
dans « L’Univers des “truyện nôm” : manuscrit » (éd. École française d’Extrême-Orient, coll. Bibliothèque vietnamienne, Hanoï), p. 211-223
Il s’agit du « Tỳ bà hành », adaptation par Phan Huy Vịnh de l’un des poèmes chinois qui a le plus marqué la littérature du Viêt-nam : la « Ballade du luth » 1 (« Pi pa xing » 2) de Bai Juyi. Longue de quatre-vingt-huit vers, cette « Ballade » relate l’émotion ressentie par le poète et ses amis, qui raccompagnent un visiteur au débarcadère de la rivière, quand ils entendent quelqu’un, sur l’une des barques, jouer du luth — rencontre nocturne, pleine d’ombres et de mystères, évoquée puissamment dès les premiers vers : « L’immensité des eaux était imprégnée de la clarté de la lune limpide. Nous entendîmes alors, au loin sur le fleuve, les notes d’[un luth]. J’oubliais de m’en retourner ; mon ami différait sa descente du fleuve. À la voix, nous demandâmes qui jouait ainsi. [Le luth] soudain s’arrêta de jouer et il y eut un moment de silence ». Le poète et ses amis en oublient qu’ils doivent rentrer ; le visiteur en oublie qu’il doit repartir. Ils font approcher leur barque de celle de l’interprète et l’invitent à se montrer. Après mille et mille suppliques, ils voient sortir avec hésitation une femme : celle-ci tient encore en main le luth qui lui cache la moitié du visage. Elle effleure les cordes et fait tinter une note, et deux, et trois. Chaque corde semble porter une âme ; chaque son semble dire une pensée. Elle joue, elle joue toujours : « Les grosses cordes semblaient verser des rafales de pluie ; les petites cordes semblaient susurrer plaintivement des confidences… Son attitude silencieuse augmentait la beauté du moment. Puis ce fut comme un vase d’argent qui éclate [et répand] son liquide sur la surface d’une eau ; comme des chevaux ardents qui galopent… »