Il s’agit d’une traduction de l’« Ise monogatari »1 (« Récits d’Ise »). Ce recueil de cent vingt-cinq anecdotes est le résultat d’une activité très remarquable à laquelle les Japonais se livraient autrefois (Xe siècle apr. J.-C.), laquelle consistait à situer tel ou tel poème, en en donnant l’histoire, en en faisant connaître la destination, le but, l’humeur, en indiquant en un mot toutes les circonstances de sa composition, quitte à enjoliver, à inventer. En ce temps-là, la poésie faisait bel et bien partie de l’art du quotidien. Que ce fût pour envoyer un cadeau, pour écrire un billet doux, un mot d’excuse, pour briller dans la conversation, pour exprimer des condoléances ou encore une prière aux dieux, tout le monde avait eu maintes et maintes fois l’occasion d’improviser un poème. « Mais quand tout le monde est poète », dit M. René Sieffert2, « les bons poètes n’en sont que plus rares et que plus prisés, et l’on ne manquera pas de guetter et de relever la moindre parole de quiconque se sera fait une réputation en la matière. Et surtout, l’on se délectera à en parler, à se répéter et à commenter l’histoire de chaque poème. » Dès l’anthologie « Man-yô-shû », les vers étaient inséparables d’une narration en prose, qui les situait. Il suffisait d’agrandir cette narration, d’en soigner la forme, d’en faire un conte ou une nouvelle galante, par exemple, pour obtenir un genre nouveau : l’« uta-monogatari »3 (le « récit centré autour d’un poème »). C’est précisément cette tradition de l’« uta-monogatari » qui atteint sa perfection dans le « Yamato monogatari » et dans l’« Ise monogatari ». Un siècle plus tard, le mélange de cette tradition avec celle du journal intime aboutira, sous le pinceau de la dame Murasaki-shikibu, au sommet le plus haut atteint par la littérature japonaise : le « Dit du genji ».
les vers étaient inséparables d’une narration en prose
Voici un passage qui donnera une idée du style de l’« Ise monogatari » : « Jadis, un homme qui avait une propriété dans la province de Settsu alla avec ses frères et des amis du côté de Naniwa4. Regardant le rivage, il aperçut des bateaux et composa ce poème :
Le port de Naniwa,
C’est ce matin que je le vois pour la première fois.
Partout dans ce havre
Sont-ce des bateaux qui, comme moi, fatigués du monde
S’en vont sur la mer ?
Remplis d’émotion, les autres s’en retournèrent »5.
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- Traduction partielle de Michel Revon (1923) [Source : Google Livres]
- Traduction partielle de Michel Revon (1918) [Source : Google Livres]
- Traduction partielle de Michel Revon (1910) [Source : Bibliothèque nationale de France].
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Jacqueline Pigeot, « Uta-monogatari » dans « Dictionnaire universel des littératures » (éd. Presses universitaires de France, Paris)
- René Sieffert, « La Littérature japonaise » (éd. Publications orientalistes de France, coll. Langues et Civilisations, Paris)
- Alain Walter, « Histoire et Fortune littéraire des “Contes d’Ise” » dans « En un vergier : mélanges offerts à Marie-Françoise Notz » (éd. Presses universitaires de Bordeaux, coll. Saber, Bordeaux), p. 77-78.