Il s’agit de Kamo no Chômei 1, essayiste et moine japonais (XIIe-XIIIe siècle apr. J.-C.). Vers sa vingtième année, étant devenu orphelin, il perdit en même temps l’espoir d’hériter de l’office paternel — celui de gardien du fameux temple de Kamo, à Kyôto. Il se voua, dès lors, à la poésie et à la musique. Vers sa trente-cinquième année, fort du succès que remporta auprès de l’Empereur son recueil poétique, le « Recueil de Chômei » (« Chômei-shû » 2), il reprit l’espoir de se procurer la fonction de son père ; mais il manquait de soutiens, et les intrigues de la Cour l’éloignèrent définitivement de la succession et du palais. Cette déception personnelle, ainsi que les désastres et les calamités qui vinrent frapper le Japon au même moment (grand incendie de Kyôto en 1177, épouvantables famines suivies d’épidémies en 1181-1182, tremblement de terre en 1185), furent autant d’occasions pour Chômei de ressentir l’instabilité des choses humaines, lesquelles lui faisaient penser « à la rosée sur le liseron du matin… : la rosée a beau demeurer, elle ne dure jamais jusqu’au soir » 3. « Au fond, toutes les entreprises humaines sont stupides et vaines », se dit-il 4 ; et au milieu de ces horreurs, s’étant rasé la tête, il se retira dans une petite cabane de dix pieds carrés, sur le mont Hino 5. Et même si, sur l’invitation du shôgun Sanetomo, son frère en poésie et en malheur, il alla passer un peu de temps à Kamakura, il revint bien vite à la solitude de son ermitage. C’est là qu’il composa ses trois grands essais : 1º « Notes sans titre » (« Mumyô-shô » 6), livre de critique poétique ; 2º « Histoires de conversion » (« Hosshinshû » 7), ouvrage d’édification bouddhique, plein d’anecdotes sur les personnes entrées en religion et ayant renoncé au siècle ; et surtout 3º « Notes de ma cabane de moine » (« Hôjô-ki » 8), journal intime méditant sur la vanité du monde (« mujô » 9) et le caractère éphémère de tout ce qui existe. Cette dernière œuvre, malgré sa taille modeste, demeure un des grands chefs-d’œuvre du genre « zuihitsu » 10 (« essais au fil du pinceau ») : « Après les “Notes de l’oreiller” et en attendant le “Cahier des heures oisives”, il constitue [un] des meilleurs livres d’impressions que nous ait laissés la littérature japonaise », explique Michel Revon. « Chômei ne se contente pas de noter, à la fortune du pinceau, des observations ou des pensées disparates, il veut philosopher, écrire d’une manière suivie… Et son charmant écrit, si dénué de toute prétention, n’en devient pas moins un exposé magistral de la sagesse pessimiste. »
Il n’existe pas moins de sept traductions françaises de « Notes de ma cabane de moine », mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle du père Sauveur Candau.
「玉しきの都の中にむねをならべいらかをあらそへる,たかきいやしき人のすまひは,代々を經て盡きせぬものなれど,これをまことかと尋ぬれば,昔ありし家はまれなり.或はこぞ破れてことしは造り,あるは大家ほろびて小家となる.住む人もこれにおなじ.所もかはらず,人も多かれど,いにしへ見し人は,二三十人が中に,わづかにひとりふたりなり.あしたに死し,ゆふべに生るゝならひ,たゞ水の泡にぞ似たりける.」
— Passage dans la langue originale
« Dans la belle capitale, les maisons des nobles et des pauvres se succèdent dans un alignement de tuiles ; elles semblent durer des générations entières. En est-il vraiment ainsi ? Non ; de fait, il y en a bien peu qui soient encore ce qu’elles étaient autrefois. Ici, c’est une maison détruite l’an dernier et reconstruite cette année, là, une luxueuse demeure ruinée devenue une maisonnette. Il en va de même pour les gens qui les habitent. Les lieux ne changent pas ; il semble qu’il y ait toujours autant de monde ; mais en fait, sur les vingt ou trente personnes que j’y ai vues autrefois, à peine en trouverais-je une ou deux. Les uns meurent un matin, qui sont remplacés le soir par de nouvelles naissances. Exactement comme l’écume qui paraît et disparaît sur l’eau. »
— Passage dans la traduction du père Candau
« En la ville pavée de jade, faîte contre faîte rivalisant par leurs tuiles, des grands et des humbles les habitations passent d’âge en âge et ne disparaissent, mais que si de leur vérité l’on s’enquiert, rares sont les maisons telles que jadis elles furent. Celle-ci l’an dernier incendiée, cette année fut reconstruite ; celle-là, grande maison détruite, maisonnette est devenue. Et de ceux qui les habitent, il en va de même. Les lieux point n’ont changé, les gens y sont nombreux, et cependant, de ceux qu’autrefois [vous] y vîtes, d’entre vingt ou trente c’est à peine s’il en est encore un ou deux. L’un meurt le matin, l’autre naît le soir, ainsi qu’il est coutume de l’écume sur l’eau. »
— Passage dans la traduction de M. René Sieffert (« Les Notes de l’ermitage », éd. Publications orientalistes de France, coll. Tama, Cergy)
« Dans les jours majestueux de notre capitale resplendissante, les demeures des grands et des humbles élèvent leurs toits dans la même rivalité qu’aux débuts, mais il en est vraiment peu qui aient tenu plusieurs générations. Une année en déclin, celle d’après en reconstruction ; très souvent le château d’une époque devient la cabane de la suivante. Et il en va ainsi, également, de ceux qui les habitent. Les rues de la ville sont réparties comme avant, mais de toutes les personnes que nous y croisons bien peu sont celles que nous connaissions dans notre jeunesse. Né le matin et mort le soir, ainsi va l’homme depuis toujours, éphémère comme la mousse sur la rivière. »
— Passage dans la traduction de M. Christian Soleil (« “Hôjôki”, La Cabane de dix pieds carrés », éd. Edilivre Aparis, Paris)
« Dans la capitale pavée de joyaux, les maisons des grands et des humbles, joignant les charpentes de leurs toits et rivalisant de leurs tuiles, semblent se maintenir de génération en génération ; mais quand on examine s’il en est bien ainsi, rares sont les maisons anciennes. Telles, détruites l’an dernier, ont été rebâties cette année ; d’autres, qui furent de grandes maisons, sont tombées en ruines et ont été remplacées par de petites. Il en est de même pour leurs habitants. Dans un endroit quelconque, il y a toujours beaucoup de monde ; mais sur vingt ou trente personnes que vous y aviez connues, deux ou trois survivent. On naît le matin, on meurt le soir. Telle est la vie : une écume sur l’eau. »
— Passage dans la traduction de Michel Revon (dans « Anthologie de la littérature japonaise : des origines au XXe siècle », éd. Ch. Delagrave, coll. Pallas, Paris)
« Dans une splendide capitale où les demeures des grands et des humbles joignent les charpentes de leurs toitures et se coudoient avec leurs tuiles, il peut sembler qu’elles durent sans intervalles, de génération en génération. Mais si nous examinons de près, nous trouverons qu’il n’y en a, en réalité, que quelques-unes qui soient anciennes. Celles-ci furent détruites l’an dernier pour être réédifiées cette année ; d’autres, qui furent de grandes maisons, tombèrent en ruines et sont remplacées par de plus petites. La même chose est vraie de leurs habitants. Si nous avons vécu longtemps dans un endroit où nous avions un grand nombre de connaissances, nous trouvons qu’une ou deux seulement nous restent des vingt ou trente que nous comptions auparavant. Le matin quelques-uns meurent, le soir quelques-uns naissent. Telle est la vie. On peut la comparer à l’écume sur l’eau. »
— Passage dans la traduction de William George Aston (dans « Littérature japonaise », éd. A. Colin, coll. Histoires des littératures, Paris, p. 141-150)
« Dans la capitale, pavée de pierres précieuses, les maisons des grands et celles des petits sont les unes près des autres, et les tuiles de leurs toits se touchent. Il semble que ces maisons durent ainsi à jamais, de génération en génération. Cependant, si on examine de près, on voit que les maisons qui existaient autrefois n’ont subsisté que rarement. Les unes, démolies l’an passé, ont été reconstruites cette année telles qu’elles étaient ; les autres, qui furent de grandes maisons, sont remplacées par de plus petites. Il en est de même des hommes qui les habitent. Dans l’endroit même où je rencontre beaucoup de monde, je ne vois plus qu’une ou deux personnes de connaissance parmi les vingt ou trente qui s’y trouvent. Les uns meurent le matin, les autres naissent le soir, exactement comme l’écume sur l’eau. »
— Passage dans la traduction de Takéshi Ishikawa (dans « Étude sur la littérature impressionniste au Japon », éd. A. Pedone, Paris, p. 103-125)
« Dans, telle une parure de perles, la capitale, les résidences des hommes, nobles et modestes, qui exposent à l’envi charpentes et tuiles, semblent traverser indemnes les siècles ; mais si l’on s’enquiert du vrai, les maisons de naguère sont rares. L’une, brûlée l’an passé, a été reconstruite cette année ; l’autre qui était vaste s’est délabrée et réduite. Il en est de même pour leurs habitants. La place ne change pas, les hommes sont nombreux, mais sur les vingt ou trente qu’on voyait autrefois, on ne compte qu’un ou deux survivants. Morts du matin, naissances du soir : comme le suggère seule l’écume des eaux. »
— Passage dans la traduction de MM. René de Ceccatty et Ryôji Nakamura (dans « Mille Ans de littérature japonaise », éd. Ph. Picquier, coll. Picquier poche, Arles)
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- Traduction de Michel Revon (1923) [Source : Google Livres]
- Traduction de Michel Revon (1918) [Source : Google Livres]
- Traduction de Michel Revon (1910) [Source : Bibliothèque nationale de France]
- Traduction de Michel Revon (éd. électronique) [Source : Wikisource].
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- Robert Klaus Heinemann évoquant les « Notes de ma cabane de moine » [Source : Université de Genève (UNIGE)].
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- « Kamo no Chômei » dans « Encyclopédie de la littérature » (éd. Librairie générale française, coll. Le Livre de poche-Encyclopédies d’aujourd’hui, Paris)
- William George Aston, « Littérature japonaise » (éd. A. Colin, coll. Histoires des littératures, Paris) [Source : Colección digital de la Universidad Autónoma de Nuevo León (UANL)]
- Jacqueline Pigeot, « Kamo no Chōmei » dans « Dictionnaire universel des littératures » (éd. Presses universitaires de France, Paris).
- En japonais 鴨長明. Autrefois transcrit Tchômei ou Choumei. Chômei est la lecture à la chinoise des caractères 長明, qui se lisent Nagaakira à la japonaise. On disait, paraît-il, Nagaakira à l’époque de l’auteur ; mais l’usage en a décidé autrement.
- En japonais « 長明集 », inédit en français.
- « Notes de ma cabane de moine », p. 12.
- id. p. 14.
- En japonais 日野山.