Saigyô, « Poèmes de ma hutte de montagne »

éd. Moundarren, Millemont

éd. Moun­dar­ren, Mil­le­mont

Il s’agit de Satô No­ri­kiyo1, poète et moine très cher au peuple ja­po­nais (XIIe siècle apr. J.-C.), plus connu sous le sur­nom de Sai­gyô2 (« al­lant au Pa­ra­dis de l’Ouest »). Issu d’une fa­mille mi­li­taire, à l’âge de vingt-deux ans, Sai­gyô re­nonça au siècle, aban­donna sa fa­mille, et quitta ses fonc­tions au Pa­lais pour la rai­son que voici : Un jour, à l’heure où le so­leil s’inclinait, il était sorti avec un de ses amis in­times, du nom de No­riyasu, Of­fi­cier de la Garde des Portes. En che­min, No­riyasu dé­clara ceci : « Ces der­niers temps, je ne sais pour­quoi, j’ai le sen­ti­ment que toute chose n’est que songe et illu­sion, et si ce jourd’hui je suis en vie, je n’ose es­pé­rer l’être de­main en­core. Las, quel pour­rait être mon re­cours ? Mon plus cher dé­sir se­rait de quit­ter ma mai­son, de chan­ger mon état et d’aller vivre en quelque mon­tagne écar­tée ! »3 En en­ten­dant ce dis­cours pro­noncé avec les ac­cents de la vé­rité, Sai­gyô se de­manda, le cœur do­lent, pour quelle rai­son son ami par­lait de la sorte ; et le ma­tin sui­vant, comme il al­lait prendre de ses nou­velles, il trouva, près du por­tail, une foule de gens fort agi­tés, et à l’intérieur, de même, l’on en­ten­dait des voix de gens qui cla­maient leur dou­leur ; in­quiet, il hâta le pas, se de­man­dant ce qui se pas­sait : « Mon­sei­gneur, cette nuit, est mort dans son som­meil ! »4, lui dit-on, et il aper­çut l’épouse et la mère de No­riyasu, éten­dues face contre terre, l’une aux pieds, l’autre au che­vet du dé­funt, abî­mées dans les larmes. À cette vue, tour­nant le dos au monde, Sai­gyô en­tra en re­li­gion pour pé­ré­gri­ner à tra­vers le pays en­tier de pro­vince en pro­vince, de mo­nas­tère en mo­nas­tère ; puis, pen­sant avoir trouvé dans les mon­tagnes de l’Ouest le lieu pro­pice à un se­cret er­mi­tage où se li­vrer aux pra­tiques de la Voie du Boud­dha, il y construi­sit une hutte de bran­chage où, après avoir mené une vie so­li­taire dans un dé­pouille­ment ex­trême de toutes choses, il mou­rut très sain­te­ment.

« Il suf­fit de lire Sai­gyô pour se convaincre qu’il fut le plus grand poète ja­po­nais de tous les temps »

« Il suf­fit de lire Sai­gyô pour se convaincre qu’il fut le plus grand poète ja­po­nais de tous les temps », dit M. René Sief­fert5. « Sai­gyô fut le contraire de l’homme “ins­tallé” : constam­ment dé­chiré entre son at­ta­che­ment au monde et son dé­sir de re­non­ce­ment to­tal, il n’eut d’autre maître que la beauté tou­jours chan­geante de la na­ture, qu’il chanta sans re­lâche », dit Mme Jac­que­line Pi­geot6. On pos­sède de lui un re­cueil de mille cinq cent cin­quante-deux poèmes qu’il consti­tua tout au long de sa vie, et qu’il in­ti­tula « Re­cueil de ma hutte de mon­tagne » (« Sanka-shû »7). Ce sont ses poèmes des sai­sons qui sé­duisent le plus le cœur des Ja­po­nais, no­tam­ment ceux évo­quant la tris­tesse de l’automne, mais ceux aussi où il chante son at­ta­che­ment à la fleur de ce­ri­sier, em­blé­ma­tique d’un concept qui va ra­di­ca­le­ment trans­for­mer l’esthétique ja­po­naise : le « mono no aware »8, ou le « sen­ti­ment des choses ». « Sur le ca­ne­vas de mon cœur qui est une sorte de vide », dit Sai­gyô9, « je peins quelques sen­sa­tions fu­gi­tives et sa­vou­reuses. Mais elles ne laissent nulle trace ». Ainsi qu’il le confie dans un poème mille et mille fois cité, il rê­vait de mou­rir « au prin­temps, sous les ce­ri­siers en fleurs, au re­nou­veau du se­cond mois, et par la pleine lune »10 ; et c’est ainsi, pa­raît-il, qu’il mou­rut l’an 1190.

Voici un pas­sage qui don­nera une idée de la ma­nière de Sai­gyô :
« Cueillant de jeunes herbes
Dans le champ
La brume m’attriste
Quand je pense com­bien
D’autrefois elle me sé­pare
 »11.

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Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  • Claire Do­dane, « Yo­sano Akiko : poète de la pas­sion et fi­gure de proue du fé­mi­nisme ja­po­nais » (éd. Pu­bli­ca­tions orien­ta­listes de France, coll. Bi­blio­thèque ja­po­naise, Cergy-Pon­toise)
  • Emi­lia Ga­de­leva, « Sai­gyô et Teika, deux poètes no­va­teurs de la pé­riode du “Nou­veau Re­cueil des poèmes an­ciens et mo­dernes” » dans « Ja­pon plu­riel 7 : actes du sep­tième Col­loque de la So­ciété fran­çaise des études ja­po­naises » (éd. Ph. Pic­quier, Arles), p. 293-302
  • Jac­que­line Pi­geot, « Sai­gyō » dans « Dic­tion­naire uni­ver­sel des lit­té­ra­tures » (éd. Presses uni­ver­si­taires de France, Pa­ris).
  1. En ja­po­nais 佐藤義清. Au­tre­fois trans­crit Satô Yo­shi­kiyo. Haut
  2. En ja­po­nais 西行. Au­tre­fois trans­crit Saï­ghyô. Haut
  3. « La Lé­gende de Saï­gyô », p. 22. Haut
  4. id. p. 23. Haut
  5. « Le “Kin­kai-shû” ». Haut
  6. « Sai­gyō », p. 3353. Haut
  1. En ja­po­nais « 山家集 ». Haut
  2. En ja­po­nais 物の哀れ. Haut
  3. Dans Ni­no­miya Ma­sayuki, « La Pen­sée de Ko­baya­shi Hi­deo », p. 220. Haut
  4. Tra­duc­tion de Charles Ha­gue­nauer (« Le Poète Sai­gyō » dans « Études choi­sies. Tome II. Études de re­li­gion, d’histoire et de lit­té­ra­ture », éd. E. J. Brill, Leyde, p. 421-422). Haut
  5. p. 18. Haut