Lhasham-Gyal, «En attendant la neige : roman»

éd. Ph. Picquier, Arles

éd. Ph. Pic­quier, Arles

Il s’agit d’«En at­ten­dant la neige» («Bod kyi gces phrug» 1) de M. Lha­sham-Gyal 2, écri­vain ti­bé­tain (XXe-XXIe siècle). Quand il avait dix-huit ou dix-neuf ans, M. Lha­sham-Gyal me­nait paître les mou­tons sur l’un de ces pla­teaux de haute mon­tagne, l’une de ces ter­rasses gi­gan­tesques qui ont valu au Ti­bet l’appellation re­mar­qua­ble­ment juste de «toit du monde». Là, cou­ché sur le dos, étendu et sans mou­ve­ment, il li­sait en tra­duc­tion chi­noise «Les Trois Mous­que­taires» de Du­mas père, «La Dame aux ca­mé­lias» de Du­mas fils, «Notre-Dame de Pa­ris» de Vic­tor Hugo, «Le Rouge et le Noir» de Sten­dhal, quelques tomes de «La Co­mé­die hu­maine» de Bal­zac… Il les li­sait, tout im­mo­bile, tan­dis que, par mo­ment, des vau­tours dé­pe­ceurs de cha­rognes pla­naient dans le ciel, leurs ombres noires tour­noyant au-des­sus de lui, sous les rayons ca­res­sants du so­leil. À coup sûr, ces oi­seaux se mé­pre­naient sur son compte et le croyaient mort. Po­sant le livre sur sa poi­trine, il les re­gar­dait s’éloigner à tire-d’aile et son­geait que ce se­rait un bon­heur de de­ve­nir un vau­tour et de pou­voir se rendre en France par-delà les pics aux neiges éter­nelles, «par-delà [sa] propre exis­tence» 3, peu im­porte dans cette vie ou dans la sui­vante. «Quand j’y re­pense main­te­nant», écrit-il 4, «je di­rais que ces œuvres cé­lèbres de la lit­té­ra­ture fran­çaise vers les­quelles le ha­sard m’a mené ont dû jouer un grand rôle dans mon goût ini­tial… Que les textes que je com­pose s’affranchissent des bar­rières de la langue et soient lus par des gens d’autres pays; qu’ils pro­curent, à ces der­niers, des im­pres­sions to­ta­le­ment dif­fé­rentes des leurs ou bien qui leur pa­raissent très fa­mi­lières; qu’ils soient ca­pables de les ins­pi­rer, comme m’ont ins­piré les œuvres fran­çaises que j’ai lues au­tre­fois, je dois me rendre à l’évidence : voilà qui me tient énor­mé­ment à cœur». Tra­vaillant au Centre de re­cherche ti­bé­to­lo­gique de Chine, M. Lha­sham-Gyal vit aujourd’hui à Pé­kin. Adossé à sa chaise dans son bu­reau, mains der­rière la nuque, il fixe l’extérieur à tra­vers la vitre, le re­gard perdu dans le vide. La vue est hap­pée par la brume ur­baine, pro­dui­sant une désa­gréable im­pres­sion d’écrasement. «Une ri­gi­dité froide se dé­gage du bé­ton et de l’acier des im­meubles qui forment une masse de taille et hau­teur di­verses, à touche-touche, pres­sés les uns contre les autres, comme des boîtes d’allumettes. Si seule­ment la neige pou­vait tom­ber main­te­nant!… Mais dans cette ville, la neige même fon­due n’a pas été fi­chue de tom­ber. Et ce, de­puis long­temps», écrit-il 5. La longue ab­sence de chute de neige à Pé­kin, c’est comme les longues an­nées que M. Lha­sham-Gyal a pas­sées en cette ville, sé­paré du pays des neiges par des mil­liers de ki­lo­mètres. Le voilà de­venu quelqu’un qui at­tend la neige là où elle ne tombe presque ja­mais, «peut-être la sen­sa­tion de quelqu’un qui a la nos­tal­gie de sa terre na­tale»

  1. En ti­bé­tain «བོད་ཀྱི་གཅེས་ཕྲུག». Haut
  2. En ti­bé­tain ལྷ་བྱམས་རྒྱལ་. Par­fois trans­crit Lha byams rgyal. Haut
  3. p. 6. Haut
  1. p. 7. Haut
  2. p. 231 & 233. Haut

Jesuthasan, «Shoba, itinéraire d’un réfugié»

éd. Le Livre de poche, Paris

éd. Le Livre de poche, Pa­ris

Il s’agit de «Shoba, iti­né­raire d’un ré­fu­gié», au­to­bio­gra­phie de M. An­to­ny­tha­san Je­su­tha­san 1, ac­teur et au­teur d’expression ta­moule et fran­çaise, en­gagé à l’adolescence dans le mou­ve­ment des Tigres ta­mouls, exilé en France. Il na­quit en 1967 au vil­lage d’Allaipiddy 2, tout au Nord du Sri Lanka, près de Jaffna. C’était un lieu pai­sible cerné par les ri­zières et les fo­rêts. «Les ga­mins de trois ou quatre ans se pro­me­naient seuls dans la rue; ils ne ris­quaient rien, car tout le monde se connais­sait et tout le monde sa­vait qui était le fils de qui.» 3 En 1979, notre ga­min com­prit qu’une guerre ci­vile, quelque grand mal­heur cou­vait sous la cendre. La po­lice cin­gha­laise ve­nait d’arrêter deux sé­pa­ra­tistes ta­mouls, de les tor­tu­rer, puis de je­ter leurs ca­davres dé­ca­pi­tés sur le bord de la route. Au ma­tin, M. Je­su­tha­san vit tout le vil­lage y ac­cou­rir. «Aujourd’hui en­core, je me rap­pelle les noms de ces deux re­belles : In­pam et Sel­vam… J’avais alors douze ans, et mon en­fance s’achevait bru­ta­le­ment.» 4 En 1981, une autre émeute anti-ta­moule éclata. La bi­blio­thèque de Jaffna dont les flèches ma­jes­tueuses étaient vi­sibles de­puis le vil­lage, fut in­cen­diée par la po­lice et les émeu­tiers en re­pré­sailles de l’assassinat de deux po­li­ciers. Le feu em­porta 95 000 ou­vrages, parmi les­quels des ma­nus­crits sur feuilles de pal­mier n’existant nulle part ailleurs et per­dus sans re­tour pour l’humanité. «Tout le monde avait peur. L’atmosphère était très ten­due. Nous étions si près de Jaffna, et la pe­tite bande de mer qui nous [en] sé­pa­rait sem­blait ré­tré­cir de jour en jour. Et si les émeu­tiers fran­chis­saient le pont?… Les mi­li­taires étaient les pires : cer­tains jours, à Jaffna, ils pas­saient en voi­ture et mi­traillaient la foule au ha­sard.» Puis, il y eut juillet 1983. «Juillet noir». Les Tigres ta­mouls, consti­tués en ré­sis­tance ar­mée, ve­naient de tuer treize mi­li­taires lors d’une at­taque. Tan­dis que les corps étaient ra­pa­triés, le gou­ver­ne­ment cin­gha­lais dé­cré­tait le couvre-feu à Co­lombo et dans la pro­vince du Nord, qu’il li­vrait à la vin­dicte po­pu­laire. Du­rant les se­maines sui­vantes, des foules dé­chaî­nées s’en pre­naient aux Ta­mouls, brû­lant leurs ha­bi­ta­tions, leurs com­merces, leurs voi­tures. Com­bien de vic­times? L’ambassade d’Allemagne si­gna­lait 1 500 tués; les es­ti­ma­tions «of­fi­cielles» — 371 tués et 100 000 autres sans abri 5. Et voilà qui acheva de convaincre les in­dé­cis à em­bras­ser la cause des Tigres ta­mouls. M. Je­su­tha­san en fut. Il quitta sa mai­son en pleine nuit, comme un vo­leur, lais­sant seule­ment ces quelques mots d’adieu : «Je vais me battre pour mon peuple».

  1. En ta­moul அன்ரனிதாசன் யேசுதாசன். Éga­le­ment connu sous le sur­nom de Shoba Sak­thi (ஷோபா சக்தி). Haut
  2. En ta­moul அல்லைப்பிட்டி. Haut
  3. «Shoba, iti­né­raire d’un ré­fu­gié», p. 11. Haut
  1. id. p. 27. Haut
  2. «Ré­sumé par le re­qué­rant de la si­tua­tion po­li­tique au Sri Lanka» dans Com­mis­sion eu­ro­péenne des droits de l’homme (Cour eu­ro­péenne des droits de l’homme), «Dé­ci­sions et Rap­ports», vol. 52. Haut

Jesuthasan, «Friday et Friday : nouvelles»

éd. Zulma, Paris

éd. Zulma, Pa­ris

Il s’agit du «Che­va­lier de Kandy» («Kandy Vee­ran» 1) et autres nou­velles de M. An­to­ny­tha­san Je­su­tha­san 2, ac­teur et au­teur d’expression ta­moule et fran­çaise, en­gagé à l’adolescence dans le mou­ve­ment des Tigres ta­mouls, exilé en France. Il na­quit en 1967 au vil­lage d’Allaipiddy 3, tout au Nord du Sri Lanka, près de Jaffna. C’était un lieu pai­sible cerné par les ri­zières et les fo­rêts. «Les ga­mins de trois ou quatre ans se pro­me­naient seuls dans la rue; ils ne ris­quaient rien, car tout le monde se connais­sait et tout le monde sa­vait qui était le fils de qui.» 4 En 1979, notre ga­min com­prit qu’une guerre ci­vile, quelque grand mal­heur cou­vait sous la cendre. La po­lice cin­gha­laise ve­nait d’arrêter deux sé­pa­ra­tistes ta­mouls, de les tor­tu­rer, puis de je­ter leurs ca­davres dé­ca­pi­tés sur le bord de la route. Au ma­tin, M. Je­su­tha­san vit tout le vil­lage y ac­cou­rir. «Aujourd’hui en­core, je me rap­pelle les noms de ces deux re­belles : In­pam et Sel­vam… J’avais alors douze ans, et mon en­fance s’achevait bru­ta­le­ment.» 5 En 1981, une autre émeute anti-ta­moule éclata. La bi­blio­thèque de Jaffna dont les flèches ma­jes­tueuses étaient vi­sibles de­puis le vil­lage, fut in­cen­diée par la po­lice et les émeu­tiers en re­pré­sailles de l’assassinat de deux po­li­ciers. Le feu em­porta 95 000 ou­vrages, parmi les­quels des ma­nus­crits sur feuilles de pal­mier n’existant nulle part ailleurs et per­dus sans re­tour pour l’humanité. «Tout le monde avait peur. L’atmosphère était très ten­due. Nous étions si près de Jaffna, et la pe­tite bande de mer qui nous [en] sé­pa­rait sem­blait ré­tré­cir de jour en jour. Et si les émeu­tiers fran­chis­saient le pont?… Les mi­li­taires étaient les pires : cer­tains jours, à Jaffna, ils pas­saient en voi­ture et mi­traillaient la foule au ha­sard.» Puis, il y eut juillet 1983. «Juillet noir». Les Tigres ta­mouls, consti­tués en ré­sis­tance ar­mée, ve­naient de tuer treize mi­li­taires lors d’une at­taque. Tan­dis que les corps étaient ra­pa­triés, le gou­ver­ne­ment cin­gha­lais dé­cré­tait le couvre-feu à Co­lombo et dans la pro­vince du Nord, qu’il li­vrait à la vin­dicte po­pu­laire. Du­rant les se­maines sui­vantes, des foules dé­chaî­nées s’en pre­naient aux Ta­mouls, brû­lant leurs ha­bi­ta­tions, leurs com­merces, leurs voi­tures. Com­bien de vic­times? L’ambassade d’Allemagne si­gna­lait 1 500 tués; les es­ti­ma­tions «of­fi­cielles» — 371 tués et 100 000 autres sans abri 6. Et voilà qui acheva de convaincre les in­dé­cis à em­bras­ser la cause des Tigres ta­mouls. M. Je­su­tha­san en fut. Il quitta sa mai­son en pleine nuit, comme un vo­leur, lais­sant seule­ment ces quelques mots d’adieu : «Je vais me battre pour mon peuple».

  1. En ta­moul «கண்டி வீரன்». Par­fois trans­crit «Kandi Vee­ran». Haut
  2. En ta­moul அன்ரனிதாசன் யேசுதாசன். Éga­le­ment connu sous le sur­nom de Shoba Sak­thi (ஷோபா சக்தி). Haut
  3. En ta­moul அல்லைப்பிட்டி. Haut
  1. «Shoba, iti­né­raire d’un ré­fu­gié», p. 11. Haut
  2. id. p. 27. Haut
  3. «Ré­sumé par le re­qué­rant de la si­tua­tion po­li­tique au Sri Lanka» dans Com­mis­sion eu­ro­péenne des droits de l’homme (Cour eu­ro­péenne des droits de l’homme), «Dé­ci­sions et Rap­ports», vol. 52. Haut

Jesuthasan, «La Sterne rouge : roman»

éd. Zulma, Paris

éd. Zulma, Pa­ris

Il s’agit de «La Sterne rouge» («Ichaa» 1), ro­man de M. An­to­ny­tha­san Je­su­tha­san 2, ac­teur et au­teur d’expression ta­moule et fran­çaise, en­gagé à l’adolescence dans le mou­ve­ment des Tigres ta­mouls, exilé en France. Il na­quit en 1967 au vil­lage d’Allaipiddy 3, tout au Nord du Sri Lanka, près de Jaffna. C’était un lieu pai­sible cerné par les ri­zières et les fo­rêts. «Les ga­mins de trois ou quatre ans se pro­me­naient seuls dans la rue; ils ne ris­quaient rien, car tout le monde se connais­sait et tout le monde sa­vait qui était le fils de qui.» 4 En 1979, notre ga­min com­prit qu’une guerre ci­vile, quelque grand mal­heur cou­vait sous la cendre. La po­lice cin­gha­laise ve­nait d’arrêter deux sé­pa­ra­tistes ta­mouls, de les tor­tu­rer, puis de je­ter leurs ca­davres dé­ca­pi­tés sur le bord de la route. Au ma­tin, M. Je­su­tha­san vit tout le vil­lage y ac­cou­rir. «Aujourd’hui en­core, je me rap­pelle les noms de ces deux re­belles : In­pam et Sel­vam… J’avais alors douze ans, et mon en­fance s’achevait bru­ta­le­ment.» 5 En 1981, une autre émeute anti-ta­moule éclata. La bi­blio­thèque de Jaffna dont les flèches ma­jes­tueuses étaient vi­sibles de­puis le vil­lage, fut in­cen­diée par la po­lice et les émeu­tiers en re­pré­sailles de l’assassinat de deux po­li­ciers. Le feu em­porta 95 000 ou­vrages, parmi les­quels des ma­nus­crits sur feuilles de pal­mier n’existant nulle part ailleurs et per­dus sans re­tour pour l’humanité. «Tout le monde avait peur. L’atmosphère était très ten­due. Nous étions si près de Jaffna, et la pe­tite bande de mer qui nous [en] sé­pa­rait sem­blait ré­tré­cir de jour en jour. Et si les émeu­tiers fran­chis­saient le pont?… Les mi­li­taires étaient les pires : cer­tains jours, à Jaffna, ils pas­saient en voi­ture et mi­traillaient la foule au ha­sard.» Puis, il y eut juillet 1983. «Juillet noir». Les Tigres ta­mouls, consti­tués en ré­sis­tance ar­mée, ve­naient de tuer treize mi­li­taires lors d’une at­taque. Tan­dis que les corps étaient ra­pa­triés, le gou­ver­ne­ment cin­gha­lais dé­cré­tait le couvre-feu à Co­lombo et dans la pro­vince du Nord, qu’il li­vrait à la vin­dicte po­pu­laire. Du­rant les se­maines sui­vantes, des foules dé­chaî­nées s’en pre­naient aux Ta­mouls, brû­lant leurs ha­bi­ta­tions, leurs com­merces, leurs voi­tures. Com­bien de vic­times? L’ambassade d’Allemagne si­gna­lait 1 500 tués; les es­ti­ma­tions «of­fi­cielles» — 371 tués et 100 000 autres sans abri 6. Et voilà qui acheva de convaincre les in­dé­cis à em­bras­ser la cause des Tigres ta­mouls. M. Je­su­tha­san en fut. Il quitta sa mai­son en pleine nuit, comme un vo­leur, lais­sant seule­ment ces quelques mots d’adieu : «Je vais me battre pour mon peuple».

  1. En ta­moul «இச்சா». Haut
  2. En ta­moul அன்ரனிதாசன் யேசுதாசன். Éga­le­ment connu sous le sur­nom de Shoba Sak­thi (ஷோபா சக்தி). Haut
  3. En ta­moul அல்லைப்பிட்டி. Haut
  1. «Shoba, iti­né­raire d’un ré­fu­gié», p. 11. Haut
  2. id. p. 27. Haut
  3. «Ré­sumé par le re­qué­rant de la si­tua­tion po­li­tique au Sri Lanka» dans Com­mis­sion eu­ro­péenne des droits de l’homme (Cour eu­ro­péenne des droits de l’homme), «Dé­ci­sions et Rap­ports», vol. 52. Haut

Takeyama, «La Harpe de Birmanie : roman»

éd. Le Serpent à plumes, coll. Motifs, Paris

éd. Le Ser­pent à plumes, coll. Mo­tifs, Pa­ris

Il s’agit de «La Harpe de Bir­ma­nie» («Bi­ruma no ta­te­goto» 1) de M. Mi­chio Ta­keyama 2, au­teur ja­po­nais, tra­duc­teur d’Albert Schweit­zer, de Frie­drich Nietzsche, de Tho­mas Mann…, pro­fes­seur d’allemand au Ly­cée su­pé­rieur d’Ichikô qui as­su­rait, avant-guerre, la for­ma­tion des élites. M. Ta­keyama na­quit à Ôsaka. Mais c’est à Séoul, en Co­rée co­lo­niale, que s’écoula son en­fance. Sa fa­mille y te­nait la suc­cur­sale d’une grande banque ja­po­naise. Pour ses études, il jeta son dé­volu sur la pres­ti­gieuse Uni­ver­sité de Tô­kyô. Rien de plus na­tu­rel, sauf que son père le des­ti­nait à la Fa­culté de droit. Au lieu de cela, il s’inscrivit à la Fa­culté des lettres, dé­par­te­ment de lit­té­ra­ture al­le­mande, sans consul­ter son père, qui, l’apprenant, lui dit avec dé­pit : «J’ai perdu l’un de mes fils» 3. Son di­plôme en poche, M. Ta­keyama par­tit en Al­le­magne, pour deux ans, en 1927. Ber­lin, avec son in­hu­ma­nité, son agi­ta­tion sté­rile, son culte de la dis­ci­pline, sa «bar­ba­rie», lui dé­plut. Notre au­teur sen­tait l’atmosphère suf­fo­cante de «cette es­pèce de nou­veau Moyen Âge» (Hein­rich Mann) qui sem­blait pré­pa­rer l’orage du na­zisme. Il mul­ti­plia ses ex­cur­sions en France — un pays qui cor­res­pon­dait bien mieux à ses propres idéaux : «Chaque fois qu’il en tra­ver­sait la fron­tière, son mo­ral re­mon­tait» (M. Su­ke­hiro Hi­ra­kawa). Quand plus tard, lors de la Se­conde Guerre mon­diale, le mi­nis­tère de l’Éducation im­pé­rial re­com­manda la fin de tout en­sei­gne­ment en fran­çais, M. Ta­keyama aida à main­te­nir les cours dans cette langue au Ly­cée su­pé­rieur d’Ichikô et il écri­vit «L’Allemagne : un nou­veau Moyen Âge?» («Doitsu : ata­ra­shiki Chû­sei?» 4), un es­sai ou­ver­te­ment an­ti­nazi. Mais si la pos­té­rité n’oublia pas tout à fait ses ef­forts cou­ra­geux, tou­te­fois elle les tint pour vains. Et c’est «La Harpe de Bir­ma­nie» qui lui donna la cé­lé­brité. Pu­blié en feuille­ton dans un ma­ga­zine pour en­fants de 1947 à 1948, ce ro­man fut en­suite po­pu­la­risé par le ci­néma en 1956 et 1985 et par la té­lé­vi­sion en 1986. «La Harpe de Bir­ma­nie» est un vi­brant hymne à la paix, où un ca­po­ral ja­po­nais échange son fu­sil contre une harpe. Dé­guisé en Bir­man et en moine, il de­vient peu à peu les deux : «Ar­rié­rés? Les Bir­mans? Il m’arrive sou­vent de pen­ser que nous, les Ja­po­nais, nous sommes bien plus bar­bares qu’eux… Eh oui! il est cer­tain que nous pos­sé­dons les ou­tils de la ci­vi­li­sa­tion, mais qu’en avons-nous fait? Une guerre dé­vas­ta­trice, qui nous a me­nés jusqu’ici et qui a causé chez les Bir­mans de ter­ribles souf­frances» 5. Re­non­çant à ren­trer au Ja­pon, le ca­po­ral dé­cide seule­ment de si­gni­fier, une der­nière fois, aux siens sa pré­sence, en jouant de sa harpe, ca­ché dans un im­mense boud­dha dont les yeux semblent les fixer. Chan­tant en chœur avec lui, les sol­dats com­prennent que «l’homme connu sous le nom de ca­po­ral Mi­zu­shima n’existe plus»

  1. En ja­po­nais «ビルマの竪琴». Par­fois tra­duit «La Harpe bir­mane». Haut
  2. En ja­po­nais 竹山道雄. Haut
  3. En ja­po­nais «息子を一人失った». Haut
  1. En ja­po­nais «独逸・新しき中世?» Haut
  2. p. 91. Haut

Der Alexanian, «Des choses à vivre, une histoire française : roman»

éd. Edilivre, Paris

éd. Edi­livre, Pa­ris

Il s’agit de «Des choses à vivre, une his­toire fran­çaise», ro­man de M. Jacques Der Alexa­nian 1. Je­tés hors de leur pays, les pa­rents de M. Der Alexa­nian avaient été ac­cueillis en France et y avaient re­fait leur vie. Comme tous ceux de leur gé­né­ra­tion, ils ne vi­vaient pas to­ta­le­ment heu­reux, et pas tristes non plus, avec quelque chose en eux qui res­tait in­con­so­lable. Le sou­ve­nir de leur pa­trie n’avait cessé de les pour­suivre. Là où ils si­tuaient le pa­ra­dis ter­restre; là où se dres­saient ja­dis les ma­gni­fiques mo­nu­ments de la chré­tienté; dans cette contrée que les dé­pêches ap­pe­laient l’Anatolie orien­tale, et qui était l’Arménie, il n’y avait plus au­cun Ar­mé­nien. Ses vil­lages avaient été dé­bap­ti­sés, ses éty­mo­lo­gies tra­hies, ses gens tués ou dé­por­tés, ses mo­nas­tères per­ver­tis en pri­sons et ne te­nant en­core de­bout que pour rap­pe­ler cette page hon­teuse et san­glante au livre de l’histoire turque. Il ne se pas­sait pas de se­maine à la mai­son Der Alexa­nian sans vi­site de pa­rents ou de voi­sins ar­mé­niens pour ra­con­ter les drames aux­quels ils avaient été mê­lés. M. Der Alexa­nian de­meu­rait, no­tam­ment, frappé par l’une des proches amies de ses pa­rents. Par des al­lu­sions, par des demi-mots, cette femme en ap­pa­rence si calme lais­sait en­tendre qu’elle avait dû su­bir, toute jeune fille, les pires atro­ci­tés. Dé­pouillée de tous ses vê­te­ments, bat­tue, vio­len­tée par les Turcs, elle avait été lais­sée pour morte. Par quel mi­racle avait-elle sur­vécu? Tou­jours est-il qu’elle avait erré des se­maines, des mois du­rant à tra­vers des mon­tagnes sau­vages, vi­vant d’herbes, de ra­cines et de baies. Les pa­rents de M. Der Alexa­nian, Ga­za­ros 2 et Ne­varte, eux, par­laient peu; ou ils par­laient seule­ment de la France et de tout le res­pect que leur ins­pi­rait cette se­conde pa­trie, di­sant quel­que­fois, avec M. Charles Az­na­vour : «La France c’est mon pays, l’Arménie c’est ma re­li­gion» 3.

  1. Éga­le­ment connu sous le sur­nom de M. Jacques Alexan. Haut
  2. On ren­contre aussi les gra­phies Ga­zar et Gha­za­ros. Haut
  1. Dans Aïda Az­na­vour-Gar­va­rentz, «Pe­tit frère; avec le concours de De­nys de La Pa­tel­lière» (éd. élec­tro­nique). Haut

Der Alexanian, «Il s’est écoulé un siècle : roman»

éd. L’Harmattan, Paris

éd. L’Harmattan, Pa­ris

Il s’agit d’«Il s’est écoulé un siècle», ro­man de M. Jacques Der Alexa­nian 1. Je­tés hors de leur pays, les pa­rents de M. Der Alexa­nian avaient été ac­cueillis en France et y avaient re­fait leur vie. Comme tous ceux de leur gé­né­ra­tion, ils ne vi­vaient pas to­ta­le­ment heu­reux, et pas tristes non plus, avec quelque chose en eux qui res­tait in­con­so­lable. Le sou­ve­nir de leur pa­trie n’avait cessé de les pour­suivre. Là où ils si­tuaient le pa­ra­dis ter­restre; là où se dres­saient ja­dis les ma­gni­fiques mo­nu­ments de la chré­tienté; dans cette contrée que les dé­pêches ap­pe­laient l’Anatolie orien­tale, et qui était l’Arménie, il n’y avait plus au­cun Ar­mé­nien. Ses vil­lages avaient été dé­bap­ti­sés, ses éty­mo­lo­gies tra­hies, ses gens tués ou dé­por­tés, ses mo­nas­tères per­ver­tis en pri­sons et ne te­nant en­core de­bout que pour rap­pe­ler cette page hon­teuse et san­glante au livre de l’histoire turque. Il ne se pas­sait pas de se­maine à la mai­son Der Alexa­nian sans vi­site de pa­rents ou de voi­sins ar­mé­niens pour ra­con­ter les drames aux­quels ils avaient été mê­lés. M. Der Alexa­nian de­meu­rait, no­tam­ment, frappé par l’une des proches amies de ses pa­rents. Par des al­lu­sions, par des demi-mots, cette femme en ap­pa­rence si calme lais­sait en­tendre qu’elle avait dû su­bir, toute jeune fille, les pires atro­ci­tés. Dé­pouillée de tous ses vê­te­ments, bat­tue, vio­len­tée par les Turcs, elle avait été lais­sée pour morte. Par quel mi­racle avait-elle sur­vécu? Tou­jours est-il qu’elle avait erré des se­maines, des mois du­rant à tra­vers des mon­tagnes sau­vages, vi­vant d’herbes, de ra­cines et de baies. Les pa­rents de M. Der Alexa­nian, Ga­za­ros 2 et Ne­varte, eux, par­laient peu; ou ils par­laient seule­ment de la France et de tout le res­pect que leur ins­pi­rait cette se­conde pa­trie, di­sant quel­que­fois, avec M. Charles Az­na­vour : «La France c’est mon pays, l’Arménie c’est ma re­li­gion» 3.

  1. Éga­le­ment connu sous le sur­nom de M. Jacques Alexan. Haut
  2. On ren­contre aussi les gra­phies Ga­zar et Gha­za­ros. Haut
  1. Dans Aïda Az­na­vour-Gar­va­rentz, «Pe­tit frère; avec le concours de De­nys de La Pa­tel­lière» (éd. élec­tro­nique). Haut

Der Alexanian, «Arménie, Arménies. [Tome III.] Un Nom pour héritage (1987-2000)»

éd. L’Harmattan, Paris-Montréal-Budapest-Turin

éd. L’Harmattan, Pa­ris-Mont­réal-Bu­da­pest-Tu­rin

Il s’agit d’«Ar­mé­nie, Ar­mé­nies», re­por­tage d’après le ca­hier de son père de M. Jacques Der Alexa­nian 1. Je­tés hors de leur pays, les pa­rents de M. Der Alexa­nian avaient été ac­cueillis en France et y avaient re­fait leur vie. Comme tous ceux de leur gé­né­ra­tion, ils ne vi­vaient pas to­ta­le­ment heu­reux, et pas tristes non plus, avec quelque chose en eux qui res­tait in­con­so­lable. Le sou­ve­nir de leur pa­trie n’avait cessé de les pour­suivre. Là où ils si­tuaient le pa­ra­dis ter­restre; là où se dres­saient ja­dis les ma­gni­fiques mo­nu­ments de la chré­tienté; dans cette contrée que les dé­pêches ap­pe­laient l’Anatolie orien­tale, et qui était l’Arménie, il n’y avait plus au­cun Ar­mé­nien. Ses vil­lages avaient été dé­bap­ti­sés, ses éty­mo­lo­gies tra­hies, ses gens tués ou dé­por­tés, ses mo­nas­tères per­ver­tis en pri­sons et ne te­nant en­core de­bout que pour rap­pe­ler cette page hon­teuse et san­glante au livre de l’histoire turque. Il ne se pas­sait pas de se­maine à la mai­son Der Alexa­nian sans vi­site de pa­rents ou de voi­sins ar­mé­niens pour ra­con­ter les drames aux­quels ils avaient été mê­lés. M. Der Alexa­nian de­meu­rait, no­tam­ment, frappé par l’une des proches amies de ses pa­rents. Par des al­lu­sions, par des demi-mots, cette femme en ap­pa­rence si calme lais­sait en­tendre qu’elle avait dû su­bir, toute jeune fille, les pires atro­ci­tés. Dé­pouillée de tous ses vê­te­ments, bat­tue, vio­len­tée par les Turcs, elle avait été lais­sée pour morte. Par quel mi­racle avait-elle sur­vécu? Tou­jours est-il qu’elle avait erré des se­maines, des mois du­rant à tra­vers des mon­tagnes sau­vages, vi­vant d’herbes, de ra­cines et de baies. Les pa­rents de M. Der Alexa­nian, Ga­za­ros 2 et Ne­varte, eux, par­laient peu; ou ils par­laient seule­ment de la France et de tout le res­pect que leur ins­pi­rait cette se­conde pa­trie, di­sant quel­que­fois, avec M. Charles Az­na­vour : «La France c’est mon pays, l’Arménie c’est ma re­li­gion» 3.

  1. Éga­le­ment connu sous le sur­nom de M. Jacques Alexan. Haut
  2. On ren­contre aussi les gra­phies Ga­zar et Gha­za­ros. Haut
  1. Dans Aïda Az­na­vour-Gar­va­rentz, «Pe­tit frère; avec le concours de De­nys de La Pa­tel­lière» (éd. élec­tro­nique). Haut

Der Alexanian, «Arménie, Arménies. Tome II. Les Héritiers du pays oublié (1922-1987)»

éd. R. Laffont, Paris

éd. R. Laf­font, Pa­ris

Il s’agit d’«Ar­mé­nie, Ar­mé­nies», re­por­tage d’après le ca­hier de son père de M. Jacques Der Alexa­nian 1. Je­tés hors de leur pays, les pa­rents de M. Der Alexa­nian avaient été ac­cueillis en France et y avaient re­fait leur vie. Comme tous ceux de leur gé­né­ra­tion, ils ne vi­vaient pas to­ta­le­ment heu­reux, et pas tristes non plus, avec quelque chose en eux qui res­tait in­con­so­lable. Le sou­ve­nir de leur pa­trie n’avait cessé de les pour­suivre. Là où ils si­tuaient le pa­ra­dis ter­restre; là où se dres­saient ja­dis les ma­gni­fiques mo­nu­ments de la chré­tienté; dans cette contrée que les dé­pêches ap­pe­laient l’Anatolie orien­tale, et qui était l’Arménie, il n’y avait plus au­cun Ar­mé­nien. Ses vil­lages avaient été dé­bap­ti­sés, ses éty­mo­lo­gies tra­hies, ses gens tués ou dé­por­tés, ses mo­nas­tères per­ver­tis en pri­sons et ne te­nant en­core de­bout que pour rap­pe­ler cette page hon­teuse et san­glante au livre de l’histoire turque. Il ne se pas­sait pas de se­maine à la mai­son Der Alexa­nian sans vi­site de pa­rents ou de voi­sins ar­mé­niens pour ra­con­ter les drames aux­quels ils avaient été mê­lés. M. Der Alexa­nian de­meu­rait, no­tam­ment, frappé par l’une des proches amies de ses pa­rents. Par des al­lu­sions, par des demi-mots, cette femme en ap­pa­rence si calme lais­sait en­tendre qu’elle avait dû su­bir, toute jeune fille, les pires atro­ci­tés. Dé­pouillée de tous ses vê­te­ments, bat­tue, vio­len­tée par les Turcs, elle avait été lais­sée pour morte. Par quel mi­racle avait-elle sur­vécu? Tou­jours est-il qu’elle avait erré des se­maines, des mois du­rant à tra­vers des mon­tagnes sau­vages, vi­vant d’herbes, de ra­cines et de baies. Les pa­rents de M. Der Alexa­nian, Ga­za­ros 2 et Ne­varte, eux, par­laient peu; ou ils par­laient seule­ment de la France et de tout le res­pect que leur ins­pi­rait cette se­conde pa­trie, di­sant quel­que­fois, avec M. Charles Az­na­vour : «La France c’est mon pays, l’Arménie c’est ma re­li­gion» 3.

  1. Éga­le­ment connu sous le sur­nom de M. Jacques Alexan. Haut
  2. On ren­contre aussi les gra­phies Ga­zar et Gha­za­ros. Haut
  1. Dans Aïda Az­na­vour-Gar­va­rentz, «Pe­tit frère; avec le concours de De­nys de La Pa­tel­lière» (éd. élec­tro­nique). Haut

Der Alexanian, «[Arménie, Arménies.] Tome I. Le ciel était noir sur l’Euphrate»

éd. R. Laffont, Paris

éd. R. Laf­font, Pa­ris

Il s’agit d’«Ar­mé­nie, Ar­mé­nies», re­por­tage d’après le ca­hier de son père de M. Jacques Der Alexa­nian 1. Je­tés hors de leur pays, les pa­rents de M. Der Alexa­nian avaient été ac­cueillis en France et y avaient re­fait leur vie. Comme tous ceux de leur gé­né­ra­tion, ils ne vi­vaient pas to­ta­le­ment heu­reux, et pas tristes non plus, avec quelque chose en eux qui res­tait in­con­so­lable. Le sou­ve­nir de leur pa­trie n’avait cessé de les pour­suivre. Là où ils si­tuaient le pa­ra­dis ter­restre; là où se dres­saient ja­dis les ma­gni­fiques mo­nu­ments de la chré­tienté; dans cette contrée que les dé­pêches ap­pe­laient l’Anatolie orien­tale, et qui était l’Arménie, il n’y avait plus au­cun Ar­mé­nien. Ses vil­lages avaient été dé­bap­ti­sés, ses éty­mo­lo­gies tra­hies, ses gens tués ou dé­por­tés, ses mo­nas­tères per­ver­tis en pri­sons et ne te­nant en­core de­bout que pour rap­pe­ler cette page hon­teuse et san­glante au livre de l’histoire turque. Il ne se pas­sait pas de se­maine à la mai­son Der Alexa­nian sans vi­site de pa­rents ou de voi­sins ar­mé­niens pour ra­con­ter les drames aux­quels ils avaient été mê­lés. M. Der Alexa­nian de­meu­rait, no­tam­ment, frappé par l’une des proches amies de ses pa­rents. Par des al­lu­sions, par des demi-mots, cette femme en ap­pa­rence si calme lais­sait en­tendre qu’elle avait dû su­bir, toute jeune fille, les pires atro­ci­tés. Dé­pouillée de tous ses vê­te­ments, bat­tue, vio­len­tée par les Turcs, elle avait été lais­sée pour morte. Par quel mi­racle avait-elle sur­vécu? Tou­jours est-il qu’elle avait erré des se­maines, des mois du­rant à tra­vers des mon­tagnes sau­vages, vi­vant d’herbes, de ra­cines et de baies. Les pa­rents de M. Der Alexa­nian, Ga­za­ros 2 et Ne­varte, eux, par­laient peu; ou ils par­laient seule­ment de la France et de tout le res­pect que leur ins­pi­rait cette se­conde pa­trie, di­sant quel­que­fois, avec M. Charles Az­na­vour : «La France c’est mon pays, l’Arménie c’est ma re­li­gion» 3.

  1. Éga­le­ment connu sous le sur­nom de M. Jacques Alexan. Haut
  2. On ren­contre aussi les gra­phies Ga­zar et Gha­za­ros. Haut
  1. Dans Aïda Az­na­vour-Gar­va­rentz, «Pe­tit frère; avec le concours de De­nys de La Pa­tel­lière» (éd. élec­tro­nique). Haut

«Susanne-Catherine de Klettenberg et les “Confessions d’une belle âme”»

dans « Le Chrétien évangélique », vol. 23, p. 21-33 & 75-88 & 119-134 & 223-229

dans «Le Chré­tien évan­gé­lique», vol. 23, p. 21-33 & 75-88 & 119-134 & 223-229

Il s’agit du poème «Re­gards je­tés dans l’éternité» («Blicke der Ewig­keit») et autres écrits de Su­sanna von Klet­ten­berg, dite Su­sanne de Klet­ten­berg 1 (XVIIIe siècle), mys­tique al­le­mande, pié­tiste et oc­cul­tiste, âme exal­tée s’adonnant à l’alchimie, amie de la mère de Gœthe. Les deux fa­milles, Gœthe et Klet­ten­berg, étaient ap­pa­ren­tées. Se­lon toute ap­pa­rence, Su­sanne de Klet­ten­berg connut dès son plus jeune âge l’enfant pré­coce qui de­vait, un jour, sub­ju­guer l’Allemagne et le monde en­tier; se­lon toute ap­pa­rence aussi, Gœthe dut à cette noble re­li­gieuse beau­coup des im­pres­sions qui en­tou­rèrent son en­fance et sa jeu­nesse. Elle se trouve mê­lée, de ma­nière très in­time, à tout son dé­ve­lop­pe­ment mo­ral et in­tel­lec­tuel. Écou­tons la des­crip­tion que l’immense poète a lais­sée d’elle dans ses mé­moires : «Elle était», dit-il 2, «d’une taille svelte, de gran­deur moyenne… Sa mise très soi­gnée rap­pe­lait le cos­tume des sœurs her­nutes 3. La sé­ré­nité et le re­pos de l’âme ne la quit­taient ja­mais. Elle consi­dé­rait sa ma­la­die comme un élé­ment né­ces­saire de sa pas­sa­gère exis­tence ter­restre; elle souf­frait avec la plus grande pa­tience, et dans les in­ter­valles, elle était vive et cau­sante». Su­sanne de Klet­ten­berg ap­par­te­nait par sa nais­sance au monde le plus dis­tin­gué de Franc­fort; mais elle s’en était éloi­gnée de bonne heure. Sa santé faible, son édu­ca­tion re­le­vée, la vi­va­cité et l’originalité de son es­prit, son pen­chant pour le sur­na­tu­rel l’avaient pous­sée au mys­ti­cisme chré­tien; aux doc­trines de l’occultisme aussi : c’était le temps où le comte de Ca­glios­tro sé­dui­sait toutes les ima­gi­na­tions. Elle écri­vait en 1769 : «Le Sei­gneur n’est pas in­ac­tif dans notre ville, non plus; Il souffle de mille fa­çons sur les pe­tites étin­celles et les ral­lume… Il n’a cesse jusqu’à ce qu’Il ait trouvé la der­nière de Ses bre­bis» 4. Le fils de son amie al­lait de­ve­nir pour elle cette «bre­bis» éga­rée. Aux en­vi­rons de sa ving­tième an­née, Gœthe était un étu­diant tour­menté, désem­paré, «en quelque sorte comme un nau­fragé» («als ein Schiff­brü­chi­ger»), qui sem­blait «plus souf­frir en­core de l’âme que du corps» 5. Elle trouva en ce jeune homme que la vie avait déçu tout ce qu’elle de­man­dait : une na­ture jeune et im­pres­sion­nable, qui as­pi­rât comme elle à quelque fé­li­cité in­con­nue, et sur qui elle pût prendre de l’ascendant. «Déjà, elle avait étu­dié en se­cret l’“Opus mago-ca­ba­lis­ti­cum” de Wel­ling», dit Gœthe 6, «mais comme [cet] au­teur obs­cur­cit et fait dis­pa­raître aus­si­tôt la lu­mière qu’il com­mu­nique, elle cher­chait un ami qui lui tînt com­pa­gnie dans ces al­ter­na­tives de lu­mière et d’obscurité; elle n’eut pas be­soin de grands ef­forts pour m’inoculer aussi ce [germe]». Sous sa di­rec­tion, Gœthe porta à cette ma­gie ca­ba­lis­tique l’ardeur qu’il met­tait en toutes choses.

  1. Par­fois trans­crit Su­zanne de Klet­ten­berg. Haut
  2. «Œuvres; trad. par Jacques Por­chat. Tome VIII. Mé­moires», p. 293. Haut
  3. Les her­nutes, plus com­mu­né­ment ap­pe­lés mo­raves, étaient des sec­taires chré­tiens d’une grande pu­reté de mœurs. Haut
  1. Hip­po­lyte Loi­seau, «L’Évolution mo­rale de Gœthe : les an­nées de libre for­ma­tion (1749-1794)» (éd. F. Al­can, Pa­ris), p. 98. Haut
  2. «Œuvres; trad. par Jacques Por­chat. Tome VIII. Mé­moires», p. 292. Haut
  3. id. p. 295. Haut

«Auguste et Athénodore»

dans « Revue des études anciennes », vol. 47, p. 261-273 ; vol. 48, p. 62-79

dans «Re­vue des études an­ciennes», vol. 47, p. 261-273; vol. 48, p. 62-79

Il s’agit d’Athénodore (le) Ca­na­nite 1 ou Athé­no­dore de Tarse 2, phi­lo­sophe grec, pré­cep­teur et ami in­time d’Auguste. Plu­sieurs hommes ont porté le nom d’Athénodore. Ce­lui dont je me pro­pose de rendre compte ici est le plus cé­lèbre, ayant fait une par­tie de sa car­rière à Rome, dans l’entourage im­mé­diat d’Auguste. Il est per­mis de pen­ser qu’il fut pour quelque chose dans la clé­mence et la dou­ceur que cet Em­pe­reur fit pa­raître au cours de son règne. Ayant at­teint un grand âge, Athé­no­dore de­manda à Au­guste la per­mis­sion de re­tour­ner à Tarse, sa pa­trie, et conseilla en par­tant à son élève «d’attendre, quand il était en co­lère, pour par­ler ou pour agir qu’il eût ré­cité à voix basse les vingt-quatre lettres de l’alphabet» (Plu­tarque). Le géo­graphe Stra­bon joint tou­jours le nom de Po­si­do­nius à ce­lui d’Athénodore comme deux des plus grands stoï­ciens de leur siècle. Il at­tri­bue à ces deux phi­lo­sophes plu­sieurs opi­nions com­munes, tant sur la na­ture de l’océan, que sur les causes du flux et du re­flux. Et lorsque Ci­cé­ron a be­soin de ren­sei­gne­ments bi­blio­gra­phiques sur les pro­blèmes mo­raux et les so­lu­tions pro­po­sées par Po­si­do­nius, c’est aussi à Athé­no­dore qu’il a re­cours. Tout porte à croire que le pre­mier a été le maître du se­cond. Athé­no­dore a com­posé plu­sieurs ou­vrages. Mal­heu­reu­se­ment, la pos­té­rité ne s’est pas donné la peine de conser­ver même leurs titres. Il faut se ré­si­gner aux tra­di­tions de la «pe­tite his­toire», aux anec­dotes. L’une des plus cu­rieuses met en scène Athé­no­dore dans une mai­son han­tée d’Athènes 3 peut-être à l’occasion de son sé­jour dans cette ville pour une confé­rence. Les lo­ge­ments à Athènes étaient rares; Athé­no­dore ris­quait de n’en trou­ver au­cun, si le ha­sard ne l’avait guidé vers une mai­son à bas prix, mais que per­sonne ne vou­lait louer. On lui ap­prit qu’un ter­rible fan­tôme s’était em­paré de ce lo­gis, et que ses ap­pa­ri­tions avaient fait fuir les plus braves. Il au­rait été hon­teux pour un phi­lo­sophe, sur­tout pour un stoï­cien, de té­moi­gner de la frayeur. Athé­no­dore loua la mai­son sans tar­der. Vers le mi­lieu de la nuit, il était en train de lire et d’écrire, quand le re­ve­nant, s’annonçant par un fra­cas ef­froyable, en­tra dans la chambre. Notre phi­lo­sophe se re­tourna, vit et re­con­nut le spectre tel qu’on l’avait dé­crit. Il était là, dressé et lui fai­sant signe de le suivre. Il avait l’aspect d’un vieillard d’une mai­greur re­pous­sante, avec une grande barbe et des che­veux hé­ris­sés, por­tant des chaînes aux pieds et aux mains qu’il se­couait hor­ri­ble­ment. Athé­no­dore, à son tour, lui fit com­prendre, par des gestes, qu’il lui res­tait en­core du tra­vail et re­prit, im­per­tur­bable, son sty­let et ses ta­blettes. Of­fensé de tant de flegme, l’autre se mit à son­ner ses chaînes au-des­sus de la tête d’Athénodore. En­fin, ce der­nier se leva, prit la lu­mière et l’accompagna d’un pas lent jusqu’à la cour où le fan­tôme dis­pa­rut. Le len­de­main, il alla trou­ver des ma­gis­trats et les pria de faire fouiller la terre en ce lieu pré­cis. On le fit et on y trouva des os­se­ments char­gés de chaînes. On leur donna pu­bli­que­ment la sé­pul­ture. Il n’y eut plus, de­puis, d’apparitions dans ce lo­gis.

  1. En grec Ἀθηνόδωρος (ὁ) Κανανίτης. Par­fois trans­crit Athe­no­do­ros Ka­na­nites. Éga­le­ment connu sous le sur­nom d’Athénodore fils de San­don (Ἀθηνόδωρος ὁ Σάνδωνος ou Ἀθηνόδωρος ὁ τοῦ Σάνδωνος). Haut
  2. En la­tin Athe­no­do­rus Tar­sen­sis. Éga­le­ment connu sous le sur­nom de Cal­vus ou le Chauve, parce qu’en ef­fet il était chauve. Haut
  1. Pline le Jeune, «Lettres», liv. VII, lettre XXVII. Haut

«Recherches sur la vie et sur les ouvrages d’Athénodore»

dans « Mémoires de littérature, tirés des registres de l’Académie royale des inscriptions et belles-lettres. Tome XIX » (XVIIIᵉ siècle), p. 77-94

dans «Mé­moires de lit­té­ra­ture, ti­rés des re­gistres de l’Académie royale des ins­crip­tions et belles-lettres. Tome XIX» (XVIIIe siècle), p. 77-94

Il s’agit d’Athénodore (le) Ca­na­nite 1 ou Athé­no­dore de Tarse 2, phi­lo­sophe grec, pré­cep­teur et ami in­time d’Auguste. Plu­sieurs hommes ont porté le nom d’Athénodore. Ce­lui dont je me pro­pose de rendre compte ici est le plus cé­lèbre, ayant fait une par­tie de sa car­rière à Rome, dans l’entourage im­mé­diat d’Auguste. Il est per­mis de pen­ser qu’il fut pour quelque chose dans la clé­mence et la dou­ceur que cet Em­pe­reur fit pa­raître au cours de son règne. Ayant at­teint un grand âge, Athé­no­dore de­manda à Au­guste la per­mis­sion de re­tour­ner à Tarse, sa pa­trie, et conseilla en par­tant à son élève «d’attendre, quand il était en co­lère, pour par­ler ou pour agir qu’il eût ré­cité à voix basse les vingt-quatre lettres de l’alphabet» (Plu­tarque). Le géo­graphe Stra­bon joint tou­jours le nom de Po­si­do­nius à ce­lui d’Athénodore comme deux des plus grands stoï­ciens de leur siècle. Il at­tri­bue à ces deux phi­lo­sophes plu­sieurs opi­nions com­munes, tant sur la na­ture de l’océan, que sur les causes du flux et du re­flux. Et lorsque Ci­cé­ron a be­soin de ren­sei­gne­ments bi­blio­gra­phiques sur les pro­blèmes mo­raux et les so­lu­tions pro­po­sées par Po­si­do­nius, c’est aussi à Athé­no­dore qu’il a re­cours. Tout porte à croire que le pre­mier a été le maître du se­cond. Athé­no­dore a com­posé plu­sieurs ou­vrages. Mal­heu­reu­se­ment, la pos­té­rité ne s’est pas donné la peine de conser­ver même leurs titres. Il faut se ré­si­gner aux tra­di­tions de la «pe­tite his­toire», aux anec­dotes. L’une des plus cu­rieuses met en scène Athé­no­dore dans une mai­son han­tée d’Athènes 3 peut-être à l’occasion de son sé­jour dans cette ville pour une confé­rence. Les lo­ge­ments à Athènes étaient rares; Athé­no­dore ris­quait de n’en trou­ver au­cun, si le ha­sard ne l’avait guidé vers une mai­son à bas prix, mais que per­sonne ne vou­lait louer. On lui ap­prit qu’un ter­rible fan­tôme s’était em­paré de ce lo­gis, et que ses ap­pa­ri­tions avaient fait fuir les plus braves. Il au­rait été hon­teux pour un phi­lo­sophe, sur­tout pour un stoï­cien, de té­moi­gner de la frayeur. Athé­no­dore loua la mai­son sans tar­der. Vers le mi­lieu de la nuit, il était en train de lire et d’écrire, quand le re­ve­nant, s’annonçant par un fra­cas ef­froyable, en­tra dans la chambre. Notre phi­lo­sophe se re­tourna, vit et re­con­nut le spectre tel qu’on l’avait dé­crit. Il était là, dressé et lui fai­sant signe de le suivre. Il avait l’aspect d’un vieillard d’une mai­greur re­pous­sante, avec une grande barbe et des che­veux hé­ris­sés, por­tant des chaînes aux pieds et aux mains qu’il se­couait hor­ri­ble­ment. Athé­no­dore, à son tour, lui fit com­prendre, par des gestes, qu’il lui res­tait en­core du tra­vail et re­prit, im­per­tur­bable, son sty­let et ses ta­blettes. Of­fensé de tant de flegme, l’autre se mit à son­ner ses chaînes au-des­sus de la tête d’Athénodore. En­fin, ce der­nier se leva, prit la lu­mière et l’accompagna d’un pas lent jusqu’à la cour où le fan­tôme dis­pa­rut. Le len­de­main, il alla trou­ver des ma­gis­trats et les pria de faire fouiller la terre en ce lieu pré­cis. On le fit et on y trouva des os­se­ments char­gés de chaînes. On leur donna pu­bli­que­ment la sé­pul­ture. Il n’y eut plus, de­puis, d’apparitions dans ce lo­gis.

  1. En grec Ἀθηνόδωρος (ὁ) Κανανίτης. Par­fois trans­crit Athe­no­do­ros Ka­na­nites. Éga­le­ment connu sous le sur­nom d’Athénodore fils de San­don (Ἀθηνόδωρος ὁ Σάνδωνος ou Ἀθηνόδωρος ὁ τοῦ Σάνδωνος). Haut
  2. En la­tin Athe­no­do­rus Tar­sen­sis. Éga­le­ment connu sous le sur­nom de Cal­vus ou le Chauve, parce qu’en ef­fet il était chauve. Haut
  1. Pline le Jeune, «Lettres», liv. VII, lettre XXVII. Haut