Kharaqânî, « Paroles d’un soufi »

éd. du Seuil, coll. Points-Sagesses, Paris

éd. du Seuil, coll. Points-Sa­gesses, Pa­ris

Il s’agit d’Abû’l-Hasan Kha­ra­qânî1, mys­tique per­san qui ne sa­vait ni lire ni écrire (Xe-XIe siècle apr. J.-C.). Ce n’était pas un théo­ri­cien, mais un saint ab­sorbé dans la contem­pla­tion et les pra­tiques as­cé­tiques. « Cet océan de tris­tesse, cet homme plus so­lide que le roc, ce so­leil di­vin, ce ciel sans confins, ce pro­dige du Sei­gneur, ce pôle de l’époque, Abû’l-Hasan Kha­ra­qânî — que Dieu lui fasse mi­sé­ri­corde ! — était le roi des rois de tous les maîtres… Il avait la sta­bi­lité d’une mon­tagne, il était le phare de la connais­sance… Il était le dé­po­si­taire des se­crets de la vé­rité. Il avait une en­ver­gure d’âme ex­tra­or­di­naire et un rang su­blime. Son sa­voir de la chose di­vine était im­mense, et l’intempérance de son dis­cours le cou­vrait d’un lustre in­com­pa­rable », dit At­tar2.

Lorsque Kha­ra­qânî était en­fant, ses pa­rents l’envoyaient gar­der les bêtes dans les champs, un dé­jeu­ner dans les mains. L’enfant dis­tri­buait se­crè­te­ment son dé­jeu­ner en au­mône et ne man­geait rien jusqu’au soir. Un jour qu’il la­bou­rait la terre, l’appel à la prière re­ten­tit. Il alla ac­com­plir son de­voir, et lorsque les hommes eurent achevé de prier, ils s’aperçurent que les bœufs de Kha­ra­qânî la­bou­raient tout seuls. Il se pros­terna et dit : « Ô Sei­gneur ! j’ai pour­tant en­tendu dire que tu ca­chais ceux que tu aimes aux yeux des hommes »3.

« Je suis, pour ainsi dire, un em­prunt à l’immensité de Dieu »

Kha­ra­qânî se don­nait comme dis­ciple et hé­ri­tier spi­ri­tuel de Bâyazîd Bis­tâmî, qui avait vécu un siècle plus tôt et qui était en­terré à quelques ki­lo­mètres de Kha­ra­qân. Bien des choses rap­prochent, en ef­fet, les deux hommes : tous deux pay­sans illet­trés, ils étaient dé­vo­rés d’une faim et d’une soif in­sa­tiable de s’anéantir en Dieu : « Je suis, pour ainsi dire, un em­prunt à l’immensité de Dieu, je veux dire que [mon] “moi” est ef­facé en Dieu, et ce qui reste est pure fic­tion », dit Kha­ra­qânî4. Le jour, qui comp­tait vingt-quatre heures, n’était pour notre mys­tique qu’un ins­tant, et cet ins­tant était en­tier à Dieu et avec Dieu : « Cela fait qua­rante ans aujourd’hui que Dieu ne voit rien d’autre dans mon cœur que le sou­ve­nir de Lui. Et c’est bien vrai que, dans ce cœur, sauf quelques brefs ins­tants, il n’y a plus d’autre sou­ve­nir que le Sien ; c’est à Lui qu’appartient la sou­ve­rai­neté du sou­ve­nir sur mon cœur »5.

  1. En per­san ابوالحسن خرقانی. Par­fois trans­crit Aboul-Ha­san el-Khar­ra­kani, Abū al-Ḥa­san al-Ḫa­ra­qānī, Abu’l-Ḥasan-e Khar­ra­qāni, Aby-l-Kha­san Kha­ra­kani, Abol­ha­san Kha­râ­ghani, Ab­dul Ha­san Khar­qani ou Ebu Ha­san el Ha­ra­kani. Haut
  2. Dans p. 75. Haut
  3. p. 204 Haut
  1. p. 96. Haut
  2. p. 212-213. Haut