CatégorieGrands chefs-d’œuvre

Nârâyaṇa, « Le “Hitopadesha” : recueil de contes de l’Inde ancienne »

éd. L’Harmattan, coll. Recherches asiatiques, Paris

éd. L’Harmattan, coll. Re­cherches asia­tiques, Pa­ris

Il s’agit du « Hi­to­pa­deśa »1 (« Ins­truc­tion pro­fi­table »2), re­cueil en langue sans­crite (sans doute IXe ou Xe siècle apr. J.-C.). C’est une es­pèce de traité d’éducation, où les fables sont en prose, et les sen­tences et maximes mo­rales et po­li­tiques — en vers. Les pre­mières sont comme les branches de l’arbre, et les se­condes — comme ses fruits, la par­tie vé­ri­ta­ble­ment suc­cu­lente que les lec­teurs sa­vourent avec dé­lices. Les maximes sur la science et la sa­gesse y abondent, car c’est là, comme on sait, un des thèmes fa­vo­ris des Orien­taux. « De tous les biens », dit le « Hi­to­pa­deśa »3, « la science est le bien le plus haut, parce qu’on ne peut ni l’enlever ni en es­ti­mer le prix, et qu’à ja­mais elle est im­pé­ris­sable. Même pos­sé­dée par un quel­conque in­di­vidu, la science rap­proche du prince in­ac­ces­sible un homme… comme une ri­vière, même cou­lant en basse ré­gion, re­joint l’océan in­ac­ces­sible ! » « Le fa­bu­liste in­dien », dit Théo­dore Pa­vie4, « ne se contente donc pas de re­cueillir au pas­sage la fable qui a cours au­tour de lui, quitte à la je­ter dans un moule plus achevé. Il veut com­po­ser un code de sa­gesse à l’usage des pe­tits et des grands… parce qu’il est non seule­ment poète, mais brah­mane ; et le brah­mane dans l’Inde a le droit ex­clu­sif d’enseigner et de dog­ma­ti­ser. Aussi, après avoir parlé dans les deux pre­mières par­ties de son livre — “L’Acquisition” et “La Sé­pa­ra­tion des amis” — au peuple, à la so­ciété en gé­né­ral… l’auteur du “Hi­to­pa­deśa” s’adresse har­di­ment aux rois. » Des trente-huit contes conte­nus dans le « Hi­to­pa­deśa », vingt sont ti­rés du « Pañ­ca­tan­tra ». Mais comme l’auteur nous l’annonce lui-même dans son « In­tro­duc­tion »5, le « Pañ­ca­tan­tra » n’est pas la seule source où il ait puisé ces his­toires in­gé­nieuses qu’il a, de toute fa­çon, dis­po­sées dans un ordre nou­veau et or­nées de sen­tences à sa ma­nière. Il s’est ap­puyé aussi sur d’autres re­cueils de fables dont l’Inde est rem­plie. Qui peut nous dire, au reste, si les livres pri­mi­tifs d’après les­quels il a tra­vaillé n’étaient pas eux-mêmes des imi­ta­tions de livres plus an­ciens ? Il est à re­gret­ter que notre fa­bu­liste n’ait laissé au­cun ren­sei­gne­ment sur sa vie et sa car­rière. Il n’a donné que son nom, Nâ­râyaṇa6, en guise de si­gna­ture : « Tant que Lakṣmî étin­cel­lera dans le cœur de l’Ennemi de Mura7 comme l’éclair dans un nuage, tant que le mont Doré, que le so­leil in­cen­die, à un feu de fo­rêt res­sem­blera, puisse cir­cu­ler cette col­lec­tion d’histoires com­po­sée par Nâ­râyaṇa ! »

  1. En sans­crit « हितोपदेश ». Par­fois trans­crit « Hito-pa­deça », « Hĕĕtōpădēs », « Hi­to­pa­dès », « Hi­to­pa­desh » ou « Hi­to­pa­de­sha ». Haut
  2. Au­tre­fois tra­duit « Ins­truc­tion ami­cale », « Le Bon Conseil », « L’Instruction utile », « L’Enseignement du bien », « L’Enseignement bé­né­fique » ou « Avis sa­lu­taire ». Haut
  3. p. 25. Haut
  4. « L’Apologue dans la so­ciété hin­doue », p. 828. Haut
  1. p. 26. Haut
  2. En sans­crit नारायण. Par­fois trans­crit Na­rayan. Haut
  3. « Mu­râri » (मुरारि), c’est-à-dire « l’Ennemi de Mura », est le sur­nom de Viṣṇu, époux de Lakṣmî. Haut

Sénèque le philosophe, « Lettres à Lucilius. Tome V. Livres XIX-XX »

éd. Les Belles Lettres, coll. des universités de France, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. des uni­ver­si­tés de France, Pa­ris

Il s’agit des « Lettres (mo­rales) à Lu­ci­lius »1 (« Ad Lu­ci­lium epis­tulæ (mo­rales) ») de Sé­nèque le phi­lo­sophe2, mo­ra­liste la­tin dou­blé d’un psy­cho­logue, dont les œuvres as­sez dé­cou­sues, mais riches en re­marques in­es­ti­mables, sont « un tré­sor de mo­rale et de bonne phi­lo­so­phie »3. Il na­quit à Cor­doue vers 4 av. J.-C. Il en­tra, par le conseil de son père, dans la car­rière du bar­reau, et ses dé­buts eurent tant d’éclat que le prince Ca­li­gula, qui avait des pré­ten­tions à l’éloquence, ja­loux du bruit de sa re­nom­mée, parla de le faire mou­rir. Sé­nèque ne dut son sa­lut qu’à sa santé chan­ce­lante, mi­née par les veilles stu­dieuses à la lueur de la lampe. On rap­porta à Ca­li­gula que ce jeune phti­sique avait à peine le souffle, que ce se­rait tuer un mou­rant. Et Ca­li­gula se ren­dit à ces rai­sons et se contenta d’adresser à son ri­val des cri­tiques quel­que­fois fon­dées, mais tou­jours mal­veillantes, ap­pe­lant son style « du sable sans chaux » (« arena sine calce »), et ses dis­cours ora­toires — « de pures ti­rades théâ­trales ». Dès lors, Sé­nèque ne pensa qu’à se faire ou­blier ; il s’adonna tout en­tier à la phi­lo­so­phie et n’eut d’autres fré­quen­ta­tions que des stoï­ciens. Ce­pen­dant, son père, crai­gnant qu’il ne se fer­mât l’accès aux hon­neurs, l’exhorta de re­ve­nir à la car­rière pu­blique. Celle-ci mena Sé­nèque de com­pro­mis en com­pro­mis et d’épreuve en épreuve, dont la plus fa­tale sur­vint lorsqu’il se vit confier par Agrip­pine l’éducation de Né­ron. On sait ce que fut Né­ron. Ja­mais Sé­nèque ne put faire un homme re­com­man­dable de ce sale gar­ne­ment, de ce triste élève « mal élevé, va­ni­teux, in­so­lent, sen­suel, hy­po­crite, pa­res­seux »4. Né­ron en re­vanche fit de notre au­teur un « ami » forcé, un col­la­bo­ra­teur in­vo­lon­taire, un conseiller mal­gré lui, le char­geant de ré­di­ger ses al­lo­cu­tions au sé­nat, dont celle où il re­pré­sen­tait le meurtre de sa mère Agrip­pine comme un bon­heur in­es­péré pour Rome. En l’an 62 apr. J.-C., Sé­nèque cher­cha à échap­per à ses hautes, mais désho­no­rantes fonc­tions. Il de­manda de par­tir à la cam­pagne en re­non­çant à tous ses biens qui, dit-il, l’exposaient à l’envie gé­né­rale. Mal­gré les re­fus ré­ité­rés de Né­ron, qui se ren­dait compte que la re­traite du pré­cep­teur se­rait in­ter­pré­tée comme un désa­veu de la po­li­tique im­pé­riale, Sé­nèque ne re­cula pas. « En réa­lité, sa vertu lui fai­sait ha­bi­ter une autre ré­gion de l’univers ; il n’avait [plus] rien de com­mun avec vous » (« At illum in aliis mundi fi­ni­bus sua vir­tus col­lo­ca­vit, ni­hil vo­bis­cum com­mune ha­ben­tem »)5. Il se re­tira du monde et des af­faires du monde avec sa femme, Pau­line, et il pré­texta quelque ma­la­die pour ne point sor­tir de chez lui.

  1. Au­tre­fois tra­duit « Cent Vingt-quatre Épîtres, ou Di­vers Dis­cours phi­lo­so­phiques à Lu­ci­lius » ou « Épîtres ». Haut
  2. En la­tin Lu­cius Annæus Se­neca. Haut
  3. le comte Jo­seph de Maistre, « Œuvres com­plètes. Tome V. Les Soi­rées de Saint-Pé­ters­bourg (suite et fin) ». Haut
  1. René Waltz, « Vie de Sé­nèque » (éd. Per­rin, Pa­ris), p. 160. Haut
  2. « De la constance du sage », ch. XV, sect. 2. Haut

Sénèque le philosophe, « Lettres à Lucilius. Tome IV. Livres XIV-XVIII »

éd. Les Belles Lettres, coll. des universités de France, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. des uni­ver­si­tés de France, Pa­ris

Il s’agit des « Lettres (mo­rales) à Lu­ci­lius »1 (« Ad Lu­ci­lium epis­tulæ (mo­rales) ») de Sé­nèque le phi­lo­sophe2, mo­ra­liste la­tin dou­blé d’un psy­cho­logue, dont les œuvres as­sez dé­cou­sues, mais riches en re­marques in­es­ti­mables, sont « un tré­sor de mo­rale et de bonne phi­lo­so­phie »3. Il na­quit à Cor­doue vers 4 av. J.-C. Il en­tra, par le conseil de son père, dans la car­rière du bar­reau, et ses dé­buts eurent tant d’éclat que le prince Ca­li­gula, qui avait des pré­ten­tions à l’éloquence, ja­loux du bruit de sa re­nom­mée, parla de le faire mou­rir. Sé­nèque ne dut son sa­lut qu’à sa santé chan­ce­lante, mi­née par les veilles stu­dieuses à la lueur de la lampe. On rap­porta à Ca­li­gula que ce jeune phti­sique avait à peine le souffle, que ce se­rait tuer un mou­rant. Et Ca­li­gula se ren­dit à ces rai­sons et se contenta d’adresser à son ri­val des cri­tiques quel­que­fois fon­dées, mais tou­jours mal­veillantes, ap­pe­lant son style « du sable sans chaux » (« arena sine calce »), et ses dis­cours ora­toires — « de pures ti­rades théâ­trales ». Dès lors, Sé­nèque ne pensa qu’à se faire ou­blier ; il s’adonna tout en­tier à la phi­lo­so­phie et n’eut d’autres fré­quen­ta­tions que des stoï­ciens. Ce­pen­dant, son père, crai­gnant qu’il ne se fer­mât l’accès aux hon­neurs, l’exhorta de re­ve­nir à la car­rière pu­blique. Celle-ci mena Sé­nèque de com­pro­mis en com­pro­mis et d’épreuve en épreuve, dont la plus fa­tale sur­vint lorsqu’il se vit confier par Agrip­pine l’éducation de Né­ron. On sait ce que fut Né­ron. Ja­mais Sé­nèque ne put faire un homme re­com­man­dable de ce sale gar­ne­ment, de ce triste élève « mal élevé, va­ni­teux, in­so­lent, sen­suel, hy­po­crite, pa­res­seux »4. Né­ron en re­vanche fit de notre au­teur un « ami » forcé, un col­la­bo­ra­teur in­vo­lon­taire, un conseiller mal­gré lui, le char­geant de ré­di­ger ses al­lo­cu­tions au sé­nat, dont celle où il re­pré­sen­tait le meurtre de sa mère Agrip­pine comme un bon­heur in­es­péré pour Rome. En l’an 62 apr. J.-C., Sé­nèque cher­cha à échap­per à ses hautes, mais désho­no­rantes fonc­tions. Il de­manda de par­tir à la cam­pagne en re­non­çant à tous ses biens qui, dit-il, l’exposaient à l’envie gé­né­rale. Mal­gré les re­fus ré­ité­rés de Né­ron, qui se ren­dait compte que la re­traite du pré­cep­teur se­rait in­ter­pré­tée comme un désa­veu de la po­li­tique im­pé­riale, Sé­nèque ne re­cula pas. « En réa­lité, sa vertu lui fai­sait ha­bi­ter une autre ré­gion de l’univers ; il n’avait [plus] rien de com­mun avec vous » (« At illum in aliis mundi fi­ni­bus sua vir­tus col­lo­ca­vit, ni­hil vo­bis­cum com­mune ha­ben­tem »)5. Il se re­tira du monde et des af­faires du monde avec sa femme, Pau­line, et il pré­texta quelque ma­la­die pour ne point sor­tir de chez lui.

  1. Au­tre­fois tra­duit « Cent Vingt-quatre Épîtres, ou Di­vers Dis­cours phi­lo­so­phiques à Lu­ci­lius » ou « Épîtres ». Haut
  2. En la­tin Lu­cius Annæus Se­neca. Haut
  3. le comte Jo­seph de Maistre, « Œuvres com­plètes. Tome V. Les Soi­rées de Saint-Pé­ters­bourg (suite et fin) ». Haut
  1. René Waltz, « Vie de Sé­nèque » (éd. Per­rin, Pa­ris), p. 160. Haut
  2. « De la constance du sage », ch. XV, sect. 2. Haut

Sénèque le philosophe, « Lettres à Lucilius. Tome III. Livres VIII-XIII »

éd. Les Belles Lettres, coll. des universités de France, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. des uni­ver­si­tés de France, Pa­ris

Il s’agit des « Lettres (mo­rales) à Lu­ci­lius »1 (« Ad Lu­ci­lium epis­tulæ (mo­rales) ») de Sé­nèque le phi­lo­sophe2, mo­ra­liste la­tin dou­blé d’un psy­cho­logue, dont les œuvres as­sez dé­cou­sues, mais riches en re­marques in­es­ti­mables, sont « un tré­sor de mo­rale et de bonne phi­lo­so­phie »3. Il na­quit à Cor­doue vers 4 av. J.-C. Il en­tra, par le conseil de son père, dans la car­rière du bar­reau, et ses dé­buts eurent tant d’éclat que le prince Ca­li­gula, qui avait des pré­ten­tions à l’éloquence, ja­loux du bruit de sa re­nom­mée, parla de le faire mou­rir. Sé­nèque ne dut son sa­lut qu’à sa santé chan­ce­lante, mi­née par les veilles stu­dieuses à la lueur de la lampe. On rap­porta à Ca­li­gula que ce jeune phti­sique avait à peine le souffle, que ce se­rait tuer un mou­rant. Et Ca­li­gula se ren­dit à ces rai­sons et se contenta d’adresser à son ri­val des cri­tiques quel­que­fois fon­dées, mais tou­jours mal­veillantes, ap­pe­lant son style « du sable sans chaux » (« arena sine calce »), et ses dis­cours ora­toires — « de pures ti­rades théâ­trales ». Dès lors, Sé­nèque ne pensa qu’à se faire ou­blier ; il s’adonna tout en­tier à la phi­lo­so­phie et n’eut d’autres fré­quen­ta­tions que des stoï­ciens. Ce­pen­dant, son père, crai­gnant qu’il ne se fer­mât l’accès aux hon­neurs, l’exhorta de re­ve­nir à la car­rière pu­blique. Celle-ci mena Sé­nèque de com­pro­mis en com­pro­mis et d’épreuve en épreuve, dont la plus fa­tale sur­vint lorsqu’il se vit confier par Agrip­pine l’éducation de Né­ron. On sait ce que fut Né­ron. Ja­mais Sé­nèque ne put faire un homme re­com­man­dable de ce sale gar­ne­ment, de ce triste élève « mal élevé, va­ni­teux, in­so­lent, sen­suel, hy­po­crite, pa­res­seux »4. Né­ron en re­vanche fit de notre au­teur un « ami » forcé, un col­la­bo­ra­teur in­vo­lon­taire, un conseiller mal­gré lui, le char­geant de ré­di­ger ses al­lo­cu­tions au sé­nat, dont celle où il re­pré­sen­tait le meurtre de sa mère Agrip­pine comme un bon­heur in­es­péré pour Rome. En l’an 62 apr. J.-C., Sé­nèque cher­cha à échap­per à ses hautes, mais désho­no­rantes fonc­tions. Il de­manda de par­tir à la cam­pagne en re­non­çant à tous ses biens qui, dit-il, l’exposaient à l’envie gé­né­rale. Mal­gré les re­fus ré­ité­rés de Né­ron, qui se ren­dait compte que la re­traite du pré­cep­teur se­rait in­ter­pré­tée comme un désa­veu de la po­li­tique im­pé­riale, Sé­nèque ne re­cula pas. « En réa­lité, sa vertu lui fai­sait ha­bi­ter une autre ré­gion de l’univers ; il n’avait [plus] rien de com­mun avec vous » (« At illum in aliis mundi fi­ni­bus sua vir­tus col­lo­ca­vit, ni­hil vo­bis­cum com­mune ha­ben­tem »)5. Il se re­tira du monde et des af­faires du monde avec sa femme, Pau­line, et il pré­texta quelque ma­la­die pour ne point sor­tir de chez lui.

  1. Au­tre­fois tra­duit « Cent Vingt-quatre Épîtres, ou Di­vers Dis­cours phi­lo­so­phiques à Lu­ci­lius » ou « Épîtres ». Haut
  2. En la­tin Lu­cius Annæus Se­neca. Haut
  3. le comte Jo­seph de Maistre, « Œuvres com­plètes. Tome V. Les Soi­rées de Saint-Pé­ters­bourg (suite et fin) ». Haut
  1. René Waltz, « Vie de Sé­nèque » (éd. Per­rin, Pa­ris), p. 160. Haut
  2. « De la constance du sage », ch. XV, sect. 2. Haut

Sénèque le philosophe, « Lettres à Lucilius. Tome II. Livres V-VII »

éd. Les Belles Lettres, coll. des universités de France, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. des uni­ver­si­tés de France, Pa­ris

Il s’agit des « Lettres (mo­rales) à Lu­ci­lius »1 (« Ad Lu­ci­lium epis­tulæ (mo­rales) ») de Sé­nèque le phi­lo­sophe2, mo­ra­liste la­tin dou­blé d’un psy­cho­logue, dont les œuvres as­sez dé­cou­sues, mais riches en re­marques in­es­ti­mables, sont « un tré­sor de mo­rale et de bonne phi­lo­so­phie »3. Il na­quit à Cor­doue vers 4 av. J.-C. Il en­tra, par le conseil de son père, dans la car­rière du bar­reau, et ses dé­buts eurent tant d’éclat que le prince Ca­li­gula, qui avait des pré­ten­tions à l’éloquence, ja­loux du bruit de sa re­nom­mée, parla de le faire mou­rir. Sé­nèque ne dut son sa­lut qu’à sa santé chan­ce­lante, mi­née par les veilles stu­dieuses à la lueur de la lampe. On rap­porta à Ca­li­gula que ce jeune phti­sique avait à peine le souffle, que ce se­rait tuer un mou­rant. Et Ca­li­gula se ren­dit à ces rai­sons et se contenta d’adresser à son ri­val des cri­tiques quel­que­fois fon­dées, mais tou­jours mal­veillantes, ap­pe­lant son style « du sable sans chaux » (« arena sine calce »), et ses dis­cours ora­toires — « de pures ti­rades théâ­trales ». Dès lors, Sé­nèque ne pensa qu’à se faire ou­blier ; il s’adonna tout en­tier à la phi­lo­so­phie et n’eut d’autres fré­quen­ta­tions que des stoï­ciens. Ce­pen­dant, son père, crai­gnant qu’il ne se fer­mât l’accès aux hon­neurs, l’exhorta de re­ve­nir à la car­rière pu­blique. Celle-ci mena Sé­nèque de com­pro­mis en com­pro­mis et d’épreuve en épreuve, dont la plus fa­tale sur­vint lorsqu’il se vit confier par Agrip­pine l’éducation de Né­ron. On sait ce que fut Né­ron. Ja­mais Sé­nèque ne put faire un homme re­com­man­dable de ce sale gar­ne­ment, de ce triste élève « mal élevé, va­ni­teux, in­so­lent, sen­suel, hy­po­crite, pa­res­seux »4. Né­ron en re­vanche fit de notre au­teur un « ami » forcé, un col­la­bo­ra­teur in­vo­lon­taire, un conseiller mal­gré lui, le char­geant de ré­di­ger ses al­lo­cu­tions au sé­nat, dont celle où il re­pré­sen­tait le meurtre de sa mère Agrip­pine comme un bon­heur in­es­péré pour Rome. En l’an 62 apr. J.-C., Sé­nèque cher­cha à échap­per à ses hautes, mais désho­no­rantes fonc­tions. Il de­manda de par­tir à la cam­pagne en re­non­çant à tous ses biens qui, dit-il, l’exposaient à l’envie gé­né­rale. Mal­gré les re­fus ré­ité­rés de Né­ron, qui se ren­dait compte que la re­traite du pré­cep­teur se­rait in­ter­pré­tée comme un désa­veu de la po­li­tique im­pé­riale, Sé­nèque ne re­cula pas. « En réa­lité, sa vertu lui fai­sait ha­bi­ter une autre ré­gion de l’univers ; il n’avait [plus] rien de com­mun avec vous » (« At illum in aliis mundi fi­ni­bus sua vir­tus col­lo­ca­vit, ni­hil vo­bis­cum com­mune ha­ben­tem »)5. Il se re­tira du monde et des af­faires du monde avec sa femme, Pau­line, et il pré­texta quelque ma­la­die pour ne point sor­tir de chez lui.

  1. Au­tre­fois tra­duit « Cent Vingt-quatre Épîtres, ou Di­vers Dis­cours phi­lo­so­phiques à Lu­ci­lius » ou « Épîtres ». Haut
  2. En la­tin Lu­cius Annæus Se­neca. Haut
  3. le comte Jo­seph de Maistre, « Œuvres com­plètes. Tome V. Les Soi­rées de Saint-Pé­ters­bourg (suite et fin) ». Haut
  1. René Waltz, « Vie de Sé­nèque » (éd. Per­rin, Pa­ris), p. 160. Haut
  2. « De la constance du sage », ch. XV, sect. 2. Haut

Sénèque le philosophe, « Lettres à Lucilius. Tome I. Livres I-IV »

éd. Les Belles Lettres, coll. des universités de France, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. des uni­ver­si­tés de France, Pa­ris

Il s’agit des « Lettres (mo­rales) à Lu­ci­lius »1 (« Ad Lu­ci­lium epis­tulæ (mo­rales) ») de Sé­nèque le phi­lo­sophe2, mo­ra­liste la­tin dou­blé d’un psy­cho­logue, dont les œuvres as­sez dé­cou­sues, mais riches en re­marques in­es­ti­mables, sont « un tré­sor de mo­rale et de bonne phi­lo­so­phie »3. Il na­quit à Cor­doue vers 4 av. J.-C. Il en­tra, par le conseil de son père, dans la car­rière du bar­reau, et ses dé­buts eurent tant d’éclat que le prince Ca­li­gula, qui avait des pré­ten­tions à l’éloquence, ja­loux du bruit de sa re­nom­mée, parla de le faire mou­rir. Sé­nèque ne dut son sa­lut qu’à sa santé chan­ce­lante, mi­née par les veilles stu­dieuses à la lueur de la lampe. On rap­porta à Ca­li­gula que ce jeune phti­sique avait à peine le souffle, que ce se­rait tuer un mou­rant. Et Ca­li­gula se ren­dit à ces rai­sons et se contenta d’adresser à son ri­val des cri­tiques quel­que­fois fon­dées, mais tou­jours mal­veillantes, ap­pe­lant son style « du sable sans chaux » (« arena sine calce »), et ses dis­cours ora­toires — « de pures ti­rades théâ­trales ». Dès lors, Sé­nèque ne pensa qu’à se faire ou­blier ; il s’adonna tout en­tier à la phi­lo­so­phie et n’eut d’autres fré­quen­ta­tions que des stoï­ciens. Ce­pen­dant, son père, crai­gnant qu’il ne se fer­mât l’accès aux hon­neurs, l’exhorta de re­ve­nir à la car­rière pu­blique. Celle-ci mena Sé­nèque de com­pro­mis en com­pro­mis et d’épreuve en épreuve, dont la plus fa­tale sur­vint lorsqu’il se vit confier par Agrip­pine l’éducation de Né­ron. On sait ce que fut Né­ron. Ja­mais Sé­nèque ne put faire un homme re­com­man­dable de ce sale gar­ne­ment, de ce triste élève « mal élevé, va­ni­teux, in­so­lent, sen­suel, hy­po­crite, pa­res­seux »4. Né­ron en re­vanche fit de notre au­teur un « ami » forcé, un col­la­bo­ra­teur in­vo­lon­taire, un conseiller mal­gré lui, le char­geant de ré­di­ger ses al­lo­cu­tions au sé­nat, dont celle où il re­pré­sen­tait le meurtre de sa mère Agrip­pine comme un bon­heur in­es­péré pour Rome. En l’an 62 apr. J.-C., Sé­nèque cher­cha à échap­per à ses hautes, mais désho­no­rantes fonc­tions. Il de­manda de par­tir à la cam­pagne en re­non­çant à tous ses biens qui, dit-il, l’exposaient à l’envie gé­né­rale. Mal­gré les re­fus ré­ité­rés de Né­ron, qui se ren­dait compte que la re­traite du pré­cep­teur se­rait in­ter­pré­tée comme un désa­veu de la po­li­tique im­pé­riale, Sé­nèque ne re­cula pas. « En réa­lité, sa vertu lui fai­sait ha­bi­ter une autre ré­gion de l’univers ; il n’avait [plus] rien de com­mun avec vous » (« At illum in aliis mundi fi­ni­bus sua vir­tus col­lo­ca­vit, ni­hil vo­bis­cum com­mune ha­ben­tem »)5. Il se re­tira du monde et des af­faires du monde avec sa femme, Pau­line, et il pré­texta quelque ma­la­die pour ne point sor­tir de chez lui.

  1. Au­tre­fois tra­duit « Cent Vingt-quatre Épîtres, ou Di­vers Dis­cours phi­lo­so­phiques à Lu­ci­lius » ou « Épîtres ». Haut
  2. En la­tin Lu­cius Annæus Se­neca. Haut
  3. le comte Jo­seph de Maistre, « Œuvres com­plètes. Tome V. Les Soi­rées de Saint-Pé­ters­bourg (suite et fin) ». Haut
  1. René Waltz, « Vie de Sé­nèque » (éd. Per­rin, Pa­ris), p. 160. Haut
  2. « De la constance du sage », ch. XV, sect. 2. Haut

le comte de Maistre, « Œuvres complètes. Tome V. Les Soirées de Saint-Pétersbourg (suite et fin) • Éclaircissement sur les sacrifices »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des « Soi­rées de Saint-Pé­ters­bourg » et autres œuvres du comte Jo­seph de Maistre. Maistre est tou­jours resté en de­hors des grands hé­ri­tiers du XVIIIe siècle dont on re­com­mande l’étude aux gens culti­vés. On a parlé de lui ou pour le com­battre ou pour l’encenser. Et on a bien fait en un sens. Il mé­rite d’être com­battu en tant que pen­seur du ca­tho­li­cisme le plus obs­cu­ran­tiste, mais en­censé en tant que brillant cau­seur et gé­nie de la pro­vo­ca­tion. Le sys­tème de pen­sée de Maistre, comme la plu­part des faux sys­tèmes, peut se ré­su­mer en un mot : l’unité ab­so­lue. Cette unité ne peut être at­teinte par les hommes que si un pou­voir tout aussi ab­solu les réunit. Le re­pré­sen­tant de ce pou­voir, d’après Maistre, est le pape dans le do­maine spi­ri­tuel, le roi dans le do­maine tem­po­rel, qui lui donnent son ca­rac­tère su­prême, in­dé­fec­tible et sa­cré : « L’un et l’autre », dit-il1, « ex­priment cette haute puis­sance qui les do­mine toutes… qui gou­verne et n’est pas gou­ver­née, qui juge et n’est pas ju­gée ». Voilà l’autorité consti­tuée : au­to­rité re­li­gieuse d’une part, au­to­rité ci­vile de l’autre. Rien de tout cela ne doit être confié aux aca­dé­mi­ciens et aux sa­vants ; et à plus forte rai­son au bas peuple. L’anarchie me­nace dès que l’insolente cri­tique du pou­voir est pos­sible : « Il fau­drait avoir perdu l’esprit », s’exclame Maistre2, « pour croire que Dieu ait chargé les aca­dé­mies de nous ap­prendre ce qu’Il est, et ce que nous Lui de­vons. Il ap­par­tient aux pré­lats, aux nobles… d’être les dé­po­si­taires et les gar­diens des vé­ri­tés conser­va­trices ; d’apprendre aux na­tions… ce qui est vrai et ce qui est faux dans l’ordre mo­ral et spi­ri­tuel. Les autres n’ont pas droit de rai­son­ner sur ces sortes de ma­tières ! » Ce n’est pas à la masse po­pu­laire qu’il ap­par­tient de ré­flé­chir sur les prin­cipes obs­curs et in­faillibles aux­quels elle est sou­mise, car « il y a des choses qu’on dé­truit en les mon­trant »3. L’autorité peut se pas­ser de science et d’obéissance éclai­rée. Maistre va beau­coup plus loin. Dans ses « Lettres sur l’Inquisition », il fait l’éloge d’une ins­ti­tu­tion ca­tho­lique qui a fait cou­ler des flots de sang. C’est à elle qu’il at­tri­bue le main­tien en Es­pagne de la foi et de la mo­nar­chie contre les­quelles est ve­nue s’user la puis­sance de Na­po­léon. Si la France avait eu le bon­heur de jouir de l’Inquisition, les dé­sastres de la Ré­vo­lu­tion fran­çaise au­raient pu être évi­tés. De là à croire que « les abus [du pou­voir] valent in­fi­ni­ment mieux que les ré­vo­lu­tions »4 il n’y a qu’un pas. Maistre le fran­chit ! Il est si dé­rai­son­nable, si ré­ac­tion­naire qu’il semble avoir été in­venté pour nous aga­cer : « Il brave, il dé­fie, il in­vec­tive, il ir­rite… Il va jusqu’à l’absurde et jusqu’au sup­plice… Que se­rait un au­tel en­touré de po­tences ? Est-ce là de la théo­lo­gie ?… N’est-ce pas, plu­tôt, une pro­vo­ca­tion à toute âme in­dé­pen­dante qui veut ado­rer et non trem­bler ? », pro­tes­tera La­mar­tine dans son « Cours fa­mi­lier de lit­té­ra­ture ».

  1. « Tome II », p. 2. Haut
  2. « Tome V », p. 108. Haut
  1. « Tome VII », p. 38. Haut
  2. « Mé­moires po­li­tiques et Cor­res­pon­dance di­plo­ma­tique ». Haut

le comte de Maistre, « Œuvres complètes. Tome IV. Les Soirées de Saint-Pétersbourg (les six premiers entretiens) »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des « Soi­rées de Saint-Pé­ters­bourg » et autres œuvres du comte Jo­seph de Maistre. Maistre est tou­jours resté en de­hors des grands hé­ri­tiers du XVIIIe siècle dont on re­com­mande l’étude aux gens culti­vés. On a parlé de lui ou pour le com­battre ou pour l’encenser. Et on a bien fait en un sens. Il mé­rite d’être com­battu en tant que pen­seur du ca­tho­li­cisme le plus obs­cu­ran­tiste, mais en­censé en tant que brillant cau­seur et gé­nie de la pro­vo­ca­tion. Le sys­tème de pen­sée de Maistre, comme la plu­part des faux sys­tèmes, peut se ré­su­mer en un mot : l’unité ab­so­lue. Cette unité ne peut être at­teinte par les hommes que si un pou­voir tout aussi ab­solu les réunit. Le re­pré­sen­tant de ce pou­voir, d’après Maistre, est le pape dans le do­maine spi­ri­tuel, le roi dans le do­maine tem­po­rel, qui lui donnent son ca­rac­tère su­prême, in­dé­fec­tible et sa­cré : « L’un et l’autre », dit-il1, « ex­priment cette haute puis­sance qui les do­mine toutes… qui gou­verne et n’est pas gou­ver­née, qui juge et n’est pas ju­gée ». Voilà l’autorité consti­tuée : au­to­rité re­li­gieuse d’une part, au­to­rité ci­vile de l’autre. Rien de tout cela ne doit être confié aux aca­dé­mi­ciens et aux sa­vants ; et à plus forte rai­son au bas peuple. L’anarchie me­nace dès que l’insolente cri­tique du pou­voir est pos­sible : « Il fau­drait avoir perdu l’esprit », s’exclame Maistre2, « pour croire que Dieu ait chargé les aca­dé­mies de nous ap­prendre ce qu’Il est, et ce que nous Lui de­vons. Il ap­par­tient aux pré­lats, aux nobles… d’être les dé­po­si­taires et les gar­diens des vé­ri­tés conser­va­trices ; d’apprendre aux na­tions… ce qui est vrai et ce qui est faux dans l’ordre mo­ral et spi­ri­tuel. Les autres n’ont pas droit de rai­son­ner sur ces sortes de ma­tières ! » Ce n’est pas à la masse po­pu­laire qu’il ap­par­tient de ré­flé­chir sur les prin­cipes obs­curs et in­faillibles aux­quels elle est sou­mise, car « il y a des choses qu’on dé­truit en les mon­trant »3. L’autorité peut se pas­ser de science et d’obéissance éclai­rée. Maistre va beau­coup plus loin. Dans ses « Lettres sur l’Inquisition », il fait l’éloge d’une ins­ti­tu­tion ca­tho­lique qui a fait cou­ler des flots de sang. C’est à elle qu’il at­tri­bue le main­tien en Es­pagne de la foi et de la mo­nar­chie contre les­quelles est ve­nue s’user la puis­sance de Na­po­léon. Si la France avait eu le bon­heur de jouir de l’Inquisition, les dé­sastres de la Ré­vo­lu­tion fran­çaise au­raient pu être évi­tés. De là à croire que « les abus [du pou­voir] valent in­fi­ni­ment mieux que les ré­vo­lu­tions »4 il n’y a qu’un pas. Maistre le fran­chit ! Il est si dé­rai­son­nable, si ré­ac­tion­naire qu’il semble avoir été in­venté pour nous aga­cer : « Il brave, il dé­fie, il in­vec­tive, il ir­rite… Il va jusqu’à l’absurde et jusqu’au sup­plice… Que se­rait un au­tel en­touré de po­tences ? Est-ce là de la théo­lo­gie ?… N’est-ce pas, plu­tôt, une pro­vo­ca­tion à toute âme in­dé­pen­dante qui veut ado­rer et non trem­bler ? », pro­tes­tera La­mar­tine dans son « Cours fa­mi­lier de lit­té­ra­ture ».

  1. « Tome II », p. 2. Haut
  2. « Tome V », p. 108. Haut
  1. « Tome VII », p. 38. Haut
  2. « Mé­moires po­li­tiques et Cor­res­pon­dance di­plo­ma­tique ». Haut

« Les Minnesingers. Walther von der Vogelweide (1190-1240) »

dans « Bulletin de la Société littéraire de Strasbourg », vol. 2, p. 29-62

dans « Bul­le­tin de la So­ciété lit­té­raire de Stras­bourg », vol. 2, p. 29-62

Il s’agit de « Sous les tilleuls… » (« Un­der der lin­den… »1), « Hé­las ! Comme toutes mes an­nées se sont éva­po­rées »2 (« Owê ! War sint vers­wun­den al­liu mî­niu jâr ») et autres chants de Wal­ther von der Vo­gel­weide, dit Wal­ther de la Vo­gel­weide, le pre­mier grand poète de langue al­le­mande. « Qu’avez-vous fait », de­manda-t-on une fois à Henri Heine3, « le pre­mier jour de votre ar­ri­vée à Pa­ris ? Quelle fut votre pre­mière course ? » On s’attendait à l’entendre nom­mer la place de la Concorde ou bien le Pan­théon. « Tout de suite après mon ar­ri­vée », dit Heine, « j’étais allé à la Bi­blio­thèque royale (l’actuelle Bi­blio­thèque na­tio­nale de France) et je m’étais fait mon­trer par le conser­va­teur le ma­nus­crit des “Min­ne­sin­gers”… Et c’est vrai : de­puis des an­nées, je dé­si­rais voir de mes yeux les chères feuilles qui nous ont conservé les poé­sies de Wal­ther de la Vo­gel­weide, le plus grand ly­rique al­le­mand. » À la fin du XIIe siècle, Vienne, ville aux confins de l’aire ger­ma­nique, en de­vint la mé­tro­pole ar­tis­tique. Elle s’ennoblit par les chants des trou­ba­dours cé­lèbres — les min­ne­sin­gers (chantres d’amour) — dont l’Alsacien Rein­mar de Ha­gue­nau, qui y trans­porta les formes et l’esprit de la poé­sie cour­toise fran­çaise. C’est sous sa di­rec­tion que Vo­gel­weide fit son ap­pren­tis­sage de poète. L’élève sur­passa bien­tôt ses contem­po­rains et son maître ; et c’est mer­veille de voir à quel point, entre ses mains ha­biles, le vieux haut-al­le­mand s’assouplit et se ra­dou­cit. Ce­pen­dant, mal­gré ses ser­vices et sa no­blesse, Vo­gel­weide était pauvre, et à la mort du duc Fré­dé­ric Ier d’Autriche, il resta sans pro­tec­teur. Il dut se ré­soudre à quit­ter Vienne et à me­ner une exis­tence va­ga­bonde. Cette date marque un tour­nant dans la lit­té­ra­ture al­le­mande. Au contact des éco­lâtres iti­né­rants, go­liards, jon­gleurs, Vo­gel­weide éten­dit la forme du « min­ne­lied » (« chan­son d’amour ») à l’amour de la pa­trie, de la beauté, aux ré­flexions mo­rales, aux sen­ti­ments plus per­son­nels et plus vil­la­geois aussi, les jeunes pay­sannes rem­pla­çant les châ­te­laines : « De l’Elbe jusqu’au Rhin », dit-il4, « et de là jusqu’aux fron­tières de Hon­grie, se ren­contrent bien les meilleures que j’aie vues… Si j’ai bon œil et bon ju­ge­ment pour la beauté, pour la grâce, de par Dieu, je ju­re­rais bien que chez nous les simples femmes valent mieux qu’ailleurs les grandes dames ». Une des com­po­si­tions les plus gra­cieuses et les plus fraîches de Vo­gel­weide est sa pas­tou­relle « Sous les tilleuls… », où une jeune femme dé­crit, avec pu­deur et sim­pli­cité, les joies qu’elle a éprou­vées dans les bras de son amant, à l’ombre des arbres té­moins.

  1. On ren­contre aussi la gra­phie « Un­ter den lin­den… ». Haut
  2. Par­fois tra­duit « Hé­las ! Où sont al­lées toutes mes an­nées », « Hé­las ! Que sont de­ve­nues toutes mes an­nées », « Ô tris­tesse ! Par où s’est-elle dis­per­sée, la gerbe de mes an­nées », « Hé­las ! Où sont-ils, mes ans éva­nouis », « Com­ment ont passé mes an­nées », « Mal­heur à moi ! Com­ment se sont éva­nouies, où se sont en­fuies les an­nées de ma vie », « Las, où sont-elles en al­lées, toutes mes an­nées ? », « Hé­las ! Où sont en­glou­ties toutes mes an­nées ? » ou « Hé­las ! Où donc ont-elles dis­paru, toutes mes an­nées ? ». Haut
  1. « Sa­tires et Por­traits », p. 121. Haut
  2. « Les Min­ne­sin­gers. Wal­ther von der Vo­gel­weide », p. 47. Haut

« Le Voyage de Lapérouse (1785-1788). Tome II. [Journal de Lapérouse] »

éd. Imprimerie nationale, coll. Voyages et Découvertes, Paris

éd. Im­pri­me­rie na­tio­nale, coll. Voyages et Dé­cou­vertes, Pa­ris

Il s’agit de la grande ex­pé­di­tion confiée à La Pé­rouse1. En 1783, Louis XVI vou­lut voir la France prendre toute sa place dans l’achèvement de la re­con­nais­sance du globe, ja­loux des suc­cès ac­quis sur ce ter­rain par sa per­pé­tuelle ri­vale — l’Angleterre. Il choi­sit pour ce but une âme ex­pé­ri­men­tée qui, en­dur­cie par le genre de vie dif­fi­cile des ma­rins, la ren­drait ca­pable de me­ner avec suc­cès une ex­pé­di­tion ras­sem­blant en un seul les trois voyages de Cook. Cette âme, c’était Jean-Fran­çois de La Pé­rouse2. Les ins­truc­tions pour ce voyage, que La Pé­rouse était au­to­risé à mo­di­fier s’il le ju­geait conve­nable, furent dic­tées par Louis XVI lui-même et mises au propre par Charles-Pierre Cla­ret, comte de Fleu­rieu, fu­tur mi­nistre de la Ma­rine et des Co­lo­nies. Elles sont re­gar­dées comme un mo­dèle de ce genre. Je ne peux m’empêcher d’en ci­ter quelques lignes qui ne ca­rac­té­risent pas moins le plan du roi que la lar­geur de ses vues sur l’action que la France est ap­pe­lée à exer­cer à l’étranger : « Le sieur de La Pé­rouse », dit le « Mé­moire du roi », « dans toutes les oc­ca­sions en usera avec beau­coup de dou­ceur et d’humanité en­vers les dif­fé­rents peuples qu’il vi­si­tera dans le cours de son voyage. Il s’occupera avec zèle et in­té­rêt de tous les moyens qui peuvent amé­lio­rer leur condi­tion, en pro­cu­rant à leur pays les… arbres utiles d’Europe, en leur en­sei­gnant la ma­nière de les se­mer et de les culti­ver… Si des cir­cons­tances im­pé­rieuses, qu’il est de la pru­dence de pré­voir… obli­geaient ja­mais le sieur de La Pé­rouse à faire usage de la su­pé­rio­rité de ses armes sur celles des peuples sau­vages… il n’userait de sa force qu’avec la plus grande mo­dé­ra­tion… Sa Ma­jesté re­gar­de­rait comme un des suc­cès les plus heu­reux de l’expédition qu’elle pût être ter­mi­née sans qu’il en eût coûté la vie à un seul homme ». On pré­para la Bous­sole et l’Astrolabe ; les deux na­vires bien­tôt, ten­dant leurs cor­dages, dé­ployèrent leur voi­lure au mi­lieu des cris et des adieux mê­lés aux chants joyeux des ma­te­lots. On plaça à bord une gra­vure re­pré­sen­tant la mort de Cook. Et la vue de cette image avi­vait l’ardeur de ces har­dis ma­rins, qui di­saient sou­vent : « Voici la mort que doivent en­vier les gens de notre mé­tier ! » Pauvres hommes, ils ne croyaient pas si bien dire.

  1. On ren­contre aussi la gra­phie La­pey­rouse. Haut
  1. Le roi avait lu son rap­port sur la cam­pagne de la baie d’Hudson avec in­té­rêt et dans la co­pie ori­gi­nale : « on pé­nètre mieux la pen­sée d’un au­teur sur son ma­nus­crit que sur une trans­crip­tion » (le ca­pi­taine de Bros­sard, « Ren­dez-vous avec La­pé­rouse à Va­ni­koro »). Haut

« Le Voyage de Lapérouse (1785-1788). Tome I. [Mémoire du roi pour servir d’instruction particulière au sieur de Lapérouse] »

éd. Imprimerie nationale, coll. Voyages et Découvertes, Paris

éd. Im­pri­me­rie na­tio­nale, coll. Voyages et Dé­cou­vertes, Pa­ris

Il s’agit de la grande ex­pé­di­tion confiée à La Pé­rouse1. En 1783, Louis XVI vou­lut voir la France prendre toute sa place dans l’achèvement de la re­con­nais­sance du globe, ja­loux des suc­cès ac­quis sur ce ter­rain par sa per­pé­tuelle ri­vale — l’Angleterre. Il choi­sit pour ce but une âme ex­pé­ri­men­tée qui, en­dur­cie par le genre de vie dif­fi­cile des ma­rins, la ren­drait ca­pable de me­ner avec suc­cès une ex­pé­di­tion ras­sem­blant en un seul les trois voyages de Cook. Cette âme, c’était Jean-Fran­çois de La Pé­rouse2. Les ins­truc­tions pour ce voyage, que La Pé­rouse était au­to­risé à mo­di­fier s’il le ju­geait conve­nable, furent dic­tées par Louis XVI lui-même et mises au propre par Charles-Pierre Cla­ret, comte de Fleu­rieu, fu­tur mi­nistre de la Ma­rine et des Co­lo­nies. Elles sont re­gar­dées comme un mo­dèle de ce genre. Je ne peux m’empêcher d’en ci­ter quelques lignes qui ne ca­rac­té­risent pas moins le plan du roi que la lar­geur de ses vues sur l’action que la France est ap­pe­lée à exer­cer à l’étranger : « Le sieur de La Pé­rouse », dit le « Mé­moire du roi », « dans toutes les oc­ca­sions en usera avec beau­coup de dou­ceur et d’humanité en­vers les dif­fé­rents peuples qu’il vi­si­tera dans le cours de son voyage. Il s’occupera avec zèle et in­té­rêt de tous les moyens qui peuvent amé­lio­rer leur condi­tion, en pro­cu­rant à leur pays les… arbres utiles d’Europe, en leur en­sei­gnant la ma­nière de les se­mer et de les culti­ver… Si des cir­cons­tances im­pé­rieuses, qu’il est de la pru­dence de pré­voir… obli­geaient ja­mais le sieur de La Pé­rouse à faire usage de la su­pé­rio­rité de ses armes sur celles des peuples sau­vages… il n’userait de sa force qu’avec la plus grande mo­dé­ra­tion… Sa Ma­jesté re­gar­de­rait comme un des suc­cès les plus heu­reux de l’expédition qu’elle pût être ter­mi­née sans qu’il en eût coûté la vie à un seul homme ». On pré­para la Bous­sole et l’Astrolabe ; les deux na­vires bien­tôt, ten­dant leurs cor­dages, dé­ployèrent leur voi­lure au mi­lieu des cris et des adieux mê­lés aux chants joyeux des ma­te­lots. On plaça à bord une gra­vure re­pré­sen­tant la mort de Cook. Et la vue de cette image avi­vait l’ardeur de ces har­dis ma­rins, qui di­saient sou­vent : « Voici la mort que doivent en­vier les gens de notre mé­tier ! » Pauvres hommes, ils ne croyaient pas si bien dire.

  1. On ren­contre aussi la gra­phie La­pey­rouse. Haut
  1. Le roi avait lu son rap­port sur la cam­pagne de la baie d’Hudson avec in­té­rêt et dans la co­pie ori­gi­nale : « on pé­nètre mieux la pen­sée d’un au­teur sur son ma­nus­crit que sur une trans­crip­tion » (le ca­pi­taine de Bros­sard, « Ren­dez-vous avec La­pé­rouse à Va­ni­koro »). Haut

Tu Fu, « Œuvre poétique. Tome III. Au bout du monde (759) »

éd. Les Belles Lettres, coll. Bibliothèque chinoise, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. Bi­blio­thèque chi­noise, Pa­ris

Il s’agit de l’« Œuvre poé­tique » de Tu Fu1 qui se dé­fi­nit par la so­briété des sen­ti­ments et l’exact réa­lisme des ta­bleaux. Sans se per­mettre des com­men­taires trop per­son­nels, s’effaçant, dis­pa­rais­sant en tant qu’auteur de­vant ses poé­sies qui parlent d’elles-mêmes, Tu Fu peint les scènes fa­mi­lières de la vie cou­rante, les mi­sères du pe­tit peuple en proie à la guerre, à la fa­mine et aux in­jus­tices. Son « Œuvre poé­tique » adopte un ton égal et ap­pa­rem­ment im­pas­sible, mais qu’un dé­tail vient tout à coup rendre vi­vant, voire poi­gnant, grâce au choix de deux ou trois mots (« der­rière les portes de laque rouge, viandes et vins em­pestent ; sur les che­mins, les af­fa­més laissent leurs os ge­lés ») aux­quels l’auteur sait don­ner leur va­leur en­tière, et qu’on di­rait écrits pour l’éternité. Tu Fu est, à ce titre, le plus clas­sique des poètes chi­nois, même s’il y en a d’autres dont le gé­nie est su­pé­rieur au sien2. « Le trait prin­ci­pal de son ta­lent, ce­lui qui do­mine l’œuvre et vient le pre­mier à l’esprit cher­chant une im­pres­sion gé­né­rale, c’est le ca­rac­tère conscient et comme ré­flé­chi de ses œuvres. Tu Fu est un ar­tiste tou­jours sûr et conscient de ses moyens, sa­chant tou­jours par­fai­te­ment le but au­quel il tend. Il n’a guère d’élans im­pré­vus, de di­gres­sions dues à des émo­tions spon­ta­né­ment écloses ; il règle ses œuvres et leur ef­fet avec la per­fec­tion d’un mé­ca­nisme in­faillible, ne lais­sant rien au ha­sard, n’omettant rien d’essentiel, n’ajoutant rien de su­per­flu… Mais ce sont là, pré­ci­sé­ment, les traits es­sen­tiels des prin­cipes de l’école clas­sique, les qua­li­tés idéales aux­quelles tend… la men­ta­lité ar­tis­tique des Tang3, pé­riode du clas­si­cisme chi­nois », dit M. Georges Mar­gou­liès.

  1. En chi­nois 杜甫. Par­fois trans­crit Du Fu, Dou-fou, Thou-fou, Thu Fu ou Tou Fou. Haut
  2. Li Po et Bai Juyi. Haut
  1. De l’an 618 à l’an 907. Haut

Ôgai, « L’Oie sauvage »

éd. Cambourakis, Paris

éd. Cam­bou­ra­kis, Pa­ris

Il s’agit de « L’Oie sau­vage » (« Gan »1) de Mori Ôgai2, mé­de­cin mi­li­taire, haut fonc­tion­naire, tra­duc­teur et homme de lettres. Au­cun in­tel­lec­tuel de l’ère Meiji ne ré­sume peut-être mieux qu’Ôgai les chan­ge­ments ra­di­caux qui bou­le­ver­sèrent la so­ciété ja­po­naise en l’espace de quelques dé­cen­nies, entre la fin du XIXe siècle et le dé­but du sui­vant. L’œuvre d’Ôgai et les évé­ne­ments mêmes de sa vie peuvent être lus comme un té­moi­gnage du pro­ces­sus dou­lou­reux qui trans­forma le pays d’un ré­gime semi-féo­dal, tel qu’il était en­core à la chute du shô­gu­nat, en une na­tion ca­pable de ri­va­li­ser de plain-pied avec les puis­sances mon­diales. Se re­trouvent chez lui tous les traits ty­piques de « l’homme nou­veau » de Meiji par­tagé entre ser­vice scru­pu­leux de l’État, hé­ri­tage de la mo­rale du passé et en­goue­ment pour les mo­dèles de pen­sée im­por­tés d’Europe. Son sé­jour d’étude en Al­le­magne, ainsi que les ar­rêts qu’il fit en France, coïn­ci­dèrent avec sa dé­cou­verte d’une autre concep­tion des connais­sances hu­maines : « Tout ce qui est hu­main [trouve] comme un écho en nous ; de sorte que, si des idées nou­velles, des théo­ries nou­velles sur­gissent sur la scène du monde et y de­viennent ac­tives, dans la me­sure où la plus no­va­trice même de ces théo­ries est le pro­duit des connais­sances hu­maines… aussi ex­tra­va­gante soit-[elle], nous en nous en por­tons peu ou prou les germes au cœur de nos [propres] pen­sées »3. De re­tour au Ja­pon, l’engagement constant d’Ôgai à dif­fu­ser lit­té­ra­tures, sciences et phi­lo­so­phies étran­gères montre quelle em­preinte in­ef­fa­çable l’universalisme eu­ro­péen avait lais­sée en ce des­cen­dant d’une li­gnée de sa­mou­raïs. Ses lourdes obli­ga­tions pro­fes­sion­nelles (il cu­mula les fonc­tions d’inspecteur gé­né­ral des Ser­vices de santé et de di­rec­teur du Bu­reau mé­di­cal du mi­nis­tère de l’Armée de terre) ne l’empêchèrent pas de se dé­vouer, avec le plus noble es­prit d’altruisme et une éner­gie in­fa­ti­gable, à la tra­duc­tion d’innombrables nou­velles, poé­sies, pièces de théâtre (Dau­det, Gœthe, Schnitz­ler, Schmidt­bonn, Heine, Le­nau, By­ron, Poe, Ib­sen, Strind­berg, Kouz­mine, Tour­gué­niev, Ler­mon­tov, An­dreïev, Dos­toïevski, Tol­stoï…) : « À pré­sent », se fé­li­cita-t-il4, « la lit­té­ra­ture raf­fi­née de l’Ouest est en­trée dans nos terres en même temps que ses prin­cipes phi­lo­so­phiques ul­times ». Bien que fi­dèle au ré­gime im­pé­rial, Ôgai en sou­hai­tait l’évolution. Il par­ta­geait l’inquiétude et dé­fen­dait l’audace des in­tel­lec­tuels, comme en té­moignent son pam­phlet « La Tour du si­lence » (« Chim­moku no tô »5) et les conseils qu’il osa don­ner à Hi­raide Shû, l’avocat des ac­cu­sés de l’affaire Kô­toku qui, comme l’affaire Drey­fus en France, sus­cita la ré­pro­ba­tion gé­né­rale. Il fut, en­fin, le pre­mier grand au­teur du Ja­pon mo­derne.

  1. En ja­po­nais «  ». Haut
  2. En ja­po­nais 森鷗外. De son vrai nom Mori Rin­tarô (森林太郎). Haut
  3. « Chaos ; trad. Em­ma­nuel Lo­ze­rand ». Haut
  1. « “Shi­ga­rami zô­shi” no koro »(« 「柵草紙」のころ »), c’est-à-dire « Le Ter­ri­toire propre de “Notes à contre-cou­rant” », in­édit en fran­çais. Haut
  2. En ja­po­nais « 沈黙の塔 ». Par­fois trans­crit « Chin­moku no tô ». Haut