Tchouang-tseu, «L’Œuvre complète»

éd. Gallimard-UNESCO, coll. UNESCO d’œuvres représentatives-Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard-UNESCO, coll. UNESCO d’œuvres re­pré­sen­ta­tives-Connais­sance de l’Orient, Pa­ris

Il s’agit de «L’Œuvre com­plète» de Tchouang-tseu 1, pen­seur taoïste, un des plus grands maîtres de la prose chi­noise (IVe siècle av. J.-C.). Laissé pour compte du­rant des siècles, il exer­cera une in­fluence tar­dive, mais sans cesse crois­sante, tant sur les taoïstes que sur les boud­dhistes, et en l’an 742 apr. J.-C. l’Empereur chi­nois pro­mul­guera un édit pour ca­no­ni­ser son «Œuvre com­plète», dé­sor­mais un clas­sique, qui se verra at­tri­buer le titre post­hume de «Clas­sique au­then­tique de la splen­deur mé­ri­dio­nale» («Nan­hua zhen­jing» 2). En Tchouang-tseu, nous ren­con­trons un phi­lo­sophe ori­gi­nal dont le lan­gage de poète, plein d’images har­dies, d’artifices lit­té­raires, pos­sède un at­trait in­connu aux autres pen­seurs de la Chine. Son «Œuvre com­plète» prend l’aspect d’allégories mys­tiques; de pen­sées non seule­ment ré­flé­chies et dé­mon­trées, mais res­sen­ties et pé­né­trant tout son être. Sa phi­lo­so­phie, c’est le quié­tisme na­tu­ra­liste. «Na­tu­ra­liste», car se­lon Tchouang-tseu, tout est bien à l’état na­tu­rel; tout dé­gé­nère entre les mains de l’homme. «Quié­tisme», car pour re­trou­ver en soi la splen­deur ori­gi­nelle de la na­ture, il faut une tran­quillité comme celle de l’eau inerte; un calme comme ce­lui du mi­roir : «Si la tran­quillité de l’eau per­met de re­flé­ter les choses, que ne peut celle de l’esprit? Qu’il est tran­quille, l’esprit du saint! Il est le mi­roir de l’univers et de tous les êtres» 3. L’acte su­prême est de ne point in­ter­ve­nir, et la pa­role su­prême est de ne rien dire : «La nasse sert à prendre le pois­son; quand le pois­son est pris, ou­bliez la nasse. Le piège sert à cap­tu­rer le lièvre; quand le lièvre est pris, ou­bliez le piège. La pa­role sert à ex­pri­mer l’idée; quand l’idée est sai­sie, ou­bliez la pa­role. [Où] pour­rais-je ren­con­trer quelqu’un qui ou­blie la pa­role, et dia­lo­guer avec lui?» 4 La pa­role n’est pas sûre, car c’est d’elle que pro­viennent toutes les dis­tinc­tions éta­blies ar­ti­fi­ciel­le­ment par l’homme. Or, l’univers est in­dis­tinct, in­for­mel, et soi-même est aussi l’autre : «Ja­dis, Tchouang-tseu rêva qu’il était un pa­pillon vol­ti­geant et sa­tis­fait de son sort et igno­rant qu’il était Tchouang-tseu lui-même; brus­que­ment, il s’éveilla et s’aperçut avec éton­ne­ment qu’il était Tchouang-tseu. Il ne sut plus si c’était Tchouang-tseu rê­vant qu’il était un pa­pillon, ou un pa­pillon rê­vant qu’il était Tchouang-tseu» 5.

Il n’existe pas moins de cinq tra­duc­tions fran­çaises de «L’Œuvre com­plète», mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de M. Liou Kia-hway.

「今吾告子以人之情:目欲視色,耳欲聽聲,口欲察味,志氣欲盈.人上壽百歲,中壽八十,下壽六十,除病瘦死喪憂患,其中開口而笑者,一月之中不過四五日而已矣.」

 Pas­sage dans la langue ori­gi­nale

«Je vais te dé­crire les sen­ti­ments na­tu­rels de l’homme. Ses yeux veulent voir les cou­leurs; ses oreilles veulent en­tendre les sons; sa bouche veut goû­ter les sa­veurs; ses am­bi­tions veulent être sa­tis­faites. Il n’y a, pour as­sou­vir ses pen­chants, que la du­rée de sa vie, soixante ans en gé­né­ral, par­fois quatre-vingts, au maxi­mum cent ans. En­core faut-il sous­traire le temps de la ma­la­die et du dé­pé­ris­se­ment, de la mort d’autrui et du deuil, du cha­grin et du mal­heur; si bien que dans un mois de vie, c’est à peine si un homme a quatre ou cinq jour­nées pour ou­vrir la bouche et rire.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de M. Liou Kia-hway

«Je vais vous dé­crire les sen­ti­ments na­tu­rels d’un homme : ses yeux dé­si­rent voir des cou­leurs, ses oreilles dé­si­rent en­tendre des sons, sa bouche dé­sire goû­ter des sa­veurs, sa vo­lonté dé­sire être faite. Un homme d’une grande lon­gé­vité vit cent ans, de moyenne lon­gé­vité quatre-vingts ans, de faible lon­gé­vité soixante ans. Une fois dé­duits la ma­la­die, la vieillesse, le deuil, les cha­grins, les mal­heurs, il ne reste pas plus de quatre ou cinq jours par mois pour rire à gorge dé­ployée.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de M. Jean-Jacques La­fitte («Le Rêve du pa­pillon : œuvres», éd. A. Mi­chel, coll. Spi­ri­tua­li­tés vi­vantes, Pa­ris)

«À mon tour, moi je vais te don­ner une le­çon pra­tique, sur ce qui en est, au vrai, de l’humanité. L’homme aime la sa­tis­fac­tion de ses yeux, de ses oreilles, de sa bouche, de ses ins­tincts. Il n’a, pour as­sou­vir ses pen­chants, que la du­rée de sa vie, soixante ans en moyenne, par­fois quatre-vingts, ra­re­ment cent. En­core faut-il sous­traire, de ces an­nées, les temps de ma­la­die, de tris­tesse, de mal­heur. Si bien que, dans un mois de vie, c’est à peine si un homme a quatre ou cinq jour­nées de vrai conten­te­ment et de franc rire.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion du père Léon Wie­ger («“Nan-hoa-tchenn king”, l’Œuvre de Tchoang-tzeu» dans «Les Pères du sys­tème taoïste», éd. élec­tro­nique)

«[C’est] à mon tour de te faire part de mes propres ré­flexions, ins­pi­rées de mon ex­pé­rience de la vie. L’œil as­pire à contem­pler les cou­leurs, l’oreille à en­tendre des ac­cents mé­lo­dieux, le pa­lais à goû­ter les sa­veurs, la vo­lonté à don­ner sa­tis­fac­tion à ses dé­sirs. Dans l’espèce hu­maine, la lon­gé­vité su­pé­rieure est de cent ans, la lon­gé­vité moyenne de quatre-vingts, la lon­gé­vité in­fé­rieure de soixante ans. Si l’on dé­falque la ma­la­die, la dé­cré­pi­tude, les deuils, les cha­grins et les tour­ments, il ne reste pas sur chaque mois de notre vie quatre ou cinq jours de franche gaieté.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de M. Jean Levi («Les Œuvres de maître Tchouang», éd. de l’Encyclopédie des nui­sances, Pa­ris)

«Moi, par contre, je vais vous ra­con­ter quelque chose sur l’homme et ses dé­sirs na­tu­rels. Il a des yeux qui ont soif de beauté, des oreilles qui ont soif de mu­sique, une bouche qui a en­vie de douces sa­veurs, des am­bi­tions et une éner­gie qui brûlent de se réa­li­ser. Un pe­tit nombre vi­vront jusqu’à quatre-vingts ans, un plus pe­tit nombre en­core jusqu’à cent; mais qui vit jusqu’à soixante, ne meurt pas jeune. Et pen­dant ces soixante an­nées, si nous dé­fal­quons le temps passé en ma­la­dies, en deuils, en en­nuis pen­dant toute cette du­rée, il n’y aura pas plus de quatre à cinq jours par mois où ses lèvres s’ouvriront, et où sor­tira son rire.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion in­di­recte de M. George De­ni­ker (Ar­thur Wa­ley, «Trois Cou­rants de la pen­sée chi­noise an­tique», éd. Payot, coll. Bi­blio­thèque scien­ti­fique, Pa­ris)

Avertissement Cette tra­duc­tion n’a pas été faite sur l’original.

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  1. En chi­nois 莊子. Par­fois trans­crit Tchouang-tsée, Tchoang-tseu, Tchoang-tzeu, Tchouang-tsze, Tchuang-tze, Chwang-tsze, Chuang-tze, Choang-tzu, Zhuang Si, Zhouangzi ou Zhuangzi. Éga­le­ment connu sous le nom de Tchouang Tcheou (莊周). Par­fois trans­crit Tchuang-tcheou, Chuang Chou, Zhouang Zhou ou Zhuang Zhou. Haut
  2. En chi­nois «南華真經». Par­fois trans­crit «Nan-houa tcheng-king», «Nan-hoà-cienn ching», «Nan hwa chin king», «Nan-hoa-tchenn king», «Nan-houa tchen-tsing» ou «Nan-hua chen ching». Éga­le­ment connu sous le titre abrégé de «南華經» («Nan­hua­jing»). Haut
  3. p. 111. Haut
  1. p. 221. Haut
  2. p. 45. Haut