Porphyre, « Vie de Pythagore »

éd. Les Belles Lettres, coll. des universités de France, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. des uni­ver­si­tés de France, Pa­ris

Il s’agit de Py­tha­gore1, le pre­mier et peut-être le plus fas­ci­nant des sa­vants grecs (VIe siècle av. J.-C.). Sa vie nous est connue par les bio­gra­phies pu­bliées par Por­phyre2, Jam­blique3 et Dio­gène Laërce. Com­pi­la­teurs mal­adroits et dé­nués de cri­tique, Por­phyre et Jam­blique se sont ac­quit­tés de ce tra­vail avec hon­nê­teté, mais ils ont écrit avec tant de ré­pé­ti­tions, de contra­dic­tions et de dé­ro­ga­tions à l’ordre na­tu­rel des faits, qu’on ne peut re­gar­der ce qu’ils ont fait que comme un col­lage de mor­ceaux qu’ils ont pris dans un grand nombre de bio­graphes aussi mal­adroits qu’eux. Quant à Dio­gène Laërce, il a en­core plus dé­fi­guré la vie et la doc­trine de ce grand sage en lui at­tri­buant des mi­racles, ou plu­tôt des tours de main, plus dignes d’un ma­gi­cien ou d’un char­la­tan que d’un phi­lo­sophe. Et ce­pen­dant, quel homme que ce Py­tha­gore ! « Ja­mais au­cun phi­lo­sophe n’a mé­rité au­tant que lui de vivre dans la mé­moire des hommes », dit Dio­dore de Si­cile4. Py­tha­gore voyait dans le monde une in­tel­li­gence su­prême ; il di­sait que notre pre­mier soin de­vait être de nous rendre sem­blables à Dieu au­tant que notre na­ture le per­met­tait. Il di­sait en­core que l’homme « se sent une autre âme en pé­né­trant dans un temple »5 (« alium ani­mum fieri in­tran­ti­bus tem­plum »). Ses contem­po­rains le met­taient jus­te­ment au nombre des dé­mons bien­fai­sants. Les uns croyaient qu’il était un gé­nie venu de la lune, les autres — un des dieux olym­piens ap­paru aux hommes sous une ap­pa­rence hu­maine. Car « lorsqu’il ten­dait toutes les forces de son es­prit, sans peine il dis­cer­nait toutes choses en dé­tail pour dix, pour vingt gé­né­ra­tions hu­maines », dit Em­pé­docle6. Il passa, dit-on7, la meilleure par­tie de sa vie à l’étranger, dans le se­cret des temples égyp­tiens et thraces, à s’adonner aux spé­cu­la­tions géo­mé­triques et aux doc­trines du sys­tème du monde et de l’harmonie pla­né­taire, et à se faire ini­tier aux mys­tères éso­té­riques, jusqu’au mo­ment où, à cin­quante-six ans, il re­vint en Grèce. Il at­tira tel­le­ment à lui l’attention uni­ver­selle, qu’une seule le­çon qu’il fit à son dé­bar­que­ment en Ita­lie conquit par son élo­quence plus de deux mille au­di­teurs8. On fait du di­vin Pla­ton son hé­ri­tier spi­ri­tuel et on rap­porte la tra­di­tion d’après la­quelle ce der­nier se se­rait pro­curé, à prix d’or, les livres se­crets conser­vés par un des dis­ciples rui­nés de Py­tha­gore9. Le fa­meux mythe de Pla­ton, où seules les ombres, pro­je­tées sur le fond de la ca­verne, ap­pa­raissent aux pri­son­niers — ce fa­meux mythe, dis-je, est d’origine py­tha­go­ri­cienne. Au reste, Py­tha­gore fut non seule­ment le pre­mier à s’être ap­pelé « phi­lo­sophe » (« amou­reux de la sa­gesse »), mais le pre­mier à en­sei­gner que les âmes sont im­mor­telles et qu’elles ne font que chan­ger de condi­tion, en ani­mant suc­ces­si­ve­ment dif­fé­rents corps. Un jour, pas­sant à côté d’un chien qu’un jeune homme bat­tait avec beau­coup de cruauté, il en eut pi­tié et s’exclama : « Ar­rête, cesse de frap­per ! C’est mon ami [dé­funt], c’est son âme ; je le re­con­nais à sa voix »10.

Il n’existe pas moins de deux tra­duc­tions fran­çaises de la bio­gra­phie pu­bliée par Por­phyre, mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle du père Édouard Des Places.

« Ἡ μὲν δὴ περὶ τῶν ἀριθμῶν πραγματεία τοιαύτη τοῖς Πυθαγορείοις. Καὶ διὰ ταύτην πρωτίστην οὖσαν τὴν φιλοσοφίαν ταύτην συνέϐη σϐεσθῆναι, πρῶτον μὲν διὰ τὸ αἰνιγματῶδες, ἔπειτα διὰ τὸ καὶ τὰ γεγραμμένα δωριστὶ γεγράφθαι, ἐχούσης τι καὶ ἀσαφὲς τῆς διαλέκτου, καὶ μηδὲν διὰ τοῦτο ὑπονοεῖσθαι καὶ τὰ ὑπ’ αὐτῆς ἀνιστορούμενα δόγματα ὡς νόθα καὶ παρηκουσμένα τῷ μὴ ἄντικρυς Πυθαγορικοὺς εἶναι τοὺς ἐκφέροντας ταῦτα. Πρὸς δὲ τούτοις τὸν Πλάτωνα καὶ Ἀριστοτέλη Σπεύσιππόν τε καὶ Ἀριστόξενον καὶ Ξενοκράτη, ὡς φασὶν οἱ Πυθαγόρειοι, τὰ μὲν κάρπιμα σφετερίσασθαι διὰ βραχείας ἐπισκευῆς, τὰ δ’ ἐπιπόλαια καὶ ἐλαφρὰ καὶ ὅσα πρὸς διασκευὴν καὶ χλευασμὸν τοῦ διδασκαλείου ὑπὸ τῶν βασκάνως ὕστερον συκοφαντούντων προϐάλλεται συναγαγεῖν καὶ ὡς ἴδια τῆς αἱρέσεως καταχωρίσαι. »
— Pas­sage dans la langue ori­gi­nale

« Telle est donc la théo­rie py­tha­go­ri­cienne des nombres. Et c’est à cause d’elle, si ori­gi­nale, qu’est ve­nue à s’éteindre cette phi­lo­so­phie : d’abord en rai­son de son ca­rac­tère énig­ma­tique ; en­suite parce que les trai­tés étaient écrits en do­rien : ce dia­lecte manque de clarté, et c’est pré­ci­sé­ment pour­quoi on sus­pec­tait aussi comme apo­cryphes et controu­vées les opi­nions qu’il ser­vait à rap­por­ter, sous pré­texte que leurs pré­sen­ta­teurs n’étaient pas de vrais py­tha­go­ri­ciens. En outre, Pla­ton et Aris­tote, Speu­sippe, Aris­toxène et Xé­no­crate s’en étaient, au dire des py­tha­go­ri­ciens, ap­pro­prié le plus fé­cond en le re­ma­niant un peu ; quant au su­per­fi­ciel, au lé­ger, à tout ce que dans la suite les mal­veillants dif­fa­ma­teurs de l’école al­lé­guèrent pour la rui­ner et la ri­di­cu­li­ser, ils l’ont ras­sem­blé et classé comme son bien propre. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion du père Des Places

« Telle était la science des nombres chez les py­tha­go­ri­ciens, et c’est à cause d’elle que la phi­lo­so­phie des py­tha­go­ri­ciens s’éteignit : d’abord parce qu’ils se ser­vaient de sym­boles obs­curs ; en­suite parce que leurs trai­tés étaient écrits en do­rien, dia­lecte qui manque lui-même de clarté ; en­fin [parce] que les dogmes de la secte furent frap­pés de dé­con­si­dé­ra­tion, comme apo­cryphes ou mal in­ter­pré­tés, vu que ceux qui les en­sei­gnaient n’étaient pas de vrais py­tha­go­ri­ciens. En outre, Pla­ton et Aris­tote, Speu­sippe, Aris­toxène et Xé­no­crate, au dire des py­tha­go­ri­ciens, s’approprièrent ce qu’il y avait de meilleur dans les écrits de ces phi­lo­sophes, avec quelques lé­gers chan­ge­ments ; mais les choses vul­gaires et de peu de va­leur, en un mot, toutes celles qui ont été al­lé­guées de­puis par des ca­lom­nia­teurs pour dé­con­si­dé­rer et ren­ver­ser la secte, ils les ras­sem­blèrent et les at­tri­buèrent en propre à cette école. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Ma­rie-Ni­co­las Bouillet (XIXe siècle)

« Atque hu­jus­modi qui­dem usus erat arith­me­tices apud Py­tha­go­reos. Quæ cum prima quæ­dam phi­lo­so­phia es­set, ejus caussa ipsa tan­dem phi­lo­so­phia py­tha­go­rica fuit ex­tincta. Pri­mum qui­dem quod ænig­ma­ti­bus in­vo­luta es­set. Deinde quod com­men­ta­ria ip­so­rum do­rice essent scripta ; cum et ipsa dia­lec­tus nes­cio quid obs­cu­ri­ta­tis ha­beat : atque hanc ob caus­sam nec dog­mata ea dia­lecto consi­gnata in­tel­ligi possent, tan­quam spu­ria et male per­cepta, quia nec ii, qui in vul­gus ea pro­fe­re­bant, veri Py­tha­go­rici erant. Ac­ce­dit etiam quod Plato, Aris­to­teles et Speu­sip­pus, item Aris­toxe­nus et Xe­no­crates, ut Py­tha­go­rei af­fir­mant, uti­lis­sima qui­dem pro suis ven­di­ta­rint, pau­cis qui­bus­dam im­mu­ta­tis : vul­ga­ria au­tem ac le­viora, et quæ­cunque ad sub­ver­ten­dam atque ir­ri­den­dam Py­tha­go­reo­rum scho­lam ab in­vi­dis et ca­lum­nia­to­ri­bus pos­tea ex­co­gi­tata fuere, coa­cer­va­rint, et ut sectæ ejus pro­pria re­li­que­rint. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion la­tine de Lu­kas Hol­ste (XVIIe siècle)

« Atque hu­jus­modi qui­dem usus erat arith­me­tices apud Py­tha­go­reos, atque ob hanc ip­sam quoque pri­ma­riam Py­tha­go­reo­rum phi­lo­so­phiam exs­tin­gui conti­git. Pri­mum ob ejus obs­cu­ri­ta­tem ; deinde quod com­men­ta­ria ip­so­rum do­rice scripta erant, quæ dia­lec­tus et ipsa ali­quid obs­cu­ri­ta­tis ha­bet, atque ab ipsa tra­dita præ­cepta hanc ob caus­sam tan­quam spu­ria et male per­cepta ni­hili ha­beri, quia nec ii, qui in vul­gus ea pro­fe­re­bant, veri Py­tha­go­rici erant. Ac­ce­dit quod Plato et Aris­to­teles et Speu­sip­pus et Aris­toxe­nus et Xe­no­crates, ut Py­tha­go­rei aiunt, uti­lis­sima qui­dem pro suis ven­di­ta­runt, pau­cis qui­bus­dam im­mu­ta­tis : vul­ga­ria au­tem ac le­viora, et quæ­cunque ad sub­ver­ten­dam atque ir­ri­den­dam Py­tha­go­reo­rum scho­lam ab in­vi­dis et ca­lum­nia­to­ri­bus pos­tea ex­co­gi­tata sunt, col­le­ge­runt, et ut sectæ ejus pro­pria re­li­que­runt. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion la­tine d’Anton Wes­ter­mann (XIXe siècle)

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Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  • Ma­tila Cos­tiescu Ghyka, « Le Nombre d’or : rites et rythmes py­tha­go­ri­ciens dans le dé­ve­lop­pe­ment de la ci­vi­li­sa­tion oc­ci­den­tale ; pré­cédé d’une lettre de Paul Va­léry » (éd. Gal­li­mard, Pa­ris)
  • Ivan Go­bry, « Py­tha­gore, ou la Nais­sance de la phi­lo­so­phie » (éd. Se­ghers, coll. Phi­lo­sophes de tous les temps, Pa­ris).
  1. En grec Πυθαγόρας. Au­tre­fois trans­crit Pi­ta­go­ras ou Py­tha­go­ras. Haut
  2. En grec Πορφύριος. Né à Tyr, Por­phyre s’était d’abord ap­pelé Mal­chos (Μάλχος), ce qui veut dire « roi » en sy­riaque. Ce nom pa­rais­sant trop dur à l’oreille grecque, il le tra­dui­sit lui-même par ce­lui de Ba­si­leus (Βασιλεύς), ce qui veut dire « roi » en grec. Mais on le sur­nomma fi­na­le­ment Por­phyre, par al­lu­sion au pig­ment fa­bri­qué dans sa ville na­tale et qui avait rap­port à la royauté. Haut
  3. En grec Ἰάμϐλιχος. Au­tre­fois trans­crit Iam­blique. Haut
  4. En grec « γέγονε ἱστορίας ἄξιος, εἰ καί τις ἕτερος τῶν περὶ παιδείαν διατριψάντων ». Haut
  5. Sé­nèque, « Lettres à Lu­ci­lius. Tome IV. Livres XIV-XVIII », lettre XCIV, sect. 42. Haut
  1. En grec « ὁππότε πάσῃσιν ὀρέξαιτο πραπίδεσσι, ῥεῖά γε τῶν ὄντων πάντων λεύσσεσκεν ἕκαστα καί τε δέκ’ ἀνθρώπων καί τ’ εἴκοσιν αἰώνεσσι ». Haut
  2. Jam­blique, sect. 19. Haut
  3. Por­phyre, sect. 20. Haut
  4. Jam­blique, sect. 199 ; Dio­gène Laërce, sect. 15. Haut
  5. Xé­no­phane dans « An­tho­lo­gie grecque, d’après le ma­nus­crit pa­la­tin » ; Dio­gène Laërce, sect. 36. Haut