« La Double Inspiration du poète Po Kiu-yi (772-846) »

éd. P. Bossuet, coll. Faculté des lettres de l’Université de Paris, Paris

éd. P. Bos­suet, coll. Fa­culté des lettres de l’Université de Pa­ris, Pa­ris

Il s’agit de  1, le poète le plus ta­len­tueux de la , avec Li Po (IXe siècle apr. J.-C.). Au contraire de son pays, où sa po­pu­la­rité dé­crut au fil des siècles, le et le , sans grâce à leur lec­to­rat fé­mi­nin, le tinrent tou­jours pour un mo­dèle su­prême et al­lèrent jusqu’à en faire une sorte de tu­té­laire. Déjà de son vi­vant, sa «Chan­son des re­grets éter­nels» («Chang hen ge» 2) et sa «Bal­lade du luth»Pi pa xing» 3) jouis­saient d’un pres­tige in­com­pa­rable au­près des  : «Veuves et vierges ont sou­vent, à la bouche, un poème de … À ma vue, les chan­teuses me dé­si­gnent du doigt, en se di­sant entre elles : voici le maître de la “Chan­son des re­grets éter­nels”», dit-il dans une lettre 4. «Le trait prin­ci­pal… de Bai Juyi, qui fait son mé­rite prin­ci­pal en tant que poète», dit un  5, «c’est l’extrême sim­pli­cité de son élo­cu­tion, le na­tu­rel de toute son œuvre». Bai Juyi re­non­çait au trop sa­vant, trop , trop dense que ses pré­dé­ces­seurs po­lis­saient et ci­se­laient de­puis des siècles jusqu’à être sou­vent un peu obs­curs. On pré­tend qu’il li­sait ses vers à une vieille dame illet­trée et ne ces­sait de les chan­ger jusqu’à ce que cette der­nière lui fît en­tendre qu’elle avait tout com­pris. On com­pare son simple, abon­dant, ré­gu­lier à l’ d’une fon­taine qui coule et jour sur la pe­tite place du vil­lage, et où tout le s’abreuve :

«Dan­seuse tar­tare! Dan­seuse tar­tare!
L’ ré­pond au son des cordes,
Les mains ré­pondent au tam­bour.
La pré­lude, elle s’élance, manches hautes.
Pal­pi­tante comme la neige, fré­mis­sante comme le ro­seau,
À droite et à gauche, in­las­sable, elle pi­vote,
Mille et mille tours se pour­suivent sans trêve.
Rien de ce monde ne pour­rait l’égaler :
Voi­ture, moins ra­pide; tour­billon, moins pri­me­sau­tier.
La fi­nie, à plu­sieurs re­prises elle sa­lue et re­mer­cie
Le sou­ve­rain qui sou­rit lé­gè­re­ment
» 6.

On ra­conte des pro­diges sur la pré­co­cité de Bai Juyi. Au sixième ou sep­tième mois après sa nais­sance, il sa­vait déjà ou­vrir un livre, et sa nour­rice lui dé­si­gna deux ca­rac­tères qu’elle lui ap­prit dès cet ins­tant à connaître. Ses pa­rents ne né­gli­gèrent pas des dis­po­si­tions aussi heu­reuses, et Bai Juyi pro­fita si bien des le­çons de ses maîtres, qu’après avoir passé suc­ces­si­ve­ment par tous les grades de la lit­té­ra­ture, il re­çut ce­lui de doc­teur, au com­men­ce­ment de sa dix-sep­tième an­née. Il eut dif­fé­rents em­plois, qu’il rem­plit à la sa­tis­fac­tion de ceux qui les lui avaient pro­cu­rés, car il fut tou­jours d’une in­té­grité à toute épreuve. Ce­pen­dant, l’état de contrainte dans le­quel il était obligé de vivre, était trop op­posé à ses goûts pour qu’il ne cher­chât pas à s’en dé­li­vrer. Il acheta une pe­tite mai­son et ac­quit peu à peu quelques fonds de près de Xiang­shan 7mont Par­fumé» 8), et quand il se vit en état de pou­voir vivre com­mo­dé­ment sans le se­cours d’, il re­nonça à toutes les charges et aux em­plois, pour al­ler dans cette re­traite jouir de lui-même et de sa .

il li­sait ses vers à une vieille dame illet­trée et ne ces­sait de les chan­ger jusqu’à ce que cette der­nière lui fît en­tendre qu’elle avait tout com­pris

Il y fut à peine ar­rivé, qu’il fit la connais­sance d’un bonze, nommé Ru­man 9, qui des­ser­vait un sur le pen­chant de la mon­tagne. Ce bonze était d’une conver­sa­tion agréable, et plus ins­truit que ne le sont d’ordinaire ceux de sa pro­fes­sion : il ai­mait la , et le lieu de sa ré­si­dence lui don­nait l’occasion de culti­ver son goût. En se liant avec lui d’une étroite , Bai Juyi pou­vait al­ler et ve­nir dans le temple avec au­tant de li­berté que dans sa propre mai­son. Tan­tôt avec d’autres et tan­tôt seul, sans se mettre en peine des conve­nances, sans souci comme sans in­quié­tude, Bai Juyi s’amusait à boire et à faire des vers. Et quand le beau l’invitait à la , ou qu’il sen­tait le be­soin de faire de l’exercice, il al­lait trou­ver son bonze et par­cou­rait avec lui tous les coins et re­coins d’une mon­tagne fa­meuse par ses beau­tés et par les qui, se­lon la cré­du­lité po­pu­laire, y ha­bi­taient. Après la de Bai Juyi, cet en­droit de­vint une es­pèce de pè­le­ri­nage, dans le­quel on se ren­dait de toutes les de l’Empire et voire même de l’étranger, pour payer au brillant qui l’avait ha­bité, l’hommage dont il était digne. On as­sure en par­ti­cu­lier que les mar­chands viet­na­miens «après s’être char­gés des plus belles étoffes de soie et des meilleurs thés du Royaume du Mi­lieu, croyaient, ce­pen­dant, s’en re­tour­ner presque à vide quand ils n’emportaient pas avec eux, dans leur pa­trie, quelques lam­beaux des ou­vrages de Bai Juyi» 10.

Voici un pas­sage qui don­nera une idée de la ma­nière de Bai Juyi :
«Sou­vent j’ai d’aller sans cesse vieillis­sant,
Alors je m’efforce de boire, mais la dé­faut.
Dites-moi, ô vous, les de chry­san­thèmes,
Pour qui vous épa­noui­rez-vous de­main?
» 11

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  1. En 白居易. Au­tre­fois trans­crit Pé-kiu-y, Po Kiu-i, Po Kiu-yi, Po Tchu-yi, Pai Chui, Bo Ju yi, Po Chü-i ou Po Chu yi. Icône Haut
  2. En chi­nois «長恨歌». Au­tre­fois trans­crit «Tch’ang-hen-ko» ou «Ch’ang-hen ko». Icône Haut
  3. En chi­nois «琵琶行». Au­tre­fois trans­crit «P’i-pa-hing», «Pi pa sing» ou «Pï-pá hsing». Icône Haut
  4. Dans Lo Ta-kang, «La Double du poète Po Kiu-yi», p. 135. Icône Haut
  5. M. Georges Mar­gou­liès. Icône Haut
  6. Tra­duc­tion de M. Lo Ta-kang. Icône Haut
  1. En chi­nois 香山. Au­tre­fois trans­crit Hiang-chan ou Hsiang-shan. Icône Haut
  2. De là, cette épi­thète d’«er­mite du mont Par­fumé» (香山居士), si sou­vent ap­pli­quée à Bai Juyi. Icône Haut
  3. En chi­nois 如滿. Au­tre­fois trans­crit Jou-man ou Ju-man. Icône Haut
  4. le père Jo­seph Amiot, «Pê-kiu-y». Icône Haut
  5. p. 124. Icône Haut