Il s’agit des haïkus de Yosa Buson 1, grand artiste japonais (XVIIIe siècle apr. J.-C.), maître de la peinture « bunjinga » (« peinture des hommes de lettres »). On dit qu’une nuit, pour mieux observer un effet de lune, il fit un trou à son toit en y mettant le feu avec une chandelle ; perdu dans une extase d’admiration, il ne s’aperçut pas de l’incendie qui en surgit et qui dévora tout un quartier de la capitale. En joignant l’art de la peinture à celui de la poésie, Buson donna une vie nouvelle au haïku délaissé à la mort de Bashô. Il parvint à décrire, avec la même élégance qu’avec son pinceau, ces bagatelles, ces petits imprévus que lui fournissaient naturellement ses voyages. « Se libérer du banal en se servant du banal » 2. Telle fut sa devise paradoxale, qu’il est difficile d’interpréter ; car tout en étant un artiste de génie, Buson ne livra presque jamais le fond de sa pensée. Inimitable et intransmissible, son art disparut avec lui ; seuls ses chefs-d’œuvre en attestent aujourd’hui toute la magnificence et toute la hardiesse. Par exemple, ce célèbre croquis de deux piétons, dont on ne voit de dos que les habits de pluie : « Pluie de printemps / avancent en devisant / un manteau de paille et un parapluie » 3 ; ou cette puissante esquisse des pentes du mont Yoshino, parsemées de cerisiers : « Avalant les nuages / exhalant des fleurs / le mont Yoshino » 4. « Les comparaisons ne sont pas absentes de [ses] poèmes », explique M. Yves Bonnefoy 5, « et ainsi Buson note-t-il que “le bruit de l’eau est sombre”, ce qui ne surprendra pas le lecteur de “Correspondances”. Mais chez Baudelaire, l’analogie est comprise comme l’affleurement d’une vérité inaperçue jusqu’alors, c’est un acte de connaissance, qui prouve la capacité des mots d’atteindre à l’être des choses… Ce qu’énonce Buson, par contre, c’est d’abord — ou même c’est seulement une certitude de la conscience immédiate, sans arrière-pensée spéculative ; et cette perception est aussi silencieuse… que la traînée de couleur que laisse un pinceau sur la feuille blanche… Le rapprochement ne dévoile rien… il retient… »
Il n’existe pas moins de douze traductions françaises des haïkus, mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle de Mme Cheng Wing fun et M. Hervé Collet.
「釣鐘に
とまりて眠る
胡蝶かな」— Haïku dans la langue originale
« Sur la cloche du temple
Endormi
Un papillon »
— Haïku dans la traduction de Mme Cheng et M. Collet
« Sur la grosse cloche
Il s’est posé pour dormir —
Ah ! le papillon »
— Haïku dans la traduction de M. Joan Titus-Carmel (éd. Verdier, Lagrasse)
« Le papillon
Sur une cloche
Assoupi »
— Haïku dans la traduction de Mme Koumiko Muraoka et M. Fouad El-Etr (éd. La Délirante, Paris)
« Sur la cloche du temple
S’est posé un papillon
Qui dort tranquille. »
— Haïku dans la traduction du général Gaston Renondeau (dans « Anthologie de la poésie japonaise classique », éd. Gallimard, coll. UNESCO d’œuvres représentatives, Paris)
« Sur la cloche du temple
Se repose et dort
Un papillon. »
— Haïku dans la traduction de M. Karl Petit (dans « La Poésie japonaise », éd. Seghers, coll. Melior, Paris)
« Sur la cloche du temple
Un papillon
S’est endormi »
— Haïku dans la traduction de MM. Pierre Seghers et Claude Gertler (dans « Le Livre d’or du haïkaï », éd. R. Laffont, coll. Miroir du monde, Paris)
« Sur la grosse cloche
Arrêté il somnole
Le papillon »
— Haïku dans la traduction de M. Maurice Coyaud (dans « Tanka, Haïku, Renga : le triangle magique », éd. Les Belles Lettres, coll. Architecture du verbe, Paris)
« Sur la cloche du temple
Un papillon
Est endormi. »
— Haïku dans la traduction de Mme Gilberte Hla-Dorge (dans « Une Poétesse japonaise au XVIIIe siècle : Kaga no Tchiyo-jo », éd. G.-P. Maisonneuve, Paris)
« Sur la cloche suspendue
S’étant posé, il dort,
Ce petit papillon. »
— Haïku dans la traduction de Conrad Meili (« Le Haïku, poème des saisons » dans « Cahiers du Sud », nº 305, p. 3-40)
« Contre le bourdon
S’est posé et sommeille
Un papillon »
— Haïku dans la traduction de François Toussaint (« Littérature japonaise » dans « Histoire des littératures. Tome I », éd. Gallimard, coll. Encyclopédie de la Pléiade, Paris, p. 1397-1424)
« Posé sur
La cloche du temple
Un papillon endormi »
— Haïku dans la traduction indirecte de Mme Catherine Vaudrey (dans « Haïku : poèmes japonais classiques », éd. G. Trédaniel, Paris)Cette traduction n’a pas été faite sur l’original.
« Le papillon
Posé sur la cloche du temple
Endormi »
— Haïku dans la traduction indirecte de M. Roger Munier (dans « Haïkus : anthologie : poésie », éd. Fayard, coll. Points, Paris)Cette traduction n’a pas été faite sur l’original.
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- Traduction partielle de Conrad Meili (1951) [Source : Bibliothèque nationale de France]
- Traduction partielle de Michel Revon (1923) [Source : Google Livres]
- Traduction partielle de Michel Revon (1918) [Source : Google Livres]
- Traduction partielle de Michel Revon (1910) [Source : Bibliothèque nationale de France].
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- Ryû Yotsuya évoquant Bashô et Buson [Source : France Culture].