
dans « Alexandre le Grand dans les littératures occidentales et proche-orientales » (éd. Université Paris X-Nanterre, coll. Littérales, Nanterre), p. 227-241
Il s’agit d’une traduction partielle du « Livre d’Alexandre le Grand » 1 (« Eskandar-nâmeh » 2) de Nezâmî de Gandjeh 3, le maître du roman en vers, l’un des plus grands poètes de langue persane (XIIe siècle apr. J.-C.). Nezâmî fut le premier qui remania dans un sens romanesque le vieux fonds des traditions persanes. Sans se soucier d’en préserver la pureté et la couleur, il les amalgama librement tantôt aux récits plus ou moins légendaires des compilateurs arabes, tantôt aux fictions des romanciers alexandrins. Par sa sophistication poétique, il dépassa les uns et les autres. Ses œuvres les plus importantes, au nombre de cinq, furent réunies, après sa mort, dans un recueil intitulé « Khamseh » 4 (« Les Cinq ») en arabe ou « Pandj Gandj » 5 (« Les Cinq Trésors ») en persan. Maintes fois copiées, elles étaient de celles que tout honnête homme devait connaître, au point d’en pouvoir réciter des passages entiers. Au sein de leur aire culturelle, à travers cette immensité qui s’étendait de la Perse jusqu’au cœur de l’Asie et qui débordait même sur l’Inde musulmane, elles occupaient une place équivalente à celle qu’eut « L’Énéide » en Europe occidentale. « Les mérites et perfections manifestes de Nezâmî — Allah lui soit miséricordieux ! — se passent de commentaires. Personne ne pourrait réunir autant d’élégances et de finesses qu’il en a réuni dans son recueil “Les Cinq Trésors” ; bien plus, cela échappe au pouvoir du genre humain », dira Djâmî 6 en choisissant de se faire peindre agenouillé devant son illustre prédécesseur.
le premier qui remania dans un sens romanesque le vieux fonds des traditions persanes
Orphelin de bonne heure, Nezâmî fit cependant de brillantes études, grâce à la sollicitude d’un oncle qui le prit en charge. Le jeune protégé acquit ainsi toutes les connaissances humaines, avec un goût marqué pour le soufisme. Ses biographes ne nous apprennent rien d’autre à son sujet, et ses œuvres, pauvres en détails personnels, indiquent seulement qu’il ne fut pas un homme de Cour, mais un citadin ; car de même que Hâfez ne s’éloigna jamais de la ville de Chiraz où il était né, de même, Nezâmî resta claquemuré dans sa Gandjeh 7. « Ce fut un mystique qui jamais ne cessa de comprendre les hommes et de sentir comme eux ; un profond philosophe ; et [en tant que] fidèle serviteur d’Allah, un solitaire isolé du monde », dit Jan Rypka 8. Tandis que les poètes de son temps se bousculaient aux portails des seigneurs, pour en chanter les louanges et en recueillir des profits, Nezâmî, conscient de la haute valeur de ses vers, se contentait d’envoyer de loin ses poèmes :
« Je suis rétribué selon mon seul labeur ;
Si je suis magnifique, c’est grâce à mon [éloquence]…
En cette magie des mots j’excelle :
“Miroir de l’invisible”, tel est mon surnom ! » 9
Une si grande fierté lui fit plusieurs envieux et jaloux, ainsi que quelques plagiaires bien incapables de se mesurer à lui, mais :
« L’océan, qui est vaste et pur,
Qu’a-t-il à craindre de la bave du chien ?…
Le trésor des deux mondes est dans ma manche ;
Que m’importe le larcin de quelque obscur indigent ? » 10
Voici un passage qui donnera une idée du style du « Livre d’Alexandre le Grand » : « Ayant vu ce trône et cette coupe, Alexandre comprit qu’il n’y a pas de trône qui convienne au repos. À moins qu’il ne soit céleste, le trône est un emprisonneur de la vie ! Il convoqua le sage (Apollonius) et le fit placer auprès de la coupe qui reflète le monde. Il lui demanda de regarder les dessins de la coupe, afin de déchiffrer entièrement le mystère du monde. Scrutant (l’intérieur de) la coupe, le savant en déchiffra les signes, caractère après caractère. Dans cette coupe, il y avait plusieurs lignes tracées à la suite depuis l’endroit de l’attache » 11.
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Charles Barbier de Meynard, « La Poésie en Perse : leçon d’ouverture faite au Collège de France, le 4 décembre 1876 » (XIXe siècle) [Source : Bibliothèque nationale de France]
- Francis Richard, « Les “Cinq Poèmes” de Nezâmî : chef-d’œuvre d’un manuscrit persan » (éd. Bibliothèque de l’image, Paris)
- Jan Rypka, « Les “Sept Princesses” de Nizhami » dans « L’Âme de l’Iran » (éd. A. Michel, coll. Spiritualités vivantes, Paris), p. 133-164.
- Parfois traduit « Histoire fabuleuse d’Alexandre le Grand » ou « Alexandréide ».
- En persan « اسکندرنامه ». Parfois transcrit « Secander-nameh », « Sekander Námah », « Sikander Nama », « Escander—namèh », « Eskander Nāmeh », « Iskander-namé », « Iskender-nâmè », « Iskandar Nāma » ou « Sekandar-nâmeh ».
- En persan نظامی گنجوی. Parfois transcrit Nadhami, Nidhami, Nizhâmî, Nizhamy, Nizamy, Nizami, Nishâmi, Nisamy, Nisami, Nezâmy ou Nezhami.
- En arabe « خمسة ». Parfois transcrit « Khamsè », « Khamsah », « Khamsa », « Hamsa », « Hamsah », « Hamse », « Chamseh » ou « Hamseh ».
- En persan « پنج گنج ». Parfois transcrit « Pendsch Kendj », « Pendch Kendj », « Pandsch Gandsch », « Pendj Guendj », « Penj Ghenj », « Pentch-Ghandj » ou « Panj Ganj ».
- « Le Béhâristân », p. 185-186.
- En persan گنجه. Parfois transcrit Ghendjé, Guenjé, Guendjé, Guendjeh, Gendsche, Candjeh, Candjé, Gandjè, Gandja, Gandzha, Ganja, Gandža, Gyandzha ou Gence. Aujourd’hui Gəncə, en Azerbaïdjan.
- « Les “Sept Princesses” de Nizhami », p. 105.
- « Laylâ et Majnûn », p. 32.
- id. p. 33-34.
- p. 239.