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Saikaku, « Vie de Wankyû : roman »

éd. Ph. Picquier, Arles

éd. Ph. Pic­quier, Arles

Il s’agit du «Wan­kyû is­sei no mo­no­ga­tari» 1 de Wan­kyû») d’ 2, mar­chand qui, après la de sa femme et de sa fille aveugle, se consa­cra à l’art du , où il de­vint un maître in­con­testé, et le plus ha­bile des . On com­pare la vi­va­cité et la ra­pi­dité de son à celles que l’on éprouve en des­cen­dant un tor­rent dans une barque. À la nais­sance de Sai­kaku, en 1642, le était en­tré dans une pé­riode de et de bon ordre, après plus de deux siècles de guerres ci­viles. Les ra­sées des avaient fait place à des quar­tiers de dis­trac­tion, où les bour­geois met­taient à la pour­suite du plai­sir l’opiniâtreté et la pas­sion qu’ils avaient au­tre­fois ap­por­tées à la conquête de l’argent. L’œuvre de Sai­kaku, vaste fresque de ce « flot­tant» («ukiyo» 3), prend pour su­jets les mar­chands, les ven­deurs, les fa­bri­cants de ton­neaux, les bouilleurs d’alcool de , les , les , les . Les de celles-ci sur­tout, très re­mar­quables et osés, al­lant jusqu’à la vul­ga­rité, font que l’on consi­dère Sai­kaku comme un por­no­graphe; en quoi, on a grand tort. Car si on lui en­lève ce masque d’indécence, qui peut bien avoir contri­bué à faire de lui le plus po­pu­laire écri­vain de son , mais qui n’est ce­pen­dant qu’un masque, et le plus trom­peur des masques, on verra un psy­cho­logue hors pair, lu­cide, mais plein d’, tou­jours à l’écoute du «cœur des gens de ce monde» («yo no hito-go­koro» 4) comme il dit lui-même 5. Avec lui, le Ja­pon re­trouve cette fi­nesse d’observation qu’il n’avait plus at­teinte de­puis Mu­ra­saki-shi­kibu. «Dans ses ou­vrages aussi francs qu’enjoués, Sai­kaku [dé­crit] tous les ha­sards doux et amers de ce monde de l’impermanence et de l’illusion dé­noncé dans les ser­mons des bonzes. Mais les hé­ros de Sai­kaku ne tentent pas de lui échap­per, ils mettent leur à s’en ac­com­mo­der, et leur à n’en être pas dupes. D’avance, ils ac­ceptent tout ce que les ha­sards de ce monde vou­dront bien leur don­ner — et le ha­sard n’est pas chiche en­vers eux… Ces ré­cits, on le voit, sont francs, cy­niques, sa­laces. Li­ber­tins? Non, on n’y trouve ja­mais viol ni dol, ja­mais cet ac­cent de ré­volte et de défi qui re­lève les noires prouesses du li­ber­ti­nage oc­ci­den­tal, de Juan… à Sade. Pour être libres de leurs plai­sirs, les hé­ros de Sai­kaku n’ont pas à se [faire] scé­lé­rats», dit M. Mau­rice Pin­guet

  1. En ja­po­nais «椀久一世の物語». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 井原西鶴. Au­tre­fois trans­crit Ihara Saï­ka­kou. Icône Haut
  3. En ja­po­nais «浮世». Au­tre­fois trans­crit «ou­kiyo». Icône Haut
  1. En ja­po­nais «世の人心». Icône Haut
  2. Ihara Sai­kaku, «Sai­kaku ori­dome» («Le in­ter­rompu de Sai­kaku»), in­édit en . Icône Haut

Hara, « Hiroshima, fleurs d’été : récits »

éd. Actes Sud, coll. Babel, Montréal

éd. Actes Sud, coll. Ba­bel, Mont­réal

Il s’agit de la tri­lo­gie «Natsu no hana» 1 d’été») de M. Ta­miki Hara 2, écri­vain , un des ir­ra­diés de Hi­ro­shima, qui dé­cri­vit cette ville dis­pa­rue sans lais­ser de traces, si­non une couche plate de dé­combres, de choses tor­dues, cre­vées, hu­mi­liées. M. Hara na­quit à Hi­ro­shima en 1905. En­fant, on le voyait à l’écart, sombre, ta­ci­turne, un peu sau­vage. Il vi­vait en de­dans de et pour soi. Les même de son âge ne le ten­taient pas; il avait de la mal­adresse quand il fal­lait s’y prê­ter, et ses ca­ma­rades fi­nirent par le lais­ser à son ca­rac­tère dif­fi­cile et à son ori­gi­na­lité. Jusqu’à l’âge de vingt-huit ans, il vé­cut dans une sorte d’isolement dont il ne par­vint à se sous­traire qu’en épou­sant Mlle Sa­dae Na­gai, na­tive elle aussi de Hi­ro­shima. Sa­dae de­vint son lien avec le ; elle par­lait en son nom et l’assistait à chaque pas. Il rê­vait déjà d’une heu­reuse au­près d’elle; mais le sort lui en­viait ce , et Sa­dae tomba gra­ve­ment ma­lade de la tu­ber­cu­lose : «Lorsque ma sœur fut ad­mise à l’hôpital, Hara pas­sait la voir tous les deux jours», dit le frère de Sa­dae 3. «Beau ou mau­vais temps, il ne man­quait ja­mais sa vi­site… Je ne pas qu’il se­rait venu tous les jours si c’était pos­sible, mais il avait un tra­vail… Dans la chambre d’hôpital, il ne di­sait presque rien. Il s’assoyait sim­ple­ment au che­vet de sa femme, en la dé­vi­sa­geant fixe­ment ou en éplu­chant un fruit». Le 4 août 1945, M. Hara par­tit mettre sur la tombe de sa femme un bou­quet de «fleurs d’été» (d’où le titre); le sur­len­de­main, la bombe ato­mique était lar­guée. Et «dans le grand si­lence de la ville alors dé­ser­tée», pour re­prendre un mot de M. Al­bert Ca­mus 4, il fit vœu de ne plus vivre pour soi, mais pour don­ner aux vic­times de la plus for­mi­dable rage de des­truc­tion dont les hommes eussent fait preuve.

  1. En ja­po­nais «夏の花». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 原民喜. Icône Haut
  1. Dans Eiji Ko­kai, «Hara Ta­miki : shi­jin no shi» («Ta­miki Hara : la d’un poète»), in­édit en . Icône Haut
  2. «La », ch. II. Lors du for­mi­dable concert que la ra­dio, les jour­naux et les agences d’information dé­clen­chèrent au su­jet de la bombe ato­mique, le plus in­di­gné des édi­to­ria­listes fran­çais fut M. Ca­mus, au­teur d’un pa­pier paru le 8 août 1945 à la une de «Com­bat» : «Des jour­naux amé­ri­cains, et fran­çais se ré­pandent en dis­ser­ta­tions élé­gantes sur l’avenir, le passé, les in­ven­teurs, le coût, la vo­ca­tion pa­ci­fique et les ef­fets , les consé­quences po­li­tiques et même le ca­rac­tère in­dé­pen­dant de la bombe ato­mique. Nous nous ré­su­me­rons en une phrase : la vient de par­ve­nir à son der­nier de­gré de sau­va­ge­rie. Il va fal­loir choi­sir, dans un ave­nir plus ou moins proche, entre le col­lec­tif ou l’utilisation in­tel­li­gente des conquêtes ». Icône Haut

Saikaku, « Vie d’une amie de la volupté : roman de mœurs paru en 1686 »

éd. Gallimard-UNESCO, coll. Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard-UNESCO, coll. Connais­sance de l’, Pa­ris

Il s’agit du «Kô­shoku ichi­dai onna» 1 d’une amie de la vo­lupté» 2) d’ 3, mar­chand qui, après la de sa femme et de sa fille aveugle, se consa­cra à l’art du , où il de­vint un maître in­con­testé, et le plus ha­bile des . On com­pare la vi­va­cité et la ra­pi­dité de son à celles que l’on éprouve en des­cen­dant un tor­rent dans une barque. À la nais­sance de Sai­kaku, en 1642, le était en­tré dans une pé­riode de et de bon ordre, après plus de deux siècles de guerres ci­viles. Les ra­sées des avaient fait place à des quar­tiers de dis­trac­tion, où les bour­geois met­taient à la pour­suite du plai­sir l’opiniâtreté et la pas­sion qu’ils avaient au­tre­fois ap­por­tées à la conquête de l’argent. L’œuvre de Sai­kaku, vaste fresque de ce « flot­tant» («ukiyo» 4), prend pour su­jets les mar­chands, les ven­deurs, les fa­bri­cants de ton­neaux, les bouilleurs d’alcool de , les , les , les . Les de celles-ci sur­tout, très re­mar­quables et osés, al­lant jusqu’à la vul­ga­rité, font que l’on consi­dère Sai­kaku comme un por­no­graphe; en quoi, on a grand tort. Car si on lui en­lève ce masque d’indécence, qui peut bien avoir contri­bué à faire de lui le plus po­pu­laire écri­vain de son , mais qui n’est ce­pen­dant qu’un masque, et le plus trom­peur des masques, on verra un psy­cho­logue hors pair, lu­cide, mais plein d’, tou­jours à l’écoute du «cœur des gens de ce monde» («yo no hito-go­koro» 5) comme il dit lui-même 6. Avec lui, le Ja­pon re­trouve cette fi­nesse d’observation qu’il n’avait plus at­teinte de­puis Mu­ra­saki-shi­kibu. «Dans ses ou­vrages aussi francs qu’enjoués, Sai­kaku [dé­crit] tous les ha­sards doux et amers de ce monde de l’impermanence et de l’illusion dé­noncé dans les ser­mons des bonzes. Mais les hé­ros de Sai­kaku ne tentent pas de lui échap­per, ils mettent leur à s’en ac­com­mo­der, et leur à n’en être pas dupes. D’avance, ils ac­ceptent tout ce que les ha­sards de ce monde vou­dront bien leur don­ner — et le ha­sard n’est pas chiche en­vers eux… Ces ré­cits, on le voit, sont francs, cy­niques, sa­laces. Li­ber­tins? Non, on n’y trouve ja­mais viol ni dol, ja­mais cet ac­cent de ré­volte et de défi qui re­lève les noires prouesses du li­ber­ti­nage oc­ci­den­tal, de Juan… à Sade. Pour être libres de leurs plai­sirs, les hé­ros de Sai­kaku n’ont pas à se [faire] scé­lé­rats», dit M. Mau­rice Pin­guet

  1. En ja­po­nais «好色一代女». Au­tre­fois trans­crit «Kô­sho­kou-it­chi­daï-onna» Icône Haut
  2. Par­fois tra­duit «Une Femme de vo­lupté». Icône Haut
  3. En ja­po­nais 井原西鶴. Au­tre­fois trans­crit Ihara Saï­ka­kou. Icône Haut
  1. En ja­po­nais «浮世». Au­tre­fois trans­crit «ou­kiyo». Icône Haut
  2. En ja­po­nais «世の人心». Icône Haut
  3. Ihara Sai­kaku, «Sai­kaku ori­dome» («Le in­ter­rompu de Sai­kaku»), in­édit en . Icône Haut

Kawabata, « Romans et Nouvelles »

éd. Librairie générale française, coll. La Pochothèque-Classiques modernes, Paris

éd. Li­brai­rie gé­né­rale fran­çaise, coll. La Po­cho­thèque-Clas­siques mo­dernes, Pa­ris

Il s’agit du «Pays de neige» («Yu­ki­guni» 1) et autres œuvres de  2, écri­vain qui mé­rite d’être placé au plus haut som­met de la . «Vos ro­mans sont si grands, si su­blimes, que dans ma pe­ti­tesse je ne puis que les vé­né­rer de loin, comme le jeune ber­ger qui, re­gar­dant les cimes bleues des à l’, rêve du jour où il sera en me­sure d’escalader même la plus haute», dit M. Yu­kio Mi­shima dans une lettre adres­sée à ce­lui qui fut pour lui le maître et l’ami 3. Ka­wa­bata na­quit en 1899. Son père, mé­de­cin let­tré, mou­rut de tu­ber­cu­lose en 1901; sa mère, sa grand-mère et sa sœur dis­pa­rurent à leur tour, em­por­tées par la même ma­la­die. Il fut re­cueilli chez son grand-père aveugle, son der­nier et unique pa­rent. Là, dans un vil­lage de cin­quante et quelques , il passa une en­fance so­li­taire, toute de si­lence et de . Levé à l’aube, il de­vait ai­der son grand-père à sa­tis­faire ses fonc­tions na­tu­relles, ti­raillé entre la et le dé­goût. Puis, il mon­tait sur un arbre du jar­din et, as­sis entre les grandes branches, il li­sait «jusqu’à ce que vînt à pas­ser une voi­ture ou un chien qui aboyait» 4; ou alors, un à la main, il écri­vait à ses pa­rents dé­funts des lettres d’une éru­di­tion et d’une ma­tu­rité de qu’on s’étonne de ren­con­trer chez un en­fant : «Père, vous vous êtes levé de votre lit de pour nous lais­ser, à et à ma sœur en­core in­no­cente, une sorte de tes­ta­ment écrit. Vous avez tracé les idéo­grammes de “Chas­teté” pour ma sœur, et de “Prends garde à toi” pour moi-même… Tan­dis que j’écris cette lettre, il me vient à l’esprit cette phrase de Jean Coc­teau :

Gra­vez votre nom dans un arbre
Qui pous­sera jusqu’au na­dir;
Un arbre vaut mieux que le marbre,
Car on y voit les gran­dir.

En fait, le poème reste un peu obs­cur… Mais si l’on ar­rive tout sim­ple­ment à gra­ver son nom dans le cœur d’un en­fant ou d’un être aimé, ce nom ne gran­dira-t-il pas, fi­na­le­ment, lui aussi?»

  1. En ja­po­nais «雪国». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 川端康成. Icône Haut
  1. «Cor­res­pon­dance», p. 61-62. Icône Haut
  2. «L’Adolescent : ré­cits au­to­bio­gra­phiques», p. 45. Icône Haut

« Contes d’Ise, “Ise monogatari” »

éd. Gallimard-UNESCO, coll. Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard-UNESCO, coll. Connais­sance de l’, Pa­ris

Il s’agit d’une tra­duc­tion de l’«Ise mo­no­ga­tari» 1Ré­cits d’Ise»). Ce re­cueil de cent vingt-cinq est le ré­sul­tat d’une ac­ti­vité très re­mar­quable à la­quelle les se li­vraient au­tre­fois (Xe siècle apr. J.-C.), la­quelle consis­tait à si­tuer tel ou tel poème, en en don­nant l’, en en fai­sant connaître la des­ti­na­tion, le but, l’humeur, en in­di­quant en un mot toutes les cir­cons­tances de sa com­po­si­tion, quitte à en­jo­li­ver, à in­ven­ter. En ce -là, la fai­sait bel et bien par­tie de l’art du quo­ti­dien. Que ce fût pour en­voyer un ca­deau, pour écrire un billet doux, un mot d’excuse, pour briller dans la conver­sa­tion, pour ex­pri­mer des condo­léances ou en­core une prière aux , tout le avait eu maintes et maintes fois l’occasion d’improviser un poème. «Mais quand tout le monde est poète», dit M.  2, «les bons n’en sont que plus rares et que plus pri­sés, et l’on ne man­quera pas de guet­ter et de re­le­ver la moindre de qui­conque se sera fait une ré­pu­ta­tion en la . Et sur­tout, l’on se dé­lec­tera à en par­ler, à se ré­pé­ter et à com­men­ter l’histoire de chaque poème.» Dès l’ «Man-yô-shû», les vers étaient in­sé­pa­rables d’une en prose, qui les si­tuait. Il suf­fi­sait d’agrandir cette nar­ra­tion, d’en soi­gner la forme, d’en faire un conte ou une ga­lante, par exemple, pour ob­te­nir un genre nou­veau : l’«uta-mo­no­ga­tari» 3 (le «ré­cit cen­tré au­tour d’un poème»). C’est pré­ci­sé­ment cette tra­di­tion de l’«uta-mo­no­ga­tari» qui at­teint sa dans le «Ya­mato mo­no­ga­tari» et dans l’«Ise mo­no­ga­tari». Un siècle plus tard, le mé­lange de cette tra­di­tion avec celle du abou­tira, sous le pin­ceau de la dame , au som­met le plus haut at­teint par la  : le «Dit du genji».

  1. En ja­po­nais «伊勢物語». Au­tre­fois trans­crit «Icé mo­no­ga­tari» ou «Içé mo­no­ga­tari». Icône Haut
  2. «Pré­face aux de Ya­mato”», p. 10. Icône Haut
  1. En ja­po­nais 歌物語. Au­tre­fois trans­crit «ou­ta­mo­no­ga­tari». Icône Haut

« Contes de Yamato »

éd. Publications orientalistes de France, coll. Contes et Romans du Moyen Âge-Les Œuvres capitales de la littérature japonaise, Paris

éd. Pu­bli­ca­tions de , coll. et Ro­mans du -Les Œuvres ca­pi­tales de la , Pa­ris

Il s’agit d’une tra­duc­tion du «Ya­mato mo­no­ga­tari» 1Ré­cits de Ya­mato»). Ce re­cueil de cent soixante-treize est le ré­sul­tat d’une ac­ti­vité très re­mar­quable à la­quelle les se li­vraient au­tre­fois (Xe siècle apr. J.-C.), la­quelle consis­tait à si­tuer tel ou tel poème, en en don­nant l’, en en fai­sant connaître la des­ti­na­tion, le but, l’humeur, en in­di­quant en un mot toutes les cir­cons­tances de sa com­po­si­tion, quitte à en­jo­li­ver, à in­ven­ter. En ce -là, la fai­sait bel et bien par­tie de l’art du quo­ti­dien. Que ce fût pour en­voyer un ca­deau, pour écrire un billet doux, un mot d’excuse, pour briller dans la conver­sa­tion, pour ex­pri­mer des condo­léances ou en­core une prière aux , tout le avait eu maintes et maintes fois l’occasion d’improviser un poème. «Mais quand tout le monde est poète», dit M.  2, «les bons n’en sont que plus rares et que plus pri­sés, et l’on ne man­quera pas de guet­ter et de re­le­ver la moindre de qui­conque se sera fait une ré­pu­ta­tion en la . Et sur­tout, l’on se dé­lec­tera à en par­ler, à se ré­pé­ter et à com­men­ter l’histoire de chaque poème.» Dès l’ «Man-yô-shû», les vers étaient in­sé­pa­rables d’une en prose, qui les si­tuait. Il suf­fi­sait d’agrandir cette nar­ra­tion, d’en soi­gner la forme, d’en faire un conte ou une ga­lante, par exemple, pour ob­te­nir un genre nou­veau : l’«uta-mo­no­ga­tari» 3 (le «ré­cit cen­tré au­tour d’un poème»). C’est pré­ci­sé­ment cette tra­di­tion de l’«uta-mo­no­ga­tari» qui at­teint sa dans le «Ya­mato mo­no­ga­tari» et dans l’«Ise mo­no­ga­tari». Un siècle plus tard, le mé­lange de cette tra­di­tion avec celle du abou­tira, sous le pin­ceau de la dame , au som­met le plus haut at­teint par la lit­té­ra­ture ja­po­naise : le «Dit du genji».

  1. En ja­po­nais «大和物語». Icône Haut
  2. p. 10. Icône Haut
  1. En ja­po­nais 歌物語. Au­tre­fois trans­crit «ou­ta­mo­no­ga­tari». Icône Haut

Saikaku, « Cinq Amoureuses »

éd. Gallimard-UNESCO, coll. Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard-UNESCO, coll. Connais­sance de l’, Pa­ris

Il s’agit du «Kô­shoku go­nin onna» 1Cinq Amou­reuses» 2) d’ 3, mar­chand qui, après la de sa femme et de sa fille aveugle, se consa­cra à l’art du , où il de­vint un maître in­con­testé, et le plus ha­bile des . On com­pare la vi­va­cité et la ra­pi­dité de son à celles que l’on éprouve en des­cen­dant un tor­rent dans une barque. À la nais­sance de Sai­kaku, en 1642, le était en­tré dans une pé­riode de et de bon ordre, après plus de deux siècles de guerres ci­viles. Les ra­sées des avaient fait place à des quar­tiers de dis­trac­tion, où les bour­geois met­taient à la pour­suite du plai­sir l’opiniâtreté et la pas­sion qu’ils avaient au­tre­fois ap­por­tées à la conquête de l’argent. L’œuvre de Sai­kaku, vaste fresque de ce « flot­tant» («ukiyo» 4), prend pour su­jets les mar­chands, les ven­deurs, les fa­bri­cants de ton­neaux, les bouilleurs d’alcool de , les , les , les . Les de celles-ci sur­tout, très re­mar­quables et osés, al­lant jusqu’à la vul­ga­rité, font que l’on consi­dère Sai­kaku comme un por­no­graphe; en quoi, on a grand tort. Car si on lui en­lève ce masque d’indécence, qui peut bien avoir contri­bué à faire de lui le plus po­pu­laire écri­vain de son , mais qui n’est ce­pen­dant qu’un masque, et le plus trom­peur des masques, on verra un psy­cho­logue hors pair, lu­cide, mais plein d’, tou­jours à l’écoute du «cœur des gens de ce monde» («yo no hito-go­koro» 5) comme il dit lui-même 6. Avec lui, le Ja­pon re­trouve cette fi­nesse d’observation qu’il n’avait plus at­teinte de­puis Mu­ra­saki-shi­kibu. «Dans ses ou­vrages aussi francs qu’enjoués, Sai­kaku [dé­crit] tous les ha­sards doux et amers de ce monde de l’impermanence et de l’illusion dé­noncé dans les ser­mons des bonzes. Mais les hé­ros de Sai­kaku ne tentent pas de lui échap­per, ils mettent leur à s’en ac­com­mo­der, et leur à n’en être pas dupes. D’avance, ils ac­ceptent tout ce que les ha­sards de ce monde vou­dront bien leur don­ner — et le ha­sard n’est pas chiche en­vers eux… Ces ré­cits, on le voit, sont francs, cy­niques, sa­laces. Li­ber­tins? Non, on n’y trouve ja­mais viol ni dol, ja­mais cet ac­cent de ré­volte et de défi qui re­lève les noires prouesses du li­ber­ti­nage oc­ci­den­tal, de Juan… à Sade. Pour être libres de leurs plai­sirs, les hé­ros de Sai­kaku n’ont pas à se [faire] scé­lé­rats», dit M. Mau­rice Pin­guet

  1. En ja­po­nais «好色五人女». Icône Haut
  2. Par­fois tra­duit «Cinq Li­ber­tines». Icône Haut
  3. En ja­po­nais 井原西鶴. Au­tre­fois trans­crit Ihara Saï­ka­kou. Icône Haut
  1. En ja­po­nais «浮世». Au­tre­fois trans­crit «ou­kiyo». Icône Haut
  2. En ja­po­nais «世の人心». Icône Haut
  3. Ihara Sai­kaku, «Sai­kaku ori­dome» («Le in­ter­rompu de Sai­kaku»), in­édit en . Icône Haut

« Le Dit des Heiké : le cycle épique des Taïra et des Minamoto »

éd. Publications orientalistes de France, coll. Les Œuvres capitales de la littérature japonaise, Paris

éd. Pu­bli­ca­tions de , coll. Les Œuvres ca­pi­tales de la , Pa­ris

Il s’agit du «Dit des Heiké» («Heike mo­no­ga­tari» 1). Au XIIe siècle apr. J.-C., le fut le de luttes in­tes­tines et de guerres achar­nées qui culmi­nèrent avec la ba­taille d’Ichi-no-Tani 2, dans la­quelle les Taira, pro­tec­teurs du jeune Em­pe­reur et maîtres de Kyôto et du Ja­pon de l’Ouest, furent vain­cus par les Mi­na­moto, te­nants du Ja­pon orien­tal. L’incidence de ce branle-bas fut sen­sible dans le do­maine lit­té­raire. Alors que l’époque pré­cé­dente, re­la­ti­ve­ment pai­sible, avait vu se dé­ve­lop­per le genre des dits cour­tois, ce furent les dits ou «gunki mo­no­ga­tari» 3 qui vinrent à éclo­sion dans ces an­nées trou­blées. Ré­di­gés d’après des tra­di­tions orales, ces dits guer­riers furent ré­ci­tés sur les et les places pu­bliques, aux abords des ponts, aux croi­se­ments des che­mins par des «biwa-hô­shi» 4 — des aveugles qui por­taient l’habit des moines («hô­shi») et qui jouaient d’un luth à quatre cordes («biwa» 5). Ces aveugles por­taient la robe mo­na­cale, parce qu’ils étaient sans sous la pro­tec­tion des temples et des grandes bon­ze­ries. Du reste, la chro­nique qu’ils ré­ci­taient avait pour but non pas tant de conser­ver le des hé­ros, comme l’ eu­ro­péenne, mais d’exprimer la va­nité des splen­deurs ter­restres et le néant de la gloire; et au lieu de chan­ter «les et l’», elle rap­pe­lait dès la pre­mière ligne «l’impermanence de toutes choses». «[Cette chro­nique a] pu jouer une fonc­tion ri­tuelle, celle d’apaiser les âmes [de ceux] ayant péri dans les com­bats. Mais il s’agit aussi de cher­cher un sens aux évé­ne­ments chao­tiques qui ont mis fin à l’ordre an­cien», disent des orien­ta­listes

  1. En «平家物語». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 一ノ谷の戦い. Icône Haut
  3. En ja­po­nais 軍記物語. Icône Haut
  1. En ja­po­nais 琵琶法師. Icône Haut
  2. «Né dans le royaume de et ses ré­gions li­mi­trophes, le “biwa” s’est dif­fusé en le long de la . Per­fec­tionné en , il est par­venu dans l’archipel ja­po­nais vers le VIIIe siècle apr. J.-C.», dit M. Hyôdô Hi­romi (dans «De l’épopée au Ja­pon», p. 55-56). Icône Haut

Kenkô, « Les Heures oisives, “Tsurezure-gusa” »

éd. Gallimard-UNESCO, coll. Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard-UNESCO, coll. Connais­sance de l’, Pa­ris

Il s’agit du chef-d’œuvre de la lit­té­ra­ture d’ermitage du  : le «Ca­hier des heures oi­sives» («Tsu­re­zure-gusa» 1) du moine Yo­shida Kenkô ou Urabe Kenkô 2. Ce «Ca­hier» d’une forme très libre (Kenkô pré­tend qu’il s’agit de «ba­ga­telles» écrites «au gré de ses heures oi­sives» 3, d’où le titre) consti­tue un en­semble d’ cu­rieuses et édi­fiantes, em­prun­tées tant aux et , qu’au vécu de l’auteur; d’impressions no­tées au ca­price de la plume; de ré­flexions de tout ordre sur l’instabilité de la , sur l’ et la femme, sur la et la , sur l’ et l’; de règles sur le cé­ré­mo­nial et l’étiquette (XIIIe-XIVe siècle). Kenkô ne se rasa la tête qu’à qua­rante-deux ans, peu après la de l’Empereur Go Uda 4, au­quel il était at­ta­ché. Cela peut ex­pli­quer cer­taines anec­dotes amou­reuses de son œuvre, qu’il se­rait dif­fi­cile de conce­voir comme étant les pa­roles d’un re­li­gieux. S’il avait été moine dès son en­fance, il n’aurait pu écrire d’une ma­nière si vi­vante sur toutes les contin­gences de la vie hu­maine. Le mé­rite et le charme de Kenkô tiennent à sa pro­fonde , à son simple et na­tu­rel, à son goût sûr et dé­li­cat, toutes qua­li­tés qui le rap­prochent de Mon­taigne. Je le tiens pour le plus grand , l’esprit le plus har­mo­nieux et le plus com­plet du Ja­pon. «Ses », dit un orien­ta­liste 5, «res­semblent à la conver­sa­tion po­lie d’un homme du et ont cet air de sim­pli­cité et cette ai­sance d’expression qui sont en le fait d’un art consommé. On ne peut, pour com­men­cer l’étude de l’ancienne , faire de meilleur choix que ce­lui du “Ca­hier des heures oi­sives”». À exa­mi­ner ce «Ca­hier» riche de confi­dences sin­cères, il sem­ble­rait y avoir chez Kenkô deux per­son­na­li­tés : l’homme du monde, adroit et poli, qui même dans la conserva un cer­tain ; et le bonze qui ne re­nonça au monde que pour échap­per à l’attention de ses contem­po­rains. Ces deux élé­ments de son ca­rac­tère se com­binent pour for­mer un type de vieux gar­çon ave­nant, et qui le de­vient plus en­core lorsqu’on mé­dite à loi­sir toutes les choses sen­sibles qu’il a dites, ou toutes celles qu’il a sen­ties sans les dire ou­ver­te­ment. «Le “Ca­hier des heures oi­sives” est un de ces ori­gi­naux, si rares dans toutes les lit­té­ra­tures, qui mé­ritent une étude plus at­ten­tive que maints gros ou­vrages pré­ten­tieux», dit Mi­chel Re­von.

  1. En ja­po­nais «徒然草». Au­tre­fois trans­crit «Tsouré-zouré-gouça», «Tsouré-dzouré-gousa» ou «Tsu­red­zure Gusa». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 吉田兼好 ou 卜部兼好. En réa­lité, Kenkô est la lec­ture à la chi­noise des ca­rac­tères 兼好 qui se lisent Ka­neyo­shi à la ja­po­naise. Icône Haut
  3. p. 45. Icône Haut
  1. En ja­po­nais 後宇多. Au­tre­fois trans­crit Go-ouda. Icône Haut
  2. William George As­ton. Icône Haut

« Le Dit de Hôgen • Le Dit de Heiji : le cycle épique des Taïra et des Minamoto »

éd. Publications orientalistes de France, coll. Les Œuvres capitales de la littérature japonaise, Paris

éd. Pu­bli­ca­tions de , coll. Les Œuvres ca­pi­tales de la , Pa­ris

Il s’agit du «Dit de Hô­gen» («Hô­gen mo­no­ga­tari» 1) et du «Dit de Heiji» («Heiji mo­no­ga­tari» 2). Au XIIe siècle apr. J.-C., le fut le de luttes in­tes­tines et de guerres achar­nées qui culmi­nèrent avec la ba­taille d’Ichi-no-Tani 3, dans la­quelle les Taira, pro­tec­teurs du jeune Em­pe­reur et maîtres de Kyôto et du Ja­pon de l’Ouest, furent vain­cus par les Mi­na­moto, te­nants du Ja­pon orien­tal. L’incidence de ce branle-bas fut sen­sible dans le do­maine lit­té­raire. Alors que l’époque pré­cé­dente, re­la­ti­ve­ment pai­sible, avait vu se dé­ve­lop­per le genre des dits cour­tois, ce furent les dits ou «gunki mo­no­ga­tari» 4 qui vinrent à éclo­sion dans ces an­nées trou­blées. Ré­di­gés d’après des tra­di­tions orales, ces dits guer­riers furent ré­ci­tés sur les et les places pu­bliques, aux abords des ponts, aux croi­se­ments des che­mins par des «biwa-hô­shi» 5 — des aveugles qui por­taient l’habit des moines («hô­shi») et qui jouaient d’un luth à quatre cordes («biwa» 6). Ces aveugles por­taient la robe mo­na­cale, parce qu’ils étaient sans sous la pro­tec­tion des temples et des grandes bon­ze­ries. Du reste, la chro­nique qu’ils ré­ci­taient avait pour but non pas tant de conser­ver le des hé­ros, comme l’ eu­ro­péenne, mais d’exprimer la va­nité des splen­deurs ter­restres et le néant de la gloire; et au lieu de chan­ter «les et l’», elle rap­pe­lait dès la pre­mière ligne «l’impermanence de toutes choses». «[Cette chro­nique a] pu jouer une fonc­tion ri­tuelle, celle d’apaiser les âmes [de ceux] ayant péri dans les com­bats. Mais il s’agit aussi de cher­cher un sens aux évé­ne­ments chao­tiques qui ont mis fin à l’ordre an­cien», disent des orien­ta­listes

  1. En «保元物語». Au­tre­fois trans­crit «Hô­ghenn mo­no­ga­tari». Icône Haut
  2. En ja­po­nais «平治物語». Au­tre­fois trans­crit «Heïdji mo­no­ga­tari». Icône Haut
  3. En ja­po­nais 一ノ谷の戦い. Icône Haut
  1. En ja­po­nais 軍記物語. Icône Haut
  2. En ja­po­nais 琵琶法師. Icône Haut
  3. «Né dans le royaume de et ses ré­gions li­mi­trophes, le “biwa” s’est dif­fusé en le long de la . Per­fec­tionné en , il est par­venu dans l’archipel ja­po­nais vers le VIIIe siècle apr. J.-C.», dit M. Hyôdô Hi­romi (dans «De l’épopée au Ja­pon», p. 55-56). Icône Haut

Akinari, « Contes de pluie et de lune, “Ugetsu-monogatari” »

éd. Gallimard-UNESCO, coll. Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard-UNESCO, coll. Connais­sance de l’, Pa­ris

Il s’agit de fan­tas­tiques d’Akinari Ueda 1, la la plus at­ta­chante de la du XVIIIe siècle. Fils d’une cour­ti­sane et d’un père in­connu, le jeune Aki­nari mena quelque une dis­so­lue, avant de ren­con­trer le phi­lo­logue Katô Umaki 2, de sé­jour à Ôsaka. Il se mit aus­si­tôt à l’école de ce­lui qui de­vint pour lui le maître et l’ami. Ce fut une  : «Le maître pas­sait ses heures de loi­sir près de ma de­meure. Au ha­sard des ques­tions que je lui po­sais sur des mots an­ciens, nous en vînmes à par­ler du “Dit du genji”. Je lui po­sai çà et là quelques ques­tions, puis je co­piai en du texte ma tra­duc­tion en termes vul­gaires; comme je lui ex­po­sais en outre ma propre fa­çon de com­prendre, il sou­rit avec un signe d’approbation… Je lui de­man­dai sept ans des ren­sei­gne­ments par lettres» 3. Le ré­sul­tat de cette liai­son fut d’élever peu à peu les ho­ri­zons d’Akinari; de le dé­tour­ner des fa­ciles qu’il avait ob­te­nus jusque-là pour le conduire à cet art vé­ri­table qu’il conquerra, la plume à la main, dans son «Ugetsu-mo­no­ga­tari» 4Dit de pluie et de lune»). Par «ugetsu», c’est-à-dire «pluie et lune», Aki­nari fait al­lu­sion au calme après la pluie, quand la lune se couvre de brumes — temps pour les spectres et les dé­mons qui peuplent ses contes. Par «mo­no­ga­tari», c’est-à-dire «dit», Aki­nari in­dique qu’il re­noue par son grand , par sa ma­nière noble et agréable de s’exprimer, avec les lettres an­ciennes de la et du . «L’originalité, dans l’“Ugetsu-monogatari”, ré­side, en ef­fet, dans le style d’Akinari, même quand il tra­duit, même lorsqu’il com­pose — comme c’est le cas pour la “Mai­son dans les ro­seaux” — des pa­ra­graphes en­tiers avec des frag­ments gla­nés dans les clas­siques les mieux connus de tous. Dans le se­cond cas, le plai­sir du lec­teur est par­fait : il y re­trouve à pro­fu­sion les al­lu­sions lit­té­raires dont il est friand, mais il les re­trouve dans un agen­ce­ment nou­veau qui leur rend une in­ten­sité in­at­ten­due, de telle sorte que, sous le pin­ceau d’Akinari, les pon­cifs les plus écu­lés se chargent d’une si­gni­fi­ca­tion », dit M. 

  1. En ja­po­nais 上田秋成. Icône Haut
  2. En ja­po­nais 加藤美樹. Icône Haut
  1. Dans Hum­bert­claude, «Es­sai sur la vie et l’œuvre de Ueda Aki­nari». Icône Haut
  2. En ja­po­nais «雨月物語». Icône Haut