berté dans sa de­meure, sans avoir peur du roi : « Il y avait là de bonnes terres, et il n’y avait pas be­soin d’argent pour les ache­ter… ; on y pre­nait du sau­mon et d’autres pois­sons à lon­gueur d’année », ajoute la même saga. Les émi­gra­tions de­vinrent en peu de temps si fré­quentes et si nom­breuses, que Ha­rald Ier, crai­gnant de voir la Nor­vège se dé­peu­pler, im­posa un tri­but à tous ceux qui la quit­te­raient et par­fois s’empara de leurs biens.

  1. On ren­contre aussi les gra­phies Ha­ral­dur et Ha­raldr. Haut
  1. « Saga des gens du Val-au-Sau­mon ». Haut

« La Saga de Thorir-aux-poules, “Hœnsa-Þóris Saga” »

éd. du Porte-glaive, coll. Lumière du septentrion-Islande, Paris

éd. du Porte-glaive, coll. Lu­mière du sep­ten­trion-Is­lande, Pa­ris

Il s’agit de la « Saga de Þó­rir-aux-poules » (« Hœnsna-Þó­ris Saga »1) et autres sa­gas is­lan­daises. Du­rant le siècle et demi de leur ré­dac­tion, entre les an­nées 1200 et 1350 apr. J.-C., les sa­gas s’imposent par leur in­ten­sité dra­ma­tique, par leur style ra­massé et presque bourru, par leur réa­lisme dur, tem­péré d’héroïsme et d’exemples de vertu, comme la lec­ture fa­vo­rite des hommes du Nord et comme le fleu­ron de l’art nar­ra­tif eu­ro­péen. Le mot « saga » vient du verbe « segja » (« dire », « ra­con­ter »), qu’on re­trouve dans toutes les langues du Nord : da­nois, « sige » ; sué­dois, « säga » ; al­le­mand, « sa­gen » ; néer­lan­dais, « zeg­gen » ; an­glais, « say ». On au­rait tort ce­pen­dant d’attribuer à la Scan­di­na­vie en­tière la pa­ter­nité de ce genre qui, à une ou deux ex­cep­tions près, est ty­pi­que­ment et ex­clu­si­ve­ment is­lan­dais. Il faut avouer que l’Islande est peu connue, en de­hors de quelques spé­cia­listes. Il n’est donc pas éton­nant que le vul­gaire re­garde les ha­bi­tants de cette île loin­taine presque avec dé­dain. Il les consi­dère comme des demi-bar­bares ha­billés de peaux de bêtes. Et puis, lorsqu’on vient lui dire que ces mi­sé­rables sau­vages nous ont donné l’ensemble des sa­gas et tout ce que nous li­sons de plus an­cien sur les ci­vi­li­sa­tions nor­diques, à telle en­seigne que la vieille langue de ces ci­vi­li­sa­tions est sur­nom­mée « le vieil is­lan­dais », cela lui pa­raît un pa­ra­doxe. Mais es­sayons de ré­ta­blir la vé­rité ! En 874 apr. J.-C. les Nor­vé­giens prirent pied en Is­lande, où ils ne tar­dèrent pas à éta­blir une ré­pu­blique aris­to­cra­tique. Quel était le nombre des pre­miers co­lons ? C’est ce que rien n’indique. On sait seule­ment que, parmi ceux qui y construi­sirent leur de­meure, on comp­tait une ma­jo­rité de fa­milles nobles fuyant le des­pote Ha­rald Ier2, trop lasses de sa do­mi­na­tion ou trop fières pour l’accepter : « Vers la fin de la vie de Ke­till », dit une saga3, « s’éleva la puis­sance du roi Ha­rald à la Belle Che­ve­lure, si bien qu’aucun [sei­gneur], non plus qu’aucun autre homme d’importance, ne pros­pé­rait dans le pays si le roi ne dis­po­sait à lui seul de [toutes les] pré­ro­ga­tives… Lorsque Ke­till ap­prit que le roi Ha­rald lui des­ti­nait le même lot qu’aux autres puis­sants hommes, [il dit à ses proches] : “J’ai des in­for­ma­tions vé­ri­diques sur la haine que nous voue le roi Ha­rald… ; j’ai l’impression que l’on nous donne à choi­sir entre deux choses : fuir le pays ou être tués cha­cun chez soi” ». Tous ceux qui ne vou­laient pas cour­ber la tête sous le sceptre du roi, s’en al­laient à tra­vers les flots cher­cher une heu­reuse « terre de glace » où il n’y avait en­core ni au­to­rité ni mo­narque ; où chaque chef de fa­mille pou­vait ré­gner en li­berté dans sa de­meure, sans avoir peur du roi : « Il y avait là de bonnes terres, et il n’y avait pas be­soin d’argent pour les ache­ter… ; on y pre­nait du sau­mon et d’autres pois­sons à lon­gueur d’année », ajoute la même saga. Les émi­gra­tions de­vinrent en peu de temps si fré­quentes et si nom­breuses, que Ha­rald Ier, crai­gnant de voir la Nor­vège se dé­peu­pler, im­posa un tri­but à tous ceux qui la quit­te­raient et par­fois s’empara de leurs biens.

  1. On ren­contre aussi les gra­phies « Hænsna-Þó­ris Saga », « Hænsa-Þó­ris Saga » et « Hœnsa-Þó­ris Saga ». Haut
  2. On ren­contre aussi les gra­phies Ha­ral­dur et Ha­raldr. Haut
  1. « Saga des gens du Val-au-Sau­mon ». Haut

« Saga d’Oddr aux Flèches • Saga de Ketill le Saumon • Saga de Grímr à la Joue velue »

éd. Anacharsis, coll. Famagouste, Toulouse

éd. Ana­char­sis, coll. Fa­ma­gouste, Tou­louse

Il s’agit de la « Saga d’Oddr aux Flèches » (« Ör­var-Odds Saga ») et autres sa­gas is­lan­daises. Du­rant le siècle et demi de leur ré­dac­tion, entre les an­nées 1200 et 1350 apr. J.-C., les sa­gas s’imposent par leur in­ten­sité dra­ma­tique, par leur style ra­massé et presque bourru, par leur réa­lisme dur, tem­péré d’héroïsme et d’exemples de vertu, comme la lec­ture fa­vo­rite des hommes du Nord et comme le fleu­ron de l’art nar­ra­tif eu­ro­péen. Le mot « saga » vient du verbe « segja » (« dire », « ra­con­ter »), qu’on re­trouve dans toutes les langues du Nord : da­nois, « sige » ; sué­dois, « säga » ; al­le­mand, « sa­gen » ; néer­lan­dais, « zeg­gen » ; an­glais, « say ». On au­rait tort ce­pen­dant d’attribuer à la Scan­di­na­vie en­tière la pa­ter­nité de ce genre qui, à une ou deux ex­cep­tions près, est ty­pi­que­ment et ex­clu­si­ve­ment is­lan­dais. Il faut avouer que l’Islande est peu connue, en de­hors de quelques spé­cia­listes. Il n’est donc pas éton­nant que le vul­gaire re­garde les ha­bi­tants de cette île loin­taine presque avec dé­dain. Il les consi­dère comme des demi-bar­bares ha­billés de peaux de bêtes. Et puis, lorsqu’on vient lui dire que ces mi­sé­rables sau­vages nous ont donné l’ensemble des sa­gas et tout ce que nous li­sons de plus an­cien sur les ci­vi­li­sa­tions nor­diques, à telle en­seigne que la vieille langue de ces ci­vi­li­sa­tions est sur­nom­mée « le vieil is­lan­dais », cela lui pa­raît un pa­ra­doxe. Mais es­sayons de ré­ta­blir la vé­rité ! En 874 apr. J.-C. les Nor­vé­giens prirent pied en Is­lande, où ils ne tar­dèrent pas à éta­blir une ré­pu­blique aris­to­cra­tique. Quel était le nombre des pre­miers co­lons ? C’est ce que rien n’indique. On sait seule­ment que, parmi ceux qui y construi­sirent leur de­meure, on comp­tait une ma­jo­rité de fa­milles nobles fuyant le des­pote Ha­rald Ier1, trop lasses de sa do­mi­na­tion ou trop fières pour l’accepter : « Vers la fin de la vie de Ke­till », dit une saga2, « s’éleva la puis­sance du roi Ha­rald à la Belle Che­ve­lure, si bien qu’aucun [sei­gneur], non plus qu’aucun autre homme d’importance, ne pros­pé­rait dans le pays si le roi ne dis­po­sait à lui seul de [toutes les] pré­ro­ga­tives… Lorsque Ke­till ap­prit que le roi Ha­rald lui des­ti­nait le même lot qu’aux autres puis­sants hommes, [il dit à ses proches] : “J’ai des in­for­ma­tions vé­ri­diques sur la haine que nous voue le roi Ha­rald… ; j’ai l’impression que l’on nous donne à choi­sir entre deux choses : fuir le pays ou être tués cha­cun chez soi” ». Tous ceux qui ne vou­laient pas cour­ber la tête sous le sceptre du roi, s’en al­laient à tra­vers les flots cher­cher une heu­reuse « terre de glace » où il n’y avait en­core ni au­to­rité ni mo­narque ; où chaque chef de fa­mille pou­vait ré­gner en li­berté dans sa de­meure, sans avoir peur du roi : « Il y avait là de bonnes terres, et il n’y avait pas be­soin d’argent pour les ache­ter… ; on y pre­nait du sau­mon et d’autres pois­sons à lon­gueur d’année », ajoute la même saga. Les émi­gra­tions de­vinrent en peu de temps si fré­quentes et si nom­breuses, que Ha­rald Ier, crai­gnant de voir la Nor­vège se dé­peu­pler, im­posa un tri­but à tous ceux qui la quit­te­raient et par­fois s’empara de leurs biens.

  1. On ren­contre aussi les gra­phies Ha­ral­dur et Ha­raldr. Haut
  1. « Saga des gens du Val-au-Sau­mon ». Haut

« Sagas islandaises »

éd. Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Bi­blio­thèque de la Pléiade, Pa­ris

Il s’agit de la « Saga d’Eiríkr le Rouge » (« Eiríks Saga rauða ») et autres sa­gas is­lan­daises. Du­rant le siècle et demi de leur ré­dac­tion, entre les an­nées 1200 et 1350 apr. J.-C., les sa­gas s’imposent par leur in­ten­sité dra­ma­tique, par leur style ra­massé et presque bourru, par leur réa­lisme dur, tem­péré d’héroïsme et d’exemples de vertu, comme la lec­ture fa­vo­rite des hommes du Nord et comme le fleu­ron de l’art nar­ra­tif eu­ro­péen. Le mot « saga » vient du verbe « segja » (« dire », « ra­con­ter »), qu’on re­trouve dans toutes les langues du Nord : da­nois, « sige » ; sué­dois, « säga » ; al­le­mand, « sa­gen » ; néer­lan­dais, « zeg­gen » ; an­glais, « say ». On au­rait tort ce­pen­dant d’attribuer à la Scan­di­na­vie en­tière la pa­ter­nité de ce genre qui, à une ou deux ex­cep­tions près, est ty­pi­que­ment et ex­clu­si­ve­ment is­lan­dais. Il faut avouer que l’Islande est peu connue, en de­hors de quelques spé­cia­listes. Il n’est donc pas éton­nant que le vul­gaire re­garde les ha­bi­tants de cette île loin­taine presque avec dé­dain. Il les consi­dère comme des demi-bar­bares ha­billés de peaux de bêtes. Et puis, lorsqu’on vient lui dire que ces mi­sé­rables sau­vages nous ont donné l’ensemble des sa­gas et tout ce que nous li­sons de plus an­cien sur les ci­vi­li­sa­tions nor­diques, à telle en­seigne que la vieille langue de ces ci­vi­li­sa­tions est sur­nom­mée « le vieil is­lan­dais », cela lui pa­raît un pa­ra­doxe. Mais es­sayons de ré­ta­blir la vé­rité ! En 874 apr. J.-C. les Nor­vé­giens prirent pied en Is­lande, où ils ne tar­dèrent pas à éta­blir une ré­pu­blique aris­to­cra­tique. Quel était le nombre des pre­miers co­lons ? C’est ce que rien n’indique. On sait seule­ment que, parmi ceux qui y construi­sirent leur de­meure, on comp­tait une ma­jo­rité de fa­milles nobles fuyant le des­pote Ha­rald Ier1, trop lasses de sa do­mi­na­tion ou trop fières pour l’accepter : « Vers la fin de la vie de Ke­till », dit une saga2, « s’éleva la puis­sance du roi Ha­rald à la Belle Che­ve­lure, si bien qu’aucun [sei­gneur], non plus qu’aucun autre homme d’importance, ne pros­pé­rait dans le pays si le roi ne dis­po­sait à lui seul de [toutes les] pré­ro­ga­tives… Lorsque Ke­till ap­prit que le roi Ha­rald lui des­ti­nait le même lot qu’aux autres puis­sants hommes, [il dit à ses proches] : “J’ai des in­for­ma­tions vé­ri­diques sur la haine que nous voue le roi Ha­rald… ; j’ai l’impression que l’on nous donne à choi­sir entre deux choses : fuir le pays ou être tués cha­cun chez soi” ». Tous ceux qui ne vou­laient pas cour­ber la tête sous le sceptre du roi, s’en al­laient à tra­vers les flots cher­cher une heu­reuse « terre de glace » où il n’y avait en­core ni au­to­rité ni mo­narque ; où chaque chef de fa­mille pou­vait ré­gner en li­berté dans sa de­meure, sans avoir peur du roi : « Il y avait là de bonnes terres, et il n’y avait pas be­soin d’argent pour les ache­ter… ; on y pre­nait du sau­mon et d’autres pois­sons à lon­gueur d’année », ajoute la même saga. Les émi­gra­tions de­vinrent en peu de temps si fré­quentes et si nom­breuses, que Ha­rald Ier, crai­gnant de voir la Nor­vège se dé­peu­pler, im­posa un tri­but à tous ceux qui la quit­te­raient et par­fois s’empara de leurs biens.

  1. On ren­contre aussi les gra­phies Ha­ral­dur et Ha­raldr. Haut
  1. « Saga des gens du Val-au-Sau­mon ». Haut

Ibn Rushd (Averroès), « Traité décisif (“Façl el-maqâl”) sur l’accord de la religion et de la philosophie • L’Appendice (“Dhamîma”) »

éd. Carbonel, coll. Bibliothèque arabe-française, Alger

éd. Car­bo­nel, coll. Bi­blio­thèque arabe-fran­çaise, Al­ger

Il s’agit de l’« Ac­cord de la re­li­gion et de la phi­lo­so­phie », ou lit­té­ra­le­ment « (Livre du) traité dé­ci­sif sur l’accord de la re­li­gion et de la phi­lo­so­phie »1 (« (K.) faṣl al-ma­qâl wa-ta­q­rîr mâ bayna l-sharî‘a wa-l-ḥikma min al-it­tiṣâl »2), et de l’« Ap­pen­dice » (« Ḍa­mîma »3) d’Ibn Ru­shd4 (XIIe siècle apr. J.-C.). De tous les phi­lo­sophes que l’islam donna à l’Espagne, ce­lui qui laissa le plus de traces dans la mé­moire des peuples, grâce à ses re­mar­quables com­men­taires sur les écrits d’Aris­tote, fut Ibn Ru­shd, éga­le­ment connu sous les noms cor­rom­pus d’Aben-Rost, Aver­roïs, Aver­rhoës ou Aver­roès5. Dans son An­da­lou­sie na­tale, ce coin pri­vi­lé­gié du monde, le goût des sciences et des belles choses avait éta­bli au Xe siècle une to­lé­rance dont notre époque mo­derne peut à peine of­frir un exemple. « Chré­tiens, juifs, mu­sul­mans par­laient la même langue, chan­taient les mêmes poé­sies, par­ti­ci­paient aux mêmes études lit­té­raires et scien­ti­fiques. Toutes les bar­rières qui sé­parent les hommes étaient tom­bées ; tous tra­vaillaient d’un même ac­cord à l’œuvre de la ci­vi­li­sa­tion com­mune », dit Re­nan. Abû Ya‘ḳûb Yû­suf6, ca­life de l’Andalousie et contem­po­rain d’Ibn Ru­shd, fut le prince le plus let­tré de son temps. L’illustre phi­lo­sophe Ibn Tho­faïl ob­tint à sa Cour une grande in­fluence et en pro­fita pour y at­ti­rer les sa­vants de re­nom. Ce fut d’après le vœu ex­primé par Yû­suf et sur les ins­tances d’Ibn Tho­faïl qu’Ibn Ru­shd en­tre­prit de com­men­ter Aris­tote. Ja­mais ce der­nier n’avait reçu de soins aussi éten­dus, aussi sin­cères et dé­voués que ceux que lui pro­di­guera Ibn Ru­shd. L’aristotélisme ne sera plus grec ; il sera arabe. « Mais la cause fa­tale qui a étouffé chez les mu­sul­mans les plus beaux germes de dé­ve­lop­pe­ment in­tel­lec­tuel, le fa­na­tisme re­li­gieux, pré­pa­rait déjà la ruine [de la phi­lo­so­phie] », dit Re­nan. Vers la fin du XIIe siècle, l’antipathie des imams et du peuple contre les études ra­tion­nelles se dé­chaîne sur toute la sur­face du monde mu­sul­man. Bien­tôt il suf­fira de dire d’un homme : « Un tel tra­vaille à la phi­lo­so­phie ou donne des le­çons d’astronomie », pour que les gens du peuple lui ap­pliquent im­mé­dia­te­ment le nom d’« im­pie », de « mé­créant », etc. ; et que, si par mal­heur il per­sé­vère, ils le frappent dans la rue ou lui brûlent sa mai­son.

  1. Par­fois tra­duit « Exa­men cri­tique et So­lu­tion de la ques­tion de l’accord entre la loi re­li­gieuse et la phi­lo­so­phie », « (Livre de la) dé­ci­sion de la ques­tion et de l’établissement de ce qui est entre la loi re­li­gieuse et la phi­lo­so­phie en fait d’accord », « (Livre du) dis­cours dé­ci­sif où l’on éta­blit la connexion exis­tant entre la ré­vé­la­tion et la phi­lo­so­phie », « La Pa­role dé­ci­sive au su­jet du rap­port entre la phi­lo­so­phie et la re­li­gion » ou « (Le Livre du) dis­cours dé­ci­sif et de la dé­ter­mi­na­tion du rap­port entre la loi et la sa­gesse ». Haut
  2. En arabe « (كتاب) فصل المقال وتقرير ما بين الشريعة والحكمة من الاتصال ». Au­tre­fois trans­crit « (K.) faṣl al-maḳāl wa-taḳrīr mā bayna al-sharī‘a wa’l-ḥikma min al-it­tiṣāl », « (K.) fasl al-ma­qal wa-ta­q­rir ma baïna ‘ch-chari’a wa’l hikma min el-it­ti­çal », « (K.) faṣl el ma­qâl wa ta­q­rîr mâ baina’l šarî‘et wa’l ḥik­met min el it­tiṣâl » ou « (K.) façl el ma­qâl wa-ta­q­rîr ma baïn ech-charî‘a wa-l-hikma min el-it­ti­çâl ». Haut
  3. En arabe « ضميمة ». Au­tre­fois trans­crit « Dha­mîma » ou « Dha­mî­mat ». Haut
  1. En arabe ابن رشد. Au­tre­fois trans­crit Ibn-Ro­sched, Ebn-Roëch, Ebn Ro­schd, Ibn-Ro­shd, Ibn Ro­chd ou Ibn Rušd. Haut
  2. Par sub­sti­tu­tion d’Aven (Aben) à Ibn. Haut
  3. En arabe أبو يعقوب يوسف. Au­tre­fois trans­crit Abu Ya­qub Yu­suf, Abou Ya‘qoûb Yoû­çof ou Abou-Ya’coub You­souf. Haut

« Les “Mabinogion” du Livre rouge de Hergest avec les variantes du Livre blanc de Rhydderch. Tome II »

éd. Fontemoing, Paris

éd. Fon­te­moing, Pa­ris

Il s’agit du « Ma­bi­nogi »1, la perle de la prose mé­dié­vale gal­loise. Ce ré­cit se di­vise en quatre sec­tions connues sous le nom de « Quatre “Ma­bi­no­gion” » ou « Quatre Branches du “Ma­bi­nogi” » : Pwyll, Bran­wen, Ma­nawyd­dan et Math. « Ce sont [quatre] nobles et francs [hé­ros] agis­sant dans toute leur spon­ta­néité. Chaque homme ap­pa­raît comme une sorte de demi-dieu ca­rac­té­risé par un don sur­na­tu­rel ; ce don est presque tou­jours at­ta­ché à un ob­jet mer­veilleux, qui est en quelque sorte le sceau per­son­nel de ce­lui qui le pos­sède », dit Er­nest Re­nan2. Le dia­lecte est ce­lui du moyen gal­lois, avec peut-être quelques traits ca­rac­té­ris­tiques du comté de Gla­mor­gan ou de ses en­vi­rons. Le « Ma­bi­nogi » nous a été conservé dans deux prin­ci­paux ma­nus­crits — le Livre rouge de Her­gest et le Livre blanc de Rhyd­derch — ré­di­gés à une époque où les rois de la mai­son Plan­ta­ge­nêt, tous fran­co­phones, ré­gnaient sur de vastes parts du pays de Galles. Face à eux, les nobles gal­lois (« uchelwyr ») et les bardes at­ta­chés à ces nobles (« beirdd yr uchelwyr ») op­po­saient les tra­di­tions an­ces­trales de leur peuple. Le ma­nus­crit le plus an­cien n’est pas an­té­rieur au XIIIe siècle apr. J.-C. ; mais les contes qui le com­posent ont cer­tai­ne­ment une an­ti­quité bien plus res­pec­table. Plu­sieurs nous conduisent jusqu’au passé le plus loin­tain, à la pé­riode même de l’unité des peuples cel­tiques. Le ca­rac­tère gé­né­ral de ces contes, qui fait à la fois le charme et le dé­faut du « Ma­bi­nogi », c’est l’emploi et l’abus du mer­veilleux. C’est par le « Ma­bi­nogi » que le sur­na­tu­rel cel­tique a exercé son in­fluence sur les modes du conti­nent eu­ro­péen et a réa­lisé ce pro­dige qu’un peuple im­puis­sant et obs­tiné, res­serré aux confins du monde, au mi­lieu des ro­chers où ses en­ne­mis n’ont pu le prendre de force, ait trans­formé l’imagination mé­dié­vale et im­posé ses mo­tifs lit­té­raires à toute la chré­tienté. « Ce pro­fond sen­ti­ment de l’avenir et des des­ti­nées éter­nelles qui a tou­jours sou­tenu le [pays de Galles], et le fait ap­pa­raître jeune en­core à côté de ses conqué­rants vieillis… c’est l’espérance des races cel­tiques. Les pe­tits peuples doués d’imagination prennent d’ordinaire ainsi leur re­vanche de ceux qui les ont vain­cus. Se sen­tant forts au-de­dans et faibles au-de­hors, une telle lutte les exalte, et dé­cu­plant leurs forces, les rend ca­pables de mi­racles. Presque tous les grands ap­pels au sur­na­tu­rel sont dus à des peuples vain­cus, mais es­pé­rant contre toute es­pé­rance », conclut Re­nan

  1. Le mot « ma­bi­nogi » dé­signe une forme de ré­cit ro­ma­nesque par­ti­cu­lière au pays de Galles. L’origine et le sens pre­mier de ce mot sont fort in­cer­tains. Haut
  1. « Es­sais de mo­rale et de cri­tique », p. 390. Haut

« Les “Mabinogion” du Livre rouge de Hergest avec les variantes du Livre blanc de Rhydderch. Tome I »

éd. Fontemoing, Paris

éd. Fon­te­moing, Pa­ris

Il s’agit du « Ma­bi­nogi »1, la perle de la prose mé­dié­vale gal­loise. Ce ré­cit se di­vise en quatre sec­tions connues sous le nom de « Quatre “Ma­bi­no­gion” » ou « Quatre Branches du “Ma­bi­nogi” » : Pwyll, Bran­wen, Ma­nawyd­dan et Math. « Ce sont [quatre] nobles et francs [hé­ros] agis­sant dans toute leur spon­ta­néité. Chaque homme ap­pa­raît comme une sorte de demi-dieu ca­rac­té­risé par un don sur­na­tu­rel ; ce don est presque tou­jours at­ta­ché à un ob­jet mer­veilleux, qui est en quelque sorte le sceau per­son­nel de ce­lui qui le pos­sède », dit Er­nest Re­nan2. Le dia­lecte est ce­lui du moyen gal­lois, avec peut-être quelques traits ca­rac­té­ris­tiques du comté de Gla­mor­gan ou de ses en­vi­rons. Le « Ma­bi­nogi » nous a été conservé dans deux prin­ci­paux ma­nus­crits — le Livre rouge de Her­gest et le Livre blanc de Rhyd­derch — ré­di­gés à une époque où les rois de la mai­son Plan­ta­ge­nêt, tous fran­co­phones, ré­gnaient sur de vastes parts du pays de Galles. Face à eux, les nobles gal­lois (« uchelwyr ») et les bardes at­ta­chés à ces nobles (« beirdd yr uchelwyr ») op­po­saient les tra­di­tions an­ces­trales de leur peuple. Le ma­nus­crit le plus an­cien n’est pas an­té­rieur au XIIIe siècle apr. J.-C. ; mais les contes qui le com­posent ont cer­tai­ne­ment une an­ti­quité bien plus res­pec­table. Plu­sieurs nous conduisent jusqu’au passé le plus loin­tain, à la pé­riode même de l’unité des peuples cel­tiques. Le ca­rac­tère gé­né­ral de ces contes, qui fait à la fois le charme et le dé­faut du « Ma­bi­nogi », c’est l’emploi et l’abus du mer­veilleux. C’est par le « Ma­bi­nogi » que le sur­na­tu­rel cel­tique a exercé son in­fluence sur les modes du conti­nent eu­ro­péen et a réa­lisé ce pro­dige qu’un peuple im­puis­sant et obs­tiné, res­serré aux confins du monde, au mi­lieu des ro­chers où ses en­ne­mis n’ont pu le prendre de force, ait trans­formé l’imagination mé­dié­vale et im­posé ses mo­tifs lit­té­raires à toute la chré­tienté. « Ce pro­fond sen­ti­ment de l’avenir et des des­ti­nées éter­nelles qui a tou­jours sou­tenu le [pays de Galles], et le fait ap­pa­raître jeune en­core à côté de ses conqué­rants vieillis… c’est l’espérance des races cel­tiques. Les pe­tits peuples doués d’imagination prennent d’ordinaire ainsi leur re­vanche de ceux qui les ont vain­cus. Se sen­tant forts au-de­dans et faibles au-de­hors, une telle lutte les exalte, et dé­cu­plant leurs forces, les rend ca­pables de mi­racles. Presque tous les grands ap­pels au sur­na­tu­rel sont dus à des peuples vain­cus, mais es­pé­rant contre toute es­pé­rance », conclut Re­nan

  1. Le mot « ma­bi­nogi » dé­signe une forme de ré­cit ro­ma­nesque par­ti­cu­lière au pays de Galles. L’origine et le sens pre­mier de ce mot sont fort in­cer­tains. Haut
  1. « Es­sais de mo­rale et de cri­tique », p. 390. Haut

« Paraboles de Sendabar sur les ruses des femmes »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de la ver­sion hé­braïque des « Pa­ra­boles de Sen­da­bar sur les ruses des femmes » (« Mi­shle Sen­da­bar »1), ou mieux « Pa­ra­boles de Sin­de­bad », contes d’origine in­dienne, dont il existe des imi­ta­tions dans la plu­part des langues orien­tales, et qui, sous le titre de « L’Histoire des sept sages de Rome » (« His­to­ria sep­tem sa­pien­tum Romæ »), ont ob­tenu un très vif suc­cès en Eu­rope oc­ci­den­tale, où les trou­vères fran­çais en ont fait « Le Ro­man des sept sages ». Le ren­sei­gne­ment le plus an­cien et le plus utile que nous ayons sur ces contes, nous est donné par l’historien Mas­soudi (Xe siècle apr. J.-C.). Dans un cha­pitre in­ti­tulé « Gé­né­ra­li­tés sur l’histoire de l’Inde, ses doc­trines, et l’origine de ses royaumes », cet his­to­rien at­tri­bue le « Livre des sept vi­zirs, du maître, du jeune homme et de la femme du roi » à un sage in­dien, contem­po­rain du roi Harṣa Vard­hana (VIIe siècle apr. J.-C.), et qu’il nomme Sin­de­bad2. Ainsi donc, c’est en Inde que l’imagination hu­maine, fé­conde et exu­bé­rante comme la val­lée du Gange, a en­fanté ces contes ; c’est de l’Inde qu’ils ont pris leur en­vol en se ré­pan­dant aux ex­tré­mi­tés du monde pour nous amu­ser et ins­truire. Et si nous fai­sons l’effort de re­mon­ter de siècle en siècle, de langue en langue — du fran­çais au la­tin, du la­tin à l’hébreu, de l’hébreu à l’arabe, de l’arabe au pehlvi, du pehlvi au sans­crit — nous ar­ri­vons à Sen­da­bar ou Sen­da­bad ou Sin­de­bad ou Sind­bad, qu’il ne faut pas confondre du reste avec le ma­rin du même nom dans les « Mille et une Nuits ». Tous ces noms pa­raissent cor­rom­pus. En tout cas, en l’absence du texte ori­gi­nal sans­crit, je m’en ré­fère à la ver­sion hé­braïque. En voici l’intrigue : Une reine de­vient amou­reuse de son beau-fils, qui re­jette les vaines avances de cette femme. Elle en est ir­ri­tée et l’accuse d’avoir voulu la sé­duire, un peu comme Phèdre a ac­cusé Hip­po­lyte, ou comme la femme de Pu­ti­phar a ac­cusé Jo­seph. Le roi condamne son fils ; mais, du­rant une se­maine, le ju­ge­ment de­meure sus­pendu. Chaque jour, l’un des sept sages voués à l’éducation du jeune prince fait au mo­narque un ré­cit qui a pour but de lui ins­pi­rer quelque dé­fiance à l’égard des femmes ; et la reine y ré­pond, chaque jour, par un ré­cit qui doit pro­duire l’effet contraire. En­fin, le prince dé­montre son in­no­cence, et la reine est condam­née ; mais le jeune homme de­mande et ob­tient la grâce de la cou­pable.

  1. En hé­breu « משלי סנדבאר ». Au­tre­fois trans­crit « Mi­schle San­da­bar » ou « Mi­shle Sen­de­bar ». Haut
  1. En arabe سندباد. Haut

Ibn al-Moqaffa, « Le Livre de “Kalila et Dimna” »

éd. Klincksieck, Paris

éd. Klinck­sieck, Pa­ris

Il s’agit du « Ka­lila et Dimna » (« Ka­lîla wa Dimna »1), en­semble de contes qui font l’admiration de l’Orient, et dont les ani­maux sont les prin­ci­paux ac­teurs. Tous les élé­ments as­surent à l’Inde l’honneur d’avoir donné nais­sance à ces contes : l’existence d’un re­cueil plus an­cien, le « Pañ­ca­tan­tra », ne laisse au­cun doute sur l’origine in­dienne ; et Fir­dousi confirme cette même ori­gine dans son « Livre des rois », où il dit : « Il y a dans le tré­sor du radja un livre que les hommes de bien ap­pellent “Pañ­ca­tan­tra”, et quand les hommes sont en­gour­dis par l’ignorance, le “Pañ­ca­tan­tra” est comme l’herbe de leur ré­sur­rec­tion… car il est le guide vers la [sa­gesse] »2. Ce fut au VIe siècle apr. J.-C. que Noû­chi­ré­vân le Juste3, roi de Perse, en­ga­gea un mé­de­cin cé­lèbre, Bar­zoui ou Bar­zouyèh4, à rap­por­ter de l’Inde, outre le « Pañ­ca­tan­tra », di­vers autres ou­vrages du même genre. Après un long sé­jour dans l’Inde, Bar­zouyèh par­vint à force de ruses et d’adresse à s’en pro­cu­rer des exem­plaires. Son pre­mier soin fut aus­si­tôt d’en com­po­ser un re­cueil en pehlvi, au­quel il donna le nom de « Ka­lila et Dimna », parce que le ré­cit des aven­tures de ces deux cha­cals en for­mait la prin­ci­pale par­tie. Cette ver­sion du « Ka­lila et Dimna » eut le sort de tout ce qui consti­tuait la lit­té­ra­ture per­sane au temps des Sas­sa­nides : elle fut dé­truite lors de la conquête de la Perse par les Arabes et sa­cri­fiée au zèle aveugle des pre­miers mu­sul­mans. Au VIIIe siècle apr. J.-C., le peu qui échappa à la des­truc­tion fut tra­duit en arabe par un autre Per­san, Ibn al-Mo­qaffa5, avec tant de mé­rite et tant d’élégance, que ces mêmes mu­sul­mans l’accusèrent d’avoir tra­vaillé, mais vai­ne­ment, à imi­ter et même à sur­pas­ser le style du Co­ran. « Alors, arabe vrai­ment, le “Ka­lila”, ou ira­nien, in­dien même, en ses plus loin­tains re­fuges ? La ré­ponse est à cher­cher dans l’histoire du livre. Et que nous dit-elle ? Qu’il est de­venu, très vite, l’une des pièces es­sen­tielles d’un pa­tri­moine, un livre-clef », dit M. An­dré Mi­quel

  1. En arabe « كليلة ودمنة ». Par­fois trans­crit « Ko­laïla ou Dimna » ou « Kalī­lah wa Dim­nah ». Haut
  2. « Le Livre des rois ; tra­duit et com­menté par Jules Mohl. Tome VI », p. 361. Haut
  3. Sur­nom de Khos­row Ier, dit Chos­roès le Grand, qui ré­gna sur la Perse au VIe siècle apr. J.-C. Haut
  1. En per­san برزوی ou برزویه. Par­fois trans­crit Burzōy, Bur­zoyé, Burzōē, Borzūya, Bur­zuyah, Bor­zoueh, Bor­zouyeh, Bor­ziyeh ou Ber­zouyèh. Haut
  2. En arabe بن المقفع. Au­tre­fois trans­crit Ibn al-Mu­qaffa‘, Ibn Mu­qa­faa, Ibn Mo­qa­faa’, Ebn-al­mou­kaffa, Ibn al-Mu­kaffâ, Ibn al-Moḳaffa‘, Ibn al-Mou­qaffa’, Ibn al Mou­qa­faa, Aben Mo­chafa, Ebn-al­mo­caffa ou Ebn-al­mo­kaffa. Par suite d’une faute, بن المقنع, trans­crit Ebn-al­mo­canna, Ebn Mo­can­naa, Ben Mo­cannâ ou Ben Mo­can­naah. Haut