Il s’agit de « L’Œuvre poétique » de M. Attila József, poète hongrois, rebelle solitaire, n’acceptant pas le monde tel qu’il est, s’y attaquant avec la seule arme des mots, en proie à l’obsession de la mort. La pauvreté, les coups et la fuite d’un père incapable de partager et de soulager les misères de sa famille ont été pour quelque chose dans cette obsession, ce goût qui hantait M. Attila József et qui le poussera au bout du compte à se suicider à trente-deux ans. Y a été également pour quelque chose le climat d’oppression matérielle et morale qui pesait sur la Hongrie entière. Mais commençons par le commencement ! Notre poète naquit en 1905 d’un père fabricant de savon et d’une mère blanchisseuse, sixième enfant du couple. Son père ayant disparu un beau matin (comme l’« écume de savon sur l’océan… », raconte un des poèmes 1), M. Attila József dut sécher ses cours pour aller gagner les deniers dont sa mère et ses sœurs avaient le besoin le plus indispensable. Il fut réduit, tour à tour, à garder des pourceaux, laver des chaudières, trier des foins, vendre des journaux aux coins des rues, balayer des bureaux et chaparder du bois. Son atout, c’était la jeunesse de ses vingt ans, et il s’en servait : « Je n’ai rien que je rêve ou j’espère… Ma puissance, c’est [mes] vingt ans, et pour peu que nul n’en veuille, que le diable, lui, l’accueille ! Je volerai, l’âme pure », raconte un autre des poèmes 2. Vendeur à la sauvette, voleur au cœur étreint de honte, il redoutait les agents, les contrôleurs, et cette crainte de l’autorité, de l’ordre, qui le poursuivra jusqu’à la fin de sa vie, s’étendait à tout ce qui portait l’uniforme, aux cheminots et aux débardeurs :
« Est-ce vous, que j’ai craints, débardeurs intrépides
Qui m’en imposiez tant, lanceurs de gros rondins ?
Comme du bois volé, je vous emporte vite
Dans ce monde sans [lumière] et rempli de gardiens… »