Mot-clefiranien

pays, gen­tilé ou langue

Erfan, «Sans ombre : roman»

éd. de l’Aube, coll. Regards croisés, La Tour d’Aigues

éd. de l’Aube, coll. Re­gards croi­sés, La Tour d’Aigues

Il s’agit de «Sans ombre» de M. Ali Er­fan, écri­vain ira­nien de langue fran­çaise. Né à Is­pa­han en 1946, il fait par­tie de ces hommes de théâtre, ces ci­néastes, ces ar­tistes que l’évolution po­li­tique de leur pays a me­nés à la pri­son et à l’exil. Quand son deuxième film a été pro­jeté, le mi­nistre de la Culture ira­nien, pré­sent dans la salle, a dé­claré à la fin : «Le seul mur blanc sur le­quel on n’a pas en­core versé le sang des im­purs, c’est l’écran de ci­néma. Si on exé­cute ce traître, et que cet écran de­vient rouge, tous les ci­néastes com­pren­dront qu’on ne peut pas jouer avec les in­té­rêts du peuple mu­sul­man» 1. Il a quitté alors l’Iran pour pour­suivre une car­rière d’écrivain à Pa­ris. Bien que cette car­rière soit loin d’être fi­nie, je m’autorise, dès à pré­sent, à ré­su­mer les prin­ci­pales et dif­fé­rentes qua­li­tés de M. Er­fan et comme les élé­ments consti­tu­tifs de son gé­nie. 1º Le goût de l’intrigue trou­blante, ra­pide, sombre. «Mon ré­cit», dit M. Er­fan, «sera ra­pide comme l’ange de la mort lorsqu’il sur­git par la fe­nêtre ou par la fente sous la porte, s’empare de l’âme du pire des ty­rans et dis­pa­raît aus­si­tôt par le même che­min, en em­por­tant l’âme d’un poète» 2. 2º La nos­tal­gie de la pa­trie, de la langue na­tale, de l’enfance. Chaque fois qu’il en­tre­prend d’écrire, M. Er­fan cherche le temps de sa pre­mière jeu­nesse. Il goûte l’extase de la mé­moire, le plai­sir de re­trou­ver les choses per­dues et ou­bliées dans la langue na­tale. Et comme cette mé­moire re­trou­vée ne ra­conte pas ce qui s’est passé réel­le­ment, mais ce qui au­rait pu se pas­ser, c’est elle le vé­ri­table écri­vain; et M. Er­fan est son pre­mier lec­teur : «Main­te­nant, je connais [la langue fran­çaise]. Mais je ne veux pas par­ler… Ma­dame dit : “Mon chéri, dis : jas­min”. Je ne veux pas. Je veux pro­non­cer le nom de la fleur qui était dans notre mai­son. Com­ment s’appelait-elle? Pour­quoi est-ce que je ne me sou­viens pas? Cette grande fleur qui pous­sait au coin de la cour. Qui mon­tait, qui tour­nait. Elle grim­pait par-des­sus la porte de notre mai­son, et elle re­tom­bait dans la rue… Com­ment s’appelait-elle? Elle sen­tait bon. Ma­dame dit en­core : “Dis, mon chéri”. Moi, je pleure, je pleure…» 3 3º L’absence de phi­lo­so­phie mo­rale, d’idéal, de sen­ti­ment re­li­gieux. Si M. Er­fan n’a pas la joie de croire, c’est là son dé­faut, ou plu­tôt son mal­heur, mais un mal­heur te­nant à une cause fort grave, je veux dire les crimes que M. Er­fan a vu com­mettre au nom d’une re­li­gion dont les pré­ceptes ont été dé­na­tu­rés et dé­tour­nés de leur pro­pos et de leur vé­ri­table si­gni­fi­ca­tion : «Il ou­vrit sans hâte l’un des épais dos­siers [de la Ré­pu­blique is­la­mique], en re­tira un feuillet, l’examina et, tout d’un coup, s’écria : “En­fer­mez cette femme dans un sac de jute et je­tez-lui des pierres jusqu’à ce qu’elle crève comme un chien… Que le père étrangle son fils de ses propres mains… Vio­lez la fillette de douze ans mal­gré son re­pen­tir et, entre ses jambes, ti­rez son foie”»

  1. Dans Ma­thieu Lin­don, «L’Enfer pa­ra­di­siaque d’Ali Er­fan». Haut
  2. «Le Der­nier Poète du monde», p. 11. Haut
  1. id. p. 82. Haut

Sepehri, «Histoires de lune, d’eau et de vent : poèmes»

éd. Maelström réévolution, Bruxelles

éd. Mael­ström ré­évo­lu­tion, Bruxelles

Il s’agit d’une an­tho­lo­gie de M. Soh­rab Se­pehri 1, ar­tiste in­égalé de l’Iran mo­derne. Peintre et poète à la fois, il est tout aussi im­pré­gné de poé­sie dans sa pein­ture, qu’il est peintre dans ses élans poé­tiques. Son trait dis­tinc­tif est un sens spé­cial de la na­ture, qui voit l’âme dans le de­hors et le de­hors dans l’âme et qui ex­prime l’un par l’autre les deux mondes ou­verts de­vant lui. Là est la rai­son de cette écri­ture mys­tique, par la­quelle M. Se­pehri re­pré­sente une idée sous l’image d’une li­bel­lule, d’un peu­plier aux feuilles mur­mu­rantes, d’une al­lée boi­sée, etc., propre à la rendre plus sen­sible et plus frap­pante que si elle était pré­sen­tée di­rec­te­ment. En ef­fet, la poé­sie de M. Se­pehri n’est autre chose qu’un sym­bo­lisme, un al­lé­go­risme conti­nuel, ana­logue au songe d’un en­fant :

«“Où est la de­meure de l’Ami?”
C’est à l’aurore que re­ten­tit la voix du ca­va­lier…
Mon­trant du doigt un peu­plier blanc, [un pas­sant ré­pon­dit] :
“Pas loin de cet arbre se trouve une ruelle boi­sée
Plus verte que le songe de Dieu
Où l’amour est tout aussi bleu que
Le plu­mage de la sin­cé­rité.
Tu iras jusqu’au fond de cette al­lée…
Au pied de la fon­taine d’où jaillissent les mythes de la terre…
Dans l’intimité on­du­lante de cet es­pace sa­cré
Tu en­ten­dras un cer­tain bruis­se­ment :
Tu ver­ras un en­fant per­ché au-des­sus d’un pin ef­filé,
Dé­si­reux de ra­vir la cou­vée du nid de la lu­mière
Et tu lui de­man­de­ras :
— Où est la de­meure de l’Ami?”
»

  1. En per­san سهراب سپهری. Haut

«Daryush Ashouri : un intellectuel hétérodoxe iranien»

éd. L’Harmattan, coll. L’Iran en transition, Paris

éd. L’Harmattan, coll. L’Iran en tran­si­tion, Pa­ris

Il s’agit de «La Théo­rie de “l’occidentalite” et la Crise de pen­sée en Iran» («Na­za­rieh-ye gharb­za­degi va boh­rân-e ta­fak­kor dar Iran» 1) et autres ar­ticles de M. Da­ryoush Ashouri 2, in­tel­lec­tuel et tra­duc­teur ira­nien, ins­tallé en France de­puis 1987. La pen­sée ira­nienne mo­derne est en grande par­tie ti­raillée entre son re­jet de l’Occident et sa fas­ci­na­tion pour lui. Au siècle der­nier, elle de­vi­sait avec op­ti­misme d’un ave­nir où elle se­rait plus oc­ci­den­ta­li­sée; à pré­sent, elle s’en prend, en des termes dé­fai­tistes et ré­cri­mi­nants, aux per­ver­si­tés de l’Occident, dont elle vou­drait faire un épou­van­tail. M. Ashouri traite de cette di­cho­to­mie et il dit ne pou­voir mieux la dé­fi­nir que comme un «res­sen­ti­ment» pa­tho­lo­gique («kin-touzi» 3) qui a af­fligé à la fois les pen­seurs et les masses po­pu­laires en Iran tout au long de l’histoire ré­cente. M. Ashouri em­prunte ce terme de «res­sen­ti­ment» à Frie­drich Nietzsche et il l’applique au cas ira­nien. Dans «La Gé­néa­lo­gie de la mo­rale», Nietzsche op­pose l’homme ac­tif ou sur­homme, qui crée triom­pha­le­ment ses propres va­leurs, aux hommes im­puis­sants, à qui la vraie ac­tion est in­ter­dite, et qui ne trouvent de com­pen­sa­tion que dans leur haine ren­trée et dans leur ran­cune en­vers le sur­homme. Ces hommes du «res­sen­ti­ment», étant in­ca­pables d’agir, de­meurent du­ra­ble­ment rem­plis de ré­ac­tions hos­tiles et ve­ni­meuses. Telle est l’attitude de beau­coup d’Iraniens qui, de­puis les an­nées 1960, ne par­viennent plus à af­fir­mer po­si­ti­ve­ment leur propre «soi» : au lieu de cela, ils cherchent un ad­ver­saire dans ce qui se si­tue en de­hors, dans ce qui est leur «autre que soi», et tout d’abord, dans une culture oc­ci­den­tale trans­for­mée en une vé­ri­table ca­ri­ca­ture, en un monstre. Et M. Ashouri de don­ner comme exemple deux pen­seurs ira­niens de re­nom, Dja­lal Âl-e Ah­mad et Ali Sha­riati, et leur théo­rie de «l’occidentalite» ou «ma­la­die oc­ci­den­tale». «Comme j’y ai déjà fait al­lu­sion», dit M. Ashouri, «“l’occidentalite” est ba­sée sur cette concep­tion qu’il existe un “Oc­ci­dent” là-bas et un “nous” ici, dont la re­la­tion est qua­li­fiée de do­mi­nant-do­miné… Le pro­blème fon­da­men­tal de cette théo­rie est qu’elle n’a pas de connais­sance [ni] de l’un, ni de l’autre, et dans un cercle vi­cieux, ne par­vient pas à se don­ner une ou­ver­ture au monde. Je vou­drais ci­ter deux fi­gures qui re­pré­sentent cette ten­dance, Âl-e Ah­mad et Sha­riati. Les deux se ré­fé­rent à l’islam pour cri­ti­quer l’Occident, mais leur dé­marche est-elle si­mi­laire à celle de Ghazâli? La grande dif­fé­rence entre ces deux in­tel­lec­tuels et Ghazâli consiste dans le fait que, pour ce der­nier, la re­li­gion est le but; alors que, pour eux, celle-ci est un moyen de com­bat po­li­tique… À l’opposé de Ghazâli, qui cherche la ra­cine et les concepts les plus fon­da­men­taux, on [ne voit au­cun] sou­bas­se­ment phi­lo­so­phique [chez Âl-e Ah­mad et chez Sha­riati]. Par exemple, ils ne peuvent plus consul­ter Des­cartes, et… de ce fait, ils de­viennent étran­gers au socle de la mo­der­nité, alors qu’eux-mêmes sont in­cons­ciem­ment sous son in­fluence»

  1. En per­san «نظریهٔ غرب‌زدگی و بحران تفکر در ایران». Haut
  2. En per­san داریوش آشوری. Par­fois trans­crit Da­rioush Ashouri, Da­riush Ashoori ou Da­ryush Ashuri. Haut
  1. En per­san کین توزی. Par­fois trans­crit «kine-touzi». Haut

Buzurg ibn Šahrîyâr, «Livre des merveilles de l’Inde»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit du «Livre des mer­veilles de l’Inde» («Ki­tâb ‘aǧâ’ib al-Hind» 1) at­tri­bué à Bu­zurg ibn Šah­riyâr al-Râm-Hur­muzî 2. L’auteur — un Per­san de Râm-Hur­muz 3 — a sillonné les côtes de l’Inde et de l’Insulinde en tant que ca­pi­taine de na­vire («nâḫudât»); mais la plu­part des faits qu’il nous rap­porte ont pour ga­rants d’autres ca­pi­taines de na­vire, maîtres de na­vi­ga­tion («mu‘allim») et pi­lotes de sa connais­sance. «On y trouve de la géo­gra­phie, de l’histoire na­tu­relle, de la fan­tai­sie…, des ré­cits de tem­pêtes et de nau­frages, des scènes d’anthropophagie, et — di­sons-le tout de suite comme aver­tis­se­ment aux per­sonnes fa­ciles à ef­fa­rou­cher — plu­sieurs traits de mœurs orien­tales, contés avec une fran­chise un peu crue» 4. De ce très riche fouillis, il se dé­gage en tout cent trente-quatre his­to­riettes que l’auteur dit avoir re­cueillies de la bouche même des na­vi­ga­teurs per­sans et arabes qui y ont joué le pre­mier rôle. Quelques-unes d’entre elles sont da­tées, et leurs dates s’échelonnent de 900 à 953 apr. J.-C. Il est per­mis d’en dé­duire que le re­cueil a été achevé en cette der­nière an­née ou peu après. Comme le titre de «Livre des mer­veilles de l’Inde» l’indique, et comme c’est presque tou­jours tou­jours le cas s’agissant d’anecdotes nées na­tu­relles dans la bouche de ma­rins, l’extraordinaire, le ter­rible, le mer­veilleux tient ici une place cen­trale. Les his­toires fa­bu­leuses de ser­pents géants et de peuples man­geurs d’hommes ne font donc pas dé­faut, et l’auteur fi­nit par­fois par lâ­cher : «À mon sens, c’est une rê­ve­rie sans fon­de­ment. Dieu seul connaît la vé­rité» 5. Mais il s’en trouve d’autres qui frappent par leur sim­pli­cité et leur ac­cent vé­ri­dique; car, à l’opposé des «Mille et une Nuits», elles peuvent se conclure par des re­vers de for­tune et des faillites : «Un bâ­ti­ment coule à fond en pleine mer, un autre est sub­mergé en vue du port; tel échoue et se brise sur les écueils, tel autre est frappé par la corne d’un nar­val. Ici, de tout un nom­breux équi­page nau­fragé, six ou sept hommes seule­ment se sauvent, par des moyens mi­ra­cu­leux, après avoir souf­fert mille morts. Là, un seul échappe aux flots pour tom­ber entre les mains d’un monstre à face hu­maine, d’un Po­ly­phème qui l’engraisse pour le dé­vo­rer» 6.

  1. En arabe «كتاب عجائب الهند». Au­tre­fois trans­crit «Kitāb ‘adjā’ib al-Hind» ou «Ki­tab al-ajaib al-Hind». Haut
  2. En per­san بزرگ بن شهریار رامهرمزی. Au­tre­fois trans­crit Bo­zorg fils de Chah­riyâr ou Bu­zurg b. Shah­riyār. Haut
  3. En per­san رامهرمز. Au­tre­fois trans­crit Râm­hor­moz, Ram-Hor­muz ou Ram­hor­mouz. Haut
  1. Mar­cel De­vic. Haut
  2. p. 173. Haut
  3. Mar­cel De­vic. Haut

Bâbâ Tâhir, «“Le Génie du millénaire” : cent quatrains lyriques»

éd. L’Harmattan, coll. Poètes des cinq continents, Paris

éd. L’Harmattan, coll. Poètes des cinq conti­nents, Pa­ris

Il s’agit de Bâbâ Tâ­hir 1, poète per­san, dont la sim­pli­cité des sen­ti­ments et du vo­ca­bu­laire fait le charme de ses qua­trains. On sait peu de choses sur lui; on ignore même le temps où il vé­cut (entre le Xe et XIIe siècle apr. J.-C. pro­ba­ble­ment). Il était un de ces der­viches er­rants, ces fous de Dieu qui passent pour saints en Orient, et que pour cela, tout le monde ré­vère et res­pecte. Le sur­nom de ‘Uryân 2le Nu») sous le­quel il est dé­si­gné lui vient, disent cer­tains, de ce qu’il se pro­me­nait sans vê­te­ments dans les ba­zars et dans les rues; mais il est tout aussi vrai­sem­blable qu’il vi­vait dans le dé­nue­ment ou le re­non­ce­ment, plu­tôt que dans la com­plète nu­dité : «Je suis le bo­hème mys­tique qu’on ap­pelle “qa­len­der”; je n’ai ni feu ni lieu, nul point d’attache», dit-il. «Le jour, j’erre au­tour du monde, et la nuit, je m’endors une brique sous la tête… Il n’y a point dans l’univers de pa­pillon aussi étourdi, de fou aussi étrange que moi. Les ser­pents et les four­mis ont tous une re­traite, mais moi je n’ai pas même — in­for­tuné! — le mur d’une mai­son en ruines» 3. En tout cas, l’on constate que son mys­ti­cisme ne lui épar­gna ni les tour­ments de l’amour ni les an­goisses cau­sées par la pen­sée de la mort. Il est, d’ailleurs, un des pre­miers der­viches à avoir dé­crit ses trans­ports amou­reux dans la langue per­sane : «Le col­chique des mon­tagnes ne dure qu’une se­maine, ainsi que la vio­lette des bords de la ri­vière; je veux crier, de ville en ville, que la fi­dé­lité des belles aux joues ro­sées ne dure qu’une se­maine… Mon cœur est plein de feu, mes yeux pleins de larmes; ma vie n’est qu’un vase rem­pli de tris­tesses et d’ennuis. Eh bien! si, après ma mort, tu viens à pas­ser près de ma tombe, ton par­fum me ren­dra la vie»

  1. En per­san باباطاهر. Par­fois trans­crit Bâbâ Tâ­her. Haut
  2. En per­san عریان. Par­fois trans­crit Uriyan, ‘Oriyān ou Oryân. Haut
  1. Tra­duc­tion de Clé­ment Huart, p. 516 & 528. Haut

«Sainte Golindouch»

dans « Échos d’Orient », vol. 4, nº 1, p. 18-20

dans «Échos d’Orient», vol. 4, nº 1, p. 18-20

Il s’agit de sainte Go­lin­douch 1, sur­nom­mée la «mar­tyre vi­vante» («mar­tys zôsa» 2), une Per­sane qui se conver­tit au chris­tia­nisme et qui fit des mi­racles et des pro­diges après avoir subi de grands tour­ments de la part des siens (VIe siècle apr. J.-C.). La lé­gende de sa pas­sion a été ex­ploi­tée par le clergé chré­tien, qui rê­vait de la conquête re­li­gieuse de la Perse, mais le fond de son his­toire n’en est pas moins vrai. Go­lin­douch ap­par­te­nait à une noble fa­mille per­sane et des­cen­dait même de sang royal. Éle­vée dans la re­li­gion an­ces­trale, elle pra­ti­qua d’abord le culte du feu et les su­per­sti­tions des mages. On la ma­ria à l’un des membres du sé­nat, dont elle eut deux fils. Au bout de trois an­nées de ma­riage, cette jeune femme tomba dans une ex­tase (cer­tains di­raient une at­taque d’hystérie). Quand elle en fut sor­tie, elle ra­conta que son âme avait été té­moin des sup­plices ter­ri­fiants ré­ser­vés aux cou­pables et des béa­ti­tudes qui at­tendent ceux qui adorent le Dieu des chré­tiens. Son mari traita d’abord cette vi­sion de fable ri­di­cule, et il ne s’en pré­oc­cupa pas au­tre­ment; mais quand il la vit fer­me­ment ré­so­lue à se faire chré­tienne, il em­ploya tous les moyens pour la faire re­non­cer à cette apos­ta­sie. Ce fut en vain. Elle eut une autre vi­sion. Un ange lui ap­pa­rut, vêtu de lu­mière, qui lui mon­tra le spec­tacle qu’elle avait vu la pre­mière fois, et lui pré­dit la mort pro­chaine de son mari. La pré­dic­tion ne tarda pas à s’accomplir. Aus­si­tôt, Go­lin­douch se ren­dit à Ni­sibe et em­brassa le chris­tia­nisme. Les mages, fu­rieux, lui or­don­nèrent de re­ve­nir au culte na­tio­nal, et sur son re­fus, ils la sou­mirent aux cruau­tés et aux tor­tures dont est cou­tu­mière, entre toutes, la per­sé­cu­tion asia­tique : «D’abord la fla­gel­la­tion : un des seins de la pa­tiente [est] am­puté à demi par le fouet… Puis le sup­plice de la cendre brû­lante : on en rem­plit un sac dans le­quel on lui main­tient la tête en­fer­mée pour l’étouffer. C’est en­suite un sé­jour de trois mois, sans nour­ri­ture, dans une basse-fosse, avec un énorme ser­pent… [En­fin] les souillures du lu­pa­nar» 3. Elle se­rait morte si l’ange qui avait cou­tume de lui ap­pa­raître ne ve­nait pas à chaque fois pour la sau­ver. Tant de ré­sis­tance fit croire à ses bour­reaux que Go­lin­douch se ser­vait de sor­ti­lèges. On fi­nit par la condam­ner à l’exil. Conduite par son ange, elle se di­ri­gea vers Jé­ru­sa­lem. Là, elle fit voir à tous les fi­dèles ses stig­mates.

  1. En grec Γολινδούχ. Par­fois trans­crit Go­lin­duh, Go­lin­duch, Go­lin­douche ou Go­lin­douque. On ren­contre aussi les gra­phies Γολανδούχ (Go­lan­douch) et Γολιανδούχ (Go­lian­douch). Au­tre­fois trans­crit Go­lan­douche. «Le der­nier élé­ment de ce mot doit être le per­san “do­kht” (دخت), “fille”, qui entre dans la com­po­si­tion des noms de prin­cesses sas­sa­nides Azer­mi­do­kht, Pou­ran­do­kht. Le pre­mier est plus dif­fi­cile à ex­pli­quer», dit Er­nest Blo­chet. Haut
  2. En grec «μάρτυς ζῶσα». Haut
  1. … Bar­dou. Haut

Erfan, «La 602e Nuit : nouvelles»

éd. de l’Aube, coll. Regards croisés, La Tour d’Aigues

éd. de l’Aube, coll. Re­gards croi­sés, La Tour d’Aigues

Il s’agit de «La 602e Nuit» de M. Ali Er­fan, écri­vain ira­nien de langue fran­çaise. Né à Is­pa­han en 1946, il fait par­tie de ces hommes de théâtre, ces ci­néastes, ces ar­tistes que l’évolution po­li­tique de leur pays a me­nés à la pri­son et à l’exil. Quand son deuxième film a été pro­jeté, le mi­nistre de la Culture ira­nien, pré­sent dans la salle, a dé­claré à la fin : «Le seul mur blanc sur le­quel on n’a pas en­core versé le sang des im­purs, c’est l’écran de ci­néma. Si on exé­cute ce traître, et que cet écran de­vient rouge, tous les ci­néastes com­pren­dront qu’on ne peut pas jouer avec les in­té­rêts du peuple mu­sul­man» 1. Il a quitté alors l’Iran pour pour­suivre une car­rière d’écrivain à Pa­ris. Bien que cette car­rière soit loin d’être fi­nie, je m’autorise, dès à pré­sent, à ré­su­mer les prin­ci­pales et dif­fé­rentes qua­li­tés de M. Er­fan et comme les élé­ments consti­tu­tifs de son gé­nie. 1º Le goût de l’intrigue trou­blante, ra­pide, sombre. «Mon ré­cit», dit M. Er­fan, «sera ra­pide comme l’ange de la mort lorsqu’il sur­git par la fe­nêtre ou par la fente sous la porte, s’empare de l’âme du pire des ty­rans et dis­pa­raît aus­si­tôt par le même che­min, en em­por­tant l’âme d’un poète» 2. 2º La nos­tal­gie de la pa­trie, de la langue na­tale, de l’enfance. Chaque fois qu’il en­tre­prend d’écrire, M. Er­fan cherche le temps de sa pre­mière jeu­nesse. Il goûte l’extase de la mé­moire, le plai­sir de re­trou­ver les choses per­dues et ou­bliées dans la langue na­tale. Et comme cette mé­moire re­trou­vée ne ra­conte pas ce qui s’est passé réel­le­ment, mais ce qui au­rait pu se pas­ser, c’est elle le vé­ri­table écri­vain; et M. Er­fan est son pre­mier lec­teur : «Main­te­nant, je connais [la langue fran­çaise]. Mais je ne veux pas par­ler… Ma­dame dit : “Mon chéri, dis : jas­min”. Je ne veux pas. Je veux pro­non­cer le nom de la fleur qui était dans notre mai­son. Com­ment s’appelait-elle? Pour­quoi est-ce que je ne me sou­viens pas? Cette grande fleur qui pous­sait au coin de la cour. Qui mon­tait, qui tour­nait. Elle grim­pait par-des­sus la porte de notre mai­son, et elle re­tom­bait dans la rue… Com­ment s’appelait-elle? Elle sen­tait bon. Ma­dame dit en­core : “Dis, mon chéri”. Moi, je pleure, je pleure…» 3 3º L’absence de phi­lo­so­phie mo­rale, d’idéal, de sen­ti­ment re­li­gieux. Si M. Er­fan n’a pas la joie de croire, c’est là son dé­faut, ou plu­tôt son mal­heur, mais un mal­heur te­nant à une cause fort grave, je veux dire les crimes que M. Er­fan a vu com­mettre au nom d’une re­li­gion dont les pré­ceptes ont été dé­na­tu­rés et dé­tour­nés de leur pro­pos et de leur vé­ri­table si­gni­fi­ca­tion : «Il ou­vrit sans hâte l’un des épais dos­siers [de la Ré­pu­blique is­la­mique], en re­tira un feuillet, l’examina et, tout d’un coup, s’écria : “En­fer­mez cette femme dans un sac de jute et je­tez-lui des pierres jusqu’à ce qu’elle crève comme un chien… Que le père étrangle son fils de ses propres mains… Vio­lez la fillette de douze ans mal­gré son re­pen­tir et, entre ses jambes, ti­rez son foie”»

  1. Dans Ma­thieu Lin­don, «L’Enfer pa­ra­di­siaque d’Ali Er­fan». Haut
  2. «Le Der­nier Poète du monde», p. 11. Haut
  1. id. p. 82. Haut

Erfan, «La Route des infidèles : roman»

éd. de l’Aube, coll. Regards croisés, La Tour d’Aigues

éd. de l’Aube, coll. Re­gards croi­sés, La Tour d’Aigues

Il s’agit de «La Route des in­fi­dèles» de M. Ali Er­fan, écri­vain ira­nien de langue fran­çaise. Né à Is­pa­han en 1946, il fait par­tie de ces hommes de théâtre, ces ci­néastes, ces ar­tistes que l’évolution po­li­tique de leur pays a me­nés à la pri­son et à l’exil. Quand son deuxième film a été pro­jeté, le mi­nistre de la Culture ira­nien, pré­sent dans la salle, a dé­claré à la fin : «Le seul mur blanc sur le­quel on n’a pas en­core versé le sang des im­purs, c’est l’écran de ci­néma. Si on exé­cute ce traître, et que cet écran de­vient rouge, tous les ci­néastes com­pren­dront qu’on ne peut pas jouer avec les in­té­rêts du peuple mu­sul­man» 1. Il a quitté alors l’Iran pour pour­suivre une car­rière d’écrivain à Pa­ris. Bien que cette car­rière soit loin d’être fi­nie, je m’autorise, dès à pré­sent, à ré­su­mer les prin­ci­pales et dif­fé­rentes qua­li­tés de M. Er­fan et comme les élé­ments consti­tu­tifs de son gé­nie. 1º Le goût de l’intrigue trou­blante, ra­pide, sombre. «Mon ré­cit», dit M. Er­fan, «sera ra­pide comme l’ange de la mort lorsqu’il sur­git par la fe­nêtre ou par la fente sous la porte, s’empare de l’âme du pire des ty­rans et dis­pa­raît aus­si­tôt par le même che­min, en em­por­tant l’âme d’un poète» 2. 2º La nos­tal­gie de la pa­trie, de la langue na­tale, de l’enfance. Chaque fois qu’il en­tre­prend d’écrire, M. Er­fan cherche le temps de sa pre­mière jeu­nesse. Il goûte l’extase de la mé­moire, le plai­sir de re­trou­ver les choses per­dues et ou­bliées dans la langue na­tale. Et comme cette mé­moire re­trou­vée ne ra­conte pas ce qui s’est passé réel­le­ment, mais ce qui au­rait pu se pas­ser, c’est elle le vé­ri­table écri­vain; et M. Er­fan est son pre­mier lec­teur : «Main­te­nant, je connais [la langue fran­çaise]. Mais je ne veux pas par­ler… Ma­dame dit : “Mon chéri, dis : jas­min”. Je ne veux pas. Je veux pro­non­cer le nom de la fleur qui était dans notre mai­son. Com­ment s’appelait-elle? Pour­quoi est-ce que je ne me sou­viens pas? Cette grande fleur qui pous­sait au coin de la cour. Qui mon­tait, qui tour­nait. Elle grim­pait par-des­sus la porte de notre mai­son, et elle re­tom­bait dans la rue… Com­ment s’appelait-elle? Elle sen­tait bon. Ma­dame dit en­core : “Dis, mon chéri”. Moi, je pleure, je pleure…» 3 3º L’absence de phi­lo­so­phie mo­rale, d’idéal, de sen­ti­ment re­li­gieux. Si M. Er­fan n’a pas la joie de croire, c’est là son dé­faut, ou plu­tôt son mal­heur, mais un mal­heur te­nant à une cause fort grave, je veux dire les crimes que M. Er­fan a vu com­mettre au nom d’une re­li­gion dont les pré­ceptes ont été dé­na­tu­rés et dé­tour­nés de leur pro­pos et de leur vé­ri­table si­gni­fi­ca­tion : «Il ou­vrit sans hâte l’un des épais dos­siers [de la Ré­pu­blique is­la­mique], en re­tira un feuillet, l’examina et, tout d’un coup, s’écria : “En­fer­mez cette femme dans un sac de jute et je­tez-lui des pierres jusqu’à ce qu’elle crève comme un chien… Que le père étrangle son fils de ses propres mains… Vio­lez la fillette de douze ans mal­gré son re­pen­tir et, entre ses jambes, ti­rez son foie”»

  1. Dans Ma­thieu Lin­don, «L’Enfer pa­ra­di­siaque d’Ali Er­fan». Haut
  2. «Le Der­nier Poète du monde», p. 11. Haut
  1. id. p. 82. Haut

Pakravan, «Ombres du vent : récit. [Tome I]. Lumière de mes yeux»

éd. Parallèles, McLean

éd. Pa­ral­lèles, McLean

Il s’agit des mé­moires en langue fran­çaise de Mme Fa­te­meh Pa­kra­van ra­con­tant en trois par­ties l’histoire de son père, in­ti­tu­lée «Lu­mière de mes yeux»; celle de sa mère, in­ti­tu­lée «Le Vi­sage de ma mère»; et avec «Le So­leil éclaté», celle de son mari M. le gé­né­ral Has­san Pa­kra­van. Is­sus de fa­milles per­sanes aux ori­gines mul­tiples, M. et Mme Pa­kra­van étaient des Ira­niens de pro­fonde culture fran­çaise, de­meu­rés ir­ré­duc­ti­ble­ment à la croi­sée de l’Orient et de l’Occident. Le fran­çais était leur langue de pré­di­lec­tion, et Pa­ris — une ville qui n’avait au­cun se­cret pour eux. L’un et l’autre furent ap­pe­lés à des fonc­tions émi­nentes en Iran : Mme Pa­kra­van fut di­rec­trice d’hôpital à Té­hé­ran, avant d’être nom­mée Se­cré­taire gé­né­rale au Tou­risme; M. le gé­né­ral Pa­kra­van, fils de la ro­man­cière Emi­neh Pa­kra­van, élève des écoles d’artillerie de Poi­tiers et de Fon­tai­ne­bleau, en­sei­gna à l’Académie mi­li­taire de Té­hé­ran, où il eut comme élève le fu­tur schah d’Iran. Ce der­nier lui confia di­vers postes di­plo­ma­tiques, et sur­tout il le mit, à par­tir de 1961, à la tête de la SAVAK. M. le gé­né­ral Pa­kra­van ne tarda pas à ré­for­mer cette re­dou­table po­lice po­li­tique ira­nienne. Il se mon­tra phi­lo­sophe, hu­ma­niste, ou­vert sur le monde, là où ses pré­dé­ces­seurs avaient été am­bi­tieux, bru­taux, san­gui­naires. Son hon­nê­teté est res­tée dans les mé­moires : un «saint», de l’avis même des op­po­sants au schah. Res­pecté des in­tel­lec­tuels, il tenta de per­sua­der les meilleurs de tra­vailler pour lui; il pro­mit aux autres de ne pas gê­ner leurs tra­vaux. Il contrô­lait en per­ma­nence l’intégrité de ses em­ployés : on ra­conte qu’un jour, alors qu’il vi­si­tait un lieu de dé­ten­tion, il en­ten­dit des gé­mis­se­ments. Il se di­ri­gea vers la cel­lule d’où pro­ve­naient les plaintes. Un pri­son­nier y était al­longé. «Que se passe-t-il?», de­manda-t-il. «J’ai été frappé», ré­pon­dit le pri­son­nier en lui mon­trant ses che­villes en­flées. Aus­si­tôt M. le gé­né­ral Pa­kra­van fit ali­gner les geô­liers de­vant le pri­son­nier, qui d’un geste en dé­si­gna un. Et de­vant l’assistance mé­du­sée, le chef de la SAVAK gi­fla le res­pon­sable en lui di­sant : «Tu sais bien que j’ai in­ter­dit qu’on mal­traite les pri­son­niers! Tu fe­ras dix jours d’arrêts de ri­gueur!» 1 Bon nombre d’opposants lui doivent la li­berté et la vie, dont en pre­mier lieu l’ayatollah Kho­meiny. On sait de quelle fa­çon scan­da­leuse ce der­nier le re­mer­cia : il le fit fu­siller peu après la chute du schah en 1979, comme il fit fu­siller un mil­lier d’autres gé­né­raux, of­fi­ciers et sous-of­fi­ciers. «Quand le corps de son père fut rendu à Ka­rim Pa­kra­van, [le ré­gime is­la­mique] eut cette phrase ter­rible : “Il était pour nous plus dan­ge­reux vi­vant que mort”», rap­porte un jour­na­liste 2. «In­ter­dic­tion fut faite aux ci­me­tières ira­niens d’accepter le corps du mar­tyr, qui n’avait pas le droit à une sé­pul­ture dé­cente. Pen­dant trois jours et trois nuits, le fils pro­mena le corps de son père de vil­lage en bour­gade à la re­cherche d’un lieu d’enterrement. Fi­na­le­ment… aux portes du dé­sert, sous un arbre, le fils en­se­ve­lit son père.»

  1. Dans Chris­tian De­lan­noy, «SAVAK». Haut
  1. M. Frei­doune Sa­heb­jam. Haut

Farrokhzad, «La Conquête du jardin : poèmes (1951-1965)»

éd. Lettres persanes, coll. Nouvelle Poésie persane, Paris

éd. Lettres per­sanes, coll. Nou­velle Poé­sie per­sane, Pa­ris

Il s’agit des poèmes de Mme Fo­rough Far­ro­kh­zad 1, «l’enfante ter­rible» de la poé­sie per­sane, une des écri­vaines les plus dis­cu­tées de l’Iran, morte dans un ac­ci­dent tra­gique à trente-deux ans (XXe siècle). Elle consa­cra tout son être à la poé­sie — l’on peut même dire qu’elle se sa­cri­fia pour elle et pour l’idée qu’elle s’en fai­sait — en ex­pri­mant sans au­cune re­te­nue ses émois fé­mi­nins dans une so­ciété ira­nienne qui re­fu­sait aux femmes de culti­ver leurs ta­lents et leurs goûts. Elle es­ti­mait qu’un poème ne mé­ri­tait ce nom que lorsqu’on y je­tait la flamme de son cœur et les vi­bra­tions de son âme. La mo­der­nité de Fo­rough laissa ra­re­ment les lec­teurs im­par­tiaux : elle sus­cita une forte at­ti­rance ou une vive aver­sion; une hos­ti­lité exa­gé­rée ou un éloge exalté. Alors que les uns la consi­dé­raient comme une femme dé­pra­vée, dan­ge­reuse dans ses pa­roles et dans la pra­tique de son art; les autres, au contraire, la voyaient en hé­roïne cultu­relle, en re­belle qui, ayant fait l’expérience de la ruine des conven­tions, était à la re­cherche de pro­grès éman­ci­pa­teur. «Je vou­lais être “une femme” et “un être hu­main”. Je vou­lais dire que j’avais le droit de res­pi­rer, de crier… Les autres vou­laient étouf­fer mes cris sur mes lèvres et mon souffle dans ma poi­trine», dit-elle 2. Elle sa­vait qu’en pre­nant une at­ti­tude de défi, elle se fe­rait beau­coup d’ennemis, qu’elle s’attirerait des en­nuis et des rup­tures; mais elle croyait qu’il fal­lait en­fin bri­ser les bar­rières et te­nir droit face aux agi­ta­tions des faux dé­vots. C’est ce qu’elle fit pour la pre­mière fois dans un poème in­ti­tulé «Le Pé­ché» («Go­nâh» 3) :

«J’ai pé­ché, pé­ché dans le plai­sir,
Dans des bras chauds et en­flam­més.
J’ai pé­ché, pé­ché dans des bras de fer,
Dans des bras brû­lants et ran­cu­niers.
Dans ce lieu calme, sombre et muet,
J’ai re­gardé ses yeux pleins de mys­tère,
Et des sup­pli­ca­tions de ses yeux
Mon cœur, im­pa­tiem­ment, a trem­blé…
»

  1. En per­san فروغ فرخزاد. Par­fois trans­crit Fo­ruq Far­roxzâd, Fo­rugh Far­ro­kh­zod, Fo­rugh Far­ro­khzād , Fu­rugh Far­ru­kha­zad ou Fu­rugh Far­ru­kh­zad. Haut
  2. «La Nuit lu­mi­neuse», p. 189-190. Haut
  1. En per­san «گناه». Haut

Farrokhzad, «La Nuit lumineuse : écrits»

éd. Lettres persanes, Arcueil

éd. Lettres per­sanes, Ar­cueil

Il s’agit des lettres et en­tre­tiens de Mme Fo­rough Far­ro­kh­zad 1, «l’enfante ter­rible» de la poé­sie per­sane, une des écri­vaines les plus dis­cu­tées de l’Iran, morte dans un ac­ci­dent tra­gique à trente-deux ans (XXe siècle). Elle consa­cra tout son être à la poé­sie — l’on peut même dire qu’elle se sa­cri­fia pour elle et pour l’idée qu’elle s’en fai­sait — en ex­pri­mant sans au­cune re­te­nue ses émois fé­mi­nins dans une so­ciété ira­nienne qui re­fu­sait aux femmes de culti­ver leurs ta­lents et leurs goûts. Elle es­ti­mait qu’un poème ne mé­ri­tait ce nom que lorsqu’on y je­tait la flamme de son cœur et les vi­bra­tions de son âme. La mo­der­nité de Fo­rough laissa ra­re­ment les lec­teurs im­par­tiaux : elle sus­cita une forte at­ti­rance ou une vive aver­sion; une hos­ti­lité exa­gé­rée ou un éloge exalté. Alors que les uns la consi­dé­raient comme une femme dé­pra­vée, dan­ge­reuse dans ses pa­roles et dans la pra­tique de son art; les autres, au contraire, la voyaient en hé­roïne cultu­relle, en re­belle qui, ayant fait l’expérience de la ruine des conven­tions, était à la re­cherche de pro­grès éman­ci­pa­teur. «Je vou­lais être “une femme” et “un être hu­main”. Je vou­lais dire que j’avais le droit de res­pi­rer, de crier… Les autres vou­laient étouf­fer mes cris sur mes lèvres et mon souffle dans ma poi­trine», dit-elle 2. Elle sa­vait qu’en pre­nant une at­ti­tude de défi, elle se fe­rait beau­coup d’ennemis, qu’elle s’attirerait des en­nuis et des rup­tures; mais elle croyait qu’il fal­lait en­fin bri­ser les bar­rières et te­nir droit face aux agi­ta­tions des faux dé­vots. C’est ce qu’elle fit pour la pre­mière fois dans un poème in­ti­tulé «Le Pé­ché» («Go­nâh» 3) :

«J’ai pé­ché, pé­ché dans le plai­sir,
Dans des bras chauds et en­flam­més.
J’ai pé­ché, pé­ché dans des bras de fer,
Dans des bras brû­lants et ran­cu­niers.
Dans ce lieu calme, sombre et muet,
J’ai re­gardé ses yeux pleins de mys­tère,
Et des sup­pli­ca­tions de ses yeux
Mon cœur, im­pa­tiem­ment, a trem­blé…
»

  1. En per­san فروغ فرخزاد. Par­fois trans­crit Fo­ruq Far­roxzâd, Fo­rugh Far­ro­kh­zod, Fo­rugh Far­ro­khzād , Fu­rugh Far­ru­kha­zad ou Fu­rugh Far­ru­kh­zad. Haut
  2. «La Nuit lu­mi­neuse», p. 189-190. Haut
  1. En per­san «گناه». Haut

Firdousi, «Le Livre des rois. Tome VII»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit du «Livre des rois» («Schah-na­meh» 1) d’Aboulkasim Fir­dousi 2 (X-XIe siècle apr. J.-C.). Cette vaste chan­son de geste de soixante mille dis­tiques re­late l’histoire de la Perse (l’Iran), de­puis ses ori­gines jusqu’à l’époque où la puis­sance de ses mo­narques croula sous les armes des Arabes mu­sul­mans. La pre­mière par­tie, lé­gen­daire et pleine de mer­veilleux, est la seule vé­ri­ta­ble­ment épique; la se­conde, re­la­tive à la Perse sas­sa­nide, est une suc­ces­sion de règnes his­to­riques, aux­quels pré­sident des rois, des hé­ros par­ti­cu­liers à cha­cun d’eux : plu­tôt qu’avec l’épopée, elle offre des ana­lo­gies avec «quelques grands ro­mans en vers du Moyen Âge, le “Ro­man de Brut”, ce­lui de “Rou” ou cer­taines his­toires de France», comme le dit Étienne Qua­tre­mère 3. Avec «Le Livre des rois», la vieille culture per­sane pa­raît au grand jour pour prendre sa re­vanche de la conquête arabe. Celle-ci avait re­foulé, pour quelque temps, cette culture dans les vil­lages, où elle s’était conser­vée avec tout un en­semble de tra­di­tions et de lé­gendes te­nant lieu de sou­ve­nirs na­tio­naux. «L’islamisme… fut un rude coup pour le vieil es­prit, mais ce ne fut pas un coup mor­tel. L’arabe ne réus­sit à être que la langue de la re­li­gion. Aus­si­tôt que le ca­li­fat s’affaiblit, une ré­ac­tion per­sane — d’abord sourde, bien­tôt ou­verte — se ma­ni­feste», ex­plique Er­nest Re­nan 4. Avec Fir­dousi, la Perse re­prend sa com­plète in­dé­pen­dance dans l’islam. Mais ce qui fait sur­tout le ca­rac­tère de cet au­teur et qui n’appartient qu’à lui, ce sont les consi­dé­ra­tions po­li­tiques et mo­rales par les­quelles il ter­mine chaque ca­tas­trophe, chaque choc des peuples, chaque ef­fon­dre­ment des royaumes. Il y a une belle mé­lan­co­lie et une sorte de sa­gesse ré­si­gnée dans ces ré­flexions par les­quelles il in­ter­rompt un mo­ment la course des évé­ne­ments. «Ô monde!», dit l’une d’elles 5, «n’élève per­sonne si tu veux le mois­son­ner après! Si tu l’enlèves, pour­quoi l’as-tu élevé? Tu hausses un homme au-des­sus du fir­ma­ment, mais tout à coup tu le pré­ci­pites sous la terre obs­cure.» «Ko­bad», dit une autre 6, «n’avait plus que sept mois à vivre; ap­pelle-le donc “roi” si tu veux, ou “rien” si tu aimes mieux. Telle est la cou­tume de ce monde op­pres­seur : il ne faut pas s’attendre à ce qu’il tienne ses pro­messes [de lon­gé­vité].»

  1. En per­san «شاهنامه». Par­fois trans­crit «Shah Namu», «Çah­name», «Chah­namè», «Scheh­name», «Schah-namé», «Schah­nama», «Schah-na­mah», «Shah-na­meh», «Shah Name», «Shah­na­mah», «Shah­nama», «Šāh-nāma», «Šāhnā­mah», «Şeh­name», «Şāh-nāme» ou «Šah-na­meh». Haut
  2. En per­san ابوالقاسم فردوسی. Par­fois trans­crit Fir­dawsi, Fir­dausī, Fir­davsi, Fir­dovsi, Fir­douçy, Fir­docy, Fir­doo­see, Fir­dou­see, Fer­dou­see, Fer­do­see, Fer­doucy, Fer­dowsī, Fir­dewsi, Fir­devsî, Fir­dusi, Fir­dussi, Fer­dusi, Fir­dôsî, Fer­dossi, Fir­doussi, Fer­doussi, Fir­doussy, Fir­dousy, Fer­dousy ou Fer­doussy. Haut
  3. «Compte rendu sur “Le Livre des rois”», 1841, p. 398-399. Haut
  1. «Le Schah­na­meh», p. 139. Haut
  2. «Tome I», p. 32. Haut
  3. «Tome VII», p. 287-288. Haut

Firdousi, «Le Livre des rois. Tome VI»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit du «Livre des rois» («Schah-na­meh» 1) d’Aboulkasim Fir­dousi 2 (X-XIe siècle apr. J.-C.). Cette vaste chan­son de geste de soixante mille dis­tiques re­late l’histoire de la Perse (l’Iran), de­puis ses ori­gines jusqu’à l’époque où la puis­sance de ses mo­narques croula sous les armes des Arabes mu­sul­mans. La pre­mière par­tie, lé­gen­daire et pleine de mer­veilleux, est la seule vé­ri­ta­ble­ment épique; la se­conde, re­la­tive à la Perse sas­sa­nide, est une suc­ces­sion de règnes his­to­riques, aux­quels pré­sident des rois, des hé­ros par­ti­cu­liers à cha­cun d’eux : plu­tôt qu’avec l’épopée, elle offre des ana­lo­gies avec «quelques grands ro­mans en vers du Moyen Âge, le “Ro­man de Brut”, ce­lui de “Rou” ou cer­taines his­toires de France», comme le dit Étienne Qua­tre­mère 3. Avec «Le Livre des rois», la vieille culture per­sane pa­raît au grand jour pour prendre sa re­vanche de la conquête arabe. Celle-ci avait re­foulé, pour quelque temps, cette culture dans les vil­lages, où elle s’était conser­vée avec tout un en­semble de tra­di­tions et de lé­gendes te­nant lieu de sou­ve­nirs na­tio­naux. «L’islamisme… fut un rude coup pour le vieil es­prit, mais ce ne fut pas un coup mor­tel. L’arabe ne réus­sit à être que la langue de la re­li­gion. Aus­si­tôt que le ca­li­fat s’affaiblit, une ré­ac­tion per­sane — d’abord sourde, bien­tôt ou­verte — se ma­ni­feste», ex­plique Er­nest Re­nan 4. Avec Fir­dousi, la Perse re­prend sa com­plète in­dé­pen­dance dans l’islam. Mais ce qui fait sur­tout le ca­rac­tère de cet au­teur et qui n’appartient qu’à lui, ce sont les consi­dé­ra­tions po­li­tiques et mo­rales par les­quelles il ter­mine chaque ca­tas­trophe, chaque choc des peuples, chaque ef­fon­dre­ment des royaumes. Il y a une belle mé­lan­co­lie et une sorte de sa­gesse ré­si­gnée dans ces ré­flexions par les­quelles il in­ter­rompt un mo­ment la course des évé­ne­ments. «Ô monde!», dit l’une d’elles 5, «n’élève per­sonne si tu veux le mois­son­ner après! Si tu l’enlèves, pour­quoi l’as-tu élevé? Tu hausses un homme au-des­sus du fir­ma­ment, mais tout à coup tu le pré­ci­pites sous la terre obs­cure.» «Ko­bad», dit une autre 6, «n’avait plus que sept mois à vivre; ap­pelle-le donc “roi” si tu veux, ou “rien” si tu aimes mieux. Telle est la cou­tume de ce monde op­pres­seur : il ne faut pas s’attendre à ce qu’il tienne ses pro­messes [de lon­gé­vité].»

  1. En per­san «شاهنامه». Par­fois trans­crit «Shah Namu», «Çah­name», «Chah­namè», «Scheh­name», «Schah-namé», «Schah­nama», «Schah-na­mah», «Shah-na­meh», «Shah Name», «Shah­na­mah», «Shah­nama», «Šāh-nāma», «Šāhnā­mah», «Şeh­name», «Şāh-nāme» ou «Šah-na­meh». Haut
  2. En per­san ابوالقاسم فردوسی. Par­fois trans­crit Fir­dawsi, Fir­dausī, Fir­davsi, Fir­dovsi, Fir­douçy, Fir­docy, Fir­doo­see, Fir­dou­see, Fer­dou­see, Fer­do­see, Fer­doucy, Fer­dowsī, Fir­dewsi, Fir­devsî, Fir­dusi, Fir­dussi, Fer­dusi, Fir­dôsî, Fer­dossi, Fir­doussi, Fer­doussi, Fir­doussy, Fir­dousy, Fer­dousy ou Fer­doussy. Haut
  3. «Compte rendu sur “Le Livre des rois”», 1841, p. 398-399. Haut
  1. «Le Schah­na­meh», p. 139. Haut
  2. «Tome I», p. 32. Haut
  3. «Tome VII», p. 287-288. Haut