« L’Œuvre de la poétesse vietnamienne Hồ-Xuân-Hương »

éd. École française d’Extrême-Orient, coll. Textes et Documents sur l’Indochine-Textes nôm, Paris

éd. École fran­çaise d’Extrême-Orient, coll. Textes et Do­cu­ments sur l’Indochine-Textes nôm, Pa­ris

Il s’agit de Hồ Xuân Hương, poé­tesse éro­tique viet­na­mienne (XIXe siècle). Sa jeu­nesse bouillon­nante de sève, son rire es­piègle et in­sou­ciant, l’habileté de ses com­po­si­tions dont le sens est gé­né­ra­le­ment double — un sens ma­ni­feste, peu cri­ti­quable au point de vue de la mo­rale, et un sens pa­ral­lèle, en fi­li­grane, d’un éro­tisme ex­trême —, son goût et son ta­lent en­fin dans l’emploi de la langue po­pu­laire, suf­fisent pour que les Viet­na­miens la ché­rissent comme la ga­mine la plus spi­ri­tuelle de leur lit­té­ra­ture na­tio­nale. « On au­rait dit une fille qui, re­trous­sant sa jupe, bar­bo­te­rait dans une mare », dit un cri­tique1. La lé­gende ra­conte2 que ses pa­rents mou­rurent de bonne heure, et qu’elle et sa sœur se par­ta­gèrent l’héritage, qui était consi­dé­rable. Hồ Xuân Hương, avec sa part, construi­sit un riche jar­din en­touré de vi­viers, où se voyaient trois beaux pa­villons, toutes sortes d’arbustes taillés et des pierres re­cou­vertes d’inscriptions. Là, elle te­nait des concours poé­tiques et pro­po­sait de choi­sir pour mari ce­lui qui réus­si­rait à la vaincre. Mais au­cun ne le put. Quoique ses vers li­cen­cieux soient una­ni­me­ment condam­nés par les mo­ra­listes, Hồ Xuân Hương y est pous­sée non par un pen­chant vers de mau­vaises mœurs, mais par la tour­nure même de son es­prit lit­té­raire, comme ja­dis la poé­tesse Sap­pho dans ses su­blimes com­po­si­tions. Si l’on pé­nètre au fond des choses, ne dé­couvre-t-on pas, chez cette femme de lettres, une âme à la fois sou­ve­raine, saine et ro­buste :

« Mon corps est comme le fruit du ja­quier sur l’arbre.
Son écorce est ru­gueuse, sa pulpe épaisse ;
Sei­gneur, si vous l’aimez, plan­tez-y votre coin,
Mais, je vous prie, ne le pal­pez pas pour qu’il vous en­glue les mains
 »3.

« On au­rait dit une fille qui, re­trous­sant sa jupe, bar­bo­te­rait dans une mare »

« Loin d’étaler son éru­di­tion sous un fa­tras de ré­mi­nis­cences li­vresques », ex­plique un cri­tique4, « Hồ Xuân Hương crie sa pas­sion… en la pei­gnant dans toute sa su­perbe nu­dité. Son œuvre de­meure l’écho di­rect de ses émo­tions. En outre, son in­dé­pen­dance jointe à la conscience de ses pos­si­bi­li­tés lui per­met de gar­der son ex­quise spon­ta­néité, son hu­meur pri­me­sau­tière et son tour lé­gè­re­ment gri­vois. Cela suf­fit pour don­ner à la poé­sie de Hồ Xuân Hương une ri­chesse de tons, une li­berté d’allure et une in­ten­sité de sen­ti­ment, qu’on a beau cher­cher dans les grands poètes na­tio­naux. Pour s’être af­fran­chie du moule ri­gide des lettres chi­noises, elle s’est donné la per­son­na­lité la plus ar­dente et la plus ori­gi­nale qui soit dans la lit­té­ra­ture du Viêt-nam. »

Il n’existe pas moins de six tra­duc­tions fran­çaises des poèmes, mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de M. Mau­rice Du­rand.

« Một đèo, một đèo, lại một đèo !
Khen ai khéo tạc cảnh cheo leo.
Cửa son đỏ loét tùm hum nóc…
Đầm đìa lá liễu giọt sương gieo.
Hiền nhân quân tử ai là chẳng ?
Mỏi gối chồn chân vẫn muốn trèo. »
— Poème dans la langue ori­gi­nale

« Un col, un col, en­core un col ;
Qu’il soit loué ce­lui qui a su ci­se­ler ce pay­sage pé­rilleux
L’ouverture ver­meille est toute rou­geoyante et le som­met en est tout touffu…
La feuille de saule est toute hu­mec­tée de la ro­sée qui tombe.
Hommes sages et dis­tin­gués, quel est ce­lui qui y re­nonce ?
Les ge­noux rom­pus, les pieds ha­ras­sés, ils dé­si­rent quand même y grim­per. »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Du­rand

« Un col, un col, en­core un col !
Louons le gé­nie de ce­lui qui a fa­çonné ce site cu­rieux.
Pa­reil à une ca­ra­pace de tor­tue, le sol se bombe, cou­vert d’un ta­pis d’herbe verte…
Les feuilles des saules toutes trem­pées laissent égre­ner de lourdes gout­te­lettes de ro­sée.
Hommes sages et ver­tueux, qui d’entre vous
Ne vou­drait pas es­ca­la­der ce col mal­gré les fa­tigues aux jambes ? »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Trần Cửu Chấn (dans « Les Grandes Poé­tesses du Viêt-nam : études lit­té­raires. Đoàn Thị Điểm • Bà Huyện Thanh Quan • Hồ Xuân Hương • Sương Nguyệt Anh », éd. Im­pri­me­rie de l’Union, Saï­gon)

« Un col, un col, et puis en­core un col.
Comme j’admire ce­lui qui a peint ce ta­bleau d’escalade pé­rilleuse.
Une porte rouge ver­meil se couvre de touffes denses au som­met…
Les feuilles de fi­laos sont hu­mides de ro­sée tom­bante,
Sages ou hon­nêtes hommes, tous sans ex­cep­tion,
Doivent grim­per, aient-ils les ge­noux las ou les jambes ex­té­nuées. »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Ái Mỹ5 (« Une Grande Poé­tesse : Hồ Xuân-Hương » dans « France-Asie », vol. 8, no 78, p. 941-950)

« Un col, un col, en­core un col,
Vrai­ment gé­nial le grand sculp­teur de ce pas­sage pé­rilleux !
La porte de ci­nabre rouge
S’ouvre sous un dôme de feuillages touf­fus…
La feuille de saule se ploie
Sous la pluie de ro­sée
Qui la sub­merge d’exquise fraî­cheur.
Com­bien d’hommes de vertu et de gens du beau monde
Se re­fusent le plai­sir d’y grim­per
Mal­gré dou­leurs du ge­nou et lour­deurs des jambes ? »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Vân Hoà6 (éd. Édi­livre Apa­ris, Pa­ris)

« Un col, un col, en­core un col,
Loué soit ce­lui qui ci­sela ce pay­sage es­carpé !
Le por­tique s’ouvre rouge ver­meil, avec un faîte bien touffu…
La ro­sée perle sur les feuilles de saule toutes mouillées
Sages, gens de vertu, per­sonne ne veut re­non­cer,
Pieds four­bus, ge­noux rom­pus, tous veulent tou­jours grim­per »
— Poème dans la tra­duc­tion de Mme Fran­çoise Cor­rèze et M. Hữu Ngọc (dans « Fleurs de pam­ple­mous­sier : femmes et poé­sie au Viet­nam », éd. L’Harmattan, Pa­ris, p. 7-34)

« Un col, un col, en­core un col,
Loué soit ce­lui qui sculpta ce pay­sage sus­pendu loin du sol.
Une porte ver­meil rou­geoie sous son faîte touffu…
Trem­pant la feuille de saule, perle la ro­sée du ma­tin.
Des sages, des hommes bien nés, per­sonne ne veut re­non­cer,
Ge­noux four­bus, pieds meur­tris, tous dé­si­rent en­core es­ca­la­der. »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Đông Phong7 (dans « Des Poètes de ma terre loin­taine », éd. Pu­bli­book, Pa­ris, p. 11-22)

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Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  1. Nguyễn Đức Bính. Haut
  2. « His­toire de Hồ Xuân Hương » dans « Contes et Lé­gendes an­na­mites ». Haut
  3. p. 128. Haut
  4. M. Trần Cửu Chấn. Haut
  1. Pseu­do­nyme de M. Bửu Đáo. Haut
  2. Pseu­do­nyme de M. Nguyên Kha. Haut
  3. Pseu­do­nyme de M. Nguyễn Tấn Hưng. Haut