Il s’agit de « La Harpe de Birmanie » (« Biruma no tategoto » 1) de M. Michio Takeyama 2, auteur japonais, traducteur d’Albert Schweitzer, de Friedrich Nietzsche, de Thomas Mann…, professeur d’allemand au Lycée supérieur d’Ichikô qui assurait, avant-guerre, la formation des élites. M. Takeyama naquit à Ôsaka. Mais c’est à Séoul, en Corée coloniale, que s’écoula son enfance. Sa famille y tenait la succursale d’une grande banque japonaise. Pour ses études, il jeta son dévolu sur la prestigieuse Université de Tôkyô. Rien de plus naturel, sauf que son père le destinait à la Faculté de droit. Au lieu de cela, il s’inscrivit à la Faculté des lettres, département de littérature allemande, sans prévenir son père qui, en l’apprenant, lui dit avec dépit : « J’ai perdu l’un de mes fils » 3. Son diplôme en poche, M. Takeyama partit en Allemagne, pour deux ans, en 1927. Berlin, avec son inhumanité, son agitation stérile, son culte de la discipline, sa « barbarie », lui déplut. Notre auteur sentait l’atmosphère suffocante de « cette espèce de nouveau Moyen Âge » (Heinrich Mann) qui semblait préparer l’orage du nazisme. Il multiplia ses excursions en France — un pays qui correspondait bien mieux à ses propres idéaux : « Chaque fois qu’il en traversait la frontière, son moral remontait » (M. Sukehiro Hirakawa). Quand plus tard, lors de la Seconde Guerre mondiale, le ministère de l’Éducation impérial recommanda la fin de tout enseignement en français, M. Takeyama aida à maintenir les cours dans cette langue au Lycée supérieur d’Ichikô et il écrivit « L’Allemagne : un nouveau Moyen Âge ? » (« Doitsu : atarashiki Chûsei ? » 4), un essai ouvertement antinazi. Mais si la postérité n’oublia pas tout à fait ses efforts courageux, toutefois elle les tint pour vains. Et c’est « La Harpe de Birmanie » qui lui donna la célébrité. Publié en feuilleton dans un magazine pour enfants de 1947 à 1948, ce roman fut ensuite popularisé par le cinéma en 1956 et 1985 et par la télévision en 1986. « La Harpe de Birmanie » est un vibrant hymne à la paix, où un caporal japonais échange son fusil contre une harpe. Déguisé en Birman et en moine, il devient peu à peu les deux : « Arriérés ? Les Birmans ? Il m’arrive souvent de penser que nous, les Japonais, nous sommes bien plus barbares qu’eux… Eh oui ! il est certain que nous possédons les outils de la civilisation, mais qu’en avons-nous fait ? Une guerre dévastatrice, qui nous a menés jusqu’ici et qui a causé chez les Birmans de terribles souffrances » 5. Renonçant à rentrer au Japon, le caporal décide seulement de signifier, une dernière fois, aux siens sa présence, en jouant de sa harpe, caché dans un immense bouddha dont les yeux semblent les fixer. Chantant en chœur avec lui, les soldats comprennent que « l’homme connu sous le nom de caporal Mizushima n’existe plus »
Japon
pays, gentilé ou langue
le lieutenant Sakurai, « “Niku-dan”, Mitraille humaine : récit du siège de Port-Arthur »
Il s’agit de « Mitraille humaine » 1 (« Niku-dan » 2), récit d’un réalisme farouche, publié en 1906 par le lieutenant Tadayoshi Sakurai 3. Parmi les témoignages sur la guerre russo-japonaise qui nous disent le mieux l’esprit des combattants japonais, on compte le livre d’un jeune officier de l’armée de terre, Sakurai, qui prit part à la campagne contre Port-Arthur et eut la main droite cassée au poignet, le bras gauche percé d’une balle et la jambe droite broyée d’un éclat d’obus. Tombé après plusieurs actes héroïques, on le crut mort. Il revint à lui alors qu’on était sur le point de brûler son corps affreusement mutilé, et que déjà la fatale nouvelle de son décès avait été annoncée à sa famille. Deux ans plus tard, il employait ses longs loisirs de convalescence à écrire de la main gauche — la seule épargnée par les projectiles ennemis — toutes ses impressions vécues de bataille et celles de la multitude de ses compagnons d’armes dont les cadavres s’étaient mêlés aux terres mornes et lugubres de la Mandchourie. Notre jeune lieutenant, inconnu jusqu’alors, eut le privilège d’une audience spéciale pour y recevoir les félicitations de l’Empereur. Son témoignage fut traduit dans vingt langues. Il ne contient ni vues d’ensemble, ni vues politiques, ni système. L’horizon, assez borné, est à taille d’homme et à hauteur de fusil. Mais on voit s’y épanouir comme une fleur de cerisier l’âme des soldats nippons, leur intense patriotisme, leur culte inébranlable de l’idéal, de l’honneur, du sens du devoir. À quels terribles sommets le Japon impérial avait porté les vertus de ce culte — poussées jusqu’au désir orgueilleux du sacrifice, jusqu’au mépris permanent de la mort — le lieutenant Tadayoshi le montre. Avec de pareils soldats, il était bien permis de parler de « boulets humains », de « mitraille humaine », surtout quand c’était un Nogi qui en disposait. On connaît le mot de ce général nippon : « La victoire est à celui qui sait souffrir un quart d’heure de plus que l’ennemi ».
Ôgai, « Vengeance sur la plaine du temple Goji-in et Autres Récits historiques »
Il s’agit des « Derniers Mots » (« Saigo no ikku » 1), « Vengeance sur la plaine du temple Goji-in » (« Gojiingahara no katakiuchi » 2) et autres nouvelles de Mori Ôgai 3, médecin militaire, haut fonctionnaire, romancier. Aucun intellectuel de l’ère Meiji ne résume peut-être mieux qu’Ôgai les changements incessants d’intensité qui bouleversèrent la société japonaise en l’espace de quelques décennies, entre la fin du XIXe siècle et le début du suivant. L’œuvre d’Ôgai et les événements mêmes de sa vie peuvent être lus comme un témoignage du processus douloureux qui transforma le pays d’un régime semi-féodal, tel qu’il était encore à la chute du shôgunat, en une nation capable de rivaliser de plain-pied avec les puissances mondiales. Se retrouvent chez lui tous les traits typiques de « l’homme nouveau » de Meiji partagé entre service scrupuleux de l’État, héritage de la morale du passé et engouement pour les modèles de pensée importés d’Europe. Son séjour d’étude en Allemagne, ainsi que les arrêts qu’il fit en France, coïncidèrent avec sa découverte d’une autre conception des connaissances humaines : « Tout ce qui est humain [trouve] comme un écho en nous ; de sorte que, si des idées nouvelles, des théories nouvelles surgissent sur la scène du monde et y deviennent actives, dans la mesure où la plus novatrice même de ces théories est le produit des connaissances humaines… aussi extravagante soit-[elle], nous en nous en portons, peu ou prou, les germes au cœur de nos [propres] pensées » 4. De retour au Japon, l’engagement constant d’Ôgai à diffuser littératures, sciences et philosophies étrangères montre quelle empreinte ineffaçable l’universalisme européen avait laissée en ce descendant d’une lignée de samouraïs. Ses lourdes obligations professionnelles (il cumula les fonctions d’inspecteur général des Services de santé et de directeur du Bureau médical du ministère de l’Armée de terre) ne l’empêchèrent pas de se dévouer, avec le plus noble esprit d’altruisme et une énergie infatigable, à la traduction d’innombrables nouvelles, poésies, pièces de théâtre : Daudet, Gœthe, Schnitzler, Schmidtbonn, Heine, Lenau, Byron, Poe, Ibsen, Strindberg, Kouzmine, Tourguéniev, Lermontov, Andreïev, Dostoïevski, Tolstoï… « À présent », se félicita-t-il 5, « la littérature raffinée de l’Ouest est entrée dans nos terres en même temps que ses principes philosophiques ultimes ». Bien que fidèle au régime impérial, Ôgai en souhaitait l’évolution. Il partageait l’inquiétude et défendait l’audace des intellectuels, comme en témoignent son pamphlet « La Tour du silence » (« Chimmoku no tô » 6) et les conseils qu’il osa donner à Hiraide Shû, l’avocat des accusés de l’affaire Kôtoku qui, comme l’affaire Dreyfus en France, suscita la réprobation générale. Il fut, enfin, le premier grand auteur du Japon moderne.
- En japonais « 最後の一句 ».
- En japonais « 護持院原の敵討 ».
- En japonais 森鷗外. De son vrai nom Mori Rintarô (森林太郎).
- « Chaos ; trad. Emmanuel Lozerand ».
- « “Shigarami zôshi” no koro » (« 「柵草紙」のころ »), c’est-à-dire « Le Territoire propre de “Notes à contre-courant” », inédit en français.
- En japonais « 沈黙の塔 ». Parfois transcrit « Chinmoku no tô ».
Ôgai, « Le Testament d’Okitsu Yagoemon, “Okitsu Yagoemon no isho” »
dans « [Nouvelles japonaises]. Tome I. Les Noix, la Mouche, le Citron (1910-1926) » (éd. Ph. Picquier, Arles), p. 155-175
Il s’agit du « Testament d’Okitsu Yagoemon » (« Okitsu Yagoemon no isho » 1) de Mori Ôgai 2, médecin militaire, haut fonctionnaire, romancier. Aucun intellectuel de l’ère Meiji ne résume peut-être mieux qu’Ôgai les changements incessants d’intensité qui bouleversèrent la société japonaise en l’espace de quelques décennies, entre la fin du XIXe siècle et le début du suivant. L’œuvre d’Ôgai et les événements mêmes de sa vie peuvent être lus comme un témoignage du processus douloureux qui transforma le pays d’un régime semi-féodal, tel qu’il était encore à la chute du shôgunat, en une nation capable de rivaliser de plain-pied avec les puissances mondiales. Se retrouvent chez lui tous les traits typiques de « l’homme nouveau » de Meiji partagé entre service scrupuleux de l’État, héritage de la morale du passé et engouement pour les modèles de pensée importés d’Europe. Son séjour d’étude en Allemagne, ainsi que les arrêts qu’il fit en France, coïncidèrent avec sa découverte d’une autre conception des connaissances humaines : « Tout ce qui est humain [trouve] comme un écho en nous ; de sorte que, si des idées nouvelles, des théories nouvelles surgissent sur la scène du monde et y deviennent actives, dans la mesure où la plus novatrice même de ces théories est le produit des connaissances humaines… aussi extravagante soit-[elle], nous en nous en portons, peu ou prou, les germes au cœur de nos [propres] pensées » 3. De retour au Japon, l’engagement constant d’Ôgai à diffuser littératures, sciences et philosophies étrangères montre quelle empreinte ineffaçable l’universalisme européen avait laissée en ce descendant d’une lignée de samouraïs. Ses lourdes obligations professionnelles (il cumula les fonctions d’inspecteur général des Services de santé et de directeur du Bureau médical du ministère de l’Armée de terre) ne l’empêchèrent pas de se dévouer, avec le plus noble esprit d’altruisme et une énergie infatigable, à la traduction d’innombrables nouvelles, poésies, pièces de théâtre : Daudet, Gœthe, Schnitzler, Schmidtbonn, Heine, Lenau, Byron, Poe, Ibsen, Strindberg, Kouzmine, Tourguéniev, Lermontov, Andreïev, Dostoïevski, Tolstoï… « À présent », se félicita-t-il 4, « la littérature raffinée de l’Ouest est entrée dans nos terres en même temps que ses principes philosophiques ultimes ». Bien que fidèle au régime impérial, Ôgai en souhaitait l’évolution. Il partageait l’inquiétude et défendait l’audace des intellectuels, comme en témoignent son pamphlet « La Tour du silence » (« Chimmoku no tô » 5) et les conseils qu’il osa donner à Hiraide Shû, l’avocat des accusés de l’affaire Kôtoku qui, comme l’affaire Dreyfus en France, suscita la réprobation générale. Il fut, enfin, le premier grand auteur du Japon moderne.
- En japonais « 興津弥五右衛門の遺書 ».
- En japonais 森鷗外. De son vrai nom Mori Rintarô (森林太郎).
- « Chaos ; trad. Emmanuel Lozerand ».
- « “Shigarami zôshi” no koro » (« 「柵草紙」のころ »), c’est-à-dire « Le Territoire propre de “Notes à contre-courant” », inédit en français.
- En japonais « 沈黙の塔 ». Parfois transcrit « Chinmoku no tô ».
Ôgai, « La Danseuse »
éd. du Rocher, coll. Nouvelle, Monaco
Il s’agit de « La Danseuse » 1 (« Maihime » 2) de Mori Ôgai 3, médecin militaire, haut fonctionnaire, romancier. Aucun intellectuel de l’ère Meiji ne résume peut-être mieux qu’Ôgai les changements incessants d’intensité qui bouleversèrent la société japonaise en l’espace de quelques décennies, entre la fin du XIXe siècle et le début du suivant. L’œuvre d’Ôgai et les événements mêmes de sa vie peuvent être lus comme un témoignage du processus douloureux qui transforma le pays d’un régime semi-féodal, tel qu’il était encore à la chute du shôgunat, en une nation capable de rivaliser de plain-pied avec les puissances mondiales. Se retrouvent chez lui tous les traits typiques de « l’homme nouveau » de Meiji partagé entre service scrupuleux de l’État, héritage de la morale du passé et engouement pour les modèles de pensée importés d’Europe. Son séjour d’étude en Allemagne, ainsi que les arrêts qu’il fit en France, coïncidèrent avec sa découverte d’une autre conception des connaissances humaines : « Tout ce qui est humain [trouve] comme un écho en nous ; de sorte que, si des idées nouvelles, des théories nouvelles surgissent sur la scène du monde et y deviennent actives, dans la mesure où la plus novatrice même de ces théories est le produit des connaissances humaines… aussi extravagante soit-[elle], nous en nous en portons, peu ou prou, les germes au cœur de nos [propres] pensées » 4. De retour au Japon, l’engagement constant d’Ôgai à diffuser littératures, sciences et philosophies étrangères montre quelle empreinte ineffaçable l’universalisme européen avait laissée en ce descendant d’une lignée de samouraïs. Ses lourdes obligations professionnelles (il cumula les fonctions d’inspecteur général des Services de santé et de directeur du Bureau médical du ministère de l’Armée de terre) ne l’empêchèrent pas de se dévouer, avec le plus noble esprit d’altruisme et une énergie infatigable, à la traduction d’innombrables nouvelles, poésies, pièces de théâtre : Daudet, Gœthe, Schnitzler, Schmidtbonn, Heine, Lenau, Byron, Poe, Ibsen, Strindberg, Kouzmine, Tourguéniev, Lermontov, Andreïev, Dostoïevski, Tolstoï… « À présent », se félicita-t-il 5, « la littérature raffinée de l’Ouest est entrée dans nos terres en même temps que ses principes philosophiques ultimes ». Bien que fidèle au régime impérial, Ôgai en souhaitait l’évolution. Il partageait l’inquiétude et défendait l’audace des intellectuels, comme en témoignent son pamphlet « La Tour du silence » (« Chimmoku no tô » 6) et les conseils qu’il osa donner à Hiraide Shû, l’avocat des accusés de l’affaire Kôtoku qui, comme l’affaire Dreyfus en France, suscita la réprobation générale. Il fut, enfin, le premier grand auteur du Japon moderne.
- Parfois traduit « La Ballerine ».
- En japonais « 舞姫 ».
- En japonais 森鷗外. De son vrai nom Mori Rintarô (森林太郎).
- « Chaos ; trad. Emmanuel Lozerand ».
- « “Shigarami zôshi” no koro » (« 「柵草紙」のころ »), c’est-à-dire « Le Territoire propre de “Notes à contre-courant” », inédit en français.
- En japonais « 沈黙の塔 ». Parfois transcrit « Chinmoku no tô ».
Ôgai, « L’Intendant Sanshô : récits »
Il s’agit du « Clan Abe » 1 (« Abe ichizoku » 2) et de « L’Intendant Sanshô » 3 (« Sanshô dayû » 4) de Mori Ôgai 5, médecin militaire, haut fonctionnaire, romancier. Aucun intellectuel de l’ère Meiji ne résume peut-être mieux qu’Ôgai les changements incessants d’intensité qui bouleversèrent la société japonaise en l’espace de quelques décennies, entre la fin du XIXe siècle et le début du suivant. L’œuvre d’Ôgai et les événements mêmes de sa vie peuvent être lus comme un témoignage du processus douloureux qui transforma le pays d’un régime semi-féodal, tel qu’il était encore à la chute du shôgunat, en une nation capable de rivaliser de plain-pied avec les puissances mondiales. Se retrouvent chez lui tous les traits typiques de « l’homme nouveau » de Meiji partagé entre service scrupuleux de l’État, héritage de la morale du passé et engouement pour les modèles de pensée importés d’Europe. Son séjour d’étude en Allemagne, ainsi que les arrêts qu’il fit en France, coïncidèrent avec sa découverte d’une autre conception des connaissances humaines : « Tout ce qui est humain [trouve] comme un écho en nous ; de sorte que, si des idées nouvelles, des théories nouvelles surgissent sur la scène du monde et y deviennent actives, dans la mesure où la plus novatrice même de ces théories est le produit des connaissances humaines… aussi extravagante soit-[elle], nous en nous en portons, peu ou prou, les germes au cœur de nos [propres] pensées » 6. De retour au Japon, l’engagement constant d’Ôgai à diffuser littératures, sciences et philosophies étrangères montre quelle empreinte ineffaçable l’universalisme européen avait laissée en ce descendant d’une lignée de samouraïs. Ses lourdes obligations professionnelles (il cumula les fonctions d’inspecteur général des Services de santé et de directeur du Bureau médical du ministère de l’Armée de terre) ne l’empêchèrent pas de se dévouer, avec le plus noble esprit d’altruisme et une énergie infatigable, à la traduction d’innombrables nouvelles, poésies, pièces de théâtre : Daudet, Gœthe, Schnitzler, Schmidtbonn, Heine, Lenau, Byron, Poe, Ibsen, Strindberg, Kouzmine, Tourguéniev, Lermontov, Andreïev, Dostoïevski, Tolstoï… « À présent », se félicita-t-il 7, « la littérature raffinée de l’Ouest est entrée dans nos terres en même temps que ses principes philosophiques ultimes ». Bien que fidèle au régime impérial, Ôgai en souhaitait l’évolution. Il partageait l’inquiétude et défendait l’audace des intellectuels, comme en témoignent son pamphlet « La Tour du silence » (« Chimmoku no tô » 8) et les conseils qu’il osa donner à Hiraide Shû, l’avocat des accusés de l’affaire Kôtoku qui, comme l’affaire Dreyfus en France, suscita la réprobation générale. Il fut, enfin, le premier grand auteur du Japon moderne.
- Parfois traduit « La Famille Abe » ou « La Famille des Abe ».
- En japonais « 阿部一族 ».
- Parfois traduit « Le Commandant Sanshô ».
- En japonais « 山椒大夫 ».
- En japonais 森鷗外. De son vrai nom Mori Rintarô (森林太郎).
- « Chaos ; trad. Emmanuel Lozerand ».
- « “Shigarami zôshi” no koro » (« 「柵草紙」のころ »), c’est-à-dire « Le Territoire propre de “Notes à contre-courant” », inédit en français.
- En japonais « 沈黙の塔 ». Parfois transcrit « Chinmoku no tô ».
Ôgai, « Le Jeune Homme : roman »
Il s’agit du « Jeune Homme » (« Seinen » 1) de Mori Ôgai 2, médecin militaire, haut fonctionnaire, romancier. Aucun intellectuel de l’ère Meiji ne résume peut-être mieux qu’Ôgai les changements incessants d’intensité qui bouleversèrent la société japonaise en l’espace de quelques décennies, entre la fin du XIXe siècle et le début du suivant. L’œuvre d’Ôgai et les événements mêmes de sa vie peuvent être lus comme un témoignage du processus douloureux qui transforma le pays d’un régime semi-féodal, tel qu’il était encore à la chute du shôgunat, en une nation capable de rivaliser de plain-pied avec les puissances mondiales. Se retrouvent chez lui tous les traits typiques de « l’homme nouveau » de Meiji partagé entre service scrupuleux de l’État, héritage de la morale du passé et engouement pour les modèles de pensée importés d’Europe. Son séjour d’étude en Allemagne, ainsi que les arrêts qu’il fit en France, coïncidèrent avec sa découverte d’une autre conception des connaissances humaines : « Tout ce qui est humain [trouve] comme un écho en nous ; de sorte que, si des idées nouvelles, des théories nouvelles surgissent sur la scène du monde et y deviennent actives, dans la mesure où la plus novatrice même de ces théories est le produit des connaissances humaines… aussi extravagante soit-[elle], nous en nous en portons, peu ou prou, les germes au cœur de nos [propres] pensées » 3. De retour au Japon, l’engagement constant d’Ôgai à diffuser littératures, sciences et philosophies étrangères montre quelle empreinte ineffaçable l’universalisme européen avait laissée en ce descendant d’une lignée de samouraïs. Ses lourdes obligations professionnelles (il cumula les fonctions d’inspecteur général des Services de santé et de directeur du Bureau médical du ministère de l’Armée de terre) ne l’empêchèrent pas de se dévouer, avec le plus noble esprit d’altruisme et une énergie infatigable, à la traduction d’innombrables nouvelles, poésies, pièces de théâtre : Daudet, Gœthe, Schnitzler, Schmidtbonn, Heine, Lenau, Byron, Poe, Ibsen, Strindberg, Kouzmine, Tourguéniev, Lermontov, Andreïev, Dostoïevski, Tolstoï… « À présent », se félicita-t-il 4, « la littérature raffinée de l’Ouest est entrée dans nos terres en même temps que ses principes philosophiques ultimes ». Bien que fidèle au régime impérial, Ôgai en souhaitait l’évolution. Il partageait l’inquiétude et défendait l’audace des intellectuels, comme en témoignent son pamphlet « La Tour du silence » (« Chimmoku no tô » 5) et les conseils qu’il osa donner à Hiraide Shû, l’avocat des accusés de l’affaire Kôtoku qui, comme l’affaire Dreyfus en France, suscita la réprobation générale. Il fut, enfin, le premier grand auteur du Japon moderne.
- En japonais « 青年 ».
- En japonais 森鷗外. De son vrai nom Mori Rintarô (森林太郎).
- « Chaos ; trad. Emmanuel Lozerand ».
- « “Shigarami zôshi” no koro » (« 「柵草紙」のころ »), c’est-à-dire « Le Territoire propre de “Notes à contre-courant” », inédit en français.
- En japonais « 沈黙の塔 ». Parfois transcrit « Chinmoku no tô ».
Ôgai, « Chimères »
Il s’agit du « Serpent » (« Hebi » 1), « Chimères » 2 (« Môsô » 3) et autres nouvelles de Mori Ôgai 4, médecin militaire, haut fonctionnaire, romancier. Aucun intellectuel de l’ère Meiji ne résume peut-être mieux qu’Ôgai les changements incessants d’intensité qui bouleversèrent la société japonaise en l’espace de quelques décennies, entre la fin du XIXe siècle et le début du suivant. L’œuvre d’Ôgai et les événements mêmes de sa vie peuvent être lus comme un témoignage du processus douloureux qui transforma le pays d’un régime semi-féodal, tel qu’il était encore à la chute du shôgunat, en une nation capable de rivaliser de plain-pied avec les puissances mondiales. Se retrouvent chez lui tous les traits typiques de « l’homme nouveau » de Meiji partagé entre service scrupuleux de l’État, héritage de la morale du passé et engouement pour les modèles de pensée importés d’Europe. Son séjour d’étude en Allemagne, ainsi que les arrêts qu’il fit en France, coïncidèrent avec sa découverte d’une autre conception des connaissances humaines : « Tout ce qui est humain [trouve] comme un écho en nous ; de sorte que, si des idées nouvelles, des théories nouvelles surgissent sur la scène du monde et y deviennent actives, dans la mesure où la plus novatrice même de ces théories est le produit des connaissances humaines… aussi extravagante soit-[elle], nous en nous en portons, peu ou prou, les germes au cœur de nos [propres] pensées » 5. De retour au Japon, l’engagement constant d’Ôgai à diffuser littératures, sciences et philosophies étrangères montre quelle empreinte ineffaçable l’universalisme européen avait laissée en ce descendant d’une lignée de samouraïs. Ses lourdes obligations professionnelles (il cumula les fonctions d’inspecteur général des Services de santé et de directeur du Bureau médical du ministère de l’Armée de terre) ne l’empêchèrent pas de se dévouer, avec le plus noble esprit d’altruisme et une énergie infatigable, à la traduction d’innombrables nouvelles, poésies, pièces de théâtre : Daudet, Gœthe, Schnitzler, Schmidtbonn, Heine, Lenau, Byron, Poe, Ibsen, Strindberg, Kouzmine, Tourguéniev, Lermontov, Andreïev, Dostoïevski, Tolstoï… « À présent », se félicita-t-il 6, « la littérature raffinée de l’Ouest est entrée dans nos terres en même temps que ses principes philosophiques ultimes ». Bien que fidèle au régime impérial, Ôgai en souhaitait l’évolution. Il partageait l’inquiétude et défendait l’audace des intellectuels, comme en témoignent son pamphlet « La Tour du silence » (« Chimmoku no tô » 7) et les conseils qu’il osa donner à Hiraide Shû, l’avocat des accusés de l’affaire Kôtoku qui, comme l’affaire Dreyfus en France, suscita la réprobation générale. Il fut, enfin, le premier grand auteur du Japon moderne.
- En japonais « 蛇 ».
- Parfois traduit « Rêveries ».
- En japonais « 妄想 ». Parfois transcrit « Môzô ».
- En japonais 森鷗外. De son vrai nom Mori Rintarô (森林太郎).
- « Chaos ; trad. Emmanuel Lozerand ».
- « “Shigarami zôshi” no koro » (« 「柵草紙」のころ »), c’est-à-dire « Le Territoire propre de “Notes à contre-courant” », inédit en français.
- En japonais « 沈黙の塔 ». Parfois transcrit « Chinmoku no tô ».
Ôgai, « Vita sexualis, ou l’Apprentissage amoureux du professeur Kanai Shizuka »
éd. Gallimard-UNESCO, coll. Connaissance de l’Orient, Paris
Il s’agit de « Vita sexualis » 1 de Mori Ôgai 2, médecin militaire, haut fonctionnaire, romancier. Aucun intellectuel de l’ère Meiji ne résume peut-être mieux qu’Ôgai les changements incessants d’intensité qui bouleversèrent la société japonaise en l’espace de quelques décennies, entre la fin du XIXe siècle et le début du suivant. L’œuvre d’Ôgai et les événements mêmes de sa vie peuvent être lus comme un témoignage du processus douloureux qui transforma le pays d’un régime semi-féodal, tel qu’il était encore à la chute du shôgunat, en une nation capable de rivaliser de plain-pied avec les puissances mondiales. Se retrouvent chez lui tous les traits typiques de « l’homme nouveau » de Meiji partagé entre service scrupuleux de l’État, héritage de la morale du passé et engouement pour les modèles de pensée importés d’Europe. Son séjour d’étude en Allemagne, ainsi que les arrêts qu’il fit en France, coïncidèrent avec sa découverte d’une autre conception des connaissances humaines : « Tout ce qui est humain [trouve] comme un écho en nous ; de sorte que, si des idées nouvelles, des théories nouvelles surgissent sur la scène du monde et y deviennent actives, dans la mesure où la plus novatrice même de ces théories est le produit des connaissances humaines… aussi extravagante soit-[elle], nous en nous en portons, peu ou prou, les germes au cœur de nos [propres] pensées » 3. De retour au Japon, l’engagement constant d’Ôgai à diffuser littératures, sciences et philosophies étrangères montre quelle empreinte ineffaçable l’universalisme européen avait laissée en ce descendant d’une lignée de samouraïs. Ses lourdes obligations professionnelles (il cumula les fonctions d’inspecteur général des Services de santé et de directeur du Bureau médical du ministère de l’Armée de terre) ne l’empêchèrent pas de se dévouer, avec le plus noble esprit d’altruisme et une énergie infatigable, à la traduction d’innombrables nouvelles, poésies, pièces de théâtre : Daudet, Gœthe, Schnitzler, Schmidtbonn, Heine, Lenau, Byron, Poe, Ibsen, Strindberg, Kouzmine, Tourguéniev, Lermontov, Andreïev, Dostoïevski, Tolstoï… « À présent », se félicita-t-il 4, « la littérature raffinée de l’Ouest est entrée dans nos terres en même temps que ses principes philosophiques ultimes ». Bien que fidèle au régime impérial, Ôgai en souhaitait l’évolution. Il partageait l’inquiétude et défendait l’audace des intellectuels, comme en témoignent son pamphlet « La Tour du silence » (« Chimmoku no tô » 5) et les conseils qu’il osa donner à Hiraide Shû, l’avocat des accusés de l’affaire Kôtoku qui, comme l’affaire Dreyfus en France, suscita la réprobation générale. Il fut, enfin, le premier grand auteur du Japon moderne.
- En japonais « ヰタ・セクスアリス ».
- En japonais 森鷗外. De son vrai nom Mori Rintarô (森林太郎).
- « Chaos ; trad. Emmanuel Lozerand ».
- « “Shigarami zôshi” no koro » (« 「柵草紙」のころ »), c’est-à-dire « Le Territoire propre de “Notes à contre-courant” », inédit en français.
- En japonais « 沈黙の塔 ». Parfois transcrit « Chinmoku no tô ».
Ôgai, « L’Oie sauvage »
Il s’agit de « L’Oie sauvage » (« Gan » 1) de Mori Ôgai 2, médecin militaire, haut fonctionnaire, romancier. Aucun intellectuel de l’ère Meiji ne résume peut-être mieux qu’Ôgai les changements incessants d’intensité qui bouleversèrent la société japonaise en l’espace de quelques décennies, entre la fin du XIXe siècle et le début du suivant. L’œuvre d’Ôgai et les événements mêmes de sa vie peuvent être lus comme un témoignage du processus douloureux qui transforma le pays d’un régime semi-féodal, tel qu’il était encore à la chute du shôgunat, en une nation capable de rivaliser de plain-pied avec les puissances mondiales. Se retrouvent chez lui tous les traits typiques de « l’homme nouveau » de Meiji partagé entre service scrupuleux de l’État, héritage de la morale du passé et engouement pour les modèles de pensée importés d’Europe. Son séjour d’étude en Allemagne, ainsi que les arrêts qu’il fit en France, coïncidèrent avec sa découverte d’une autre conception des connaissances humaines : « Tout ce qui est humain [trouve] comme un écho en nous ; de sorte que, si des idées nouvelles, des théories nouvelles surgissent sur la scène du monde et y deviennent actives, dans la mesure où la plus novatrice même de ces théories est le produit des connaissances humaines… aussi extravagante soit-[elle], nous en nous en portons, peu ou prou, les germes au cœur de nos [propres] pensées » 3. De retour au Japon, l’engagement constant d’Ôgai à diffuser littératures, sciences et philosophies étrangères montre quelle empreinte ineffaçable l’universalisme européen avait laissée en ce descendant d’une lignée de samouraïs. Ses lourdes obligations professionnelles (il cumula les fonctions d’inspecteur général des Services de santé et de directeur du Bureau médical du ministère de l’Armée de terre) ne l’empêchèrent pas de se dévouer, avec le plus noble esprit d’altruisme et une énergie infatigable, à la traduction d’innombrables nouvelles, poésies, pièces de théâtre : Daudet, Gœthe, Schnitzler, Schmidtbonn, Heine, Lenau, Byron, Poe, Ibsen, Strindberg, Kouzmine, Tourguéniev, Lermontov, Andreïev, Dostoïevski, Tolstoï… « À présent », se félicita-t-il 4, « la littérature raffinée de l’Ouest est entrée dans nos terres en même temps que ses principes philosophiques ultimes ». Bien que fidèle au régime impérial, Ôgai en souhaitait l’évolution. Il partageait l’inquiétude et défendait l’audace des intellectuels, comme en témoignent son pamphlet « La Tour du silence » (« Chimmoku no tô » 5) et les conseils qu’il osa donner à Hiraide Shû, l’avocat des accusés de l’affaire Kôtoku qui, comme l’affaire Dreyfus en France, suscita la réprobation générale. Il fut, enfin, le premier grand auteur du Japon moderne.
- En japonais « 雁 ».
- En japonais 森鷗外. De son vrai nom Mori Rintarô (森林太郎).
- « Chaos ; trad. Emmanuel Lozerand ».
- « “Shigarami zôshi” no koro » (« 「柵草紙」のころ »), c’est-à-dire « Le Territoire propre de “Notes à contre-courant” », inédit en français.
- En japonais « 沈黙の塔 ». Parfois transcrit « Chinmoku no tô ».
Saikaku, « Arashi, vie et mort d’un acteur »
éd. Ph. Picquier, coll. Le Pavillon des corps curieux, Arles
Il s’agit de l’« Arashi mujô monogatari » 1 (« Arashi, vie et mort d’un acteur » 2) d’Ihara Saikaku 3, marchand japonais qui, après la mort de sa femme et de sa fille aveugle, se consacra à l’art du roman, où il devint un maître incontesté, et le plus habile des écrivains. On compare la vivacité et la rapidité de son style à celles que l’on éprouve en descendant un torrent dans une barque. À la naissance de Saikaku, en 1642, le Japon était entré dans une période de paix et de bon ordre, après plus de deux siècles de guerres civiles. Les fortifications rasées des villes avaient fait place à des quartiers de distraction, où les bourgeois mettaient à la poursuite du plaisir l’opiniâtreté et la passion qu’ils avaient autrefois apportées à la conquête de l’argent. L’œuvre de Saikaku, vaste fresque de ce « monde flottant » (« ukiyo » 4), prend pour sujets les marchands, les vendeurs, les fabricants de tonneaux, les bouilleurs d’alcool de riz, les acteurs, les guerriers, les courtisanes. Les portraits de celles-ci surtout, très remarquables et osés, allant jusqu’à la vulgarité, font que l’on considère Saikaku comme un pornographe ; en quoi, on a grand tort. Car si on lui enlève ce masque d’indécence, qui peut bien avoir contribué à faire de lui le plus populaire écrivain de son temps, mais qui n’est cependant qu’un masque, et le plus trompeur des masques, on verra un psychologue hors pair, lucide, mais plein d’humour, toujours à l’écoute du « cœur des gens de ce monde » (« yo no hito-gokoro » 5) comme il dit lui-même 6. Avec lui, le Japon retrouve cette finesse d’observation qu’il n’avait plus atteinte depuis Murasaki-shikibu. « Dans ses ouvrages aussi francs qu’enjoués, Saikaku [décrit] tous les hasards doux et amers de ce monde de l’impermanence et de l’illusion dénoncé dans les sermons des bonzes. Mais les héros de Saikaku ne tentent pas de lui échapper, ils mettent leur sagesse à s’en accommoder, et leur ironie à n’en être pas dupes. D’avance, ils acceptent tout ce que les hasards de ce monde voudront bien leur donner — et le hasard n’est pas chiche envers eux… Ces récits, on le voit, sont francs, cyniques, salaces. Libertins ? Non, on n’y trouve jamais viol ni dol, jamais cet accent de révolte et de défi qui relève les noires prouesses du libertinage occidental, de Don Juan… à Sade. Pour être libres de leurs plaisirs, les héros de Saikaku n’ont pas à se [faire] scélérats », dit M. Maurice Pinguet
Tokutomi, « Plutôt la mort : roman japonais »
éd. L’Action sociale, Québec
Il s’agit du roman japonais « Hototogisu » 1 de Tokutomi Roka 2, de son vrai nom Tokutomi Kenjirô 3. Ayant grandi dans l’ombre de son frère aîné, Tokutomi Sohô, directeur du « Kokumin no Tomo » 4 (« L’Ami de la nation » 5) et du « Kokumin Shimbun » 6 (« Journal de la nation »), c’est dans les colonnes de ces périodiques que Tokutomi publia ses premiers articles littéraires, qui mirent en vue son pseudonyme de Roka (« fleur de roseau » 7). En outre, dans les mêmes colonnes, parut en feuilleton entre novembre 1898 et mai 1899 son « Hototogisu » (« Le Coucou »). Réuni ensuite en volume, ce roman connut un succès phénoménal et fut traduit en vingt langues européennes sous les titres les plus divers : « Plutôt la mort », « Nami-ko », etc. Les événements de ce roman roulaient sur une histoire vraie, à laquelle étaient venues s’ajouter les broderies de Tokutomi. Ils se passaient dans un Japon aux victoires retentissantes, où tout ou presque était devenu occidentalisé et moderne — réseaux télégraphiques, chemins de fer, armée, marine de guerre — tout, à l’exception de la condition de la femme qui restait dans beaucoup de cas, en vertu de préjugés cruels et surannés, l’esclave de la belle-famille où elle entrait par le mariage. L’héroïne principale de « Hototogisu » se nomme Nami-ko. Elle est épousée par Takeo, jeune lieutenant de vaisseau, qui s’en va combattre au loin en la laissant au pouvoir terrible de sa belle-mère. Celle-ci, apprenant que Nami-ko est phtisique, décide de la faire répudier et oblige le père de la jeune fille, l’illustre général Kataoka, à la reprendre. S’ensuit l’indignation du général qui recueille chez lui sa fille, et la construction qu’il fait faire d’un pavillon, dans un endroit tranquille de son parc, pour y soigner la phtisique, laquelle meurt moins de sa maladie que de ses illusions perdues. Revenu des manœuvres militaires, Takeo, qui aime Nami-ko, vient pleurer sur sa tombe. Il n’a d’autre consolation que de relire la lettre d’adieu qu’elle lui a écrite, et dans laquelle elle l’assure de son amour : « Mon corps va redevenir poussière. Quant à mon esprit, il sera toujours auprès de toi ». Incapable de surmonter sa douleur, le malheureux se tient là, lorsque le vieux général survient. À sa vue, Takeo se recule : « Mais, à l’instant même, une main fébrile s’emparait violemment de la sienne ; il leva les yeux et vit le général Kataoka le visage baigné de larmes. Ils se regardèrent, muets, quelques instants. “Takeo-san, moi aussi, j’ai bien souffert !” Ils se tenaient l’un près de l’autre, la main dans la main, et leurs larmes à tous deux coulèrent sur le bord de la tombe » 8. Les deux soldats, laissant au cimetière l’objet de leurs regrets, s’en vont ensemble en devisant ; et c’est un dénouement tout à fait ingénu, subtil et profond.
- En japonais « 不如帰 ». Autrefois transcrit « Fujoki », « Hototojisu » ou « Hototoghiçou ».
- En japonais 徳富蘆花. Autrefois transcrit Tokutomi Rokwa.
- En japonais 徳富健次郎. Autrefois transcrit Tokoutomi Kennjirô.
- En japonais « 国民之友 ».
- Parfois traduit « Les Amis du peuple national » ou « L’Ami du peuple ».
- En japonais « 國民新聞 ». Parfois transcrit « Kokumin Shinbun ».
- Autrefois traduit « fleur de ronce ».
- p. 281.
Mizubayashi, « Âme brisée : roman »
Il s’agit d’« Âme brisée » de M. Akira Mizubayashi, un Japonais d’expression française (XXIe siècle). À l’âge de dix-huit ans, raconte M. Mizubayashi, les écrits intimes de M. Arimasa Mori provoquèrent chez lui « un bouleversement, un séisme intérieur d’une force inégalée » 1 et l’orientèrent d’une façon décisive vers le français et la culture qui en est indissociable. M. Mori avait été le premier qui avait vu, dans cette langue et cette culture, une retraite provisoire où chaque Japonais pouvait puiser des forces nouvelles pour faire advenir un jour un État meilleur ; le premier qui avait fait le vœu solennel de refaire sa vie, de recommencer de zéro, en s’appropriant entièrement cette civilisation française qui n’était pas la sienne, mais qu’il vénérait. Dans « Babiron no nagare no hotori nite » 2, sous-titré en français « Sur les fleuves de Babylone », M. Mori avait écrit : « Je dois avancer dans l’effort d’appropriation humblement, petit à petit, même si j’ai à peine le niveau d’un petit écolier ou d’un gamin d’école maternelle. Que les paroles produites dans et à travers la langue française finissent par devenir équivalentes à la chose, tel est pour moi l’objectif à atteindre. C’est seulement à ce moment-là que le fond des choses se révélera sous un nouveau jour, s’incarnera dans une nouvelle vie ; un monde nouveau poindra. Si je réussis à éprouver, un tant soit peu, ce sentiment-là, c’est gagné ! Pour le reste, je dois apprendre comme un enfant ». Ainsi donc, devant l’exigence de la langue française, qui lui apparaissait comme un moyen d’atteindre « le fond des choses », M. Mori avait accepté — acte inouï pour un intellectuel formé au Japon et enseignant à la prestigieuse Université de Tôkyô — de tout réapprendre et de se reconnaître dans la figure sidérante d’« un petit écolier ». M. Mizubayashi fut frappé comme par la foudre par ce texte. À peine avait-il lu le passage dont j’ai extrait les lignes précédentes, qu’il crut y entendre un appel à naître à « une nouvelle vie » par l’apprentissage du français ; à penser autrement son rapport à l’autre, au monde ; à s’arracher à sa langue natale, aux codes du conformisme, de la soumission, du respect imposé qu’elle véhiculait ; à goûter au plaisir de la liberté : « Le texte de Mori me demandait, depuis la hauteur insoupçonnée d’un discours philosophique et sur un ton austère défiant toute attitude velléitaire, si j’étais prêt à me lancer dans une telle aventure… ; à m’offrir le luxe ou le risque d’une deuxième naissance, d’une seconde vie impure, hybride, sans doute plus longue, plus aléatoire, plus exposée à des ébranlements imprévisibles, plus obstinément questionneuse que la première — [autosuffisante], peuplée de certitudes, tendanciellement repliée sur elle-même et, par cela même, parfois infatuée d’elle-même. Ma réponse fut, sans une seconde d’hésitation, oui ! »