
éd. Publications orientalistes de France, coll. Les Œuvres capitales de la littérature japonaise, Paris
Il s’agit du « Dit des Heiké » (« Heike monogatari » 1). Au XIIe siècle apr. J.-C., le Japon fut le théâtre de luttes intestines et de guerres acharnées qui culminèrent avec la bataille d’Ichi-no-Tani 2, dans laquelle les Taira, protecteurs du jeune Empereur et maîtres de Kyôto et du Japon de l’Ouest, furent vaincus par les Minamoto, tenants du Japon oriental. L’incidence de ce branle-bas fut sensible dans le domaine littéraire. Alors que l’époque précédente, relativement paisible, avait vu se développer le genre des dits courtois, ce furent les dits guerriers ou « gunki monogatari » 3 qui vinrent à éclosion dans ces années troublées. Rédigés d’après des traditions orales, ces dits guerriers furent récités sur les marchés et les places publiques, aux abords des ponts, aux croisements des chemins par des « biwa-hôshi » 4 — des aveugles qui portaient l’habit des moines (« hôshi ») et qui jouaient d’un luth à quatre cordes (« biwa » 5). Ces aveugles portaient la robe monacale, parce qu’ils étaient sans doute sous la protection des temples et des grandes bonzeries. Du reste, la chronique qu’ils récitaient avait pour but non pas tant de conserver le souvenir des héros, comme l’épopée européenne, mais d’exprimer la vanité des splendeurs terrestres et le néant de la gloire ; et au lieu de chanter « les armes et l’homme », elle rappelait dès la première ligne « l’impermanence de toutes choses ». « [Cette chronique a] pu jouer une fonction rituelle, celle d’apaiser les âmes [de ceux] ayant péri dans les combats. Mais il s’agit aussi de chercher un sens aux événements chaotiques qui ont mis fin à l’ordre ancien », disent des orientalistes 6.
« chercher un sens aux événements chaotiques qui ont mis fin à l’ordre ancien »
Je regrette que des dits guerriers aussi illustres n’aient pas trouvé un poète également illustre, qui les eût fixés à jamais ; qu’ils aient manqué un Homère, qui leur eût donné une beauté, une noblesse éternellement admirée. J’avoue que j’ai peu d’estime pour les versions conservées. Leurs auteurs se contentent de suivre le cours de l’histoire réelle et la surchargent de milliers de détails très fastidieux. Les héros d’Homère ont souvent des gaietés ou des faiblesses étranges qui nous font toucher du doigt leur humanité ; ceux de ces auteurs ne cessent jamais d’être conventionnels et froids. Si le naïf conteur grec laisse souvent percer un vague et fin sourire derrière les mots, ces graves rhapsodes ne quittent jamais leur sérieux presque dévot et leur espèce de prosaïsme. On peut cependant faire une exception. Dans quelques rares passages du « Dit des Heiké » qui forment, à eux tous, une partie absolument minime de la chronique, on trouve quelque chose qui ressemble à cette alternance de phrases de cinq et sept syllabes qui constitue la métrique japonaise, tandis que les idées et les expressions semblent faire croire à une tentative pour traiter le sujet d’une manière poétique.
Il n’existe pas moins de quatre traductions françaises du « Dit des Heiké », mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle de M. René Sieffert.
「祇園精舎の鐘の聲,諸行無常の響あり.娑羅雙樹の花の色,盛者必衰のことわりをあらはす.おごれる人も久しからず,唯春の夜の夢のごとし.たけき者も遂にほろびぬ,偏に風の前の塵に同じ.」
— Début dans la langue originale
« Du monastère de Gion le son de la cloche, de l’impermanence de toutes choses est la résonance. Des arbres “shara” la couleur des fleurs démontre que tout ce qui prospère nécessairement déchoit. L’orgueilleux certes ne dure, tout juste pareil au songe d’une nuit de printemps. L’homme valeureux de même finit par s’écrouler, ni plus ni moins que poussière au vent. »
— Début dans la traduction de M. Sieffert
« On entend vibrer la voix de la cloche du temple de Guion répétant : “Tout est instable en ce monde. L’éclat de la fleur du teck proclame que les plus florissants vont infailliblement à la ruine. Les orgueilleux ne subsistent pas longtemps et leur vie n’est que le songe d’une nuit printanière. Les vaillants guerriers eux-mêmes succombent, pareils à une flamme exposée au vent”. »
— Début dans la traduction de Suéo Goto et Maurice Prunier (« Épisodes du “Heiké monogatari” » dans « Journal asiatique », vol. 213, p. 253-289)
« Si le son de la cloche du temple de Gion est l’écho des vicissitudes humaines, l’éclat passager des fleurs des arbres montre que toute prospérité a son déclin. Les orgueilleux ne subsistent pas longtemps ; leur vie est comme le songe d’une nuit d’été. Les guerriers aussi finissent par tomber ; ils ressemblent à une lampe exposée au vent. »
— Début dans la traduction de George Bousquet (« Le Japon littéraire » dans « Revue des deux mondes », 1878, octobre)
« Le son de la cloche de Gion rend l’écho de l’impermanence de toutes choses. Les nuances des fleurs du teck disent que celles qui fleurissent doivent faner. Oui, les preux ne le sont que pour un moment, comme un rêve du soir au printemps. Les forts finissent par être détruits, ils sont tels la poussière sous le vent. »
— Début dans la traduction de Mme Gabrielle Habersetzer et M. Roland Habersetzer (« Heike-monogatari » dans « Encyclopédie technique, historique, biographique et culturelle des arts martiaux de l’Extrême-Orient », éd. Amphora, Paris)
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- Traduction partielle de Michel Revon (1923) [Source : Google Livres]
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- Robert Klaus Heinemann évoquant le « Dit des Heiké » [Source : Université de Genève (UNIGE)].
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- « De l’épopée au Japon : narration épique et théâtralité dans le “Dit des Heike” » (éd. Riveneuve, coll. Actes académiques-Série japonaise, Paris)
- René Sieffert, « Le “Dit des Heiké” : une grande épopée sur le petit écran » dans « Le Courrier de l’UNESCO », vol. 38, nº 8, p. 24-25 [Source : UNESCO]
- Daniel Struve et Jean-Jacques Tschudin, « La Littérature japonaise » (éd. Presses universitaires de France, coll. Que sais-je ?, Paris).
- En japonais 琵琶法師.
- « Né dans le royaume de Perse et ses régions limitrophes, le “biwa” s’est diffusé en Asie orientale le long de la Route de la soie. Perfectionné en Chine, il est parvenu dans l’archipel japonais vers le VIIIe siècle apr. J.-C. », dit M. Hyôdô Hiromi (dans « De l’épopée au Japon », p. 55-56).
- MM. Daniel Struve et Jean-Jacques Tschudin.