« La Légende de Sieng Hmieng2 »

dans « Péninsule », vol. 6-7, p. 13-174

dans « Pé­nin­sule », vol. 6-7, p. 13-174

Il s’agit de la ver­sion lao­tienne de « La Lé­gende de Xieng Mieng » (« hnăṅsœ̄ jyṅ hmyṅ2 »1). Entre fa­cé­tie, co­mé­die bur­lesque et hu­mour im­pu­dique, don­nant lieu à une sa­tire ef­fron­tée de la so­ciété féo­dale, « La Lé­gende de Xieng Mieng » ren­ferme des épi­sodes d’une plai­san­te­rie certes peu dé­cente, mais à la­quelle se plaisent les cam­pa­gnards du Sud-Est asia­tique. Ceux qui la jugent sé­vè­re­ment de­vraient son­ger à Gui­gnol, à Till l’Espiègle ou aux ou­vrages d’un Ra­be­lais. En réa­lité, il y a là-de­dans une gouaille ro­buste et op­ti­miste, et les per­son­nages qui en font les frais sont des types d’hommes dé­tes­tés par le peuple des cam­pagnes : le char­la­tan, le man­da­rin cor­rompu, le let­tré igno­rant, le bonze dé­bau­ché, jusqu’à l’Empereur de Chine ; tous des vices per­son­ni­fiés, vic­times des farces et des at­ti­tudes pro­vo­cantes de Xieng Mieng. Com­ment ca­rac­té­ri­ser ce der­nier ? Quelque chose comme un mau­vais plai­sant, un ba­te­leur, un his­trion au­quel on ac­cor­dait beau­coup d’insolence et de ruse. Il jouait le rôle des fous de nos an­ciens rois. D’ailleurs, se­lon la ver­sion lao­tienne, il était le bouf­fon même de la Cour du roi de Tha­vaa­raa­va­dii. Je dis « se­lon la ver­sion lao­tienne », car comme dit M. Jacques Né­pote2, « cette his­toire n’est pas un iso­lat : elle se re­trouve dans la plu­part des pays d’Asie du Sud-Est, et avec le même suc­cès, le hé­ros por­tant seule­ment un nom dif­fé­rent : Si Tha­non Say au Siam, Thmenh Chey3 au Cam­bodge, Trạng Quỳnh au Viêt-nam, Ida Ta­laga à Bali, et bien d’autres en­core ». Le roi de Tha­vaa­raa­va­dii, donc, était resté long­temps sans en­fant. Il eut en­fin un fils ; mais les as­tro­logues pré­dirent que le prince mour­rait en sa dou­zième an­née, à moins que le roi n’adoptât un en­fant né à la même heure que son fils. Et le roi d’adopter Xieng Mieng, en­fant de basse ex­trac­tion qui de­vint le double af­freux du prince.

une plai­san­te­rie certes peu dé­cente, mais à la­quelle se plaisent les cam­pa­gnards du Sud-Est asia­tique

À ce pro­pos, il fau­drait sou­li­gner l’intérêt de « La Lé­gende de Xieng Mieng » en tant que pos­sible source his­to­rique, de­puis la dé­cou­verte ré­cente en Thaï­lande de mon­naies et de sta­tues por­tant des épi­graphes sans­crites rap­pe­lant l’« acte mé­ri­toire » (« puṇya ») d’un « illustre sei­gneur de Dvâ­ra­vatî » (« śri Dvā­ra­vatī ’śvara ») ou bien « chef de Dvâ­ra­vatî » (« Dvā­ra­vatī pati ») dont Tha­vaa­raa­va­dii n’est peut-être que la forme dé­for­mée. « L’écriture de ces épi­graphes peut être da­tée des en­vi­rons du VIe-VIIe siècle… Le pays môn au­quel ap­par­te­nait Dvâ­ra­vatî ne peut [pas] être dé­li­mité de fa­çon très pré­cise : à date an­cienne, il semble oc­cu­per une aire géo­gra­phique as­sez large, al­lant de la Basse-Bir­ma­nie jusqu’à la pé­nin­sule ma­laise ; dans ce qui est la Thaï­lande ac­tuelle, il de­vait oc­cu­per éga­le­ment une bonne par­tie du Nord-Est, qu’il par­ta­geait avec les Khmers », dit M. Claude Jacques4.

Voici un pas­sage qui don­nera une idée du style de la ver­sion lao­tienne :
« Il y avait, ja­dis, un très vaste pays qu’on ap­pe­lait Tha­vaa­raa­va­dii.
Les gens des pays (voi­sins) le crai­gnaient et le louaient,
Car ses forces at­tei­gnaient trois cent quatre-vingt mille (hommes).
Quant aux élé­phants et che­vaux, il y en avait en grande quan­tité…
Non loin de là, un fleuve tra­ver­sait le pays ;
À l’aise y ve­naient les vais­seaux de tous les pays pour com­mer­cer.
Là aussi se dres­sait un rem­part, dont la grande porte tou­chait les nuages ;
Des tours y étaient bâ­ties, veillant sur chaque en­droit…
Quant à la grande ca­pi­tale, elle me­su­rait mille brasses.
Les moines s’y vouaient, sans en­combre, aux études.
Quant au pa­lais d’or, il se dres­sait fiè­re­ment au centre de la ville ;
Les ap­par­te­ments royaux (comp­taient) mille chambres et dix mille pi­liers
 »5.

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  1. En lao­tien « ໜັງສືຊຽງໝ້ຽງ ». Par­fois trans­crit « Sieng Mieng », « Siang Miang », « Xiang Miang », « Xien-Mien », « Sieng Hmieng2 » ou « jyṅ hmyṅ2 ». Haut
  2. « Va­ria­tions sur un thème du bouf­fon royal en Asie du Sud-Est pé­nin­su­laire ». Haut
  3. « Thmenh le Vic­to­rieux ». Par­fois trans­crit Tmeñ Jai, Tmen Chéi ou Tmenh Chey. Haut
  1. Dans « Dvā­ra­vatī : aux sources du boud­dhisme en Thaï­lande », p. 27. Haut
  2. p. 21. Haut