Sénèque le philosophe, « Dialogues. Tome II. De la vie heureuse • De la brièveté de la vie »

éd. Les Belles Lettres, coll. des universités de France, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. des uni­ver­si­tés de France, Pa­ris

Il s’agit de « De la briè­veté de la vie »1 (« De bre­vi­tate vitæ ») et « De la vie heu­reuse »2 (« De vita beata ») de Sé­nèque le phi­lo­sophe3, mo­ra­liste la­tin dou­blé d’un psy­cho­logue, dont les œuvres as­sez dé­cou­sues, mais riches en re­marques in­es­ti­mables, sont « un tré­sor de mo­rale et de bonne phi­lo­so­phie »4. Il na­quit à Cor­doue vers 4 av. J.-C. Il en­tra, par le conseil de son père, dans la car­rière du bar­reau, et ses dé­buts eurent tant d’éclat que le prince Ca­li­gula, qui avait des pré­ten­tions à l’éloquence, ja­loux du bruit de sa re­nom­mée, parla de le faire mou­rir. Sé­nèque ne dut son sa­lut qu’à sa santé chan­ce­lante, mi­née par les veilles stu­dieuses à la lueur de la lampe. On rap­porta à Ca­li­gula que ce jeune phti­sique avait à peine le souffle, que ce se­rait tuer un mou­rant. Et Ca­li­gula se ren­dit à ces rai­sons et se contenta d’adresser à son ri­val des cri­tiques quel­que­fois fon­dées, mais tou­jours mal­veillantes, ap­pe­lant son style « du sable sans chaux » (« arena sine calce »), et ses dis­cours ora­toires — « de pures ti­rades théâ­trales ». Dès lors, Sé­nèque ne pensa qu’à se faire ou­blier ; il s’adonna tout en­tier à la phi­lo­so­phie et n’eut d’autres fré­quen­ta­tions que des stoï­ciens. Ce­pen­dant, son père, crai­gnant qu’il ne se fer­mât l’accès aux hon­neurs, l’exhorta de re­ve­nir à la car­rière pu­blique. Celle-ci mena Sé­nèque de com­pro­mis en com­pro­mis et d’épreuve en épreuve, dont la plus fa­tale sur­vint lorsqu’il se vit confier par Agrip­pine l’éducation de Né­ron. On sait ce que fut Né­ron. Ja­mais Sé­nèque ne put faire un homme re­com­man­dable de ce sale gar­ne­ment, de ce triste élève « mal élevé, va­ni­teux, in­so­lent, sen­suel, hy­po­crite, pa­res­seux »5. Né­ron en re­vanche fit de notre au­teur un « ami » forcé, un col­la­bo­ra­teur in­vo­lon­taire, un conseiller mal­gré lui, le char­geant de ré­di­ger ses al­lo­cu­tions au sé­nat, dont celle où il re­pré­sen­tait le meurtre de sa mère Agrip­pine comme un bon­heur in­es­péré pour Rome. En l’an 62 apr. J.-C., Sé­nèque cher­cha à échap­per à ses hautes, mais désho­no­rantes fonc­tions. Il de­manda de par­tir à la cam­pagne en re­non­çant à tous ses biens qui, dit-il, l’exposaient à l’envie gé­né­rale. Mal­gré les re­fus ré­ité­rés de Né­ron, qui se ren­dait compte que la re­traite du pré­cep­teur se­rait in­ter­pré­tée comme un désa­veu de la po­li­tique im­pé­riale, Sé­nèque ne re­cula pas. « En réa­lité, sa vertu lui fai­sait ha­bi­ter une autre ré­gion de l’univers ; il n’avait [plus] rien de com­mun avec vous » (« At illum in aliis mundi fi­ni­bus sua vir­tus col­lo­ca­vit, ni­hil vo­bis­cum com­mune ha­ben­tem »)6. Il se re­tira du monde et des af­faires du monde avec sa femme, Pau­line, et il pré­texta quelque ma­la­die pour ne point sor­tir de chez lui.

« des conseils d’hygiène mo­rale, des for­mules », comme il dit, « de mé­di­ca­tion pra­tique »

Sé­nèque tra­vailla dé­sor­mais pour le compte de la pos­té­rité. Il son­gea à elle en com­po­sant des œuvres qu’il es­pé­rait pro­fi­tables. Il y consi­gna des pré­ceptes de sa­gesse hu­maine à l’usage des hon­nêtes gens, « des conseils d’hygiène mo­rale, des for­mules », comme il dit7, « de mé­di­ca­tion pra­tique, non sans avoir éprouvé leur vertu sur ses propres plaies ». Ja­mais dans l’histoire ro­maine, le be­soin de per­fec­tion­ne­ment mo­ral et per­son­nel ne s’était fait plus vi­ve­ment sen­tir qu’au temps de Sé­nèque. La Ré­pu­blique étant morte, il n’y avait plus de voie ou­verte aux nobles am­bi­tions et aux dé­voue­ments à la pa­trie ; il fal­lait flat­ter sans cesse, se prê­ter aux moindres ca­prices de maîtres dé­bau­chés et cruels. Où trou­ver, au mi­lieu de cette cor­rup­tion am­biante, une paix, une sé­ré­nité et un mi­ni­mum d’idéal sans les­quels, pour l’âme bien née, la vie ne va­lait rien ? Sé­nèque lui-même, ren­fermé dans son re­fuge et éloi­gné des af­faires pu­bliques, put à peine trou­ver ces conso­la­tions, puisque, dès le mo­ment où il ma­ni­festa à Né­ron son dé­sir de s’en éloi­gner, il fut voué à la per­sé­cu­tion et à la mort. Son sui­cide fut digne d’un phi­lo­sophe, ou plu­tôt d’un di­rec­teur de conscience. Car exa­mi­ner ce sage comme un phi­lo­sophe qui au­rait un sys­tème bien dé­ter­miné et suivi, ce se­rait se trom­per. Les païens ont déjà re­mar­qué son peu de goût pour la pure spé­cu­la­tion. Et si les chré­tiens, frap­pés par ses écrits, ont voulu faire de lui un en­fant de l’Église, c’est qu’il as­pi­rait à don­ner aux âmes une dis­ci­pline in­té­rieure, et non des dogmes. « Lorsque le phi­lo­sophe déses­père de faire le bien », ex­plique Di­de­rot dans son ma­gni­fique « Es­sai sur les règnes de Claude et de Né­ron », « il re­nonce à la fonc­tion in­utile et pé­rilleuse… pour s’occuper dans le si­lence et l’obscurité de la re­traite… Il s’exhorte à la vertu et ap­prend à se rai­dir contre le tor­rent des mau­vaises mœurs qui en­traîne au­tour de lui la masse gé­né­rale de la na­tion. [Ainsi] des hommes ver­tueux, re­con­nais­sant la dé­pra­va­tion de notre âge, fuient le com­merce de la mul­ti­tude et le tour­billon des so­cié­tés, avec au­tant de soin qu’ils en ap­por­te­raient à se mettre à cou­vert d’une tem­pête ; et la so­li­tude est un port où ils se re­tirent. Ces sages au­ront beau se ca­cher loin de la foule des per­vers, ils se­ront connus des dieux et des hommes qui aiment la vertu. De cet ho­no­rable exil où ils vivent… ils ver­ront sans en­vie l’admiration du vul­gaire pro­di­guée à des fourbes qui le sé­duisent, et les ré­com­penses des grands ver­sées sur des bouf­fons qui les flattent ou… amusent ».

Il n’existe pas moins de quinze tra­duc­tions fran­çaises de « De la briè­veté de la vie », mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle d’Abel Bour­gery.

« Ex­cerpe itaque te vulgo, Pau­line ca­ris­sime, et in tran­quillio­rem por­tum non pro æta­tis spa­tio jac­ta­tus tan­dem re­cede. Co­gita quot fluc­tus su­bie­ris, quot tem­pes­tates par­tim pri­va­tas sus­ti­nue­ris, par­tim pu­bli­cas in te conver­te­ris. Sa­tis jam per la­bo­riosa et in­quieta do­cu­menta ex­hi­bita vir­tus est ; ex­pe­rire quid in otio fa­ciat. Ma­jor pars æta­tis, certe me­lior, Rei­pu­blicæ da­tast ; ali­quid tem­po­ris tui sume etiam tibi. Nec te ad se­gnem aut iner­tem quie­tem voco, non ut somno et ca­ris turbæ vo­lup­ta­ti­bus quid­quid est in te in­do­lis vi­vidæ mer­gas. Non est is­tud ac­quies­cere… »
— Pas­sage dans la langue ori­gi­nale

« Dé­gage-toi donc du vul­gaire, très cher Pau­li­nus, et trop bal­lotté pour la du­rée de ton exis­tence, re­tire-toi en­fin en un port plus tran­quille. Songe aux flots qui t’ont as­sailli, aux tem­pêtes que, simple par­ti­cu­lier, tu as su­bies, ou, fonc­tion­naire pu­blic, tu as sou­le­vées contre toi. Les épreuves pé­nibles et pleines d’alarmes que tu as tra­ver­sées ont suf­fi­sam­ment mis en lu­mière ta va­leur ; es­saie main­te­nant ce qu’elle peut faire dans la re­traite. La ma­jeure par­tie de ta vie, la meilleure du moins, a été don­née à la Ré­pu­blique ; prends aussi pour toi quelque peu de ton temps. Je ne t’invite pas à un re­pos non­cha­lant et inerte, ni à noyer dans le som­meil ou les plai­sirs vul­gaires toute ton éner­gie ac­tuelle. Ce n’est pas là se re­po­ser… »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Bour­gery

« Ex­tirpe-toi donc du vul­gaire, mon très cher Pau­li­nus, et toi qui as déjà été trop tiré à hue et à dia pour la du­rée de ton exis­tence, re­tire-toi en­fin dans un port plus tran­quille. Ré­flé­chis à toutes les vagues qui t’ont as­sailli, aux tem­pêtes que tu as es­suyées comme simple par­ti­cu­lier ou que tu as sou­le­vées contre toi en tant qu’homme pu­blic. Par toutes les épreuves dou­lou­reuses et an­gois­santes que tu as tra­ver­sées, tu as fourni as­sez de té­moi­gnages de ta va­leur ; ex­pé­ri­mente main­te­nant ce qu’elle peut ac­com­plir dans le loi­sir. La plus grande par­tie de ton exis­tence, en tout cas la meilleure, a été consa­crée à l’État ; prends aussi du temps pour toi-même. Je ne t’invite pas à un re­pos in­do­lent et inerte, pas da­van­tage à noyer tout ce qu’il y a en toi d’énergie dans le som­meil ou l’amour des vo­lup­tés. Ce n’est pas cela se re­po­ser… »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de M. Fran­çois Rosso (éd. Ar­léa, Pa­ris)

« Sé­pare-toi donc de la foule, mon très cher Pau­lin ; tu as eu une exis­tence plus agi­tée que per­sonne à ton âge ; re­tire-toi en­fin dans un port plus tran­quille. Pense à toutes les vagues que tu as es­suyées, à toutes les tem­pêtes que tu as af­fron­tées dans le privé, à toutes celles que tu as at­ti­rées sur toi dans ta vie pu­blique. Tu as main­te­nant as­sez mon­tré ta vertu par des épreuves pé­nibles et sans re­pos ; fais main­te­nant l’essai de ce qu’elle pour­rait don­ner dans la re­traite. Tu as donné une grande par­tie de ta vie, en tout cas la meilleure, à la Ré­pu­blique ; prends pour toi-même un peu de ton temps. Je ne te conseille pas le re­pos de la pa­resse et de l’inertie, je ne t’invite pas à en­glou­tir dans le som­meil et dans les plai­sirs chers à la foule tout ce qu’il y a en toi de vi­ta­lité na­tu­relle. Ce n’est pas là se re­po­ser. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion d’Émile Bré­hier (dans « Les Stoï­ciens », éd. Gal­li­mard, coll. Bi­blio­thèque de la Pléiade, Pa­ris)

« Dé­tache-toi de la mul­ti­tude, très cher Pau­li­nus, et toi que les tem­pêtes ont mal­mené de fa­çon ex­ces­sive pour un homme de ton âge, re­tire-toi en­fin dans un port bien au calme. Pense à toutes ces vagues dont tu as subi l’assaut, à toutes ces tem­pêtes que tu as af­fron­tées dans ta vie pri­vée ou que tu as at­ti­rées sur ta tête dans ta vie pu­blique. Les épreuves et vi­cis­si­tudes que tu as connues ont déjà suf­fi­sam­ment prouvé ton mé­rite ; es­saie de voir ce dont il est ca­pable à l’écart de la vie pu­blique. La ma­jeure par­tie de ta vie, la meilleure sans nul doute, a été consa­crée à l’État ; ré­serve-toi à toi aussi une par­tie de ton temps. Je ne t’invite pas à un re­pos non­cha­lant et pa­res­seux ni à en­glou­tir toute l’énergie qui est en toi dans le som­meil et les plai­sirs chers à la mul­ti­tude. Ce n’est pas cela prendre du re­pos… »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Mme Co­lette La­zam (éd. Payot & Ri­vages, coll. Ri­vages poche-Pe­tite Bi­blio­thèque, Pa­ris)

« Ar­rache-toi donc au vul­gaire, très cher Pau­li­nus, et après avoir été trop sou­vent bal­lotté pour la lon­gueur de ta vie, re­tire-toi en­fin dans un port plus tran­quille. Songe com­bien de bour­rasques tu as es­suyées, com­bien d’orages pri­vés tu as af­fron­tés, com­bien de tem­pêtes pu­bliques tu as ap­pe­lées sur toi. Dé­sor­mais, ta vertu s’est suf­fi­sam­ment ma­ni­fes­tée à tra­vers des épreuves pé­nibles et dif­fi­ciles ; ex­pé­ri­mente ce qu’elle peut faire dans la re­traite. La plus grande par­tie de ta vie, as­su­ré­ment la meilleure, a été don­née à la Ré­pu­blique ; prends aussi pour toi quelque chose de ton temps. Je ne t’invite pas à un re­pos pa­res­seux ou in­ac­tif, non plus qu’à noyer dans le som­meil, dans les vo­lup­tés chères à la foule, toute ta res­source d’énergie. Cela n’est point se re­po­ser. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Mme José Kany-Tur­pin (éd. Flam­ma­rion, coll. GF, Pa­ris)

« Sé­pare-toi donc de la foule, mon bien cher Pau­li­nus, et après avoir été, étant donné ton âge, bal­lotté plus que de rai­son, rentre en­fin dans un port plus tran­quille. Pense aux flots qui t’ont as­sailli, aux tem­pêtes que tu as es­suyées dans ta vie pri­vée, à celles que tu as at­ti­rées sur toi dans ta vie pu­blique. Tu as, par ton la­beur et ton in­ces­sante ac­ti­vité, donné as­sez de preuves de ton mé­rite ; vois par ex­pé­rience ce dont ce mé­rite est ca­pable dans la re­traite. La plus grande par­tie de ta vie, et à coup sûr la meilleure, tu l’as don­née à l’État ; garde aussi pour toi un peu de ton temps. Je ne te conseille pas un re­pos lâche et in­ac­tif ; je ne te de­mande pas de plon­ger dans le som­meil et les vo­lup­tés chères à la foule tout ce qu’il y a de vi­gueur en toi. Ce n’est pas là se re­po­ser… »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Fran­çois Ri­chard et Pierre Ri­chard (éd. Gar­nier frères, coll. Clas­siques Gar­nier, Pa­ris)

« Ar­rache-toi donc à la foule, mon cher Pau­li­nus, et après plus de tra­verses que n’en com­porte le nombre de tes jours, re­tire-toi dans un port plus tran­quille. Songe com­bien de bour­rasques tu as es­suyées, com­bien d’orages do­mes­tiques tu as af­fron­tés, com­bien de tem­pêtes pu­bliques tu as ap­pe­lées sur toi. As­sez déjà ta vertu s’est té­moi­gnée par des épreuves la­bo­rieuses et pleines d’alarmes ; es­saie ce qu’elle pourra dans le re­pos. Que la plus grande part de ta vie, et certes la meilleure, ait été dé­vouée à la Ré­pu­blique ; prends main­te­nant pour toi quelque chose de ton temps. Et je ne t’invite pas à un re­pos lâche et in­do­lent, je ne t’invite pas à en­se­ve­lir dans le som­meil, dans les vo­lup­tés chères à la foule, tout ce qui te reste de vie dans le cœur. Ce n’est pas là se re­po­ser. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion d’Elias Re­gnault (XIXe siècle)

« Sé­pare-toi donc de la foule, cher Pau­li­nus, et après de trop longues tour­mentes pour ta course bor­née, qu’un port plus tran­quille te re­cueille en­fin. Songe que de fois tu as bravé les flots, que d’orages tu as es­suyés, ou qui me­na­çaient ta tête, ou que tu dé­tour­nas sur toi quand ils nous me­na­çaient tous. As­sez d’épreuves et de jours d’alarmes ont té­moi­gné de ta vi­gueur mo­rale ; es­saye ce qu’elle pourra faire dans la re­traite. Si la plus grande et certes la meilleure part de tes jours fut don­née à l’État, ré­serves-en aussi quelque peu pour toi. Ce n’est point à un lâche ou apa­thique re­pos que je te convie ; je ne veux pas que le som­meil, que les vo­lup­tés, idoles de la foule, étouffent ce qu’il y a de vie dans ton âme. Ce n’est point là le vrai re­pos. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Jo­seph Baillard, 2e ver­sion (XIXe siècle)

« Sé­pa­rez-vous donc du vul­gaire, mon cher Pau­li­nus, et pour ren­trer en­fin pai­si­ble­ment au port, n’attendez pas que toute votre vie ait es­suyé la tem­pête. Son­gez com­bien de fois vous avez bravé les flots, com­bien de tem­pêtes pri­vées vous avez sou­te­nues, com­bien d’orages pu­blics vous avez at­ti­rés sur votre tête. As­sez long­temps votre vertu s’est mon­trée dans les fa­tigues d’une vie pé­nible, agi­tée ; éprou­vez ce qu’elle pourra faire au sein du re­pos. Vous avez consa­cré à la Ré­pu­blique la plus grande et certes la meilleure par­tie de votre vie ; pre­nez aussi un peu de temps pour vous. Ce n’est point à un re­pos plein d’indolence et d’inertie que je vous convie ; ce n’est ni dans le som­meil ni dans les vo­lup­tés ché­ries de la foule que je veux vous voir en­se­ve­lir tout ce qu’il y a en vous de vi­va­cité et d’énergie. Ce n’est pas là se re­po­ser. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Charles Du Ro­zoir (XIXe siècle)

« Ar­ra­chez-vous donc de la foule, mon cher Pau­li­nus, et après avoir été plus agité que votre âge ne sem­blait le com­por­ter, re­ti­rez-vous en­fin dans un port plus tran­quille. Rap­pe­lez-vous les flots et les tem­pêtes par­ti­cu­lières et pu­bliques que vous avez es­suyées. Vous avez as­sez mon­tré ce que peut votre vertu dans les tra­vaux, dans le trouble et l’agitation ; éprou­vez-la pré­sen­te­ment par le re­pos. Il suf­fit que vous ayez consa­cré la plus grande et cer­tai­ne­ment la meilleure por­tion de votre vie à la Ré­pu­blique ; pre­nez-en aussi une par­tie pour vous-même. Je ne vous in­vite pas à vous li­vrer à l’indolence et à la pa­resse ; je ne vous dis pas d’ensevelir dans le som­meil et les vo­lup­tés, si chères au com­mun des hommes, toute l’activité de votre âme. Ce n’est pas là jouir du re­pos… »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de … La­grange (XVIIIe siècle)

« Sé­pa­rez-vous donc du peuple, mon cher Pau­li­nus, et après avoir été agité, non pas au­tant que vous le pou­viez être du­rant le temps de votre vie, re­ti­rez-vous en­fin dans un port plus tran­quille et plus as­suré. Re­met­tez-vous de­vant les yeux toutes les agi­ta­tions dont vous avez senti les at­teintes ; re­pré­sen­tez-vous com­bien vous avez en­duré de tem­pêtes par­ti­cu­lières et com­bien vous en avez at­tiré de pu­bliques sur votre tête. Vous avez fait as­sez connaître votre vertu parmi les tra­vaux et parmi les peines ; éprou­vez ce qu’elle fera dans le re­pos. Je veux bien que vous ayez donné à la Ré­pu­blique la meilleure par­tie de votre vie ; mais don­nez-vous aussi quelque chose de votre temps. Au reste, je ne vous ap­pelle pas à un re­pos lan­guis­sant et pa­res­seux pour étouf­fer, dans le som­meil et dans les autres vo­lup­tés qui sont si chères au reste des hommes, ce noble et ce gé­né­reux na­tu­rel qu’on a tou­jours re­connu en vous. Cela ne s’appelle pas re­pos… »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Pierre Du Ryer (XVIIe siècle)

« Sé­questre-toi donc du vul­gaire, Pau­li­nus mon ami, et te va je­ter en­fin dans un port tran­quille, après avoir été tour­menté non pas se­lon l’espace de ton âge. Sou­viens-toi com­bien d’orages tu as souf­ferts, com­bien tu as sou­tenu de tem­pêtes par­ti­cu­lières et com­bien tu en as at­tiré sur toi de pu­bliques. Tu as déjà as­sez fait connaître ta vertu en beau­coup de su­jets la­bo­rieux et pleins de tra­vaux ; il est temps d’essayer ce qu’elle saura faire en re­pos. C’est as­sez d’avoir donné la plus grande ou la meilleure par­tie de ton âge à la chose pu­blique ; prends quelque peu de ton temps pour toi-même. Je ne te convie pas à un re­pos plein de non­cha­lance et de pa­resse, non point pour plon­ger ton beau et vi­gou­reux na­tu­rel dans le som­meil et dans les autres vo­lup­tés que le com­mun des hommes dé­sire. Ce ne se­rait pas se re­po­ser… »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Ma­thieu de Chal­vet (XVIIe siècle)

« Cueille-toi donc, ami Pau­lin, d’entre le vul­gaire, et avant qu’avoir été plus long­temps en tour­mente, gagne fi­na­le­ment le port as­suré. Re­garde com­bien de flots t’ont passé par-des­sus, de com­bien de bour­rasques par­ti­cu­lières tu as été battu, et de com­bien de pu­bliques tu as été as­sailli. Dé­sor­mais ta vertu s’est as­sez mon­trée et a fait suf­fi­sante preuve par tes tra­vaux et sol­li­ci­tudes ; es­saie ce qu’elle pourra faire en une vie pai­sible. Que la plu­part, voire la meilleure de la vie ait été em­ployée pour le pu­blic ; ré­serve pour toi quelque por­tion du temps qui te reste. Je ne t’appelle pas à un re­pos pa­res­seux et in­utile, ni ne pré­tends que tu noies ce qu’il y a de bon et gen­til na­tu­rel en toi dans le lit et parmi les plai­sirs que les igno­rants ché­rissent. Cela n’est pas se re­po­ser… »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Si­mon Gou­lart (XVIe siècle)

« Re­tire-toi donc du vul­gaire, mon bien-aimé Pau­lin, et gagne en­fin un port plus tran­quille, n’ayant été agité de la tour­mente se­lon l’espace de l’âge. Pense en com­bien de flots tu es en­tré, com­bien de tem­pêtes tu as [sou­te­nues] en par­tie par­ti­cu­lières, et [tour­nées] sur ton dos en par­tie pu­bliques. Tu as déjà as­sez dé­mon­tré ta vertu et fait preuve d’icelle par les la­bo­rieux, non ces­sés ou conti­nuels en­sei­gne­ments ; ex­pé­ri­mente ce qu’elle fera au re­pos et en la tran­quillité. La plus grande par­tie de ton âge, à tout le moins la meilleure, soit don­née à la Ré­pu­blique ; prends aussi quelque chose de ton temps pour toi. Je ne t’appelle pas à un re­pos pa­res­seux ou né­gligent, ne viens à perdre et plon­ger comme au som­meil et aux vo­lup­tés ai­mées et ché­ries de la mul­ti­tude ce qui est en toi de vive et louable na­ture. Ceci n’est pas ac­quies­cer8 et ne rien faire… »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Ga­briel Chap­puys (XVIe siècle)

« Par ainsi donc, Pau­lin mon très cher ami, ôte-toi de la ma­nière du menu peuple, et te re­tourne ores fi­na­le­ment en plus pai­sible port. Après ce que tu as été dé­jeté par les dé­sirs mon­dains se­lon la quan­tité et l’espace de ton âge, pense en quants flots de dé­lec­ta­tions tu aies en­tré au temps de ta jeu­nesse, pense quantes tem­pêtes de per­tur­ba­tions mon­daines en par­tie pri­vées tu aies [sou­te­nues], et quantes tem­pêtes en par­tie pu­bliques tu aies tour­nées en toi. La vertu de ton cou­rage s’est mon­trée en toi par la­bo­rieux en­sei­gne­ments et pleins de tra­vail ; or, éprouve et es­saie quel pro­fit nous fasse la [ma­jeure] par­tie de notre âge qui est en oi­si­veté et en re­pos. Certes, Pau­lin, ce se­rait bien ave­nant que la meilleure par­tie de notre âge fût em­ployée à va­quer au bien de la chose pu­blique ; prends aussi au­cune par­tie du temps de ta vie pour toi-même et à toi. Et par ce que je t’ai dit ci-des­sus, je ne t’appelle mie ni ne veux que tu viennes à pa­res­seux re­pos ni à oi­si­veté qui est en néant faire ; je ne veux pas que tu plonges ton corps, en ta vi­gou­reuse prouesse, en dor­mir ni ès chères dé­lec­ta­tions qui se font en com­pa­gnies d’hommes. Car faire telles choses n’est pas soi re­po­ser ni être oi­sif… »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Laurent de Pre­mier­fait (XVe siècle)

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  1. Par­fois tra­duit « De la briè­veté de la vie hu­maine » ou « Dis­cours de la briè­veté de la vie ». Haut
  2. Par­fois tra­duit « Traité de la vie heu­reuse » ou « Le Bon­heur ». Haut
  3. En la­tin Lu­cius Annæus Se­neca. Haut
  4. le comte Jo­seph de Maistre, « Œuvres com­plètes. Tome V. Les Soi­rées de Saint-Pé­ters­bourg (suite et fin) ». Haut
  1. René Waltz, « Vie de Sé­nèque » (éd. Per­rin, Pa­ris), p. 160. Haut
  2. « De la constance du sage », ch. XV, sect. 2. Haut
  3. « Lettres à Lu­ci­lius », lettre VIII, sect. 2. Haut
  4. « Ac­quies­cer » (« ac­quies­cere ») s’est dit pour « se re­po­ser ». Haut