«Mohammad Iqbal»

éd. Seghers, coll. Poètes d’aujourd’hui, Paris

éd. Se­ghers, coll. Poètes d’aujourd’hui, Pa­ris

Il s’agit de Mo­ham­mad Iq­bal 1, chef spi­ri­tuel de l’Inde mu­sul­mane, pen­seur et pro­ta­go­niste d’un is­lam ré­nové. Son gé­nie très di­vers s’exerça aussi bien dans la poé­sie que dans la phi­lo­so­phie, et s’exprima avec une égale maî­trise en prose et en vers, en our­dou et en per­san. On peut ju­ger de l’étendue de son in­fluence d’après le grand nombre d’études consa­crées à son su­jet. Cette in­fluence, qui se concentre prin­ci­pa­le­ment au Pa­kis­tan, dont il fa­vo­risa la créa­tion, et où il jouit d’un ex­tra­or­di­naire pres­tige, dé­borde ce­pen­dant sur tout le monde is­la­mique. Ra­bin­dra­nath Ta­gore connut fort bien ce com­pa­triote in­dien, porte-pa­role de la mo­der­nité, sur qui, au len­de­main de sa mort, il pu­blia le mes­sage sui­vant : «La mort de M. Mo­ham­mad Iq­bal creuse dans la lit­té­ra­ture un vide qui, comme une bles­sure pro­fonde, met­tra long­temps à gué­rir. L’Inde, dont la place dans le monde est trop étroite, peut dif­fi­ci­le­ment se pas­ser d’un poète dont la poé­sie a une va­leur aussi uni­ver­selle». Quelle était la si­tua­tion quand Iq­bal, sa thèse de doc­to­rat «La Mé­ta­phy­sique en Perse» 2 tout juste ter­mi­née, com­mença à ap­pro­fon­dir et tenta de ré­soudre les pro­blèmes des États gou­ver­nés par l’islam, qui le tour­men­taient de­puis quelques an­nées déjà? Les ha­bi­tants de ces États, ou­blieux de leur gloire pas­sée, se trou­vaient plon­gés dans une sorte de som­no­lence morne, faite de las­si­tude et de dé­cou­ra­ge­ment :

«La mu­sique qui ré­chauf­fait le cœur de l’assemblée
S’est tue, et le luth s’est brisé…
Le mu­sul­man se la­mente sous le porche de la mos­quée
» 3.

Il af­firma la pos­si­bi­lité de conci­lier les pen­sées orien­tale et oc­ci­den­tale

Dans son ou­vrage en vers «Mes­sage de l’Orient» 4, Iq­bal en­tra dans le dé­tail de cet uni­vers dé­serté par la joie de vivre. Et tout d’abord, d’où ve­nait le mal? Iq­bal ar­riva à la conclu­sion que la dé­ca­dence des États gou­ver­nés par l’islam était due, en grande par­tie, à l’esprit borné des dé­vots, à «cette es­pèce de cercle de fer qui en­toure leur tête et la rend ab­so­lu­ment fer­mée à la science, in­ca­pable de rien ap­prendre ni de s’ouvrir à au­cune idée nou­velle», comme dit Er­nest Re­nan 5. «[Après] la des­truc­tion de Bag­dad — centre de la vie in­tel­lec­tuelle mu­sul­mane — au mi­lieu du XIIIe siècle apr. J.-C.», dit Iq­bal 6, «les pen­seurs conser­va­teurs de l’islam concen­trèrent tous leurs ef­forts sur un seul point : main­te­nir une vie so­ciale uni­forme pour le peuple, en ex­cluant ja­lou­se­ment toute in­no­va­tion dans la loi de cha­ria telle qu’elle était ex­po­sée par les pre­miers doc­teurs de l’islam… Mais ils ne se ren­dirent pas compte — et nos ulé­mas mo­dernes ne se rendent pas non plus compte — que… dans une so­ciété trop or­ga­ni­sée, l’individu est écrasé. Il gagne toute la ri­chesse de la [so­ciété] qui l’entoure, mais il perd sa propre âme».

Dans son ou­vrage en prose «Re­cons­truire la pen­sée re­li­gieuse de l’islam» 7, Iq­bal s’attaqua à ce pli in­cul­qué par la foi dé­vote. Il af­firma la pos­si­bi­lité de conci­lier les pen­sées orien­tale et oc­ci­den­tale, l’une dé­ployant toutes les res­sources de sa poé­sie et de sa tra­di­tion re­li­gieuse; l’autre — toutes celles de sa re­cherche ra­tio­na­liste et mo­derne. C’était là cer­tai­ne­ment une grande illu­sion. Il ne fal­lait pas beau­coup d’efforts pour voir que ces deux pen­sées étaient des en­ne­mies ir­ré­con­ci­liables, dont l’une de­vait res­ter sur le car­reau. La ten­ta­tive d’Iqbal fut, en ce sens, un échec; mais dans un autre sens, elle opéra une vé­ri­table ré­vo­lu­tion dans les belles-lettres de son époque, qui avaient le dé­faut de se ren­fer­mer dans un do­maine très étroit et de se li­mi­ter à des su­jets conve­nus, tou­jours les mêmes; elle en élar­git consi­dé­ra­ble­ment l’horizon en in­tro­dui­sant des ac­quis ré­cents de la connais­sance hu­maine, trai­tés dans une langue riche et va­riée.

Il n’existe pas moins de deux tra­duc­tions fran­çaises du «Mes­sage de l’Orient», mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de Mme Luce-Claude Maître.

«خورشید به دامانم، انجم به گریبانم
در من نگری هیچم، در خود نگری جانم
در شهر و بیابانم در کاخ و شبستانم
من دردم و درمانم، من عیش فراوانم
من تیغ جهان سوزم، من چشمه ی حیوانم
چنگیزی و تیموری، مشتی ز غبار من
هنگامه ی افرنگی، یک جسته شرار من
انسان و جهان او، از نقش و نگار من
خون جگر مردان، سامان بهار من
من آتش سوزانم. من روضه ی رضوانم
آسوده و سیارم، این طرفه تماشا بین
در باده ی امروزم، کیفیت فردا بین
»
— Poème dans la langue ori­gi­nale

«Le so­leil est dans mon cœur, les étoiles se cachent dans les plis de ma tu­nique.
Si tu me contemples, je ne suis rien; si tu re­gardes en toi, je suis toi-même.
Dans les villes et dans les cam­pagnes, dans les pa­lais et dans les chau­mières,
Je suis la dou­leur et ce qui l’apaise, je suis la joie in­fi­nie.
Je suis l’épée qui dé­chire l’univers, je suis la source de vie.
Les Gen­gis Khan et les Ta­mer­lan ne sont qu’une poi­gnée de ma pous­sière,
Le bruit et la fu­reur de l’Europe ne peuvent ri­va­li­ser avec le plus in­fime de mes échos.
L’homme et son uni­vers ne sont que l’une de mes es­quisses,
C’est avec le sang de son cœur que je co­lore mon prin­temps.
Je suis flamme ar­dente, je suis di­vin pa­ra­dis.
Ô étrange mys­tère! Je suis à la fois im­mo­bile et en marche,
L’éternité se re­flète dans ma coupe éphé­mère.»
— Poème dans la tra­duc­tion de Mme Maître

«Le so­leil est dans mon sein, les étoiles sont dans les plis de mes vê­te­ments.
Si tu me contemples, je ne suis rien. Si tu re­gardes en toi, je suis toi-même.
Dans la ville et dans la cam­pagne, dans le pa­lais et dans la ca­bane,
Je suis la dou­leur et ce qui l’apaise, je suis la joie in­fi­nie.
Je suis l’épée qui dé­chire l’univers, je suis la source de la vie.
Les Gen­giz-Khan et les Ta­mer­lan ne sont qu’une poi­gnée de ma pous­sière.
Le tu­multe de l’Europe n’est com­pa­rable qu’au moindre de mes échos.
L’homme et son uni­vers ne sont qu’une de mes es­quisses,
Avec le sang de son cœur, je co­lore mon prin­temps.
Je suis le feu brû­lant, je suis le pa­ra­dis du Très-Haut.
Vois cet étrange spec­tacle : je suis à la fois im­mo­bile et mou­vant.
Dans ma coupe d’aujourd’hui, vois se re­flé­ter de­main.»
— Poème dans la tra­duc­tion de Mme Eva Meye­ro­vitch et M. Mo­ham­mad Achena (éd. Les Belles Lettres, coll. UNESCO d’œuvres re­pré­sen­ta­tives-Tra­duc­tions de textes per­sans, Pa­ris)

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  1. En our­dou محمد اقبال. Par­fois trans­crit Mo­ham­med Eq­bâl, Mo­ha­mad Egh­bal, Mou­ham­mad Iq­bâl ou Mu­ham­mad Ik­bal. Haut
  2. En an­glais «The De­ve­lop­ment of Me­ta­phy­sics in Per­sia». Haut
  3. «Mo­ham­mad Iq­bal», p. 16. Haut
  4. En per­san «پیام مشرق». Haut
  1. «L’Islamisme et la Science», p. 2-3. Haut
  2. «Re­cons­truire la pen­sée re­li­gieuse de l’islam», p. 152. Haut
  3. En an­glais «The Re­cons­truc­tion of Re­li­gious Thought in Is­lam». Haut