Mot-cleflittérature chinoise

Sima Qian, «Les Mémoires historiques. Tome III. Chapitres 13-22»

éd. Librairie d’Amérique et d’Orient A. Maisonneuve, coll. UNESCO d’œuvres représentatives, Paris

éd. Li­brai­rie d’Amérique et d’Orient A. Mai­son­neuve, coll. UNESCO d’œuvres re­pré­sen­ta­tives, Pa­ris

Il s’agit des «Mé­moires his­to­riques» («Shi Ji» 1) de Sima Qian 2, illustre chro­ni­queur chi­nois (IIe-Ier siècle av. J.-C.) que ses com­pa­triotes placent au-des­sus de tous en di­sant qu’autant le so­leil l’emporte en éclat sur les autres astres, au­tant Sima Qian l’emporte en mé­rite sur les autres his­to­riens; et que les mis­sion­naires eu­ro­péens sur­nomment l’«Hé­ro­dote de la Chine». Fils d’un sa­vant et sa­vant lui-même, Sima Qian fut élevé par l’Empereur à la di­gnité de «grand scribe» («tai shi» 3) en 108 av. J.-C. Son père, qui avait été son pré­dé­ces­seur dans cet em­ploi, sem­blait l’avoir prévu; car il avait fait voya­ger son fils dans tout l’Empire et lui avait laissé un im­mense hé­ri­tage en cartes et en ma­nus­crits. De plus, dès que Sima Qian prit pos­ses­sion de sa charge, la Bi­blio­thèque im­pé­riale lui fut ou­verte; il alla s’y en­se­ve­lir. «De même qu’un homme qui porte une cu­vette sur la tête ne peut pas le­ver les yeux vers le ciel, de même je rom­pis toute re­la­tion… car jour et nuit je ne pen­sais qu’à em­ployer jusqu’au bout mes in­dignes ca­pa­ci­tés et j’appliquais tout mon cœur à m’acquitter de ma charge», dit-il 4. Mais une dis­grâce qu’il s’attira en pre­nant la dé­fense d’un mal­heu­reux, ou plu­tôt un mot cri­tique sur le goût de l’Empereur pour la ma­gie 5, le fit tom­ber en dis­grâce et le condamna à la cas­tra­tion. Sima Qian était si pauvre, qu’il ne fut pas en état de don­ner les deux cents onces d’argent pour se ré­di­mer du sup­plice in­fa­mant. Ce mal­heur, qui as­som­brit tout le reste de sa vie, ne fut pas sans exer­cer une pro­fonde in­fluence sur sa pen­sée. Non seule­ment Sima Qian n’avait pas pu se ra­che­ter, mais per­sonne n’avait osé prendre sa dé­fense. Aussi loue-t-il fort dans ses «Mé­moires his­to­riques» tous «ceux qui font peu de cas de leur propre vie pour al­ler au se­cours de l’homme de bien qui est en pé­ril» 6. Il ap­prouve sou­vent aussi des hommes qui avaient été ca­lom­niés et mis au ban de la so­ciété. En­fin, n’est-ce pas l’amertume de son propre cœur, ai­gri par la dou­leur, qui s’exprime dans ce cri : «Quand Zhufu Yan 7 [mar­chait sur] le che­min des hon­neurs, tous les hauts di­gni­taires l’exaltaient; quand son re­nom fut abattu, et qu’il eut été mis à mort avec toute sa fa­mille, les of­fi­ciers par­lèrent à l’envi de ses dé­fauts; c’est dé­plo­rable!»

  1. En chi­nois «史記». Au­tre­fois trans­crit «Che Ki», «Se-ki», «Sée-ki», «Ssé-ki», «Schi Ki», «Shi Ki» ou «Shih Chi». Haut
  2. En chi­nois 司馬遷. Au­tre­fois trans­crit Sy-ma Ts’ien, Sé­mat­siene, Ssé­mat­sien, Se-ma Ts’ien, Sze-ma Csien, Sz’ma Ts’ien, Sze-ma Ts’ien, Sseû-ma Ts’ien, Sse-ma-thsien, Ssé ma Tsian ou Ssu-ma Ch’ien. Haut
  3. En chi­nois 太史. Au­tre­fois trans­crit «t’ai che». Haut
  4. «Lettre à Ren An» («報任安書»). Haut
  1. Sima Qian avait cri­ti­qué tous les im­pos­teurs qui jouis­saient d’un grand cré­dit à la Cour grâce aux fables qu’ils dé­bi­taient : tels étaient un ma­gi­cien qui pré­ten­dait mon­trer les em­preintes lais­sées par les pieds gi­gan­tesques d’êtres sur­na­tu­rels; un de­vin qui par­lait au nom de la prin­cesse des es­prits, et en qui l’Empereur avait tant de confiance qu’il s’attablait seul avec lui; un char­la­tan qui pro­met­tait l’immortalité; etc. Haut
  2. ch. CXXIV. Haut
  3. En chi­nois 主父偃. Au­tre­fois trans­crit Tchou-fou Yen ou Chu-fu Yen. L’Empereur Wu avait nommé, au­près de chaque roi, des conseillers qui étaient en réa­lité des rap­por­teurs. Leur tâche était sou­vent pé­rilleuse : le conseiller Zhufu Yan fut mis à mort avec toute sa fa­mille à cause des faits qu’il avait rap­por­tés. Haut

«Le Livre des récompenses et des peines»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit du «Livre des ré­com­penses et des peines» («Tai­shang ga­nying­pian» 1, lit­té­ra­le­ment «Écrit sur la ré­tri­bu­tion par le Très-Haut» 2), pré­cis de mo­rale syn­cré­tique chi­noise, mê­lant croyances taoïstes, éthique confu­céenne et doc­trine du karma (XIIe siècle apr. J.-C.). Le «Ca­non taoïste» («Dao­zang» 3) com­prend une mul­ti­tude de trai­tés de mo­rale pour ex­hor­ter les lec­teurs à la plus haute vertu et leur en­sei­gner que «la ré­com­pense du bien et la pu­ni­tion du mal sont comme l’ombre qui suit le corps» 4; mais il n’y a au­cun parmi ces trai­tés qui ait joui d’une aussi grande po­pu­la­rité, et qu’on ait ré­im­primé aussi sou­vent que «Le Livre des ré­com­penses et des peines». Ce­pen­dant, il est rare qu’on l’ait ré­im­primé d’une ma­nière pu­re­ment dés­in­té­res­sée. Sa pro­pa­ga­tion était, d’après la su­per­sti­tion po­pu­laire, une œuvre mé­ri­toire et un mer­veilleux moyen d’obtenir ce qu’on dé­si­rait. En dis­tri­buant vingt ou trente exem­plaires du «Livre des ré­com­penses et des peines», on ob­te­nait ou bien une longue vie, ou bien la gué­ri­son d’un père, ou bien la nais­sance d’un fils. «Ho­no­rez-le donc», dit la pré­face d’un édi­teur chi­nois 5, «et met­tez-le en pra­tique, et vous aug­men­te­rez votre bon­heur, aussi bien que la du­rée de votre vie. En un mot, tout ce que vous sou­hai­te­rez vous sera ac­cordé.» Il n’en reste pas moins que c’est un beau et lu­mi­neux livre, rem­pli de conseils mo­raux et de sen­tences des vieux sages, pour ap­prendre à l’être hu­main d’être bon vis-à-vis d’autrui; de se te­nir dans l’amour et le res­pect; de dé­li­vrer les autres de leurs dan­gers et de les as­sis­ter dans leurs né­ces­si­tés; d’abandonner ses ri­chesses pour faire des heu­reux; de ne pas faire souf­frir non seule­ment un ani­mal, mais en­core un in­secte. Un com­men­ta­teur et poète com­pare ce livre à «une barque de mi­sé­ri­corde sur la­quelle nous pou­vons pas­ser une mer im­mense» ou bien «un arbre qui porte ses branches jusque dans les nues [et ou­vrant] nos cœurs aux plus dignes ef­forts»

  1. En chi­nois «太上感應篇». Par­fois trans­crit «Thaï-chang kan ing phian», «Thaï chang kan yng pian», «Tae shang kan ying peen», «T’ai shang kan yin p’ien», «Thaï-chang kan ing phian», «Thaï-chang-kan-ing-pien» ou «Thai chang kan ying phien». Haut
  2. Par­fois tra­duit «Traité du Très-Haut sur la ré­tri­bu­tion des actes». Haut
  3. En chi­nois «道藏». Au­tre­fois trans­crit «Tao-tchang» ou «Tao Tsang». Haut
  1. p. 21. Haut
  2. p. 19. Haut

Aina, «Propos oisifs sous la tonnelle aux haricots»

éd. Gallimard, coll. Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Connais­sance de l’Orient, Pa­ris

Il s’agit des «Pro­pos oi­sifs sous la ton­nelle aux ha­ri­cots» («Dou­peng xian­hua» 1), la der­nière des grandes col­lec­tions de contes chi­nois (XVIIe siècle apr. J.-C.). La prin­ci­pale ori­gi­na­lité des «Pro­pos oi­sifs» n’est pas tant dans les contes eux-mêmes, que dans la ma­nière soi­gnée dont ils sont pré­sen­tés et re­liés entre eux. «C’est à notre connais­sance», dit M. An­dré Lévy 2, «la seule œuvre chi­noise qui fasse usage du cadre cy­clique». Cette œuvre se di­vise, en ef­fet, en douze cha­pitres cor­res­pon­dant à douze jour­nées, un peu à la fa­çon du «Dé­ca­mé­ron». Le cadre du ré­cit est une ton­nelle où grimpent des plants de ha­ri­cots, et sous la­quelle des vil­la­geois viennent se re­trou­ver tous les jours, pour pro­fi­ter de la fraî­cheur et pour ba­var­der. «Il y a là des jeunes et des vieux, des hommes et des femmes», disent les «Pro­pos oi­sifs» 3. «Cer­tains ap­portent un ta­bou­ret, un pe­tit banc tressé, ou bien étalent une natte à même le sol; cha­cun se fait une place comme il peut». Ce cadre ru­ral per­met à l’auteur de mettre les contes dans la bouche des per­son­nages réunis sous la ton­nelle, et de re­je­ter sur eux la res­pon­sa­bi­lité de ses pa­roles. Lui-même se cache sous le pseu­do­nyme d’Aina ju­shi 4Aina, let­tré re­tiré»), et mal­gré les ef­forts des cher­cheurs, son nom vé­ri­table est in­connu. Dans son pro­logue, il évoque un poète du can­ton, ou­blié et peut-être fic­tif, Xu Ju­tan 5, qui au­rait com­posé une «Chan­son de la ton­nelle aux ha­ri­cots». Comme ce poète, Aina «a dis­paru dans la brume, et l’on ne sait rien de lui» («yan mo wu chuan» 6); et c’est en fin de compte sous la ton­nelle elle-même que nous pou­vons le re­trou­ver, puisque c’est la place qu’il a choi­sie pour y dé­po­ser le té­moi­gnage de sa vie en­tière.

  1. En chi­nois «豆棚閒話». Haut
  2. «Études sur trois re­cueils an­ciens de contes chi­nois», p. 132. Haut
  3. p. 38. Haut
  1. En chi­nois 艾納居士. Haut
  2. En chi­nois 徐菊潭. Haut
  3. En chi­nois «湮沒無傳». Haut

Liu Qingzhi, «La “Siao Hio”, ou Morale de la jeunesse»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de «La Pe­tite Étude» («Xiao Xue» 1), re­cueil de trois cent quatre-vingt-six sen­tences, pré­ceptes et exemples. Ja­dis, c’était l’un des livres in­con­tour­nables de la lit­té­ra­ture chi­noise, parce qu’il ser­vait à for­mer l’éducation de la na­tion en­tière. Dès qu’un en­fant, de quelque condi­tion qu’il fût — de­puis le fils de l’Empereur jusqu’au fils du moindre de ses su­jets — avait at­teint l’âge de huit ans, c’était ce livre, en ef­fet, qu’on lui met­tait entre les mains pour lui en­sei­gner la fa­çon dont il fal­lait in­ter­ro­ger, et celle dont il fal­lait ré­pondre aux in­ter­ro­ga­tions des autres; pour l’instruire des de­voirs de la ci­vi­lité, des cou­tumes et des rites; pour lui faire des le­çons sur la pro­cé­dure et la forme qu’il de­vait ob­ser­ver de­vant les autres, sui­vant ce qu’ils étaient — ou ses su­pé­rieurs, ou ses in­fé­rieurs, ou sim­ple­ment ses égaux. Tout cela for­mait ce qu’on ap­pe­lait «la pe­tite étude», c’est-à-dire l’enseignement in­fé­rieur, la pe­tite école; c’était à quoi on oc­cu­pait l’enfant jusqu’à l’âge de quinze ans. Par­venu à cet âge, on l’appliquait à «la grande étude», ce qui est d’ailleurs le titre d’un des quatre clas­siques ré­di­gés par les dis­ciples de Confu­cius. Les sen­tences, pré­ceptes et exemples de «La Pe­tite Étude» sont em­prun­tés pour la plu­part au «Mé­mo­rial des rites» et ran­gés dans un ordre as­sez dé­fec­tueux, tel cha­pitre conte­nant sou­vent ce qui de­vrait se trou­ver dans tel autre. On ne peut nier que les prin­cipes en soient, en gé­né­ral, édi­fiants, et qu’il y ait des mo­dèles d’une vertu réelle; mais on y trouve, en même temps, l’observation de cer­taines pra­tiques éta­blies par les pré­ju­gés et par la rou­tine, qui pa­raissent as­sez pué­riles. Un des dis­ciples de Zhu Xi 2, Liu Qingzhi 3 (XIIe siècle), a com­posé ce livre. Zhu Xi l’a en­suite mis dans l’ordre où nous le voyons et a ajouté une in­tro­duc­tion où il dit 4 : «Puisque l’homme, pen­dant l’enfance, ne peut en­core ni sa­voir, ni ré­flé­chir, ni ré­gler ses actes, il faut que, pre­nant les dis­cours pro­fonds des sages, leurs trai­tés fon­da­men­taux, on les lui mette tous les jours sous les yeux, on les lui in­filtre dans les oreilles, on en rem­plisse son in­té­rieur. Si l’on tarde, il s’habitue à se for­mer se­lon son ca­price et il reste obs­ti­né­ment ce qu’il s’est ha­bi­tué à être».

  1. En chi­nois «小學». Par­fois trans­crit «Siao Hio». Haut
  2. En chi­nois 朱熹. Au­tre­fois trans­crit Tchou Hi, Tchu Hi, Chu-hi ou Chu Hsi. Éga­le­ment connu sous le titre ho­no­ri­fique de Zhu Wen Gong (朱文公), c’est-à-dire «Zhu, prince de la lit­té­ra­ture». Au­tre­fois trans­crit Chu Ven Kum, Chu Wen-kung, Tchou-wen-koung ou Tchou Wen Kong. Haut
  1. En chi­nois 劉清之. Haut
  2. p. 9-10. Haut

«Wang Wei le Poète»

éd. Jouve, coll. Faculté des lettres de l’Université de Paris, Paris

éd. Jouve, coll. Fa­culté des lettres de l’Université de Pa­ris, Pa­ris

Il s’agit de Wang Wei 1, ar­tiste chi­nois (VIIIe siècle apr. J.-C.), aussi illustre en poé­sie qu’en pein­ture et en mu­sique. La mort de son père le li­vra de bonne heure et tout en­tier à l’influence ma­ter­nelle, qui im­prima sur son gé­nie une vé­ri­table em­preinte boud­dhique : c’est en elle qu’il faut voir la source de cet amour de la na­ture, de ce goût de la mé­di­ta­tion, de ce dé­ta­che­ment du monde, de cette «pu­reté dé­ta­chée» («qing yi» 2) qui pé­nètrent le ca­rac­tère de Wang Wei et forment l’essence même de ses œuvres. On peut sup­po­ser que c’est aussi sa mère qui le guida dans le choix de son sur­nom : Mo Jie 3. En ef­fet, ces deux idéo­grammes, joints à ce­lui de son pré­nom Wei, forment le nom chi­nois du saint Vi­ma­la­kîrti. Toute sa vie du­rant, Wang Wei ob­serva un jeûne ri­gou­reux et s’abstint de viandes. Dans sa chambre dé­pouillée, hor­mis un ser­vice à thé, un luth et un lit de cordes, on ne voyait qu’une table basse sur la­quelle étaient ran­gées les écri­tures boud­dhiques. On n’a pas rai­son de dou­ter qu’il avait une bonne connais­sance de ces écri­tures; mais une froide im­pres­sion d’immobilisme émane de ses poèmes qui, étant par­faits et sans dé­faut, cher­chant et at­tei­gnant leurs ef­fets, sont par là moins hu­mains, moins vi­vants. Une autre ex­pli­ca­tion de cet im­mo­bi­lisme, c’est l’influence de la pein­ture et de la mu­sique. Su Dongpo di­sait de Wang Wei que «ses poèmes étaient des ta­bleaux, et ses ta­bleaux — des poèmes». Un autre cri­tique qua­li­fiait sa poé­sie de «pein­ture so­nore» («you sheng hua» 4). On rap­porte, comme preuve de son sa­voir dans ces deux dif­fé­rents arts, l’anecdote sui­vante : «[Se trou­vant] un jour chez une per­sonne qui pos­sé­dait un ta­bleau re­pré­sen­tant des mu­si­ciens en train de jouer d’un ins­tru­ment, Wang Wei re­garda le ta­bleau et dit : “C’est la pre­mière me­sure du troi­sième re­frain de la danse des robes arc-en-ciel”. Les cu­rieux firent ve­nir des mu­si­ciens pour jouer cette pièce. Leur pose ins­tru­men­tale confirma l’affirmation de Wang Wei»

  1. En chi­nois 王維. Au­tre­fois trans­crit Uang Uei, Wang Wey, Ouang-oey, Ouang Oueï ou Ouan-ouey. Haut
  2. En chi­nois 清逸. Au­tre­fois trans­crit «ts’ing yi». Haut
  1. En chi­nois 摩詰. Au­tre­fois trans­crit Mouo Kie ou Mo-k’i. Haut
  2. En chi­nois 有聲畫. Au­tre­fois trans­crit «yeou-cheng-houa». Haut

Sima Qian, «Les Mémoires historiques. Tome II. Chapitres 5-12»

éd. Librairie d’Amérique et d’Orient A. Maisonneuve, coll. UNESCO d’œuvres représentatives, Paris

éd. Li­brai­rie d’Amérique et d’Orient A. Mai­son­neuve, coll. UNESCO d’œuvres re­pré­sen­ta­tives, Pa­ris

Il s’agit des «Mé­moires his­to­riques» («Shi Ji» 1) de Sima Qian 2, illustre chro­ni­queur chi­nois (IIe-Ier siècle av. J.-C.) que ses com­pa­triotes placent au-des­sus de tous en di­sant qu’autant le so­leil l’emporte en éclat sur les autres astres, au­tant Sima Qian l’emporte en mé­rite sur les autres his­to­riens; et que les mis­sion­naires eu­ro­péens sur­nomment l’«Hé­ro­dote de la Chine». Fils d’un sa­vant et sa­vant lui-même, Sima Qian fut élevé par l’Empereur à la di­gnité de «grand scribe» («tai shi» 3) en 108 av. J.-C. Son père, qui avait été son pré­dé­ces­seur dans cet em­ploi, sem­blait l’avoir prévu; car il avait fait voya­ger son fils dans tout l’Empire et lui avait laissé un im­mense hé­ri­tage en cartes et en ma­nus­crits. De plus, dès que Sima Qian prit pos­ses­sion de sa charge, la Bi­blio­thèque im­pé­riale lui fut ou­verte; il alla s’y en­se­ve­lir. «De même qu’un homme qui porte une cu­vette sur la tête ne peut pas le­ver les yeux vers le ciel, de même je rom­pis toute re­la­tion… car jour et nuit je ne pen­sais qu’à em­ployer jusqu’au bout mes in­dignes ca­pa­ci­tés et j’appliquais tout mon cœur à m’acquitter de ma charge», dit-il 4. Mais une dis­grâce qu’il s’attira en pre­nant la dé­fense d’un mal­heu­reux, ou plu­tôt un mot cri­tique sur le goût de l’Empereur pour la ma­gie 5, le fit tom­ber en dis­grâce et le condamna à la cas­tra­tion. Sima Qian était si pauvre, qu’il ne fut pas en état de don­ner les deux cents onces d’argent pour se ré­di­mer du sup­plice in­fa­mant. Ce mal­heur, qui as­som­brit tout le reste de sa vie, ne fut pas sans exer­cer une pro­fonde in­fluence sur sa pen­sée. Non seule­ment Sima Qian n’avait pas pu se ra­che­ter, mais per­sonne n’avait osé prendre sa dé­fense. Aussi loue-t-il fort dans ses «Mé­moires his­to­riques» tous «ceux qui font peu de cas de leur propre vie pour al­ler au se­cours de l’homme de bien qui est en pé­ril» 6. Il ap­prouve sou­vent aussi des hommes qui avaient été ca­lom­niés et mis au ban de la so­ciété. En­fin, n’est-ce pas l’amertume de son propre cœur, ai­gri par la dou­leur, qui s’exprime dans ce cri : «Quand Zhufu Yan 7 [mar­chait sur] le che­min des hon­neurs, tous les hauts di­gni­taires l’exaltaient; quand son re­nom fut abattu, et qu’il eut été mis à mort avec toute sa fa­mille, les of­fi­ciers par­lèrent à l’envi de ses dé­fauts; c’est dé­plo­rable!»

  1. En chi­nois «史記». Au­tre­fois trans­crit «Che Ki», «Se-ki», «Sée-ki», «Ssé-ki», «Schi Ki», «Shi Ki» ou «Shih Chi». Haut
  2. En chi­nois 司馬遷. Au­tre­fois trans­crit Sy-ma Ts’ien, Sé­mat­siene, Ssé­mat­sien, Se-ma Ts’ien, Sze-ma Csien, Sz’ma Ts’ien, Sze-ma Ts’ien, Sseû-ma Ts’ien, Sse-ma-thsien, Ssé ma Tsian ou Ssu-ma Ch’ien. Haut
  3. En chi­nois 太史. Au­tre­fois trans­crit «t’ai che». Haut
  4. «Lettre à Ren An» («報任安書»). Haut
  1. Sima Qian avait cri­ti­qué tous les im­pos­teurs qui jouis­saient d’un grand cré­dit à la Cour grâce aux fables qu’ils dé­bi­taient : tels étaient un ma­gi­cien qui pré­ten­dait mon­trer les em­preintes lais­sées par les pieds gi­gan­tesques d’êtres sur­na­tu­rels; un de­vin qui par­lait au nom de la prin­cesse des es­prits, et en qui l’Empereur avait tant de confiance qu’il s’attablait seul avec lui; un char­la­tan qui pro­met­tait l’immortalité; etc. Haut
  2. ch. CXXIV. Haut
  3. En chi­nois 主父偃. Au­tre­fois trans­crit Tchou-fou Yen ou Chu-fu Yen. L’Empereur Wu avait nommé, au­près de chaque roi, des conseillers qui étaient en réa­lité des rap­por­teurs. Leur tâche était sou­vent pé­rilleuse : le conseiller Zhufu Yan fut mis à mort avec toute sa fa­mille à cause des faits qu’il avait rap­por­tés. Haut

«La Double Inspiration du poète Po Kiu-yi (772-846)»

éd. P. Bossuet, coll. Faculté des lettres de l’Université de Paris, Paris

éd. P. Bos­suet, coll. Fa­culté des lettres de l’Université de Pa­ris, Pa­ris

Il s’agit de Bai Juyi 1, le poète le plus ta­len­tueux de la Chine, avec Li Po (IXe siècle apr. J.-C.). Au contraire de son pays, où sa po­pu­la­rité dé­crut au fil des siècles, le Viêt-nam et le Ja­pon, sans doute grâce à leur lec­to­rat fé­mi­nin, le tinrent tou­jours pour un mo­dèle su­prême et al­lèrent jusqu’à en faire une sorte de dieu tu­té­laire. Déjà de son vi­vant, sa «Chan­son des re­grets éter­nels» («Chang hen ge» 2) et sa «Bal­lade du luth»Pi pa xing» 3) jouis­saient d’un pres­tige in­com­pa­rable au­près des femmes : «Veuves et vierges ont sou­vent, à la bouche, un poème de moi… À ma vue, les chan­teuses me dé­si­gnent du doigt, en se di­sant entre elles : voici le maître de la “Chan­son des re­grets éter­nels”», dit-il dans une lettre 4. «Le trait prin­ci­pal… de Bai Juyi, qui fait son mé­rite prin­ci­pal en tant que poète», dit un cri­tique 5, «c’est l’extrême sim­pli­cité de son élo­cu­tion, le na­tu­rel de toute son œuvre». Bai Juyi re­non­çait au lan­gage trop sa­vant, trop froid, trop dense que ses pré­dé­ces­seurs po­lis­saient et ci­se­laient de­puis des siècles jusqu’à être sou­vent un peu obs­curs. On pré­tend qu’il li­sait ses vers à une vieille dame illet­trée et ne ces­sait de les chan­ger jusqu’à ce que cette der­nière lui fît en­tendre qu’elle avait tout com­pris. On com­pare son style simple, abon­dant, ré­gu­lier à l’eau d’une fon­taine qui coule nuit et jour sur la pe­tite place du vil­lage, et où tout le monde s’abreuve :

«Dan­seuse tar­tare! Dan­seuse tar­tare!
L’âme ré­pond au son des cordes,
Les mains ré­pondent au tam­bour.
La mu­sique pré­lude, elle s’élance, manches hautes.
Pal­pi­tante comme la neige, fré­mis­sante comme le ro­seau,
À droite et à gauche, in­las­sable, elle pi­vote,
Mille et mille tours se pour­suivent sans trêve.
Rien de ce monde ne pour­rait l’égaler :
Voi­ture, moins ra­pide; tour­billon, moins pri­me­sau­tier.
La danse fi­nie, à plu­sieurs re­prises elle sa­lue et re­mer­cie
Le sou­ve­rain qui sou­rit lé­gè­re­ment
»

  1. En chi­nois 白居易. Au­tre­fois trans­crit Pé-kiu-y, Po Kiu-i, Po Kiu-yi, Po Tchu-yi, Pai Chui, Bo Ju yi, Po Chü-i ou Po Chu yi. Haut
  2. En chi­nois «長恨歌». Au­tre­fois trans­crit «Tch’ang-hen-ko» ou «Ch’ang-hen ko». Haut
  3. En chi­nois «琵琶行». Au­tre­fois trans­crit «P’i-pa-hing», «Pi pa sing» ou «Pï-pá hsing». Haut
  1. Dans Lo Ta-kang, «La Double Ins­pi­ra­tion du poète Po Kiu-yi», p. 135. Haut
  2. M. Georges Mar­gou­liès. Haut

Yuan Mei, «Choses dont le Maître ne parlait jamais : cinq contes tirés du “Zi bu yu”»

éd. électronique

éd. élec­tro­nique

Il s’agit d’une tra­duc­tion par­tielle de «Ce dont le Maître ne par­lait pas» («Zi bu yu» 1) de Yuan Mei, col­lec­tion chi­noise de contes, d’historiettes, de faits di­vers, met­tant en scène toutes sortes d’esprits ou d’êtres sur­na­tu­rels (XVIIIe siècle). Le titre ren­voie au pas­sage sui­vant des «En­tre­tiens de Confu­cius» : «Le Maître ne trai­tait ni des pro­diges, ni de la vio­lence, ni du désordre, ni des es­prits» 2. Or, tels sont jus­te­ment les thèmes qui sont abor­dés avec pré­di­lec­tion dans «Ce dont le Maître ne par­lait pas». Par la suite, sans doute pour évi­ter de trop se com­pro­mettre aux yeux des bien-pen­sants, Yuan Mei chan­gea ce titre quelque peu fron­deur par ce­lui de «Nou­veau “Qi xie”» («Xin “Qi xie”» 3) tiré, cette fois-ci, de «L’Œuvre com­plète» de Tchouang-tseu, où il est ques­tion d’un livre ou d’un homme qui au­rait re­cueilli des lé­gendes et qui se se­rait ap­pelé Qi xie. Yuan Mei s’empara donc de cette ap­pel­la­tion obs­cure pour en ti­rer une nou­velle, vo­lon­tai­re­ment énig­ma­tique, et sur la­quelle ses ad­ver­saires ne pou­vaient faire que des conjec­tures, en l’absence de toute autre ex­pli­ca­tion. «Aux yeux de la pos­té­rité, le re­nom de Yuan Mei tient sur­tout à l’originalité et au charme de sa poé­sie. Le “Zi bu yu” n’est sou­vent consi­déré que comme une œuvre mi­neure, si­non même in­digne de son au­teur», ex­plique M. Jean-Pierre Diény 4. Dans un XVIIIe siècle mar­qué, en Chine, par une éclo­sion de contes, le re­cueil de Yuan Mei fait, en ef­fet, mo­deste fi­gure aux cô­tés de deux re­cueils plus im­por­tants : les «Contes ex­tra­or­di­naires du pa­villon des loi­sirs» du su­blime Pu Son­gling, qui mou­rut un an avant la nais­sance de Yuan Mei, et les «Notes de la chau­mière des ob­ser­va­tions sub­tiles» de l’érudit Ji Yun, son ca­det de quelques an­nées. En ban­nis­sant de sa prose les élé­gances de la poé­sie, en ne cher­chant l’inspiration que dans les confi­dences de pa­rents et d’amis, en abor­dant le sexe jusque dans ses as­pects les moins at­ten­dus, Yuan Mei est par trop dé­sin­volte, et les herbes folles abondent dans son ou­vrage. Il le pré­sente avec rai­son, dans sa pré­face, comme un re­cueil «de ré­cits abra­ca­da­brants, sans pro­fonde si­gni­fi­ca­tion» fait prin­ci­pa­le­ment «pour le plai­sir» 5; il dit ailleurs 6 avoir voulu «dans les his­toires de fan­tômes se dé­fou­ler de l’absurdité».

  1. En chi­nois «子不語». Au­tre­fois trans­crit «Tseu-pou-yu» ou «Tzu pu yu». Haut
  2. VII, 21. Haut
  3. En chi­nois «新齊諧». Au­tre­fois trans­crit «Sin “Ts’i-hiai”». Haut
  1. p. 26. Haut
  2. Dans Pierre Ka­ser, «Yuan Mei et son “Zi bu yu”», p. 84-85. Haut
  3. «Di­vers Plai­sirs à la villa Sui», p. 40. Haut

Yuan Mei, «Ce dont le Maître ne parle pas, “Zi bu yu” : contes»

dans « Le Visage vert », nº 16, p. 65-82

dans «Le Vi­sage vert», nº 16, p. 65-82

Il s’agit d’une tra­duc­tion par­tielle de «Ce dont le Maître ne par­lait pas» («Zi bu yu» 1) de Yuan Mei, col­lec­tion chi­noise de contes, d’historiettes, de faits di­vers, met­tant en scène toutes sortes d’esprits ou d’êtres sur­na­tu­rels (XVIIIe siècle). Le titre ren­voie au pas­sage sui­vant des «En­tre­tiens de Confu­cius» : «Le Maître ne trai­tait ni des pro­diges, ni de la vio­lence, ni du désordre, ni des es­prits» 2. Or, tels sont jus­te­ment les thèmes qui sont abor­dés avec pré­di­lec­tion dans «Ce dont le Maître ne par­lait pas». Par la suite, sans doute pour évi­ter de trop se com­pro­mettre aux yeux des bien-pen­sants, Yuan Mei chan­gea ce titre quelque peu fron­deur par ce­lui de «Nou­veau “Qi xie”» («Xin “Qi xie”» 3) tiré, cette fois-ci, de «L’Œuvre com­plète» de Tchouang-tseu, où il est ques­tion d’un livre ou d’un homme qui au­rait re­cueilli des lé­gendes et qui se se­rait ap­pelé Qi xie. Yuan Mei s’empara donc de cette ap­pel­la­tion obs­cure pour en ti­rer une nou­velle, vo­lon­tai­re­ment énig­ma­tique, et sur la­quelle ses ad­ver­saires ne pou­vaient faire que des conjec­tures, en l’absence de toute autre ex­pli­ca­tion. «Aux yeux de la pos­té­rité, le re­nom de Yuan Mei tient sur­tout à l’originalité et au charme de sa poé­sie. Le “Zi bu yu” n’est sou­vent consi­déré que comme une œuvre mi­neure, si­non même in­digne de son au­teur», ex­plique M. Jean-Pierre Diény 4. Dans un XVIIIe siècle mar­qué, en Chine, par une éclo­sion de contes, le re­cueil de Yuan Mei fait, en ef­fet, mo­deste fi­gure aux cô­tés de deux re­cueils plus im­por­tants : les «Contes ex­tra­or­di­naires du pa­villon des loi­sirs» du su­blime Pu Son­gling, qui mou­rut un an avant la nais­sance de Yuan Mei, et les «Notes de la chau­mière des ob­ser­va­tions sub­tiles» de l’érudit Ji Yun, son ca­det de quelques an­nées. En ban­nis­sant de sa prose les élé­gances de la poé­sie, en ne cher­chant l’inspiration que dans les confi­dences de pa­rents et d’amis, en abor­dant le sexe jusque dans ses as­pects les moins at­ten­dus, Yuan Mei est par trop dé­sin­volte, et les herbes folles abondent dans son ou­vrage. Il le pré­sente avec rai­son, dans sa pré­face, comme un re­cueil «de ré­cits abra­ca­da­brants, sans pro­fonde si­gni­fi­ca­tion» fait prin­ci­pa­le­ment «pour le plai­sir» 5; il dit ailleurs 6 avoir voulu «dans les his­toires de fan­tômes se dé­fou­ler de l’absurdité».

  1. En chi­nois «子不語». Au­tre­fois trans­crit «Tseu-pou-yu» ou «Tzu pu yu». Haut
  2. VII, 21. Haut
  3. En chi­nois «新齊諧». Au­tre­fois trans­crit «Sin “Ts’i-hiai”». Haut
  1. p. 26. Haut
  2. Dans Pierre Ka­ser, «Yuan Mei et son “Zi bu yu”», p. 84-85. Haut
  3. «Di­vers Plai­sirs à la villa Sui», p. 40. Haut

Yuan Mei, «Ce dont le Maître ne parlait pas : le merveilleux onirique»

éd. Gallimard, Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard, Connais­sance de l’Orient, Pa­ris

Il s’agit d’une tra­duc­tion par­tielle de «Ce dont le Maître ne par­lait pas» («Zi bu yu» 1) de Yuan Mei, col­lec­tion chi­noise de contes, d’historiettes, de faits di­vers, met­tant en scène toutes sortes d’esprits ou d’êtres sur­na­tu­rels (XVIIIe siècle). Le titre ren­voie au pas­sage sui­vant des «En­tre­tiens de Confu­cius» : «Le Maître ne trai­tait ni des pro­diges, ni de la vio­lence, ni du désordre, ni des es­prits» 2. Or, tels sont jus­te­ment les thèmes qui sont abor­dés avec pré­di­lec­tion dans «Ce dont le Maître ne par­lait pas». Par la suite, sans doute pour évi­ter de trop se com­pro­mettre aux yeux des bien-pen­sants, Yuan Mei chan­gea ce titre quelque peu fron­deur par ce­lui de «Nou­veau “Qi xie”» («Xin “Qi xie”» 3) tiré, cette fois-ci, de «L’Œuvre com­plète» de Tchouang-tseu, où il est ques­tion d’un livre ou d’un homme qui au­rait re­cueilli des lé­gendes et qui se se­rait ap­pelé Qi xie. Yuan Mei s’empara donc de cette ap­pel­la­tion obs­cure pour en ti­rer une nou­velle, vo­lon­tai­re­ment énig­ma­tique, et sur la­quelle ses ad­ver­saires ne pou­vaient faire que des conjec­tures, en l’absence de toute autre ex­pli­ca­tion. «Aux yeux de la pos­té­rité, le re­nom de Yuan Mei tient sur­tout à l’originalité et au charme de sa poé­sie. Le “Zi bu yu” n’est sou­vent consi­déré que comme une œuvre mi­neure, si­non même in­digne de son au­teur», ex­plique M. Jean-Pierre Diény 4. Dans un XVIIIe siècle mar­qué, en Chine, par une éclo­sion de contes, le re­cueil de Yuan Mei fait, en ef­fet, mo­deste fi­gure aux cô­tés de deux re­cueils plus im­por­tants : les «Contes ex­tra­or­di­naires du pa­villon des loi­sirs» du su­blime Pu Son­gling, qui mou­rut un an avant la nais­sance de Yuan Mei, et les «Notes de la chau­mière des ob­ser­va­tions sub­tiles» de l’érudit Ji Yun, son ca­det de quelques an­nées. En ban­nis­sant de sa prose les élé­gances de la poé­sie, en ne cher­chant l’inspiration que dans les confi­dences de pa­rents et d’amis, en abor­dant le sexe jusque dans ses as­pects les moins at­ten­dus, Yuan Mei est par trop dé­sin­volte, et les herbes folles abondent dans son ou­vrage. Il le pré­sente avec rai­son, dans sa pré­face, comme un re­cueil «de ré­cits abra­ca­da­brants, sans pro­fonde si­gni­fi­ca­tion» fait prin­ci­pa­le­ment «pour le plai­sir» 5; il dit ailleurs 6 avoir voulu «dans les his­toires de fan­tômes se dé­fou­ler de l’absurdité».

  1. En chi­nois «子不語». Au­tre­fois trans­crit «Tseu-pou-yu» ou «Tzu pu yu». Haut
  2. VII, 21. Haut
  3. En chi­nois «新齊諧». Au­tre­fois trans­crit «Sin “Ts’i-hiai”». Haut
  1. p. 26. Haut
  2. Dans Pierre Ka­ser, «Yuan Mei et son “Zi bu yu”», p. 84-85. Haut
  3. «Di­vers Plai­sirs à la villa Sui», p. 40. Haut

Yuan Mei, «Divers Plaisirs à la villa Sui : poèmes»

éd. Moundarren, Millemont

éd. Moun­dar­ren, Mil­le­mont

Il s’agit des «Poèmes» de Yuan Zi­cai 1, plus connu sous le sur­nom de Yuan Mei 2, poète et conteur chi­nois, que son in­dé­pen­dance, son sa­voir, sa li­berté d’esprit met­taient en marge des aca­dé­mismes du temps. Il na­quit en l’an 1716 apr. J.-C. Sa fa­mille était loin d’être riche. Son père voya­geait comme se­cré­taire dans des pro­vinces re­cu­lées pour en­voyer de quoi nour­rir la mai­son­née, tan­dis que sa mère res­tait à Hangz­hou avec plu­sieurs fils et filles en bas âge et fai­sait des pro­diges d’économie pour les éle­ver. Déjà dans son en­fance, Yuan Mei ché­ris­sait les livres plus qu’il ne ché­ris­sait la vie. Chaque fois qu’il pas­sait de­vant une li­brai­rie, ses pieds s’arrêtaient na­tu­rel­le­ment, et l’eau lui en ve­nait à la bouche; mais les prix étaient trop éle­vés : «Il n’y avait que dans le rêve que j’en ache­tais», dit-il non sans amer­tume 3. Le goût des livres lui était «plus suave que ce­lui d’un vin vieux» 4. Le but de sa vie était la sa­tis­fac­tion de ce goût, et non pas la réus­site aux concours ni l’obtention des di­plômes qui ou­vraient les portes du man­da­ri­nat : «Une fois le livre ou­vert, j’ignore les cent af­faires. Quand j’ai un livre an­cien, je suis comme ivre; homme d’aujourd’hui je gas­pille mon temps avec les hommes d’autrefois», dit-il dans un de ses poèmes 5. À l’âge de qua­rante ans, ayant ac­quis une cer­taine for­tune, Yuan Mei s’adonna tout en­tier aux belles-lettres. Pour ne pas être dis­trait de ses tra­vaux par «les pen­sées du monde de pous­sière» 6, il alla se fixer dans une villa qu’il avait ache­tée aux portes de Nan­kin. Dans son «Re­cueil de lit­té­ra­ture de la mai­son sise sur la Col­line du Gre­nier» («Xiao­cang shan­fang wenji» 7), l’on peut lire de nom­breux dé­tails sur cette villa, son his­toire et ses en­vi­rons : «À deux “li” à l’Ouest du pont de la porte sep­ten­trio­nale de Nan­kin, je trou­vai la Col­line du Gre­nier… Là, au temps de l’Empereur Kangxi 8, un cer­tain Sui, di­rec­teur de la Fa­brique im­pé­riale de Soie­ries, avait élevé un pa­villon sur le pic sep­ten­trio­nal de la Col­line, avait planté au­tour des arbres, des ar­bustes et avait cir­cons­crit le tout d’un mur. Tous les ha­bi­tants de Nan­kin ve­naient se pro­me­ner et ad­mi­rer la na­ture dans cet en­droit : on l’appelait “Sui yuan” 9 (“villa Sui”, ou lit­té­ra­le­ment “jar­din de Sui”), du nom de son pro­prié­taire. Trente ans plus tard, lorsque je fus nommé [ma­gis­trat] à Nan­kin, ce jar­din était presque en­tiè­re­ment dé­truit, et le pa­villon s’était trans­formé en un vul­gaire ca­ba­ret où les char­re­tiers et les por­teurs de chaises se dis­pu­taient tout le jour. À cette vue j’eus le cœur serré; je pris ce jar­din en pi­tié et de­man­dai le prix du ter­rain»

  1. En chi­nois 袁子才. Au­tre­fois trans­crit Yuan Tseu-ts’aï ou Yüan Tzu-ts’ai. Haut
  2. En chi­nois 袁枚. Au­tre­fois trans­crit Yuen Mei. Haut
  3. p. 117. Haut
  4. p. 96. Haut
  5. p. 113. Haut
  1. p. 13. Haut
  2. En chi­nois «小倉山房文集». Au­tre­fois trans­crit «Siao-ts’ang-chan-fang-ouen-tsi», «Siao tshang chan fang oen tsi» ou «Hsiao-ts’ang shan-fang wen-chi». Haut
  3. Qui ré­gnait entre les an­nées 1661 et 1722. Haut
  4. En chi­nois 隨園. Au­tre­fois trans­crit «Soei yuen» ou «Soueï-yuan». Haut

«Le Livre de phrases de trois mots, “San-tseu-king”»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit du «Livre de phrases de trois mots» 1San zi jing» 2), ma­nuel d’enseignement élé­men­taire (XIIIe siècle apr. J.-C.) que les maîtres ou les pa­rents met­taient entre les mains des dé­bu­tants, pour qu’il fût ap­pris par cœur, re­tenu et ré­cité. Le texte, comme le titre l’indique, était dis­posé par phrases de trois mots ou de trois ca­rac­tères, de telle sorte qu’il of­frait le pré­cieux avan­tage de consti­tuer une in­tro­duc­tion idéale à la lec­ture du chi­nois clas­sique, en même temps que le ré­sumé des connais­sances qui for­maient la base de l’éducation confu­céenne. «À l’origine de l’homme, sa na­ture est ra­di­ca­le­ment bonne; la na­ture rap­proche les hommes, mais leur conduite les éloigne». Tel était le dé­but du «Livre de phrases de trois mots» 3. La suite trai­tait de l’importance des de­voirs, des trois grands pou­voirs, des quatre sai­sons, des cinq ver­tus constantes, des six es­pèces de grains, des sept pas­sions, des huit notes de mu­sique, des neuf de­grés de pa­renté, des dix de­voirs re­la­tifs, de l’histoire gé­né­rale et de la suc­ces­sion des dy­nas­ties im­pé­riales; le tout com­plété par des re­marques sur l’importance de l’étude. Pen­dant sept siècles et jusqu’à la Ré­vo­lu­tion cultu­relle, ce fut le livre le plus ré­pandu dans les écoles pri­maires de l’Asie orien­tale : «Ce fut en réa­lité», dit un com­men­ta­teur 4, «comme un ra­deau que, dans les com­men­ce­ments de leurs études, les jeunes gens qui cher­chaient à s’instruire pou­vaient em­ployer pour ar­ri­ver à at­teindre les sources pro­fondes de l’étude de l’Antiquité». Son in­fluence fut im­mense, et plu­sieurs de ses phrases de trois mots sont pas­sées en lo­cu­tions pro­ver­biales dans l’usage cou­rant : «C’est un livre d’une mo­rale ir­ré­pro­chable», dit Ma­rie-René Rous­sel, mar­quis de Courcy 5, «mais d’une par­faite ari­dité, pro­cé­dant par sen­tences brèves, af­fir­ma­tives, heur­tées… La plu­part de [ses] no­tions dé­passent de beau­coup l’intelligence de l’enfant. Aussi, ré­pète-t-il d’abord le “San zi jing” uni­que­ment comme il ré­pé­te­rait un syl­la­baire, sans com­prendre les signes qu’il lit, ni les sons qu’il émet. Quand, après deux an­nées d’un la­beur as­sidu, il énonce sans hé­si­ta­tion tous les ca­rac­tères du clas­sique tri­mé­trique, avec les in­to­na­tions vou­lues, et les re­trace élé­gam­ment à l’aide du pin­ceau, son maître com­mence à lui en ex­pli­quer la si­gni­fi­ca­tion; et dès que son in­tel­li­gence peut la sai­sir, il place sous ses yeux d’autres ou­vrages, comme “Le Livre des mille mots” où il re­trouve les mêmes mots et fait connais­sance avec de nou­veaux signes».

  1. Par­fois tra­duit «Clas­sique tri­mé­trique» ou «Le Livre clas­sique des trois ca­rac­tères». Haut
  2. En chi­nois «三字經». Au­tre­fois trans­crit «San tzu ching», «San-tsi-king», «San-tsze-king», «San-tse-king», «San-ze-king» ou «San-tseu-king». Haut
  3. À rap­pro­cher du grand prin­cipe de Rous­seau «que la na­ture a fait l’homme heu­reux et bon, mais que la so­ciété le dé­prave», etc. Haut
  1. Wang Jin­sheng (王晉升). Haut
  2. «L’Empire du Mi­lieu». Haut

Bao Zhao, «Sur les berges du fleuve»

éd. La Différence, coll. Orphée, Paris

éd. La Dif­fé­rence, coll. Or­phée, Pa­ris

Il s’agit de Bao Zhao 1, poète chi­nois (Ve siècle apr. J.-C.). Il était un vé­ri­table maître du «yuefu» 2poème chanté»), au­quel il re­donna une vi­gueur nou­velle en y ré­in­tro­dui­sant le ton de la langue po­pu­laire. Ses dix-neuf «yuefu» sur le thème de «La route est dif­fi­cile» 3Xing lu nan» 4) passent pour des mo­dèles ache­vés de ce genre poé­tique; ils ne traitent pas seule­ment de la dif­fi­culté des voyages so­li­taires, mais aussi des peines de la vie, en par­ti­cu­lier de la mé­lan­co­lie de l’âme. Plus tard, sous les Tang 5, Li Po s’en ins­pira et Tu Fu les ad­mira. Des autres œuvres de Bao Zhao, je re­tiens sur­tout sa longue rhap­so­die in­ti­tu­lée «Chant de la ville dé­vas­tée» 6Wu cheng fu» 7). C’est une re­mar­quable mé­di­ta­tion sur la va­nité des gran­deurs hu­maines, dont voici les pre­miers vers : «Au­tre­fois, au temps de gran­deur, les es­sieux des chars se tou­chaient, les hommes étaient ser­rés épaule contre épaule le long de ces routes. La plaine était cou­verte de vil­lages et de fermes, les cris et les chants em­plis­saient la voûte cé­leste. On ex­ploi­tait les ter­rains de sel, on creu­sait les mon­tagnes pour en ex­traire du cuivre. Les hommes étaient forts et pleins de ta­lents… Aussi se sont-ils per­mis d’enfreindre les lois, de né­gli­ger les pré­ceptes royaux; ils ont dressé de hautes for­te­resses, creusé de pro­fonds ré­ser­voirs d’eau, ils ont pro­jeté de rendre leur des­tin brillant et de de­ve­nir les pre­miers de leur temps. Voici pour­quoi ils ont élevé des bâ­ti­ments et des mu­railles si grands, pour­quoi ils ont mul­ti­plié [les] pa­villons et [les] tours d’observation; leurs édi­fices s’élevaient comme les bords es­car­pés d’un tor­rent»

  1. En chi­nois 鮑照. Au­tre­fois trans­crit Pao Tchao ou Pao Chao. Haut
  2. En chi­nois 樂府. Au­tre­fois trans­crit «yo-fou» ou «yüeh-fu». Haut
  3. Par­fois tra­duit «Les Peines du voyage», «Dif­fi­cul­tés de la route» ou «Ah! que dure est la route!». Haut
  4. En chi­nois «行路難» Au­tre­fois trans­crit «Hsing lu nan». Haut
  1. De l’an 618 à l’an 907. Haut
  2. Par­fois tra­duit «La Ville aban­don­née : “fou”» ou «Rhap­so­die de la ville en ruines». Haut
  3. En chi­nois «蕪城賦». Au­tre­fois trans­crit «Wou tch’eng fou» ou «Wu-ch’eng fu». Haut