Mot-clefanthologie

au­teur

« Textes mathématiques babyloniens »

éd. E. J. Brill, Leyde

éd. E. J. Brill, Leyde

Il s’agit de textes ma­thé­ma­tiques mé­so­po­ta­miens. La masse im­po­sante de ta­blettes ma­thé­ma­tiques cu­néi­formes, dé­chif­frée, tra­duite et com­men­tée dans les dé­cen­nies 1920-1940 en fran­çais par Fran­çois Thu­reau-Dan­gin et en al­le­mand par Otto Eduard Neu­ge­bauer, reste as­sez mé­con­nue en de­hors du cercle res­treint des spé­cia­listes. Pour­tant, ces ta­blettes ma­thé­ma­tiques sont un fait cultu­rel unique et pro­di­gieux eu égard à leur an­ti­quité, qui re­monte le plus sou­vent à l’ère pa­léo­ba­by­lo­nienne (2004-1595 av. J.-C.) et par­fois avant. Elles té­moignent, dans le ma­nie­ment des nombres, d’un im­mense sa­voir arith­mé­tique et al­gé­brique, qui ne sera re­dé­cou­vert qu’au IIIe siècle apr. J.-C. par Dio­phante, le « Ba­by­lo­nien hel­lé­nisé », qui lui im­po­sera le moule de la lo­gique grecque pour en créer l’algèbre ; celle-ci sera à son tour re­prise et por­tée à sa per­fec­tion par les Arabes au VIIIe-IXe siècle. Ainsi, la mai­son de la sa­gesse de Bag­dad suc­cé­dera, par-delà les siècles, à des mai­sons de la sa­gesse mé­so­po­ta­miennes, dis­pa­rues sous les sables ira­kiens. « Ce n’est pas dans les mi­lieux py­tha­go­ri­ciens de la Grèce an­tique, au VIe siècle av. J.-C., que sont nées la théo­rie des nombres et l’arithmétique théo­rique. C’est à Ba­by­lone, au cœur de l’Irak ac­tuel… »1 Com­ment ex­pli­quer que la tra­di­tion grecque soit muette à ce su­jet ? Au­tant elle se plaît à faire hon­neur aux Égyp­tiens et à leur dieu-scribe Thoth, aux­quels elle at­tri­bue à tort l’invention « des nombres, du cal­cul, de la géo­mé­trie et de l’astronomie, des jeux [de dames] et de l’écriture »2 ; au­tant elle ne dit rien des Mé­so­po­ta­miens, qui en sont les pre­miers maîtres et les vé­ri­tables ins­ti­ga­teurs. Sans doute les Mèdes, puis les Perses, en pre­nant pos­ses­sion de la Mé­so­po­ta­mie dès le VIIe siècle av. J.-C., en ont-ils in­ter­dit l’accès aux Grecs his­to­ri­que­ment, géo­gra­phi­que­ment. Sans doute ces der­niers, éprou­vés par leur guerre de dé­fense contre l’Empire perse, ont-ils été por­tés à je­ter le dis­cré­dit sur le sa­voir des en­va­his­seurs. Il n’empêche que l’aventure nu­mé­rique dé­bute à Su­mer, Ak­kad et Ba­by­lone, et nulle part ailleurs.

  1. Ro­ger Ca­ra­tini, « Les Ma­thé­ma­ti­ciens de Ba­by­lone », p. 174. Haut
  1. Pla­ton, « Phèdre », 274d. Haut

« Poètes turcs des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles »

éd. Ari, coll. Ankara Üniversitesi Yayımları-Edebi İncelemeler, Istanbul

éd. Ari, coll. An­kara Üni­ver­si­tesi Yayım­ları-Edebi İnc­el­em­eler, Is­tan­bul

Il s’agit d’une an­tho­lo­gie de la poé­sie ot­to­mane. Dès la fixa­tion des Turcs en Ana­to­lie, deux poé­sies s’affrontent, dont la pre­mière fi­nira par l’emporter à l’époque ot­to­mane, mais dont la se­conde triom­phera en­tiè­re­ment dans la Tur­quie mo­derne : d’un côté, celle des sei­gneurs et des ci­ta­dins, dont le but sera de trans­po­ser en un turc bourré d’arabe et de per­san les ma­nières lit­té­raires de ces deux grandes langues mu­sul­manes, dans des vers fon­dés sur la quan­tité longue et brève des syl­labes ; de l’autre, celle des pay­sans et des no­mades, peut-être moins sa­vants, mais doués d’un sens plus vif de leur langue ma­ter­nelle, sou­vent nour­ris de chan­sons po­pu­laires, qui en­tre­pren­dront d’exprimer leur sen­si­bi­lité et leur pen­sée se­lon le gé­nie na­tio­nal, dans des vers fon­dés sur le seul nombre des syl­labes. Les suc­cès pres­ti­gieux, au XIVe siècle, du sei­gneur turc Oth­man, qui sou­met avec le se­cours de l’islamisme toute l’Anatolie avant de se lan­cer à la conquête des Bal­kans et du Proche-Orient, ont pour consé­quence iné­luc­table, en même temps qu’une cen­tra­li­sa­tion du pou­voir, la réunion à la Cour de tous les poètes de re­nom, qui de­viennent ainsi « des écri­vains pro­fes­sion­nels et cour­ti­sans, aris­to­crates et pé­dants, vi­vant en vase clos et de fa­çon ar­ti­fi­cielle, cou­pés du reste de la na­tion »1. Au XVIe siècle, avec l’apogée de l’Empire sous le règne du sul­tan So­li­man coïn­cide, comme de juste, la ma­tu­rité de la poé­sie ot­to­mane, in­car­née par Bâkî2. Poète de gé­nie, Bâkî doit à son seul ta­lent une brillante ré­pu­ta­tion et une haute for­tune ; car s’il dé­bute sa vie comme fils d’un pauvre muez­zin, il fi­nit sa car­rière comme vi­zir. « Ses gha­zels — courts poèmes ly­riques de ton gé­né­ra­le­ment lé­ger — où ce grave ec­clé­sias­tique chante l’amour et le vin en des termes qui nous sur­prennent, mais dont les com­men­ta­teurs or­tho­doxes as­surent qu’ils sont sym­bo­liques, sont parmi les plus cé­lèbres »3. Je leur pré­fère, ce­pen­dant, la per­fec­tion clas­sique de son « Orai­son fu­nèbre du sul­tan So­li­man »4, la­quelle évoque avec un grand art cette pé­riode où l’Empire ot­to­man était sans doute le plus puis­sant du monde

  1. Louis Ba­zin, « Lit­té­ra­ture turque ». Haut
  2. Au­tre­fois trans­crit Bâqî ou Ba­qui. Haut
  1. Louis Ba­zin, « Lit­té­ra­ture turque ». Haut
  2. En turc « Mer­siye-i sul­tân Sü­ley­mân ». Haut

« La Muse ottomane, ou Chefs-d’œuvre de la poésie turque »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit d’une an­tho­lo­gie de la poé­sie ot­to­mane. Dès la fixa­tion des Turcs en Ana­to­lie, deux poé­sies s’affrontent, dont la pre­mière fi­nira par l’emporter à l’époque ot­to­mane, mais dont la se­conde triom­phera en­tiè­re­ment dans la Tur­quie mo­derne : d’un côté, celle des sei­gneurs et des ci­ta­dins, dont le but sera de trans­po­ser en un turc bourré d’arabe et de per­san les ma­nières lit­té­raires de ces deux grandes langues mu­sul­manes, dans des vers fon­dés sur la quan­tité longue et brève des syl­labes ; de l’autre, celle des pay­sans et des no­mades, peut-être moins sa­vants, mais doués d’un sens plus vif de leur langue ma­ter­nelle, sou­vent nour­ris de chan­sons po­pu­laires, qui en­tre­pren­dront d’exprimer leur sen­si­bi­lité et leur pen­sée se­lon le gé­nie na­tio­nal, dans des vers fon­dés sur le seul nombre des syl­labes. Les suc­cès pres­ti­gieux, au XIVe siècle, du sei­gneur turc Oth­man, qui sou­met avec le se­cours de l’islamisme toute l’Anatolie avant de se lan­cer à la conquête des Bal­kans et du Proche-Orient, ont pour consé­quence iné­luc­table, en même temps qu’une cen­tra­li­sa­tion du pou­voir, la réunion à la Cour de tous les poètes de re­nom, qui de­viennent ainsi « des écri­vains pro­fes­sion­nels et cour­ti­sans, aris­to­crates et pé­dants, vi­vant en vase clos et de fa­çon ar­ti­fi­cielle, cou­pés du reste de la na­tion »1. Au XVIe siècle, avec l’apogée de l’Empire sous le règne du sul­tan So­li­man coïn­cide, comme de juste, la ma­tu­rité de la poé­sie ot­to­mane, in­car­née par Bâkî2. Poète de gé­nie, Bâkî doit à son seul ta­lent une brillante ré­pu­ta­tion et une haute for­tune ; car s’il dé­bute sa vie comme fils d’un pauvre muez­zin, il fi­nit sa car­rière comme vi­zir. « Ses gha­zels — courts poèmes ly­riques de ton gé­né­ra­le­ment lé­ger — où ce grave ec­clé­sias­tique chante l’amour et le vin en des termes qui nous sur­prennent, mais dont les com­men­ta­teurs or­tho­doxes as­surent qu’ils sont sym­bo­liques, sont parmi les plus cé­lèbres »3. Je leur pré­fère, ce­pen­dant, la per­fec­tion clas­sique de son « Orai­son fu­nèbre du sul­tan So­li­man »4, la­quelle évoque avec un grand art cette pé­riode où l’Empire ot­to­man était sans doute le plus puis­sant du monde

  1. Louis Ba­zin, « Lit­té­ra­ture turque ». Haut
  2. Au­tre­fois trans­crit Bâqî ou Ba­qui. Haut
  1. Louis Ba­zin, « Lit­té­ra­ture turque ». Haut
  2. En turc « Mer­siye-i sul­tân Sü­ley­mân ». Haut

« De cent poètes un poème : poèmes »

éd. Publications orientalistes de France, Aurillac

éd. Pu­bli­ca­tions orien­ta­listes de France, Au­rillac

Il s’agit de l’anthologie « Ogura Hya­ku­nin Is­shu »1, plus connue sous le titre abrégé de « Hya­ku­nin Is­shu »2 (« De cent poètes un poème »3). Peu de re­cueils ont joui et jouissent tou­jours au Ja­pon d’une vogue égale à celle de l’anthologie « Hya­ku­nin Is­shu ». On en at­tri­bue la pa­ter­nité à l’aristocrate Fu­ji­wara no Teika. Dans un jour­nal qu’il a tenu tout au long de sa vie, le « Mei­getsu-ki »4 (« Jour­nal de la lune claire »5), en date du 27 mai 1235, Teika dit avoir cal­li­gra­phié cent mor­ceaux sur des pa­piers de cou­leur pour en dé­co­rer les cloi­sons mo­biles d’une mai­son de cam­pagne à Ogura. Le plus éton­nant est que ces cent poèmes ont fini par de­ve­nir le re­cueil fa­mi­lier de chaque mai­son ja­po­naise. Dès la fin du XVIIe siècle, en ef­fet, nous les voyons em­ployés comme livre pour édu­quer les jeunes filles, en même temps que comme jeu pour amu­ser la fa­mille en gé­né­ral. Ce jeu de « cartes poé­tiques » (« uta-ga­ruta »6) consiste à de­vi­ner la fin d’un poème que ré­cite un me­neur : « On prend pour cela un pa­quet de deux cents cartes [ti­rées du] “Hya­ku­nin Is­shu”. Cent de ces cartes portent, cha­cune, un poème dif­fé­rent — ce sont des “waka”, odes de trente et une syl­labes com­po­sées par des poètes et des poé­tesses cé­lèbres d’autrefois — et, en gé­né­ral, le por­trait de l’auteur : elles servent à la lec­ture à haute voix. Les cent autres cartes ne portent que les deux der­niers vers de chaque poème : elles servent au jeu pro­pre­ment dit. L’un des joueurs lit un “waka”, et les autres se penchent sur les cartes ran­gées à même le ta­tami ou natte de paille, en scru­tant le tas pour s’emparer ra­pi­de­ment de celle qui cor­res­pond au poème qu’on vient de lire », ex­plique M. Shi­geo Ki­mura

  1. En ja­po­nais « 小倉百人一首 ». Haut
  2. En ja­po­nais « 百人一首 ». Au­tre­fois trans­crit « Hya­kou-nin-is-syou » ou « Hya­kou­ninn-is­shou ». Haut
  3. Par­fois tra­duit « Cent poé­sies par cent poètes », « De cent hommes une poé­sie », « De cent hommes cha­cun un poème » ou « Col­lec­tion des cent poètes ». Haut
  1. En ja­po­nais « 明月記 », in­édit en fran­çais. Au­tre­fois trans­crit « Méig­hét­sou-ki ». Haut
  2. Par­fois tra­duit « Notes (jour­na­lières) de la claire lune ». Haut
  3. En ja­po­nais 歌がるた. Haut

« Sri Gourou Granth Sahib. Tome IV »

éd. Intellectual Services International, Providenciales

éd. In­tel­lec­tual Ser­vices In­ter­na­tio­nal, Pro­vi­den­ciales

Il s’agit de l’« Adi Granth »1 (le « Pre­mier Livre ») ou « Gou­rou Granth Sa­hib »2 (le « Maître Livre »), le livre saint des si­khs, com­pilé par le cin­quième gou­rou Ar­jan Dev3, puis ré­visé et achevé par le dixième gou­rou Go­bind Singh4. Les si­khs le dé­si­gnent sou­vent sous la vague ap­pel­la­tion de « Granth » (le « Livre »), de même que les chré­tiens citent le leur sous celle de « Bible » (« Bi­blia » si­gni­fiant les « Livres »). Le « Granth » est une œuvre tout à fait unique par rap­port aux ca­nons des autres re­li­gions. Ce qui l’en dis­tingue, c’est qu’il se pré­sente comme une fas­ci­nante an­tho­lo­gie poé­tique, qui ne contient pas seule­ment les psaumes et les hymnes de ses propres fon­da­teurs, comme gou­rou Na­nak5, mais aussi ceux de poètes mys­tiques an­té­rieurs : Ka­bîr, Jaya­deva, Bhi­khan, Nâm-dev… En tout, quinze poètes non si­khs (ap­pe­lés « bha­gats »6) sont in­cor­po­rés au « Granth », dont le plus an­cien est Sheikh Fa­rid né en 1175 apr. J.-C. Les gou­rous, eux, vé­curent entre 1469 et 1708 apr. J.-C. Voilà donc plus de cinq siècles de poé­sie in­dienne, to­ta­li­sant 3 384 poèmes ou 15 575 strophes, et mê­lant le pend­jabi à di­verses autres langues : le sans­crit, le per­san, le hindi… Une tra­di­tion uni­ver­sel­le­ment re­çue rap­porte que le dixième gou­rou, à son lit de mort, ne nomma pas de suc­ces­seur, mais dé­cida que la Pa­role du « Granth » se­rait dé­sor­mais l’éternel gou­rou : « Ici-bas, tous les si­khs sont char­gés de re­con­naître le “Granth” comme leur gou­rou. Re­con­nais “Gou­rou Granth Sa­hib” comme la per­sonne vi­sible des gou­rous. Ceux qui cherchent à ren­con­trer le Sei­gneur dans la Pa­role telle qu’elle s’est ma­ni­fes­tée dans le livre, Le dé­cou­vri­ront »7. De­puis ce jour-là, le « Granth » reste l’unique au­to­rité des si­khs, ainsi que le seul ob­jet de vé­né­ra­tion que l’on voit dans leurs lieux de culte. Leur temple cen­tral, qui s’élève tou­jours à Am­rit­sar8, au mi­lieu de l’étang sa­cré (Am­rit­sar si­gni­fiant « étang de l’immortalité »), ne ren­ferme au­cune idole, mais seule­ment des exem­plaires du « Granth » dé­po­sés sur des cous­sins de soie : « Jour et nuit, sans désem­pa­rer, comme pour réa­li­ser une sorte d’adoration per­pé­tuelle, des “gran­this” chantent sous ces voûtes ré­vé­rées des frag­ments du livre saint en s’accompagnant d’instruments à cordes. Ailleurs les si­khs ont sim­ple­ment des salles d’édification, où un “gran­thi” leur lit… le texte sa­cré », ex­plique Al­bert Ré­ville

  1. En pend­jabi « ਆਦਿ ਗ੍ਰੰਥ ». Par­fois trans­crit « Adi-grant ». Haut
  2. En pend­jabi « ਗੁਰੂ ਗ੍ਰੰਥ ਸਾਹਿਬ ». Par­fois trans­crit « Guru Granth Sa­heb ». Haut
  3. En pend­jabi ਅਰਜਨ ਦੇਵ. Par­fois trans­crit Ar­jun Dev. Haut
  4. En pend­jabi ਗੋਬਿੰਦ ਸਿੰਘ. Par­fois trans­crit Go­vind Singh. Haut
  1. En pend­jabi ਨਾਨਕ. Haut
  2. En pend­jabi ਭਗਤ. Haut
  3. « Le Si­khisme : an­tho­lo­gie de la poé­sie re­li­gieuse », p. 36. Haut
  4. En pend­jabi ਅੰਮ੍ਰਿਤਸਰ. Haut

« Sri Gourou Granth Sahib. Tome III »

éd. Intellectual Services International, Providenciales

éd. In­tel­lec­tual Ser­vices In­ter­na­tio­nal, Pro­vi­den­ciales

Il s’agit de l’« Adi Granth »1 (le « Pre­mier Livre ») ou « Gou­rou Granth Sa­hib »2 (le « Maître Livre »), le livre saint des si­khs, com­pilé par le cin­quième gou­rou Ar­jan Dev3, puis ré­visé et achevé par le dixième gou­rou Go­bind Singh4. Les si­khs le dé­si­gnent sou­vent sous la vague ap­pel­la­tion de « Granth » (le « Livre »), de même que les chré­tiens citent le leur sous celle de « Bible » (« Bi­blia » si­gni­fiant les « Livres »). Le « Granth » est une œuvre tout à fait unique par rap­port aux ca­nons des autres re­li­gions. Ce qui l’en dis­tingue, c’est qu’il se pré­sente comme une fas­ci­nante an­tho­lo­gie poé­tique, qui ne contient pas seule­ment les psaumes et les hymnes de ses propres fon­da­teurs, comme gou­rou Na­nak5, mais aussi ceux de poètes mys­tiques an­té­rieurs : Ka­bîr, Jaya­deva, Bhi­khan, Nâm-dev… En tout, quinze poètes non si­khs (ap­pe­lés « bha­gats »6) sont in­cor­po­rés au « Granth », dont le plus an­cien est Sheikh Fa­rid né en 1175 apr. J.-C. Les gou­rous, eux, vé­curent entre 1469 et 1708 apr. J.-C. Voilà donc plus de cinq siècles de poé­sie in­dienne, to­ta­li­sant 3 384 poèmes ou 15 575 strophes, et mê­lant le pend­jabi à di­verses autres langues : le sans­crit, le per­san, le hindi… Une tra­di­tion uni­ver­sel­le­ment re­çue rap­porte que le dixième gou­rou, à son lit de mort, ne nomma pas de suc­ces­seur, mais dé­cida que la Pa­role du « Granth » se­rait dé­sor­mais l’éternel gou­rou : « Ici-bas, tous les si­khs sont char­gés de re­con­naître le “Granth” comme leur gou­rou. Re­con­nais “Gou­rou Granth Sa­hib” comme la per­sonne vi­sible des gou­rous. Ceux qui cherchent à ren­con­trer le Sei­gneur dans la Pa­role telle qu’elle s’est ma­ni­fes­tée dans le livre, Le dé­cou­vri­ront »7. De­puis ce jour-là, le « Granth » reste l’unique au­to­rité des si­khs, ainsi que le seul ob­jet de vé­né­ra­tion que l’on voit dans leurs lieux de culte. Leur temple cen­tral, qui s’élève tou­jours à Am­rit­sar8, au mi­lieu de l’étang sa­cré (Am­rit­sar si­gni­fiant « étang de l’immortalité »), ne ren­ferme au­cune idole, mais seule­ment des exem­plaires du « Granth » dé­po­sés sur des cous­sins de soie : « Jour et nuit, sans désem­pa­rer, comme pour réa­li­ser une sorte d’adoration per­pé­tuelle, des “gran­this” chantent sous ces voûtes ré­vé­rées des frag­ments du livre saint en s’accompagnant d’instruments à cordes. Ailleurs les si­khs ont sim­ple­ment des salles d’édification, où un “gran­thi” leur lit… le texte sa­cré », ex­plique Al­bert Ré­ville

  1. En pend­jabi « ਆਦਿ ਗ੍ਰੰਥ ». Par­fois trans­crit « Adi-grant ». Haut
  2. En pend­jabi « ਗੁਰੂ ਗ੍ਰੰਥ ਸਾਹਿਬ ». Par­fois trans­crit « Guru Granth Sa­heb ». Haut
  3. En pend­jabi ਅਰਜਨ ਦੇਵ. Par­fois trans­crit Ar­jun Dev. Haut
  4. En pend­jabi ਗੋਬਿੰਦ ਸਿੰਘ. Par­fois trans­crit Go­vind Singh. Haut
  1. En pend­jabi ਨਾਨਕ. Haut
  2. En pend­jabi ਭਗਤ. Haut
  3. « Le Si­khisme : an­tho­lo­gie de la poé­sie re­li­gieuse », p. 36. Haut
  4. En pend­jabi ਅੰਮ੍ਰਿਤਸਰ. Haut

« Sri Gourou Granth Sahib. Tome II »

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Il s’agit de l’« Adi Granth »1 (le « Pre­mier Livre ») ou « Gou­rou Granth Sa­hib »2 (le « Maître Livre »), le livre saint des si­khs, com­pilé par le cin­quième gou­rou Ar­jan Dev3, puis ré­visé et achevé par le dixième gou­rou Go­bind Singh4. Les si­khs le dé­si­gnent sou­vent sous la vague ap­pel­la­tion de « Granth » (le « Livre »), de même que les chré­tiens citent le leur sous celle de « Bible » (« Bi­blia » si­gni­fiant les « Livres »). Le « Granth » est une œuvre tout à fait unique par rap­port aux ca­nons des autres re­li­gions. Ce qui l’en dis­tingue, c’est qu’il se pré­sente comme une fas­ci­nante an­tho­lo­gie poé­tique, qui ne contient pas seule­ment les psaumes et les hymnes de ses propres fon­da­teurs, comme gou­rou Na­nak5, mais aussi ceux de poètes mys­tiques an­té­rieurs : Ka­bîr, Jaya­deva, Bhi­khan, Nâm-dev… En tout, quinze poètes non si­khs (ap­pe­lés « bha­gats »6) sont in­cor­po­rés au « Granth », dont le plus an­cien est Sheikh Fa­rid né en 1175 apr. J.-C. Les gou­rous, eux, vé­curent entre 1469 et 1708 apr. J.-C. Voilà donc plus de cinq siècles de poé­sie in­dienne, to­ta­li­sant 3 384 poèmes ou 15 575 strophes, et mê­lant le pend­jabi à di­verses autres langues : le sans­crit, le per­san, le hindi… Une tra­di­tion uni­ver­sel­le­ment re­çue rap­porte que le dixième gou­rou, à son lit de mort, ne nomma pas de suc­ces­seur, mais dé­cida que la Pa­role du « Granth » se­rait dé­sor­mais l’éternel gou­rou : « Ici-bas, tous les si­khs sont char­gés de re­con­naître le “Granth” comme leur gou­rou. Re­con­nais “Gou­rou Granth Sa­hib” comme la per­sonne vi­sible des gou­rous. Ceux qui cherchent à ren­con­trer le Sei­gneur dans la Pa­role telle qu’elle s’est ma­ni­fes­tée dans le livre, Le dé­cou­vri­ront »7. De­puis ce jour-là, le « Granth » reste l’unique au­to­rité des si­khs, ainsi que le seul ob­jet de vé­né­ra­tion que l’on voit dans leurs lieux de culte. Leur temple cen­tral, qui s’élève tou­jours à Am­rit­sar8, au mi­lieu de l’étang sa­cré (Am­rit­sar si­gni­fiant « étang de l’immortalité »), ne ren­ferme au­cune idole, mais seule­ment des exem­plaires du « Granth » dé­po­sés sur des cous­sins de soie : « Jour et nuit, sans désem­pa­rer, comme pour réa­li­ser une sorte d’adoration per­pé­tuelle, des “gran­this” chantent sous ces voûtes ré­vé­rées des frag­ments du livre saint en s’accompagnant d’instruments à cordes. Ailleurs les si­khs ont sim­ple­ment des salles d’édification, où un “gran­thi” leur lit… le texte sa­cré », ex­plique Al­bert Ré­ville

  1. En pend­jabi « ਆਦਿ ਗ੍ਰੰਥ ». Par­fois trans­crit « Adi-grant ». Haut
  2. En pend­jabi « ਗੁਰੂ ਗ੍ਰੰਥ ਸਾਹਿਬ ». Par­fois trans­crit « Guru Granth Sa­heb ». Haut
  3. En pend­jabi ਅਰਜਨ ਦੇਵ. Par­fois trans­crit Ar­jun Dev. Haut
  4. En pend­jabi ਗੋਬਿੰਦ ਸਿੰਘ. Par­fois trans­crit Go­vind Singh. Haut
  1. En pend­jabi ਨਾਨਕ. Haut
  2. En pend­jabi ਭਗਤ. Haut
  3. « Le Si­khisme : an­tho­lo­gie de la poé­sie re­li­gieuse », p. 36. Haut
  4. En pend­jabi ਅੰਮ੍ਰਿਤਸਰ. Haut

« Sri Gourou Granth Sahib. Tome I »

éd. Intellectual Services International, Providenciales

éd. In­tel­lec­tual Ser­vices In­ter­na­tio­nal, Pro­vi­den­ciales

Il s’agit de l’« Adi Granth »1 (le « Pre­mier Livre ») ou « Gou­rou Granth Sa­hib »2 (le « Maître Livre »), le livre saint des si­khs, com­pilé par le cin­quième gou­rou Ar­jan Dev3, puis ré­visé et achevé par le dixième gou­rou Go­bind Singh4. Les si­khs le dé­si­gnent sou­vent sous la vague ap­pel­la­tion de « Granth » (le « Livre »), de même que les chré­tiens citent le leur sous celle de « Bible » (« Bi­blia » si­gni­fiant les « Livres »). Le « Granth » est une œuvre tout à fait unique par rap­port aux ca­nons des autres re­li­gions. Ce qui l’en dis­tingue, c’est qu’il se pré­sente comme une fas­ci­nante an­tho­lo­gie poé­tique, qui ne contient pas seule­ment les psaumes et les hymnes de ses propres fon­da­teurs, comme gou­rou Na­nak5, mais aussi ceux de poètes mys­tiques an­té­rieurs : Ka­bîr, Jaya­deva, Bhi­khan, Nâm-dev… En tout, quinze poètes non si­khs (ap­pe­lés « bha­gats »6) sont in­cor­po­rés au « Granth », dont le plus an­cien est Sheikh Fa­rid né en 1175 apr. J.-C. Les gou­rous, eux, vé­curent entre 1469 et 1708 apr. J.-C. Voilà donc plus de cinq siècles de poé­sie in­dienne, to­ta­li­sant 3 384 poèmes ou 15 575 strophes, et mê­lant le pend­jabi à di­verses autres langues : le sans­crit, le per­san, le hindi… Une tra­di­tion uni­ver­sel­le­ment re­çue rap­porte que le dixième gou­rou, à son lit de mort, ne nomma pas de suc­ces­seur, mais dé­cida que la Pa­role du « Granth » se­rait dé­sor­mais l’éternel gou­rou : « Ici-bas, tous les si­khs sont char­gés de re­con­naître le “Granth” comme leur gou­rou. Re­con­nais “Gou­rou Granth Sa­hib” comme la per­sonne vi­sible des gou­rous. Ceux qui cherchent à ren­con­trer le Sei­gneur dans la Pa­role telle qu’elle s’est ma­ni­fes­tée dans le livre, Le dé­cou­vri­ront »7. De­puis ce jour-là, le « Granth » reste l’unique au­to­rité des si­khs, ainsi que le seul ob­jet de vé­né­ra­tion que l’on voit dans leurs lieux de culte. Leur temple cen­tral, qui s’élève tou­jours à Am­rit­sar8, au mi­lieu de l’étang sa­cré (Am­rit­sar si­gni­fiant « étang de l’immortalité »), ne ren­ferme au­cune idole, mais seule­ment des exem­plaires du « Granth » dé­po­sés sur des cous­sins de soie : « Jour et nuit, sans désem­pa­rer, comme pour réa­li­ser une sorte d’adoration per­pé­tuelle, des “gran­this” chantent sous ces voûtes ré­vé­rées des frag­ments du livre saint en s’accompagnant d’instruments à cordes. Ailleurs les si­khs ont sim­ple­ment des salles d’édification, où un “gran­thi” leur lit… le texte sa­cré », ex­plique Al­bert Ré­ville

  1. En pend­jabi « ਆਦਿ ਗ੍ਰੰਥ ». Par­fois trans­crit « Adi-grant ». Haut
  2. En pend­jabi « ਗੁਰੂ ਗ੍ਰੰਥ ਸਾਹਿਬ ». Par­fois trans­crit « Guru Granth Sa­heb ». Haut
  3. En pend­jabi ਅਰਜਨ ਦੇਵ. Par­fois trans­crit Ar­jun Dev. Haut
  4. En pend­jabi ਗੋਬਿੰਦ ਸਿੰਘ. Par­fois trans­crit Go­vind Singh. Haut
  1. En pend­jabi ਨਾਨਕ. Haut
  2. En pend­jabi ਭਗਤ. Haut
  3. « Le Si­khisme : an­tho­lo­gie de la poé­sie re­li­gieuse », p. 36. Haut
  4. En pend­jabi ਅੰਮ੍ਰਿਤਸਰ. Haut

« Un Haïku satirique : le “senryû” »

éd. Publications orientalistes de France, coll. Bibliothèque japonaise, Paris

éd. Pu­bli­ca­tions orien­ta­listes de France, coll. Bi­blio­thèque ja­po­naise, Pa­ris

Il s’agit d’une tra­duc­tion par­tielle du « Ton­neau de saule » (« Ya­na­gi­daru »1), de la « Fleur du bout » (« Suet­su­mu­hana »2) et d’autres re­cueils de « sen­ryû »3 (XVIIIe-XIXe siècle). Le « sen­ryû » est un poème sa­ti­rique ou éro­tique, de forme si­mi­laire au haïku. Mais si le haïku est la com­po­si­tion d’un gen­til­homme sé­rieux, sou­cieux du qu’en-dira-t-on, le « sen­ryû » est celle d’un bour­geois rieur et éhonté, li­vré à ses seuls plai­sirs, pas­sant des heures, à vi­sage dé­cou­vert, sous les lam­pions et les lan­ternes des quar­tiers de dis­trac­tion. Ces quar­tiers, dis­pa­rus seule­ment au XXe siècle, étaient de vraies cu­rio­si­tés à vi­si­ter, aussi in­té­res­santes que les sanc­tuaires les plus fa­meux de l’Empire du So­leil le­vant. C’étaient des sortes d’îlots dans les villes mêmes, des coins soi­gneu­se­ment cir­cons­crits « à la fois fée­riques et la­men­tables… char­mants, lu­mi­neux… et naïfs en leur im­mo­ra­lité »4, où s’offraient aux yeux des pas­sants, as­sises dans des cages do­rées et sur des nattes éblouis­santes, des femmes somp­tueu­se­ment pa­rées. Chaque ville pos­sé­dait un quar­tier af­fecté à ces éta­lages. Ce­lui d’Edo (Tô­kyô), nommé le Yo­shi­wara5, était le plus beau de l’Empire ja­po­nais : no­blesse oblige. On ne s’y ren­dait pas sur l’impulsion du mo­ment. Seul un pro­vin­cial égaré dans la ville, ou un sol­dat de gar­ni­son, pou­vait s’imaginer trou­ver sa­tis­fac­tion de la sorte. Le bour­geois éclairé et rompu aux plai­sirs dé­li­cats sa­vait qu’il fal­lait com­men­cer par l’achat et la lec­ture ap­pro­fon­die du « Ca­ta­logue », où fi­gu­raient, avec un sys­tème de des­crip­tion éla­boré, les noms et les rangs des cour­ti­sanes dis­po­nibles. « Rien des “En­tre­tiens de Confu­cius” [il] ne com­prend, mais [il] sait tout lire dans le “Ca­ta­logue” », dit un « sen­ryû ». Le Yo­shi­wara étant loin du centre-ville, on s’y ren­dait le plus sou­vent en chaise à por­teurs : le voyage ne coû­tait pas cher, et on évi­tait la fa­tigue du che­min à pied. Mais on pre­nait la pré­cau­tion de mon­ter et de des­cendre à quelque dis­tance de chez soi, pour ne pas se faire sur­prendre par son épouse soup­çon­neuse : « En plein [che­min], nez à nez avec l’épouse ; ah, ca­la­mité ! », dit un « sen­ryû ». On pou­vait alors ten­ter de se jus­ti­fier : « Ce jour, je vais en prière sur la tombe d’un pa­rent », mais l’épouse n’était pas dupe. D’où ce « sen­ryû » : « Au mi­lieu [du che­min] “lettre de sé­pa­ra­tion tu m’écris de suite !” » Quant au fils pro­digue, pris en fla­grant dé­lit par ses pa­rents : « Bou­clé dans sa chambre, en rêve en­core il par­court le quar­tier des filles », dit un « sen­ryû », en pa­ro­diant ce cé­lèbre haïku com­posé par Ba­shô avant sa mort : « En rêve en­core je par­cours les landes dé­so­lées ».

  1. En ja­po­nais « 柳多留 ». Haut
  2. En ja­po­nais « 末摘花 ». Haut
  3. En ja­po­nais 川柳. Haut
  1. Ma­ti­gnon, « La Pros­ti­tu­tion au Ja­pon : le quar­tier du “Yo­shi­wara” de To­kio ». Haut
  2. En ja­po­nais 吉原. Haut

« Haïku érotiques : extraits de la “Fleur du bout” et du “Tonneau de saule” »

éd. Ph. Picquier, coll. Picquier poche, Arles

éd. Ph. Pic­quier, coll. Pic­quier poche, Arles

Il s’agit d’une tra­duc­tion par­tielle du « Ton­neau de saule » (« Ya­na­gi­daru »1), de la « Fleur du bout » (« Suet­su­mu­hana »2) et d’autres re­cueils de « sen­ryû »3 (XVIIIe-XIXe siècle). Le « sen­ryû » est un poème sa­ti­rique ou éro­tique, de forme si­mi­laire au haïku. Mais si le haïku est la com­po­si­tion d’un gen­til­homme sé­rieux, sou­cieux du qu’en-dira-t-on, le « sen­ryû » est celle d’un bour­geois rieur et éhonté, li­vré à ses seuls plai­sirs, pas­sant des heures, à vi­sage dé­cou­vert, sous les lam­pions et les lan­ternes des quar­tiers de dis­trac­tion. Ces quar­tiers, dis­pa­rus seule­ment au XXe siècle, étaient de vraies cu­rio­si­tés à vi­si­ter, aussi in­té­res­santes que les sanc­tuaires les plus fa­meux de l’Empire du So­leil le­vant. C’étaient des sortes d’îlots dans les villes mêmes, des coins soi­gneu­se­ment cir­cons­crits « à la fois fée­riques et la­men­tables… char­mants, lu­mi­neux… et naïfs en leur im­mo­ra­lité »4, où s’offraient aux yeux des pas­sants, as­sises dans des cages do­rées et sur des nattes éblouis­santes, des femmes somp­tueu­se­ment pa­rées. Chaque ville pos­sé­dait un quar­tier af­fecté à ces éta­lages. Ce­lui d’Edo (Tô­kyô), nommé le Yo­shi­wara5, était le plus beau de l’Empire ja­po­nais : no­blesse oblige. On ne s’y ren­dait pas sur l’impulsion du mo­ment. Seul un pro­vin­cial égaré dans la ville, ou un sol­dat de gar­ni­son, pou­vait s’imaginer trou­ver sa­tis­fac­tion de la sorte. Le bour­geois éclairé et rompu aux plai­sirs dé­li­cats sa­vait qu’il fal­lait com­men­cer par l’achat et la lec­ture ap­pro­fon­die du « Ca­ta­logue », où fi­gu­raient, avec un sys­tème de des­crip­tion éla­boré, les noms et les rangs des cour­ti­sanes dis­po­nibles. « Rien des “En­tre­tiens de Confu­cius” [il] ne com­prend, mais [il] sait tout lire dans le “Ca­ta­logue” », dit un « sen­ryû ». Le Yo­shi­wara étant loin du centre-ville, on s’y ren­dait le plus sou­vent en chaise à por­teurs : le voyage ne coû­tait pas cher, et on évi­tait la fa­tigue du che­min à pied. Mais on pre­nait la pré­cau­tion de mon­ter et de des­cendre à quelque dis­tance de chez soi, pour ne pas se faire sur­prendre par son épouse soup­çon­neuse : « En plein [che­min], nez à nez avec l’épouse ; ah, ca­la­mité ! », dit un « sen­ryû ». On pou­vait alors ten­ter de se jus­ti­fier : « Ce jour, je vais en prière sur la tombe d’un pa­rent », mais l’épouse n’était pas dupe. D’où ce « sen­ryû » : « Au mi­lieu [du che­min] “lettre de sé­pa­ra­tion tu m’écris de suite !” » Quant au fils pro­digue, pris en fla­grant dé­lit par ses pa­rents : « Bou­clé dans sa chambre, en rêve en­core il par­court le quar­tier des filles », dit un « sen­ryû », en pa­ro­diant ce cé­lèbre haïku com­posé par Ba­shô avant sa mort : « En rêve en­core je par­cours les landes dé­so­lées ».

  1. En ja­po­nais « 柳多留 ». Haut
  2. En ja­po­nais « 末摘花 ». Haut
  3. En ja­po­nais 川柳. Haut
  1. Ma­ti­gnon, « La Pros­ti­tu­tion au Ja­pon : le quar­tier du “Yo­shi­wara” de To­kio ». Haut
  2. En ja­po­nais 吉原. Haut

« Courtisanes du Japon »

éd. Ph. Picquier, coll. Le Pavillon des corps curieux, Arles

éd. Ph. Pic­quier, coll. Le Pa­villon des corps cu­rieux, Arles

Il s’agit d’une tra­duc­tion par­tielle du « Ton­neau de saule » (« Ya­na­gi­daru »1), de la « Fleur du bout » (« Suet­su­mu­hana »2) et d’autres re­cueils de « sen­ryû »3 (XVIIIe-XIXe siècle). Le « sen­ryû » est un poème sa­ti­rique ou éro­tique, de forme si­mi­laire au haïku. Mais si le haïku est la com­po­si­tion d’un gen­til­homme sé­rieux, sou­cieux du qu’en-dira-t-on, le « sen­ryû » est celle d’un bour­geois rieur et éhonté, li­vré à ses seuls plai­sirs, pas­sant des heures, à vi­sage dé­cou­vert, sous les lam­pions et les lan­ternes des quar­tiers de dis­trac­tion. Ces quar­tiers, dis­pa­rus seule­ment au XXe siècle, étaient de vraies cu­rio­si­tés à vi­si­ter, aussi in­té­res­santes que les sanc­tuaires les plus fa­meux de l’Empire du So­leil le­vant. C’étaient des sortes d’îlots dans les villes mêmes, des coins soi­gneu­se­ment cir­cons­crits « à la fois fée­riques et la­men­tables… char­mants, lu­mi­neux… et naïfs en leur im­mo­ra­lité »4, où s’offraient aux yeux des pas­sants, as­sises dans des cages do­rées et sur des nattes éblouis­santes, des femmes somp­tueu­se­ment pa­rées. Chaque ville pos­sé­dait un quar­tier af­fecté à ces éta­lages. Ce­lui d’Edo (Tô­kyô), nommé le Yo­shi­wara5, était le plus beau de l’Empire ja­po­nais : no­blesse oblige. On ne s’y ren­dait pas sur l’impulsion du mo­ment. Seul un pro­vin­cial égaré dans la ville, ou un sol­dat de gar­ni­son, pou­vait s’imaginer trou­ver sa­tis­fac­tion de la sorte. Le bour­geois éclairé et rompu aux plai­sirs dé­li­cats sa­vait qu’il fal­lait com­men­cer par l’achat et la lec­ture ap­pro­fon­die du « Ca­ta­logue », où fi­gu­raient, avec un sys­tème de des­crip­tion éla­boré, les noms et les rangs des cour­ti­sanes dis­po­nibles. « Rien des “En­tre­tiens de Confu­cius” [il] ne com­prend, mais [il] sait tout lire dans le “Ca­ta­logue” », dit un « sen­ryû ». Le Yo­shi­wara étant loin du centre-ville, on s’y ren­dait le plus sou­vent en chaise à por­teurs : le voyage ne coû­tait pas cher, et on évi­tait la fa­tigue du che­min à pied. Mais on pre­nait la pré­cau­tion de mon­ter et de des­cendre à quelque dis­tance de chez soi, pour ne pas se faire sur­prendre par son épouse soup­çon­neuse : « En plein [che­min], nez à nez avec l’épouse ; ah, ca­la­mité ! », dit un « sen­ryû ». On pou­vait alors ten­ter de se jus­ti­fier : « Ce jour, je vais en prière sur la tombe d’un pa­rent », mais l’épouse n’était pas dupe. D’où ce « sen­ryû » : « Au mi­lieu [du che­min] “lettre de sé­pa­ra­tion tu m’écris de suite !” » Quant au fils pro­digue, pris en fla­grant dé­lit par ses pa­rents : « Bou­clé dans sa chambre, en rêve en­core il par­court le quar­tier des filles », dit un « sen­ryû », en pa­ro­diant ce cé­lèbre haïku com­posé par Ba­shô avant sa mort : « En rêve en­core je par­cours les landes dé­so­lées ».

  1. En ja­po­nais « 柳多留 ». Haut
  2. En ja­po­nais « 末摘花 ». Haut
  3. En ja­po­nais 川柳. Haut
  1. Ma­ti­gnon, « La Pros­ti­tu­tion au Ja­pon : le quar­tier du “Yo­shi­wara” de To­kio ». Haut
  2. En ja­po­nais 吉原. Haut

« Anthologie grecque, d’après le manuscrit palatin. Tome II »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de l’« An­tho­lo­gie grecque » d’après le ma­nus­crit pa­la­tin du Xe siècle apr. J.-C. Le terme « an­tho­lo­gie », com­posé d’« an­thos »1 (« fleur ») et de « legô »2 (« cueillir »), si­gni­fie un choix, un bou­quet de com­po­si­tions lé­gères qui nous charment par leurs ins­pi­ra­tions, trop courtes, d’ailleurs, pour ja­mais nous fa­ti­guer ; mais plus par­ti­cu­liè­re­ment et par ex­cel­lence, ce terme dé­signe dans la langue des clas­si­cistes l’« An­tho­lo­gie grecque ». C’est une im­mense col­lec­tion de quatre mille pe­tits poèmes, for­mant une chaîne non in­ter­rom­pue de­puis les temps hé­roïques jusqu’aux der­niers temps du Bas-Em­pire. On y voit les chan­ge­ments opé­rés, de siècle en siècle, dans les foyers de la culture grecque épar­pillés un peu par­tout en Eu­rope, en Afrique et en Asie. Mé­léagre3 (IIe-Ie siècle av. J.-C.) est l’un des poètes qui a fourni à l’« An­tho­lo­gie » le plus de poèmes ; mais ce qui lui fait hon­neur en­core da­van­tage, c’est d’avoir eu l’idée de la pre­mière « An­tho­lo­gie » connue. Il lui donna le titre simple et élé­gant de « Guir­lande » ou « Cou­ronne » (« Ste­pha­nos »4), parce qu’il la re­garda comme une cou­ronne de fleurs et qu’il sym­bo­lisa chaque au­teur par une fleur as­sor­tie : telle poé­tesse par un lys, telle autre par un iris, Sap­pho par une rose, Ar­chi­loque le sa­ti­rique par la feuille d’acanthe « aux pi­quants re­dou­tables » et ainsi de suite. Phi­lippe de Thes­sa­lo­nique5 (IIe siècle apr. J.-C.) et Aga­thias6 (VIe siècle apr. J.-C.) firent pu­blier des re­cueils d’après le même pro­cédé. En­fin, Constan­tin Cé­pha­las7 s’empara de ces an­tho­lo­gies, pour en co­or­don­ner une nou­velle, dont l’unique exem­plaire sera dé­cou­vert dans la pous­sière de la Bi­blio­thèque pa­la­tine, à Hei­del­berg. De là, le nom de « ma­nus­crit pa­la­tin ». Na­po­léon le ré­cla­mera pour la Bi­blio­thèque na­tio­nale de France en 1797 ; les Al­liés le re­met­tront à l’Allemagne en 1816.

  1. En grec ἄνθος. Haut
  2. En grec λέγω. Haut
  3. En grec Μελέαγρος. Par­fois trans­crit Mé­léa­gros. « Mé­léa­gros est un bien étrange poète, qui na­quit en Ju­dée, près du lac de Gé­né­sa­reth. Juif ? ou Sy­rien ? ou Grec ? On ne sait. Mais amou­reux des femmes hé­braïques et des poètes de l’Hellas », ex­plique Pierre Louÿs (« Lettre à Paul Va­léry du 31.X.1891 » dans Su­zanne Lar­nau­die, « Paul Va­léry et la Grèce », éd. Droz, Ge­nève, p. 38). Haut
  4. En grec « Στέφανος ». Haut
  1. En grec Φίλιππος ὁ Θεσσαλονικεύς. Haut
  2. En grec Ἀγαθίας. Haut
  3. En grec Κωνσταντῖνος ὁ Κεφαλᾶς. Haut

« Une Journée de nô »

éd. Gallimard-UNESCO, coll. UNESCO d’œuvres représentatives-Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard-UNESCO, coll. UNESCO d’œuvres re­pré­sen­ta­tives-Connais­sance de l’Orient, Pa­ris

Il s’agit de « Sa­ne­mori »1 et autres nô. Les Ja­po­nais ont le rare pri­vi­lège de pos­sé­der, en propre, une forme de drame ly­rique — le « nô »2 (XIVe-XVe siècle apr. J.-C.) — qui mal­gré la dif­fé­rence ab­so­lue des tra­di­tions, des su­jets et de cer­tains modes d’expression, peut être com­pa­rée, sans trop de pa­ra­doxe, à la tra­gé­die grecque du siècle de Pé­ri­clès. Comme cette tra­gé­die, le nô fut tout d’abord le dé­ve­lop­pe­ment et comme l’annexe des chants, danses et chœurs qui ac­com­pa­gnaient la cé­lé­bra­tion des cé­ré­mo­nies re­li­gieuses. Une déesse, disent les Ja­po­nais, inau­gura cette forme théâ­trale, et voici dans quelles cir­cons­tances, si l’on en croit le « Ko­jiki ». Grande-Au­guste-Kami-Illu­mi­nant-le-Ciel, ir­ri­tée des mé­chan­ce­tés de son frère, dé­cida, un jour, de se ca­cher dans la grotte ro­cheuse du ciel dont elle barra la porte. De ce fait, le ciel et la terre furent plon­gés dans de pro­fondes té­nèbres. Et cha­cun, on le pense bien, était fort in­quiet. Les huit mil­lions de dieux se ras­sem­blèrent alors sur les bords de la Voie lac­tée, pour dé­li­bé­rer des me­sures qu’il conve­nait de prendre, afin de faire ces­ser cette si­tua­tion cri­tique. Confor­mé­ment à leur avis, on es­saya bien des ruses pour for­cer Grande-Au­guste-Kami-Illu­mi­nant-le-Ciel à sor­tir de sa grotte, mais au­cune ne réus­sit. C’est alors que Ma­jesté-Fé­mi­nine-Uzu-Cé­leste eut l’idée d’exécuter une danse ori­gi­nale : « Se coif­fant de branches de fu­sain cé­leste… elle ren­versa un fût vide de­vant la porte de la grotte et cla­qua des ta­lons. Tout en dan­sant jusqu’au pa­roxysme elle dé­cou­vrit sa poi­trine et baissa la cein­ture de son vê­te­ment jusqu’à son sexe. Alors la Haute-Plaine-du-Ciel de­vint bruyante, et les huit mil­lions de “ka­mis” se mirent à rire »3. Grande-Au­guste-Kami-Illu­mi­nant-le-Ciel, in­tri­guée, entr’ouvrit la porte de sa pri­son vo­lon­taire. La lu­mière re­pa­rut au ciel et sur terre. Le di­ver­tis­se­ment di­vin de ce temps-là fut, dit-on, le pre­mier des nô.

  1. En ja­po­nais « 実盛 ». Haut
  2. En ja­po­nais . Par­fois trans­crit « noh » ou « nou ». Haut
  1. « Le “Ko­jiki” », p. 83-84. Haut