« Les Dix-neuf Poèmes anciens »

éd. Les Belles Lettres, coll. Bibliothèque chinoise, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. Bi­blio­thèque chi­noise, Pa­ris

Il s’agit des « Dix-neuf Poèmes an­ciens »1 (« Gu­shi shi­jiu shou »2), en­semble de dix-neuf poèmes chi­nois, tous ano­nymes, qui tirent leur beauté des images douces et sym­bo­liques et de l’expression toute per­son­nelle de leur mé­lan­co­lie. Très peu connus en Oc­ci­dent, ils datent pro­ba­ble­ment du dé­clin de la dy­nas­tie des Han (IIe siècle apr. J.-C.), qui fut mar­qué par de graves troubles po­li­tiques, et l’emprise du confu­cia­nisme se re­lâ­chant, par une éman­ci­pa­tion de la poé­sie qui s’intéressa non plus aux choses, mais aux sen­ti­ments in­times. Pour la pre­mière fois en Chine, les « Dix-neuf Poèmes an­ciens » évo­quèrent — certes sur un ton po­pu­laire, mais avec art tout de même, et un art qui a ses titres de no­blesse — l’amertume de l’échec, la nos­tal­gie de l’amour idéal, le sen­ti­ment dou­lou­reux de la fra­gi­lité hu­maine, la han­tise du temps qui passe et de la mort : « Se­lon une brillante étude du pro­fes­seur Yo­shi­kawa3, l’idée que l’homme est le jouet d’un des­tin in­com­pré­hen­sible et ca­pri­cieux ne se dé­ve­loppe en Chine que sous les Han. Bien qu’en réa­lité [cette] idée ap­pa­raisse déjà dans le “Shi Jing” et dans les “Élé­gies de Chu”… les per­son­nages du “Shi Jing” croient en gé­né­ral à la jus­tice du ciel, et ceux des “Élé­gies de Chu” ac­cusent plu­tôt les hommes que le ha­sard de leurs mal­heurs. Il semble donc que la dé­so­la­tion si­len­cieuse des “Dix-neuf Poèmes an­ciens” soit bien l’indice d’un pes­si­misme nou­veau », ex­plique M. Jean-Pierre Diény4.

Il n’existe pas moins de trois tra­duc­tions fran­çaises des « Dix-neuf Poèmes an­ciens », mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de M. Diény.

「庭中有奇樹
綠葉發華滋
攀條折其榮
將以遺所思
馨香盈懷袖
路遠莫致之
此物何足貴
但感別經時」

— Poème dans la langue ori­gi­nale

« Il y a dans la cour un arbre mer­veilleux,
La pro­fu­sion des fleurs jaillit du vert feuillage.
J’attire les ra­meaux, je cueille leur splen­deur,
Je vais en faire hom­mage à l’ami de mon cœur.
Leur odeur par­fu­mée em­plit mon sein, mes manches,
La route est longue, et nul moyen de les trans­mettre…
L’objet en soi ne va­lait pas qu’on vous l’offrît,
Ne m’émeut que le temps qui passe et nous sé­pare. »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Diény

« Dans la grand-cour, il croit un arbre rare,
Au vert feuillage, à riche flo­rai­son.
Haus­sée aux ra­meaux, j’en cueille les fleurs,
Pour les en­voyer à ce­lui que j’aime.
Leur sen­teur m’embaume, aux seins, sous mes manches,
Mais il est trop loin pour qu’un don l’atteigne.
Dès lors, vains bou­quets, qu’auriez-vous pour plaire !
J’en sens mieux com­bien dure son ab­sence. »
— Poème dans une tra­duc­tion ano­nyme (dans « An­tho­lo­gie de la poé­sie chi­noise clas­sique », éd. Gal­li­mard-UNESCO, coll. Connais­sance de l’Orient, Pa­ris)

« Dans notre cour, un bel arbre.
Son ver­doie­ment porte fleurs.
Cour­ber les branches, les cueillir
Et les don­ner à son ami.
Elles em­baument mon sein, mes manches.
La route est longue. Elles se fa­ne­ront.
En va­laient-elles vrai­ment la peine ?
Je res­sens l’absence, sens le temps qui passe. »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Claude Roy (dans « Le Vo­leur de poèmes : Chine », éd. Mer­cure de France, Pa­ris, p. 90-102)

Téléchargez ces œuvres imprimées au format PDF

  1. Au­tre­fois tra­duit « Les Dix-Neuf Poèmes des temps très re­cu­lés ». Haut
  2. En chi­nois « 古詩十九首 ». Au­tre­fois trans­crit « Kou che che kieou cheou » ou « Ku-shih shih-chiu shou ». Haut
  1. Kô­jirô Yo­shi­kawa, « 推移の悲哀ー古詩十九首の主題 » (« La Tris­tesse de l’impermanence — le thème prin­ci­pal des “Dix-neuf Poèmes an­ciens” »), in­édit en fran­çais. Haut
  2. p. XXIII. Haut