Il s’agit de la « Saga de Hrólfr kraki » (« Hrólfs Saga kraka ») et autres sagas islandaises. Durant le siècle et demi de leur rédaction, entre les années 1200 et 1350 apr. J.-C., les sagas s’imposent par leur intensité dramatique, par leur style ramassé et presque bourru, par leur réalisme dur, tempéré d’héroïsme et d’exemples de vertu, comme la lecture favorite des hommes du Nord et comme le fleuron de l’art narratif européen. Le mot « saga » vient du verbe « segja » (« dire », « raconter »), qu’on retrouve dans toutes les langues du Nord : danois, « sige » ; suédois, « säga » ; allemand, « sagen » ; néerlandais, « zeggen » ; anglais, « say ». On aurait tort cependant d’attribuer à la Scandinavie entière la paternité de ce genre qui, à une ou deux exceptions près, est typiquement et exclusivement islandais. Il faut avouer que l’Islande est peu connue, en dehors de quelques spécialistes. Il n’est donc pas étonnant que le vulgaire regarde les habitants de cette île lointaine presque avec dédain. Il les considère comme des demi-barbares habillés de peaux de bêtes. Et puis, lorsqu’on vient lui dire que ces misérables sauvages nous ont donné l’ensemble des sagas et tout ce que nous lisons de plus ancien sur les civilisations nordiques, à telle enseigne que la vieille langue de ces civilisations est surnommée « le vieil islandais », cela lui paraît un paradoxe. Mais essayons de rétablir la vérité ! En 874 apr. J.-C. les Norvégiens prirent pied en Islande, où ils ne tardèrent pas à établir une république aristocratique. Quel était le nombre des premiers colons ? C’est ce que rien n’indique. On sait seulement que, parmi ceux qui y construisirent leur demeure, on comptait une majorité de familles nobles fuyant le despote Harald Ier1, trop lasses de sa domination ou trop fières pour l’accepter : « Vers la fin de la vie de Ketill », dit une saga2, « s’éleva la puissance du roi Harald à la Belle Chevelure, si bien qu’aucun [seigneur], non plus qu’aucun autre homme d’importance, ne prospérait dans le pays si le roi ne disposait à lui seul de [toutes les] prérogatives… Lorsque Ketill apprit que le roi Harald lui destinait le même lot qu’aux autres puissants hommes, [il dit à ses proches] : “J’ai des informations véridiques sur la haine que nous voue le roi Harald… ; j’ai l’impression que l’on nous donne à choisir entre deux choses : fuir le pays ou être tués chacun chez soi” ». Tous ceux qui ne voulaient pas courber la tête sous le sceptre du roi, s’en allaient à travers les flots chercher une heureuse « terre de glace » où il n’y avait encore ni autorité ni monarque ; où chaque chef de famille pouvait régner en liberté dans sa demeure, sans avoir peur du roi : « Il y avait là de bonnes terres, et il n’y avait pas besoin d’argent pour les acheter… ; on y prenait du saumon et d’autres poissons à longueur d’année », ajoute la même saga. Les émigrations devinrent en peu de temps si fréquentes et si nombreuses, que Harald Ier, craignant de voir la Norvège se dépeupler, imposa un tribut à tous ceux qui la quitteraient et parfois s’empara de leurs biens.
religion et politique
« Les Sagas miniatures, “Þættir” »
Il s’agit du « Dit d’Ormr fils de Stórólfr » (« Orms Þáttr Stórólfssonar ») et autres sagas islandaises. Durant le siècle et demi de leur rédaction, entre les années 1200 et 1350 apr. J.-C., les sagas s’imposent par leur intensité dramatique, par leur style ramassé et presque bourru, par leur réalisme dur, tempéré d’héroïsme et d’exemples de vertu, comme la lecture favorite des hommes du Nord et comme le fleuron de l’art narratif européen. Le mot « saga » vient du verbe « segja » (« dire », « raconter »), qu’on retrouve dans toutes les langues du Nord : danois, « sige » ; suédois, « säga » ; allemand, « sagen » ; néerlandais, « zeggen » ; anglais, « say ». On aurait tort cependant d’attribuer à la Scandinavie entière la paternité de ce genre qui, à une ou deux exceptions près, est typiquement et exclusivement islandais. Il faut avouer que l’Islande est peu connue, en dehors de quelques spécialistes. Il n’est donc pas étonnant que le vulgaire regarde les habitants de cette île lointaine presque avec dédain. Il les considère comme des demi-barbares habillés de peaux de bêtes. Et puis, lorsqu’on vient lui dire que ces misérables sauvages nous ont donné l’ensemble des sagas et tout ce que nous lisons de plus ancien sur les civilisations nordiques, à telle enseigne que la vieille langue de ces civilisations est surnommée « le vieil islandais », cela lui paraît un paradoxe. Mais essayons de rétablir la vérité ! En 874 apr. J.-C. les Norvégiens prirent pied en Islande, où ils ne tardèrent pas à établir une république aristocratique. Quel était le nombre des premiers colons ? C’est ce que rien n’indique. On sait seulement que, parmi ceux qui y construisirent leur demeure, on comptait une majorité de familles nobles fuyant le despote Harald Ier1, trop lasses de sa domination ou trop fières pour l’accepter : « Vers la fin de la vie de Ketill », dit une saga2, « s’éleva la puissance du roi Harald à la Belle Chevelure, si bien qu’aucun [seigneur], non plus qu’aucun autre homme d’importance, ne prospérait dans le pays si le roi ne disposait à lui seul de [toutes les] prérogatives… Lorsque Ketill apprit que le roi Harald lui destinait le même lot qu’aux autres puissants hommes, [il dit à ses proches] : “J’ai des informations véridiques sur la haine que nous voue le roi Harald… ; j’ai l’impression que l’on nous donne à choisir entre deux choses : fuir le pays ou être tués chacun chez soi” ». Tous ceux qui ne voulaient pas courber la tête sous le sceptre du roi, s’en allaient à travers les flots chercher une heureuse « terre de glace » où il n’y avait encore ni autorité ni monarque ; où chaque chef de famille pouvait régner en liberté dans sa demeure, sans avoir peur du roi : « Il y avait là de bonnes terres, et il n’y avait pas besoin d’argent pour les acheter… ; on y prenait du saumon et d’autres poissons à longueur d’année », ajoute la même saga. Les émigrations devinrent en peu de temps si fréquentes et si nombreuses, que Harald Ier, craignant de voir la Norvège se dépeupler, imposa un tribut à tous ceux qui la quitteraient et parfois s’empara de leurs biens.
« La Saga de Thorir-aux-poules, “Hœnsa-Þóris Saga” »
Il s’agit de la « Saga de Þórir-aux-poules » (« Hœnsna-Þóris Saga »1) et autres sagas islandaises. Durant le siècle et demi de leur rédaction, entre les années 1200 et 1350 apr. J.-C., les sagas s’imposent par leur intensité dramatique, par leur style ramassé et presque bourru, par leur réalisme dur, tempéré d’héroïsme et d’exemples de vertu, comme la lecture favorite des hommes du Nord et comme le fleuron de l’art narratif européen. Le mot « saga » vient du verbe « segja » (« dire », « raconter »), qu’on retrouve dans toutes les langues du Nord : danois, « sige » ; suédois, « säga » ; allemand, « sagen » ; néerlandais, « zeggen » ; anglais, « say ». On aurait tort cependant d’attribuer à la Scandinavie entière la paternité de ce genre qui, à une ou deux exceptions près, est typiquement et exclusivement islandais. Il faut avouer que l’Islande est peu connue, en dehors de quelques spécialistes. Il n’est donc pas étonnant que le vulgaire regarde les habitants de cette île lointaine presque avec dédain. Il les considère comme des demi-barbares habillés de peaux de bêtes. Et puis, lorsqu’on vient lui dire que ces misérables sauvages nous ont donné l’ensemble des sagas et tout ce que nous lisons de plus ancien sur les civilisations nordiques, à telle enseigne que la vieille langue de ces civilisations est surnommée « le vieil islandais », cela lui paraît un paradoxe. Mais essayons de rétablir la vérité ! En 874 apr. J.-C. les Norvégiens prirent pied en Islande, où ils ne tardèrent pas à établir une république aristocratique. Quel était le nombre des premiers colons ? C’est ce que rien n’indique. On sait seulement que, parmi ceux qui y construisirent leur demeure, on comptait une majorité de familles nobles fuyant le despote Harald Ier2, trop lasses de sa domination ou trop fières pour l’accepter : « Vers la fin de la vie de Ketill », dit une saga3, « s’éleva la puissance du roi Harald à la Belle Chevelure, si bien qu’aucun [seigneur], non plus qu’aucun autre homme d’importance, ne prospérait dans le pays si le roi ne disposait à lui seul de [toutes les] prérogatives… Lorsque Ketill apprit que le roi Harald lui destinait le même lot qu’aux autres puissants hommes, [il dit à ses proches] : “J’ai des informations véridiques sur la haine que nous voue le roi Harald… ; j’ai l’impression que l’on nous donne à choisir entre deux choses : fuir le pays ou être tués chacun chez soi” ». Tous ceux qui ne voulaient pas courber la tête sous le sceptre du roi, s’en allaient à travers les flots chercher une heureuse « terre de glace » où il n’y avait encore ni autorité ni monarque ; où chaque chef de famille pouvait régner en liberté dans sa demeure, sans avoir peur du roi : « Il y avait là de bonnes terres, et il n’y avait pas besoin d’argent pour les acheter… ; on y prenait du saumon et d’autres poissons à longueur d’année », ajoute la même saga. Les émigrations devinrent en peu de temps si fréquentes et si nombreuses, que Harald Ier, craignant de voir la Norvège se dépeupler, imposa un tribut à tous ceux qui la quitteraient et parfois s’empara de leurs biens.
« Saga d’Oddr aux Flèches • Saga de Ketill le Saumon • Saga de Grímr à la Joue velue »
Il s’agit de la « Saga d’Oddr aux Flèches » (« Örvar-Odds Saga ») et autres sagas islandaises. Durant le siècle et demi de leur rédaction, entre les années 1200 et 1350 apr. J.-C., les sagas s’imposent par leur intensité dramatique, par leur style ramassé et presque bourru, par leur réalisme dur, tempéré d’héroïsme et d’exemples de vertu, comme la lecture favorite des hommes du Nord et comme le fleuron de l’art narratif européen. Le mot « saga » vient du verbe « segja » (« dire », « raconter »), qu’on retrouve dans toutes les langues du Nord : danois, « sige » ; suédois, « säga » ; allemand, « sagen » ; néerlandais, « zeggen » ; anglais, « say ». On aurait tort cependant d’attribuer à la Scandinavie entière la paternité de ce genre qui, à une ou deux exceptions près, est typiquement et exclusivement islandais. Il faut avouer que l’Islande est peu connue, en dehors de quelques spécialistes. Il n’est donc pas étonnant que le vulgaire regarde les habitants de cette île lointaine presque avec dédain. Il les considère comme des demi-barbares habillés de peaux de bêtes. Et puis, lorsqu’on vient lui dire que ces misérables sauvages nous ont donné l’ensemble des sagas et tout ce que nous lisons de plus ancien sur les civilisations nordiques, à telle enseigne que la vieille langue de ces civilisations est surnommée « le vieil islandais », cela lui paraît un paradoxe. Mais essayons de rétablir la vérité ! En 874 apr. J.-C. les Norvégiens prirent pied en Islande, où ils ne tardèrent pas à établir une république aristocratique. Quel était le nombre des premiers colons ? C’est ce que rien n’indique. On sait seulement que, parmi ceux qui y construisirent leur demeure, on comptait une majorité de familles nobles fuyant le despote Harald Ier1, trop lasses de sa domination ou trop fières pour l’accepter : « Vers la fin de la vie de Ketill », dit une saga2, « s’éleva la puissance du roi Harald à la Belle Chevelure, si bien qu’aucun [seigneur], non plus qu’aucun autre homme d’importance, ne prospérait dans le pays si le roi ne disposait à lui seul de [toutes les] prérogatives… Lorsque Ketill apprit que le roi Harald lui destinait le même lot qu’aux autres puissants hommes, [il dit à ses proches] : “J’ai des informations véridiques sur la haine que nous voue le roi Harald… ; j’ai l’impression que l’on nous donne à choisir entre deux choses : fuir le pays ou être tués chacun chez soi” ». Tous ceux qui ne voulaient pas courber la tête sous le sceptre du roi, s’en allaient à travers les flots chercher une heureuse « terre de glace » où il n’y avait encore ni autorité ni monarque ; où chaque chef de famille pouvait régner en liberté dans sa demeure, sans avoir peur du roi : « Il y avait là de bonnes terres, et il n’y avait pas besoin d’argent pour les acheter… ; on y prenait du saumon et d’autres poissons à longueur d’année », ajoute la même saga. Les émigrations devinrent en peu de temps si fréquentes et si nombreuses, que Harald Ier, craignant de voir la Norvège se dépeupler, imposa un tribut à tous ceux qui la quitteraient et parfois s’empara de leurs biens.
« Sagas islandaises »
Il s’agit de la « Saga d’Eiríkr le Rouge » (« Eiríks Saga rauða ») et autres sagas islandaises. Durant le siècle et demi de leur rédaction, entre les années 1200 et 1350 apr. J.-C., les sagas s’imposent par leur intensité dramatique, par leur style ramassé et presque bourru, par leur réalisme dur, tempéré d’héroïsme et d’exemples de vertu, comme la lecture favorite des hommes du Nord et comme le fleuron de l’art narratif européen. Le mot « saga » vient du verbe « segja » (« dire », « raconter »), qu’on retrouve dans toutes les langues du Nord : danois, « sige » ; suédois, « säga » ; allemand, « sagen » ; néerlandais, « zeggen » ; anglais, « say ». On aurait tort cependant d’attribuer à la Scandinavie entière la paternité de ce genre qui, à une ou deux exceptions près, est typiquement et exclusivement islandais. Il faut avouer que l’Islande est peu connue, en dehors de quelques spécialistes. Il n’est donc pas étonnant que le vulgaire regarde les habitants de cette île lointaine presque avec dédain. Il les considère comme des demi-barbares habillés de peaux de bêtes. Et puis, lorsqu’on vient lui dire que ces misérables sauvages nous ont donné l’ensemble des sagas et tout ce que nous lisons de plus ancien sur les civilisations nordiques, à telle enseigne que la vieille langue de ces civilisations est surnommée « le vieil islandais », cela lui paraît un paradoxe. Mais essayons de rétablir la vérité ! En 874 apr. J.-C. les Norvégiens prirent pied en Islande, où ils ne tardèrent pas à établir une république aristocratique. Quel était le nombre des premiers colons ? C’est ce que rien n’indique. On sait seulement que, parmi ceux qui y construisirent leur demeure, on comptait une majorité de familles nobles fuyant le despote Harald Ier1, trop lasses de sa domination ou trop fières pour l’accepter : « Vers la fin de la vie de Ketill », dit une saga2, « s’éleva la puissance du roi Harald à la Belle Chevelure, si bien qu’aucun [seigneur], non plus qu’aucun autre homme d’importance, ne prospérait dans le pays si le roi ne disposait à lui seul de [toutes les] prérogatives… Lorsque Ketill apprit que le roi Harald lui destinait le même lot qu’aux autres puissants hommes, [il dit à ses proches] : “J’ai des informations véridiques sur la haine que nous voue le roi Harald… ; j’ai l’impression que l’on nous donne à choisir entre deux choses : fuir le pays ou être tués chacun chez soi” ». Tous ceux qui ne voulaient pas courber la tête sous le sceptre du roi, s’en allaient à travers les flots chercher une heureuse « terre de glace » où il n’y avait encore ni autorité ni monarque ; où chaque chef de famille pouvait régner en liberté dans sa demeure, sans avoir peur du roi : « Il y avait là de bonnes terres, et il n’y avait pas besoin d’argent pour les acheter… ; on y prenait du saumon et d’autres poissons à longueur d’année », ajoute la même saga. Les émigrations devinrent en peu de temps si fréquentes et si nombreuses, que Harald Ier, craignant de voir la Norvège se dépeupler, imposa un tribut à tous ceux qui la quitteraient et parfois s’empara de leurs biens.
Chateaubriand, « Mélanges littéraires »
Il s’agit des « Mélanges littéraires » de François René de Chateaubriand, auteur et politique français, père du romantisme chrétien. Le mal, le grand mal de Chateaubriand fut d’être né entre deux siècles, « comme au confluent de deux fleuves »1, et de voir les caractères opposés de ces deux siècles se rencontrer dans ses opinions. Sorti des entrailles de l’ancienne monarchie, de l’ancienne aristocratie, il se plaça contre la Révolution française, dès qu’il la vit dans ses premières violences, et il resta royaliste, souvent contre son instinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la famille de Napoléon Bonaparte. Même fougue, même éclat, même mélancolie moderne. Si les Bourbons avaient mieux apprécié Chateaubriand, il est possible qu’il eût été moins vulnérable au souvenir de l’Empereur devenu resplendissant comme un « large soleil ». Le parallèle qu’il fait dans ses « Mémoires d’outre-tombe » entre l’Empire et la monarchie bourbonienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sincère de la conception de l’auteur, tellement plus vraie que celle du politique : « Retomber de Bonaparte et de l’Empire à ce qui les a suivis, c’est tomber de la réalité dans le néant ; du sommet d’une montagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas terminé avec Napoléon ?… Comment nommer Louis XVIII en place de l’Empereur ? Je rougis en [y] pensant ». Triste jusqu’au désespoir, sans amis et sans espérance, il était obsédé par un passé à jamais évanoui et tombé dans le néant. « Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mépriser cette vie », écrivait-il2 en songeant qu’il était lui-même une ruine encore plus chancelante. Aucune pensée ne venait le consoler excepté la religion chrétienne, à laquelle il était revenu avec chaleur et avec véhémence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conversion : « Ma mère, après avoir été jetée à soixante-douze ans dans des cachots où elle vit périr une partie de ses enfants, expira enfin sur un grabat, où ses malheurs l’avaient reléguée. Le souvenir de mes égarements [le scepticisme de mon “Essai sur les Révolutions”] répandit sur ses derniers jours une grande amertume ; elle chargea, en mourant, une de mes sœurs de me rappeler à cette religion dans laquelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le dernier vœu de ma mère. Quand la lettre me parvint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus ; elle était morte aussi des suites de son emprisonnement. Ces deux voix sorties du tombeau, cette mort qui servait d’interprète à la mort, m’ont frappé ; je suis devenu chrétien »
Marc Aurèle, « Pensées »
Il s’agit des « Pensées » de Marc Aurèle1 (IIe siècle apr. J.-C.). Nul Empereur romain n’eut plus à cœur le bien public que Marc Aurèle ; nul prince italien n’apporta plus d’ardeur et plus d’application à l’accomplissement de ses devoirs. Sa vie bienfaisante se passa tout entière dans de cruelles épreuves. Il eut à apaiser, à l’intérieur, des révoltes sans cesse renaissantes ; il vit la peste dévaster les provinces les plus florissantes de l’Italie ; il épuisa ses forces à lutter contre les Germains dans des campagnes sans victoire décisive ; il mourut avec le funeste pressentiment de l’inévitable catastrophe dont les peuples barbares menaçaient l’Empire. À mesure qu’il s’avança en âge, et que son corps s’affaissa sous les responsabilités, il ressentit de plus en plus le besoin de s’interroger dans sa conscience et en lui-même ; de méditer au jour le jour sous l’impression directe des événements ou des souvenirs ; de se fortifier en reprenant contact avec les quatre ou cinq principes où se concentraient ses convictions. « Comme les médecins ont toujours sous la main leurs appareils et leurs trousses pour les soins à donner d’urgence, de même [je] tiens toujours prêts les principes grâce auxquels [je] pourrai connaître les choses divines et humaines », dit-il dans un passage admirable2. Ce fut au cours de ses toutes dernières expéditions que, campé sur les bords sauvages du Danube, profitant de quelques heures de loisir, il rédigea en grec, en soliloque avec lui-même, les pages immortelles des « Pensées » qui ont révélé sa belle âme, sa vertu austère, sa profonde mélancolie. « À soi-même » (« Ta eis heauton »3) : tel est le véritable titre de son ouvrage. « Jamais on n’écrivit plus simplement pour soi, à seule fin de décharger son cœur, sans autre témoin que Dieu. Pas une ombre de système. Marc Aurèle, à proprement parler, n’a pas de philosophie ; quoiqu’il doive presque tout au stoïcisme transformé par l’esprit romain, il n’est d’aucune école », dit Ernest Renan4. En effet, la philosophie de Marc Aurèle ne repose sur autre chose que sur la raison. Elle résulte du simple fait d’une conscience morale aussi vaste, aussi étendue que l’Empire auquel elle commande. Son thème fondamental, c’est le rattachement de l’homme, si chancelant et si passager, à l’univers perpétuel et divin, à la « chère cité de Zeus » (« polis philê Dios »5) — rattachement qui lui révèle le devoir de la vertu et qui l’associe à l’œuvre magnifiquement belle, souverainement juste de la création : « Je m’accommode de tout ce qui peut t’accommoder, ô monde !… Tout est fruit pour moi de ce que produisent tes saisons, ô nature ! Tout vient de toi, tout est en toi, tout rentre en toi »6. Et plus loin : « Ma cité et ma patrie, en tant qu’Antonin, c’est Rome ; en tant qu’homme, c’est le monde »7. Comme Hamlet devant le crâne, Marc Aurèle se demande ce que la nature a fait des os d’Alexandre et de son muletier. Il a des images et des trivialités shakespeariennes pour peindre l’inanité des choses : « Dans un instant, tu ne seras plus que cendre ou squelette, et un nom — ou plus même un nom… un vain bruit, un écho ! Ce dont on fait tant de cas dans la vie, c’est du vide, pourriture, mesquineries, chiens qui s’entre-mordent »8.
Ibn Rushd (Averroès), « Traité décisif (“Façl el-maqâl”) sur l’accord de la religion et de la philosophie • L’Appendice (“Dhamîma”) »
Il s’agit de l’« Accord de la religion et de la philosophie », ou littéralement « (Livre du) traité décisif sur l’accord de la religion et de la philosophie »1 (« (K.) faṣl al-maqâl wa-taqrîr mâ bayna l-sharî‘a wa-l-ḥikma min al-ittiṣâl »2), et de l’« Appendice » (« Ḍamîma »3) d’Ibn Rushd4 (XIIe siècle apr. J.-C.). De tous les philosophes que l’islam donna à l’Espagne, celui qui laissa le plus de traces dans la mémoire des peuples, grâce à ses remarquables commentaires sur les écrits d’Aristote, fut Ibn Rushd, également connu sous les noms corrompus d’Aben-Rost, Averroïs, Averrhoës ou Averroès5. Dans son Andalousie natale, ce coin privilégié du monde, le goût des sciences et des belles choses avait établi au Xe siècle une tolérance dont notre époque moderne peut à peine offrir un exemple. « Chrétiens, juifs, musulmans parlaient la même langue, chantaient les mêmes poésies, participaient aux mêmes études littéraires et scientifiques. Toutes les barrières qui séparent les hommes étaient tombées ; tous travaillaient d’un même accord à l’œuvre de la civilisation commune », dit Renan. Abû Ya‘ḳûb Yûsuf6, calife de l’Andalousie et contemporain d’Ibn Rushd, fut le prince le plus lettré de son temps. L’illustre philosophe Ibn Thofaïl obtint à sa Cour une grande influence et en profita pour y attirer les savants de renom. Ce fut d’après le vœu exprimé par Yûsuf et sur les instances d’Ibn Thofaïl qu’Ibn Rushd entreprit de commenter Aristote. Jamais ce dernier n’avait reçu de soins aussi étendus, aussi sincères et dévoués que ceux que lui prodiguera Ibn Rushd. L’aristotélisme ne sera plus grec ; il sera arabe. « Mais la cause fatale qui a étouffé chez les musulmans les plus beaux germes de développement intellectuel, le fanatisme religieux, préparait déjà la ruine [de la philosophie] », dit Renan. Vers la fin du XIIe siècle, l’antipathie des imams et du peuple contre les études rationnelles se déchaîne sur toute la surface du monde musulman. Bientôt il suffira de dire d’un homme : « Un tel travaille à la philosophie ou donne des leçons d’astronomie », pour que les gens du peuple lui appliquent immédiatement le nom d’« impie », de « mécréant », etc. ; et que, si par malheur il persévère, ils le frappent dans la rue ou lui brûlent sa maison.
- Parfois traduit « Examen critique et Solution de la question de l’accord entre la loi religieuse et la philosophie », « (Livre de la) décision de la question et de l’établissement de ce qui est entre la loi religieuse et la philosophie en fait d’accord », « (Livre du) discours décisif où l’on établit la connexion existant entre la révélation et la philosophie », « La Parole décisive au sujet du rapport entre la philosophie et la religion » ou « (Le Livre du) discours décisif et de la détermination du rapport entre la loi et la sagesse ».
- En arabe « (كتاب) فصل المقال وتقرير ما بين الشريعة والحكمة من الاتصال ». Autrefois transcrit « (K.) faṣl al-maḳāl wa-taḳrīr mā bayna al-sharī‘a wa’l-ḥikma min al-ittiṣāl », « (K.) fasl al-maqal wa-taqrir ma baïna ‘ch-chari’a wa’l hikma min el-ittiçal », « (K.) faṣl el maqâl wa taqrîr mâ baina’l šarî‘et wa’l ḥikmet min el ittiṣâl » ou « (K.) façl el maqâl wa-taqrîr ma baïn ech-charî‘a wa-l-hikma min el-ittiçâl ».
- En arabe « ضميمة ». Autrefois transcrit « Dhamîma » ou « Dhamîmat ».
« Le “Kojiki”, Chronique des choses anciennes »
Il s’agit du « Kojiki »1 (« Chronique des choses anciennes »), le plus vieux monument de la littérature japonaise. « [C’est] une épopée confuse, une espèce de recueil de folklore et de traditions, contenant vraisemblablement, au milieu d’une cosmogonie naïve et embrouillée, quelques parcelles de vérité historique », dit Paul Claudel2. Projeté dès le VIIe siècle et mené à terme au VIIIe siècle apr. J.-C., le « Kojiki » est l’ouvrage qui décrit le mieux la religion indigène du Japon ; car le désir de mettre en avant le passé national, qui a présidé à sa rédaction, fait peu de place à l’arrivée du bouddhisme et du confucianisme. On peut donc le considérer comme le livre canonique de la religion shintô, en même temps que l’épopée d’une nation insulaire qui a toujours aimé à se rappeler ses origines. Les faits et gestes mythiques des dieux s’y mêlent à l’histoire réelle des premiers Empereurs, souvent remaniée dans le dessein de raffermir l’autorité du trône impérial et de professer la doctrine du droit divin. Parmi toutes les croyances que l’on découvre en lisant le « Kojiki », la plus significative est la vénération envers les « kamis »3, qui sont les différentes divinités du ciel et de la terre qu’on trouve dans le shintoïsme. Non seulement des êtres humains, mais aussi des cerfs et des loups, des lacs et des montagnes — tout ce qui sort de l’ordinaire et qui est supérieur, tout ce qui nous inspire l’émerveillement s’appelle « kami » : le soleil, par exemple, en tant que source de vie, personnifié par Grande-Auguste-Kami-Illuminant-le-Ciel ; ou les arbres, souvent ceux de grande taille ou d’une forme particulière, qui sont doublement sacrés en tant que « kamis » et en tant que lieux de résidence pour les « kamis ». « Rien de plus nettement océanien et de plus étranger à l’esprit moralisateur et pédantesque des Chinois », dit Paul Claudel4. « Dès ce moment, s’affirme l’originalité profonde de cet esprit et de cet art japonais qu’on a si sottement contestée. »
Chateaubriand, « Le Génie du christianisme. Tome IV »
Il s’agit du « Génie du christianisme » de François René de Chateaubriand, auteur et politique français, père du romantisme chrétien. Le mal, le grand mal de Chateaubriand fut d’être né entre deux siècles, « comme au confluent de deux fleuves »1, et de voir les caractères opposés de ces deux siècles se rencontrer dans ses opinions. Sorti des entrailles de l’ancienne monarchie, de l’ancienne aristocratie, il se plaça contre la Révolution française, dès qu’il la vit dans ses premières violences, et il resta royaliste, souvent contre son instinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la famille de Napoléon Bonaparte. Même fougue, même éclat, même mélancolie moderne. Si les Bourbons avaient mieux apprécié Chateaubriand, il est possible qu’il eût été moins vulnérable au souvenir de l’Empereur devenu resplendissant comme un « large soleil ». Le parallèle qu’il fait dans ses « Mémoires d’outre-tombe » entre l’Empire et la monarchie bourbonienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sincère de la conception de l’auteur, tellement plus vraie que celle du politique : « Retomber de Bonaparte et de l’Empire à ce qui les a suivis, c’est tomber de la réalité dans le néant ; du sommet d’une montagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas terminé avec Napoléon ?… Comment nommer Louis XVIII en place de l’Empereur ? Je rougis en [y] pensant ». Triste jusqu’au désespoir, sans amis et sans espérance, il était obsédé par un passé à jamais évanoui et tombé dans le néant. « Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mépriser cette vie », écrivait-il2 en songeant qu’il était lui-même une ruine encore plus chancelante. Aucune pensée ne venait le consoler excepté la religion chrétienne, à laquelle il était revenu avec chaleur et avec véhémence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conversion : « Ma mère, après avoir été jetée à soixante-douze ans dans des cachots où elle vit périr une partie de ses enfants, expira enfin sur un grabat, où ses malheurs l’avaient reléguée. Le souvenir de mes égarements [le scepticisme de mon “Essai sur les Révolutions”] répandit sur ses derniers jours une grande amertume ; elle chargea, en mourant, une de mes sœurs de me rappeler à cette religion dans laquelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le dernier vœu de ma mère. Quand la lettre me parvint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus ; elle était morte aussi des suites de son emprisonnement. Ces deux voix sorties du tombeau, cette mort qui servait d’interprète à la mort, m’ont frappé ; je suis devenu chrétien »
Chateaubriand, « Le Génie du christianisme. Tome III »
Il s’agit du « Génie du christianisme » de François René de Chateaubriand, auteur et politique français, père du romantisme chrétien. Le mal, le grand mal de Chateaubriand fut d’être né entre deux siècles, « comme au confluent de deux fleuves »1, et de voir les caractères opposés de ces deux siècles se rencontrer dans ses opinions. Sorti des entrailles de l’ancienne monarchie, de l’ancienne aristocratie, il se plaça contre la Révolution française, dès qu’il la vit dans ses premières violences, et il resta royaliste, souvent contre son instinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la famille de Napoléon Bonaparte. Même fougue, même éclat, même mélancolie moderne. Si les Bourbons avaient mieux apprécié Chateaubriand, il est possible qu’il eût été moins vulnérable au souvenir de l’Empereur devenu resplendissant comme un « large soleil ». Le parallèle qu’il fait dans ses « Mémoires d’outre-tombe » entre l’Empire et la monarchie bourbonienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sincère de la conception de l’auteur, tellement plus vraie que celle du politique : « Retomber de Bonaparte et de l’Empire à ce qui les a suivis, c’est tomber de la réalité dans le néant ; du sommet d’une montagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas terminé avec Napoléon ?… Comment nommer Louis XVIII en place de l’Empereur ? Je rougis en [y] pensant ». Triste jusqu’au désespoir, sans amis et sans espérance, il était obsédé par un passé à jamais évanoui et tombé dans le néant. « Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mépriser cette vie », écrivait-il2 en songeant qu’il était lui-même une ruine encore plus chancelante. Aucune pensée ne venait le consoler excepté la religion chrétienne, à laquelle il était revenu avec chaleur et avec véhémence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conversion : « Ma mère, après avoir été jetée à soixante-douze ans dans des cachots où elle vit périr une partie de ses enfants, expira enfin sur un grabat, où ses malheurs l’avaient reléguée. Le souvenir de mes égarements [le scepticisme de mon “Essai sur les Révolutions”] répandit sur ses derniers jours une grande amertume ; elle chargea, en mourant, une de mes sœurs de me rappeler à cette religion dans laquelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le dernier vœu de ma mère. Quand la lettre me parvint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus ; elle était morte aussi des suites de son emprisonnement. Ces deux voix sorties du tombeau, cette mort qui servait d’interprète à la mort, m’ont frappé ; je suis devenu chrétien »
Chateaubriand, « Le Génie du christianisme. Tome II »
Il s’agit du « Génie du christianisme » de François René de Chateaubriand, auteur et politique français, père du romantisme chrétien. Le mal, le grand mal de Chateaubriand fut d’être né entre deux siècles, « comme au confluent de deux fleuves »1, et de voir les caractères opposés de ces deux siècles se rencontrer dans ses opinions. Sorti des entrailles de l’ancienne monarchie, de l’ancienne aristocratie, il se plaça contre la Révolution française, dès qu’il la vit dans ses premières violences, et il resta royaliste, souvent contre son instinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la famille de Napoléon Bonaparte. Même fougue, même éclat, même mélancolie moderne. Si les Bourbons avaient mieux apprécié Chateaubriand, il est possible qu’il eût été moins vulnérable au souvenir de l’Empereur devenu resplendissant comme un « large soleil ». Le parallèle qu’il fait dans ses « Mémoires d’outre-tombe » entre l’Empire et la monarchie bourbonienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sincère de la conception de l’auteur, tellement plus vraie que celle du politique : « Retomber de Bonaparte et de l’Empire à ce qui les a suivis, c’est tomber de la réalité dans le néant ; du sommet d’une montagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas terminé avec Napoléon ?… Comment nommer Louis XVIII en place de l’Empereur ? Je rougis en [y] pensant ». Triste jusqu’au désespoir, sans amis et sans espérance, il était obsédé par un passé à jamais évanoui et tombé dans le néant. « Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mépriser cette vie », écrivait-il2 en songeant qu’il était lui-même une ruine encore plus chancelante. Aucune pensée ne venait le consoler excepté la religion chrétienne, à laquelle il était revenu avec chaleur et avec véhémence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conversion : « Ma mère, après avoir été jetée à soixante-douze ans dans des cachots où elle vit périr une partie de ses enfants, expira enfin sur un grabat, où ses malheurs l’avaient reléguée. Le souvenir de mes égarements [le scepticisme de mon “Essai sur les Révolutions”] répandit sur ses derniers jours une grande amertume ; elle chargea, en mourant, une de mes sœurs de me rappeler à cette religion dans laquelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le dernier vœu de ma mère. Quand la lettre me parvint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus ; elle était morte aussi des suites de son emprisonnement. Ces deux voix sorties du tombeau, cette mort qui servait d’interprète à la mort, m’ont frappé ; je suis devenu chrétien »
Chateaubriand, « Le Génie du christianisme. Tome I »
Il s’agit du « Génie du christianisme » de François René de Chateaubriand, auteur et politique français, père du romantisme chrétien. Le mal, le grand mal de Chateaubriand fut d’être né entre deux siècles, « comme au confluent de deux fleuves »1, et de voir les caractères opposés de ces deux siècles se rencontrer dans ses opinions. Sorti des entrailles de l’ancienne monarchie, de l’ancienne aristocratie, il se plaça contre la Révolution française, dès qu’il la vit dans ses premières violences, et il resta royaliste, souvent contre son instinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la famille de Napoléon Bonaparte. Même fougue, même éclat, même mélancolie moderne. Si les Bourbons avaient mieux apprécié Chateaubriand, il est possible qu’il eût été moins vulnérable au souvenir de l’Empereur devenu resplendissant comme un « large soleil ». Le parallèle qu’il fait dans ses « Mémoires d’outre-tombe » entre l’Empire et la monarchie bourbonienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sincère de la conception de l’auteur, tellement plus vraie que celle du politique : « Retomber de Bonaparte et de l’Empire à ce qui les a suivis, c’est tomber de la réalité dans le néant ; du sommet d’une montagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas terminé avec Napoléon ?… Comment nommer Louis XVIII en place de l’Empereur ? Je rougis en [y] pensant ». Triste jusqu’au désespoir, sans amis et sans espérance, il était obsédé par un passé à jamais évanoui et tombé dans le néant. « Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mépriser cette vie », écrivait-il2 en songeant qu’il était lui-même une ruine encore plus chancelante. Aucune pensée ne venait le consoler excepté la religion chrétienne, à laquelle il était revenu avec chaleur et avec véhémence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conversion : « Ma mère, après avoir été jetée à soixante-douze ans dans des cachots où elle vit périr une partie de ses enfants, expira enfin sur un grabat, où ses malheurs l’avaient reléguée. Le souvenir de mes égarements [le scepticisme de mon “Essai sur les Révolutions”] répandit sur ses derniers jours une grande amertume ; elle chargea, en mourant, une de mes sœurs de me rappeler à cette religion dans laquelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le dernier vœu de ma mère. Quand la lettre me parvint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus ; elle était morte aussi des suites de son emprisonnement. Ces deux voix sorties du tombeau, cette mort qui servait d’interprète à la mort, m’ont frappé ; je suis devenu chrétien »