Il s’agit de l’« Anthologie grecque » d’après le manuscrit palatin du Xe siècle apr. J.-C. Le terme « anthologie », composé d’« anthos »1 (« fleur ») et de « legô »2 (« cueillir »), signifie un choix, un bouquet de compositions légères qui nous charment par leurs inspirations, trop courtes, d’ailleurs, pour jamais nous fatiguer ; mais plus particulièrement et par excellence, ce terme désigne dans la langue des classicistes l’« Anthologie grecque ». C’est une immense collection de quatre mille petits poèmes, formant une chaîne non interrompue depuis les temps héroïques jusqu’aux derniers temps du Bas-Empire. On y voit les changements opérés, de siècle en siècle, dans les foyers de la culture grecque éparpillés un peu partout en Europe, en Afrique et en Asie. Méléagre3 (IIe-Ie siècle av. J.-C.) est l’un des poètes qui a fourni à l’« Anthologie » le plus de poèmes ; mais ce qui lui fait honneur encore davantage, c’est d’avoir eu l’idée de la première « Anthologie » connue. Il lui donna le titre simple et élégant de « Guirlande » ou « Couronne » (« Stephanos »4), parce qu’il la regarda comme une couronne de fleurs et qu’il symbolisa chaque auteur par une fleur assortie : telle poétesse par un lys, telle autre par un iris, Sappho par une rose, Archiloque le satirique par la feuille d’acanthe « aux piquants redoutables » et ainsi de suite. Philippe de Thessalonique5 (IIe siècle apr. J.-C.) et Agathias6 (VIe siècle apr. J.-C.) firent publier des recueils d’après le même procédé. Enfin, Constantin Céphalas7 s’empara de ces anthologies, pour en coordonner une nouvelle, dont l’unique exemplaire sera découvert dans la poussière de la Bibliothèque palatine, à Heidelberg. De là, le nom de « manuscrit palatin ». Napoléon le réclamera pour la Bibliothèque nationale de France en 1797 ; les Alliés le remettront à l’Allemagne en 1816.
une immense collection de quatre mille petits poèmes
Dès l’aurore de leur civilisation, les Grecs s’étaient plu aux petits vers de société. Comme cette poésie concise se prêtait à toutes sortes de sujets, ils l’employèrent tantôt à consacrer le souvenir d’un héros, à honorer une action mémorable, tantôt à esquisser une impression, à peindre sur le vif des choses vues ou ressenties. « Le poète, pour réussir à ces hasardeuses petites pièces, doit être poli par le commerce du monde aussi bien que par l’étude des choses du goût et de l’élégance », explique Isaac D’Israéli8. « Le génie ne suffit pas toujours pour donner cette grâce d’aménité qui semble réservée aux personnes habituées à la société élégante. De telles productions sont les effusions du goût, plutôt que du talent ; et pour qu’il y réussisse, il ne suffit pas que le poète soit inspiré par la muse, il faut encore que sa page… ait été polie et caressée par la main des Grâces. » Ces louanges en vers, ces gracieuses épitaphes et autres poèmes reçurent le nom général d’« épigramme » — nom dont le sens devint aussi vague, sous le rapport du contenu, que celui de « madrigal ». Plus tard, quand sous la domination romaine les Grecs n’eurent plus les moyens ni les occasions d’encourager les grands ouvrages poétiques ; quand toutes les muses épiques et dramatiques se furent tues, ces épigrammes survécurent à la haute littérature. Et ce qui avait été l’amusement de la Grèce florissante devint le seul travail de la Grèce dégénérée. « Grecs infortunés que nous sommes », dit l’« Anthologie grecque »9, « cendre et poussière ! Nos espérances sont évanouies ou mortes ; car aujourd’hui chez nous tout est confusion et ruine. »
Il n’existe pas moins de trois traductions françaises de l’« Anthologie grecque », mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle de Félix-Désiré Dehèque.
« Τίς ποθ’ Ὁμηρείης μεγάλης ὀπός ἐστιν ἀπευθής ;
Τίς χθών, τίς δὲ θάλασσα μάχην οὐκ οἶδεν Ἀχαιῶν ;
Δῆμος ὁ Κιμμερίων, πανδερκέος ἄμμορος αἴγλης
Ἠελίου, Τροίης ὄνομ’ ἔκλυεν, ἔκλυεν Ἄτλας
Οὐρανὸν εὐρύστερνον ἔχων ἐπικείμενον ὤμοις. »
— Poème dans la langue originale
« Quelles oreilles n’ont point été frappées de la grande voix d’Homère ? Quelle terre, quelle mer ignorent les combats des Grecs ? Le peuple cimmérien10, qui est privé de la lumière du soleil, a entendu le nom de Troie ; Atlas l’a entendu, tout en portant le ciel sur ses vastes épaules. »
— Poème dans la traduction de Dehèque
« Qui ignore la grande voix homérique ? Quelle terre, quelle mer ne connaît les combats des Achéens ? Le peuple des Cimmériens, privé de l’éclat du soleil qui voit tout, a entendu le nom de Troie ; Atlas l’a entendu, lui qui a à porter sur ses épaules le vaste ciel. »
— Poème dans la traduction de Maurice Rat (éd. Garnier frères, Paris)
« Qui ne connaît la grande voix d’Homère ? Quelle terre, quelle mer ignore le combat des Achéens ? Le peuple des Cimmériens, que jamais ne visitent les lumineux rayons du soleil qui voit tout, a entendu le nom de Troie ; Atlas l’a entendu lui qui porte le vaste ciel posé sur ses épaules ! »
— Poème dans la traduction de Pierre Waltz (éd. Les Belles Lettres, coll. des universités de France, Paris)
« Quis tandem Homericæ magnæ vocis est nescius ?
Quæ tellus, quod vero mare pugnam non novit Græcorum ?
Populus Cimmeriorum, cuncta-cernentis expers radiorum
Solis, Trojæ nomen audiit, audiit Atlas
Cælum late-patens qui habet impositum humeris. »
— Poème dans la traduction latine de Jean-François Boissonade (XIXe siècle)
« Quem non personuit vox immortalis Homeri ?
Quod mare, quæ tellus pugnas ignorat Achivum ?
Obsita perpetua caligine Cimmerium gens
Nomen, Troja, tuum tamen audiit : audiit Atlas,
Ætherium vastis qui fert cervicibus axem. »
— Poème dans la traduction latine d’Hugo de Groot, dit Grotius (XVIIe siècle)
« Ecquis Homeriæ vocis, vel carminis expers ?
Quæ tellus, quodque æquor Achaica nesciat arma ?
Ipsi Cimmerii Trojam de nomine norunt,
Luminis expertes Phœbei, novitque Atlas,
Qui latis humeris gerit alti pondera cæli. »
— Poème dans la traduction latine de Florent Chrestien (XVIe siècle)
« Quis unquam Homericæ magnæ succus est fando non auditus ?
Quæ terra, quod mare pugnam non novit Argivorum ?
Populus Cimmeriorum omnia cernentis non particeps splendoris
Solis, Trojæ nomen audivit : audivit Atlas,
Cælum latum habens impositum humeris. »
— Poème dans la traduction latine d’Eilhard Lubin (XVIIe siècle)
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- Traduction partielle de Jacques-Dominique Chopin (1854) [Source : Google Livres]
- Traduction partielle de Charles Sablier (1769) [Source : Google Livres]
- Traduction partielle de M. Philippe Renault (éd. électronique) [Source : Bibliotheca classica selecta (BCS)]
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- Traduction partielle de Julien-Jacques Moutonnet-Clairfons (1773) ; autre copie [Source : Bibliothèque nationale de France]
- Extrait dans la traduction de Pierre Waltz (2019) [Source : Éditions Les Belles Lettres]
- Édition et traduction latine d’Eilhard Lubin (1604) [Source : Bibliothèque électronique suisse]
- Édition et traduction latine d’Eilhard Lubin (1604) ; autre copie [Source : Google Livres]…
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- Charles Des Guerrois, « Étude sur l’Anthologie grecque : ce qu’est l’Anthologie, les traducteurs et imitateurs, les éditions » (XIXe siècle) [Source : Google Livres]
- Conrad Malte-Brun, « Méléagre » dans « Biographie universelle, ancienne et moderne » (XIXe siècle) [Source : Google Livres]
- Charles Augustin Sainte-Beuve, « Anthologie grecque » dans « Nouveaux Lundis. Tome VII » (XIXe siècle), p. 1-52 [Source : Bibliothèque nationale de France].
- En grec ἄνθος.
- En grec λέγω.
- En grec Μελέαγρος. Parfois transcrit Méléagros. « Méléagros est un bien étrange poète, qui naquit en Judée, près du lac de Génésareth. Juif ? ou Syrien ? ou Grec ? On ne sait. Mais amoureux des femmes hébraïques et des poètes de l’Hellas », explique Pierre Louÿs (« Lettre à Paul Valéry du 31.X.1891 » dans Suzanne Larnaudie, « Paul Valéry et la Grèce », éd. Droz, Genève, p. 38).
- En grec « Στέφανος ».
- En grec Φίλιππος ὁ Θεσσαλονικεύς.
- En grec Ἀγαθίας.
- En grec Κωνσταντῖνος ὁ Κεφαλᾶς.
- Dans Charles Des Guerrois, « Étude sur l’Anthologie grecque », p. 32.
- « Tome I », p. 386.
- Le pays fabuleux des Cimmériens, situé aux extrêmes limites de l’océan, était « toujours enveloppé de brouillards et de nuées ; et jamais le brillant Hélios ne le regardait de ses rayons » (« L’Odyssée », ch. XI).