Il s’agit d’une traduction partielle des « Odes » (« Oden ») du comte August von Platen, dit Auguste de Platen, poète allemand (XIXe siècle). Il appartenait à une famille noble et fut destiné, selon un usage répandu dans les pays germaniques, à l’état militaire. Mais une ironie du destin sembla prendre plaisir à lui enlever toute occasion de briller sur un champ de bataille. Car le jour où il devint officier dans l’armée, le 31 mars 1814, fut le jour même où les Alliés mettaient fin à leur première campagne de France. Et quand, lors de la deuxième, la division bavaroise dont il faisait partie passa le Rhin à Mannheim, le 13 juin 1815, elle se trouva bien trop loin de Waterloo pour prendre part au moindre combat. Aussi, notre soldat rentra en Allemagne en n’ayant accompli, selon ses mots, qu’une « action pacifique » 1 en cette guerre. L’amour d’une Française émigrée à Munich, la jolie marquise Euphrasie de Boisséson, sembla désormais poindre en son cœur. Voici à quelle occasion il avait fait sa rencontre : « À la suite de la victoire remportée sur la France, il y eut ce matin un “Te Deum” à la chapelle royale où j’étais de service. La joie me fut donnée d’y rencontrer la jeune marquise de B. qui est certainement la plus jolie jeune fille à la Cour » 2. Mais cet amour féminin, le seul, paraît-il, de sa vie, fut vite dissipé. Confiné dans une fierté altière, un farouche isolement, il montra de plus en plus de mépris pour les temps où il vivait et les goûts dominants de sa nation, qui n’offraient à ses yeux que platitude et bassesse. Voué au seul service de la beauté antique, « immuable et toujours essentielle » (« unwandelbar und stets bedeutsam »), il partit pour le sol sacré de l’Italie, qu’il appela sa véritable patrie, et dont il s’institua le grand prêtre. Ses poèmes en mètres « antiquisants » allemands, où il chanta tantôt les déceptions humaines, tantôt les ruines majestueuses de Rome, tantôt Venise et le « soupir éternel » qui sort des « palais où trônaient jadis la joie et l’allégresse » 3, sont les fleurs les plus précieuses de sa couronne lyrique. La décadence présente, la gloire déchue des cités italiennes, ne jetant plus que l’ombre de leurs anciens jours, se voit déplorée par lui avec une sobriété et une vérité de coloris qui font partager au lecteur l’émotion de l’écrivain. « Aucun poète », dit le comte Adolphe de Circourt, « n’a senti plus profondément que Platen, n’a exprimé avec plus de vérité, cette émotion généreuse que l’aspect d’une grande ruine, la dissolution d’une antique puissance fait éprouver aux âmes capables de sympathie pour ce que la Terre voit passer d’élevé. » « Je n’ai pu moins faire que de reconnaître la richesse de son talent », nuance Gœthe 4, « mais il lui manque l’amour. Jamais il n’exercera toute l’action qu’il aurait dû. »
ghazels
sujet
comte de Platen, « Églogues et Idylles • L’Élégie “Au théâtre de Taormina” »
Il s’agit des « Églogues et Idylles » (« Eklogen und Idyllen ») et « L’Élégie “Au théâtre de Taormina” » (« Die Elegie “Im Theater von Taormina” ») du comte August von Platen, dit Auguste de Platen, poète allemand (XIXe siècle). Il appartenait à une famille noble et fut destiné, selon un usage répandu dans les pays germaniques, à l’état militaire. Mais une ironie du destin sembla prendre plaisir à lui enlever toute occasion de briller sur un champ de bataille. Car le jour où il devint officier dans l’armée, le 31 mars 1814, fut le jour même où les Alliés mettaient fin à leur première campagne de France. Et quand, lors de la deuxième, la division bavaroise dont il faisait partie passa le Rhin à Mannheim, le 13 juin 1815, elle se trouva bien trop loin de Waterloo pour prendre part au moindre combat. Aussi, notre soldat rentra en Allemagne en n’ayant accompli, selon ses mots, qu’une « action pacifique » 1 en cette guerre. L’amour d’une Française émigrée à Munich, la jolie marquise Euphrasie de Boisséson, sembla désormais poindre en son cœur. Voici à quelle occasion il avait fait sa rencontre : « À la suite de la victoire remportée sur la France, il y eut ce matin un “Te Deum” à la chapelle royale où j’étais de service. La joie me fut donnée d’y rencontrer la jeune marquise de B. qui est certainement la plus jolie jeune fille à la Cour » 2. Mais cet amour féminin, le seul, paraît-il, de sa vie, fut vite dissipé. Confiné dans une fierté altière, un farouche isolement, il montra de plus en plus de mépris pour les temps où il vivait et les goûts dominants de sa nation, qui n’offraient à ses yeux que platitude et bassesse. Voué au seul service de la beauté antique, « immuable et toujours essentielle » (« unwandelbar und stets bedeutsam »), il partit pour le sol sacré de l’Italie, qu’il appela sa véritable patrie, et dont il s’institua le grand prêtre. Ses poèmes en mètres « antiquisants » allemands, où il chanta tantôt les déceptions humaines, tantôt les ruines majestueuses de Rome, tantôt Venise et le « soupir éternel » qui sort des « palais où trônaient jadis la joie et l’allégresse » 3, sont les fleurs les plus précieuses de sa couronne lyrique. La décadence présente, la gloire déchue des cités italiennes, ne jetant plus que l’ombre de leurs anciens jours, se voit déplorée par lui avec une sobriété et une vérité de coloris qui font partager au lecteur l’émotion de l’écrivain. « Aucun poète », dit le comte Adolphe de Circourt, « n’a senti plus profondément que Platen, n’a exprimé avec plus de vérité, cette émotion généreuse que l’aspect d’une grande ruine, la dissolution d’une antique puissance fait éprouver aux âmes capables de sympathie pour ce que la Terre voit passer d’élevé. » « Je n’ai pu moins faire que de reconnaître la richesse de son talent », nuance Gœthe 4, « mais il lui manque l’amour. Jamais il n’exercera toute l’action qu’il aurait dû. »
comte de Platen, « Le Livre des épigrammes »
Il s’agit des « Épigrammes » (« Epigramme ») du comte August von Platen, dit Auguste de Platen, poète allemand (XIXe siècle). Il appartenait à une famille noble et fut destiné, selon un usage répandu dans les pays germaniques, à l’état militaire. Mais une ironie du destin sembla prendre plaisir à lui enlever toute occasion de briller sur un champ de bataille. Car le jour où il devint officier dans l’armée, le 31 mars 1814, fut le jour même où les Alliés mettaient fin à leur première campagne de France. Et quand, lors de la deuxième, la division bavaroise dont il faisait partie passa le Rhin à Mannheim, le 13 juin 1815, elle se trouva bien trop loin de Waterloo pour prendre part au moindre combat. Aussi, notre soldat rentra en Allemagne en n’ayant accompli, selon ses mots, qu’une « action pacifique » 1 en cette guerre. L’amour d’une Française émigrée à Munich, la jolie marquise Euphrasie de Boisséson, sembla désormais poindre en son cœur. Voici à quelle occasion il avait fait sa rencontre : « À la suite de la victoire remportée sur la France, il y eut ce matin un “Te Deum” à la chapelle royale où j’étais de service. La joie me fut donnée d’y rencontrer la jeune marquise de B. qui est certainement la plus jolie jeune fille à la Cour » 2. Mais cet amour féminin, le seul, paraît-il, de sa vie, fut vite dissipé. Confiné dans une fierté altière, un farouche isolement, il montra de plus en plus de mépris pour les temps où il vivait et les goûts dominants de sa nation, qui n’offraient à ses yeux que platitude et bassesse. Voué au seul service de la beauté antique, « immuable et toujours essentielle » (« unwandelbar und stets bedeutsam »), il partit pour le sol sacré de l’Italie, qu’il appela sa véritable patrie, et dont il s’institua le grand prêtre. Ses poèmes en mètres « antiquisants » allemands, où il chanta tantôt les déceptions humaines, tantôt les ruines majestueuses de Rome, tantôt Venise et le « soupir éternel » qui sort des « palais où trônaient jadis la joie et l’allégresse » 3, sont les fleurs les plus précieuses de sa couronne lyrique. La décadence présente, la gloire déchue des cités italiennes, ne jetant plus que l’ombre de leurs anciens jours, se voit déplorée par lui avec une sobriété et une vérité de coloris qui font partager au lecteur l’émotion de l’écrivain. « Aucun poète », dit le comte Adolphe de Circourt, « n’a senti plus profondément que Platen, n’a exprimé avec plus de vérité, cette émotion généreuse que l’aspect d’une grande ruine, la dissolution d’une antique puissance fait éprouver aux âmes capables de sympathie pour ce que la Terre voit passer d’élevé. » « Je n’ai pu moins faire que de reconnaître la richesse de son talent », nuance Gœthe 4, « mais il lui manque l’amour. Jamais il n’exercera toute l’action qu’il aurait dû. »
comte de Platen, « Journaux, [ou] Mémorandum de ma vie (1813-1835) »
Il s’agit des « Journaux » (« Die Tagebücher »), ou « Mémorandum de ma vie » (« Memorandum meines Lebens ») du comte August von Platen, dit Auguste de Platen, poète allemand (XIXe siècle). Il appartenait à une famille noble et fut destiné, selon un usage répandu dans les pays germaniques, à l’état militaire. Mais une ironie du destin sembla prendre plaisir à lui enlever toute occasion de briller sur un champ de bataille. Car le jour où il devint officier dans l’armée, le 31 mars 1814, fut le jour même où les Alliés mettaient fin à leur première campagne de France. Et quand, lors de la deuxième, la division bavaroise dont il faisait partie passa le Rhin à Mannheim, le 13 juin 1815, elle se trouva bien trop loin de Waterloo pour prendre part au moindre combat. Aussi, notre soldat rentra en Allemagne en n’ayant accompli, selon ses mots, qu’une « action pacifique » 1 en cette guerre. L’amour d’une Française émigrée à Munich, la jolie marquise Euphrasie de Boisséson, sembla désormais poindre en son cœur. Voici à quelle occasion il avait fait sa rencontre : « À la suite de la victoire remportée sur la France, il y eut ce matin un “Te Deum” à la chapelle royale où j’étais de service. La joie me fut donnée d’y rencontrer la jeune marquise de B. qui est certainement la plus jolie jeune fille à la Cour » 2. Mais cet amour féminin, le seul, paraît-il, de sa vie, fut vite dissipé. Confiné dans une fierté altière, un farouche isolement, il montra de plus en plus de mépris pour les temps où il vivait et les goûts dominants de sa nation, qui n’offraient à ses yeux que platitude et bassesse. Voué au seul service de la beauté antique, « immuable et toujours essentielle » (« unwandelbar und stets bedeutsam »), il partit pour le sol sacré de l’Italie, qu’il appela sa véritable patrie, et dont il s’institua le grand prêtre. Ses poèmes en mètres « antiquisants » allemands, où il chanta tantôt les déceptions humaines, tantôt les ruines majestueuses de Rome, tantôt Venise et le « soupir éternel » qui sort des « palais où trônaient jadis la joie et l’allégresse » 3, sont les fleurs les plus précieuses de sa couronne lyrique. La décadence présente, la gloire déchue des cités italiennes, ne jetant plus que l’ombre de leurs anciens jours, se voit déplorée par lui avec une sobriété et une vérité de coloris qui font partager au lecteur l’émotion de l’écrivain. « Aucun poète », dit le comte Adolphe de Circourt, « n’a senti plus profondément que Platen, n’a exprimé avec plus de vérité, cette émotion généreuse que l’aspect d’une grande ruine, la dissolution d’une antique puissance fait éprouver aux âmes capables de sympathie pour ce que la Terre voit passer d’élevé. » « Je n’ai pu moins faire que de reconnaître la richesse de son talent », nuance Gœthe 4, « mais il lui manque l’amour. Jamais il n’exercera toute l’action qu’il aurait dû. »
comte de Platen, « Sonnets d’amour et Sonnets vénitiens »
Il s’agit des « Sonnets vénitiens » (« Sonette aus Venedig ») et des « Sonnets d’amour » (« Liebessonette ») du comte August von Platen, dit Auguste de Platen, poète allemand (XIXe siècle). Il appartenait à une famille noble et fut destiné, selon un usage répandu dans les pays germaniques, à l’état militaire. Mais une ironie du destin sembla prendre plaisir à lui enlever toute occasion de briller sur un champ de bataille. Car le jour où il devint officier dans l’armée, le 31 mars 1814, fut le jour même où les Alliés mettaient fin à leur première campagne de France. Et quand, lors de la deuxième, la division bavaroise dont il faisait partie passa le Rhin à Mannheim, le 13 juin 1815, elle se trouva bien trop loin de Waterloo pour prendre part au moindre combat. Aussi, notre soldat rentra en Allemagne en n’ayant accompli, selon ses mots, qu’une « action pacifique » 1 en cette guerre. L’amour d’une Française émigrée à Munich, la jolie marquise Euphrasie de Boisséson, sembla désormais poindre en son cœur. Voici à quelle occasion il avait fait sa rencontre : « À la suite de la victoire remportée sur la France, il y eut ce matin un “Te Deum” à la chapelle royale où j’étais de service. La joie me fut donnée d’y rencontrer la jeune marquise de B. qui est certainement la plus jolie jeune fille à la Cour » 2. Mais cet amour féminin, le seul, paraît-il, de sa vie, fut vite dissipé. Confiné dans une fierté altière, un farouche isolement, il montra de plus en plus de mépris pour les temps où il vivait et les goûts dominants de sa nation, qui n’offraient à ses yeux que platitude et bassesse. Voué au seul service de la beauté antique, « immuable et toujours essentielle » (« unwandelbar und stets bedeutsam »), il partit pour le sol sacré de l’Italie, qu’il appela sa véritable patrie, et dont il s’institua le grand prêtre. Ses poèmes en mètres « antiquisants » allemands, où il chanta tantôt les déceptions humaines, tantôt les ruines majestueuses de Rome, tantôt Venise et le « soupir éternel » qui sort des « palais où trônaient jadis la joie et l’allégresse » 3, sont les fleurs les plus précieuses de sa couronne lyrique. La décadence présente, la gloire déchue des cités italiennes, ne jetant plus que l’ombre de leurs anciens jours, se voit déplorée par lui avec une sobriété et une vérité de coloris qui font partager au lecteur l’émotion de l’écrivain. « Aucun poète », dit le comte Adolphe de Circourt, « n’a senti plus profondément que Platen, n’a exprimé avec plus de vérité, cette émotion généreuse que l’aspect d’une grande ruine, la dissolution d’une antique puissance fait éprouver aux âmes capables de sympathie pour ce que la Terre voit passer d’élevé. » « Je n’ai pu moins faire que de reconnaître la richesse de son talent », nuance Gœthe 4, « mais il lui manque l’amour. Jamais il n’exercera toute l’action qu’il aurait dû. »
Moténabbi, « Le Livre des sabres : choix de poèmes »
Il s’agit d’Abou’ltayyib 1, surnommé Moténabbi 2, orgueilleux poète de Cour, rendu célèbre en servant différents princes arabes, en chantant leurs hauts faits et leurs bienfaits, en se brouillant avec eux, en se vengeant par des satires des louanges qu’il leur avait données auparavant. Ses poèmes ont quelquefois de la beauté dans leur éloquence ; mais, plus souvent encore, ils ne brillent que par ce singulier mélange d’insolence et de politesse, de bassesse et d’orgueil qui distingue les courtisans ; cet art de plaire aux grands en se moquant d’eux. Si l’on en croit ses rivaux, ce poète était le fils d’un simple porteur d’eau dans la ville de Koufa (en Irak), quoiqu’il se vantât beaucoup de sa noblesse. Dès sa jeunesse, il fut tourmenté par une ambition incommensurable, réconfortée par les succès de sa poésie, qui était payée très chèrement par les princes auxquels il s’attachait. Bientôt, la tête lui tourna, et il crut pouvoir passer à un aussi juste titre pour prophète en vers, que Mahomet l’avait été en prose ; cela lui valut le surnom de Moténabbi (« celui qui se prétend prophète »). Mais, enfin, quand il se vit dans l’impossibilité de réaliser cet idéal ; quand le temps et les occasions le détrompèrent en le rappelant à une vie si brève, si ordinaire, si fatalement humaine ; quand il songea que des pans entiers de son ambitieuse nature resteraient à jamais ensevelis dans l’ombre, ce fut un débordement d’une amertume sans pareille. « De là, cet amour-propre qui, au lieu de rechercher à bien faire pour gagner l’estime d’autrui et devenir altruisme, se transforme en égoïsme haineux et malveillant à l’égard des autres [ou en] joie quand ils ont échoué », dit M. Joseph Daher 3. Témoin les vers suivants où il dit aux hommes tout le mépris et toute la haine qu’ils lui inspirent : « Je critique les petites gens de ce siècle, car le plus docte d’entre eux est un crétin, le plus énergique un lâche, le plus noble un chien, le plus clairvoyant un aveugle, le plus vigilant un loir, et le plus courageux un singe ».
Abou-Nowâs, « Le Vin, le Vent, la Vie : choix de poèmes »
Il s’agit d’Abou-Nowâs 1 (VIIIe-IXe siècle apr. J.-C.), poète persan d’expression arabe, « ivrogne, pédéraste, libertin, demi-fou de Hâroun al-Rachîd, aussi connu par ses bons mots et ses facéties, que par ses vers » 2. Il naquit à Ahvaz, d’un père arabe qui le laissa orphelin, et d’une mère persane qui le vendit à un marchand d’épices de Bassorah. L’enfant, cependant, n’avait aucune espèce d’aptitude pour le commerce ; il ne prenait intérêt qu’aux choses de l’esprit et affectionnait particulièrement les belles lettres. Il n’avait qu’un désir : celui d’approcher le poète Wâliba ibn al-Houbab. Or, il advint qu’un jour ce poète libertin et amateur de garçons s’arrêta devant la boutique d’épices et distingua le jeune Abou-Nowâs pour sa mine. Il lui proposa de l’emmener avec lui à Bagdad : « J’ai remarqué en toi les signes non équivoques d’un grand talent qui ne demande qu’à s’épanouir », lui dit-il 3. Plus tard, le bruit de son talent étant parvenu aux oreilles de Hâroun al-Rachîd, ce prince le fit venir à sa Cour, où il le logea et répandit sur lui ses bienfaits. Abou-Nowâs, par ses saillies aussi heureuses que hardies, par son savoir des expressions rares et par le charme de ses poésies, fit les délices de la Cour brillante de ce prince. Al-Jahiz, l’un des hommes les plus érudits de ce temps, disait : « Je ne connais pas à Abou-Nowâs d’égal pour la connaissance de la langue arabe ». Et Abou-Nowâs disait lui-même : « Je n’ai pas dit un vers avant d’avoir étudié soixante poétesses, dont al-Khansâ et Laylâ, et que dire du nombre des poètes ! » 4 Jamais il ne renia, pour autant, ses origines persanes : il se moqua sans retenue de la gloire des Arabes « qui ne sont pas les seuls élus de Dieu » ; il attaqua cet esprit de race, cet orgueil tribal si important dans la poésie arabe, et dont s’armait un Férazdak peu de temps auparavant ; enfin, sa nature raffinée et dissolue refusa de se plier aux mœurs austères du Bédouin « mangeur de lézard et buveur d’eau de puits dans les outres » menant une vie précaire sur une « terre aride peuplée d’hyènes et de chacals »
Abou-Nowâs, « Poèmes bachiques et libertins »
Il s’agit d’Abou-Nowâs 1 (VIIIe-IXe siècle apr. J.-C.), poète persan d’expression arabe, « ivrogne, pédéraste, libertin, demi-fou de Hâroun al-Rachîd, aussi connu par ses bons mots et ses facéties, que par ses vers » 2. Il naquit à Ahvaz, d’un père arabe qui le laissa orphelin, et d’une mère persane qui le vendit à un marchand d’épices de Bassorah. L’enfant, cependant, n’avait aucune espèce d’aptitude pour le commerce ; il ne prenait intérêt qu’aux choses de l’esprit et affectionnait particulièrement les belles lettres. Il n’avait qu’un désir : celui d’approcher le poète Wâliba ibn al-Houbab. Or, il advint qu’un jour ce poète libertin et amateur de garçons s’arrêta devant la boutique d’épices et distingua le jeune Abou-Nowâs pour sa mine. Il lui proposa de l’emmener avec lui à Bagdad : « J’ai remarqué en toi les signes non équivoques d’un grand talent qui ne demande qu’à s’épanouir », lui dit-il 3. Plus tard, le bruit de son talent étant parvenu aux oreilles de Hâroun al-Rachîd, ce prince le fit venir à sa Cour, où il le logea et répandit sur lui ses bienfaits. Abou-Nowâs, par ses saillies aussi heureuses que hardies, par son savoir des expressions rares et par le charme de ses poésies, fit les délices de la Cour brillante de ce prince. Al-Jahiz, l’un des hommes les plus érudits de ce temps, disait : « Je ne connais pas à Abou-Nowâs d’égal pour la connaissance de la langue arabe ». Et Abou-Nowâs disait lui-même : « Je n’ai pas dit un vers avant d’avoir étudié soixante poétesses, dont al-Khansâ et Laylâ, et que dire du nombre des poètes ! » 4 Jamais il ne renia, pour autant, ses origines persanes : il se moqua sans retenue de la gloire des Arabes « qui ne sont pas les seuls élus de Dieu » ; il attaqua cet esprit de race, cet orgueil tribal si important dans la poésie arabe, et dont s’armait un Férazdak peu de temps auparavant ; enfin, sa nature raffinée et dissolue refusa de se plier aux mœurs austères du Bédouin « mangeur de lézard et buveur d’eau de puits dans les outres » menant une vie précaire sur une « terre aride peuplée d’hyènes et de chacals »
« Mémoire sur Khâcâni : poète persan du XIIe siècle »
Il s’agit de Khagani Chirvani 1 (XIIe siècle apr. J.-C.), excellent poète persan, chantre attitré du sultan de la principauté de Chirvan 2 (Azerbaïdjan). Il s’est décrit lui-même en ces mots : « Je suis grand, je suis du nombre des esprits ; je suis du monde occulte et je suis saint par ma naissance. Comment est-il donc possible que mon être puisse se laisser subjuguer par la matière ? La raison me servit de gouvernante ; ma nourriture était la loi du Prophète ; l’esprit était mon berceau » 3. Il naquit à Chamakha 4, chef-lieu du Chirvan, d’un père musulman et d’une mère chrétienne, mais il fut bientôt abandonné aux soins de son oncle, Mirza Kafi, médecin et droguiste. Cet oncle eut une grande influence sur la jeunesse de notre poète. C’est lui qui, chaque soir, après avoir fermé sa boutique, lui enseignait la langue arabe, la médecine, l’astronomie et la métaphysique. Malgré tout son attachement pour son neveu, le pédagogue oriental, fidèle au système d’éducation généralement admis, avait souvent recours au bâton pour stimuler le zèle de son élève. Le poète parle de ces corrections corporelles d’une manière originale ; il dit notamment : « En ai-je mangé du gourdin dans sa boutique ! Il m’amollissait par le bâton comme on amollit une grenade. On compte parmi les miracles de Moïse qu’en jetant sa baguette, il la convertissait en serpent ; mais mon oncle découvrait le vrai dans mon cœur au moyen de sa baguette, et il traçait sur mon corps les figures des serpents de Moïse » 5. Khagani épousa une villageoise, à cause de laquelle il devint la cible des moqueries des courtisans. Et pourtant, il refusa d’épouser une autre femme et resta auprès de la sienne, qui était faible et d’une constitution maladive. Voici ce qu’il dit dans une lettre : « Pendant les temps des maladies, c’était moi qui prenais soin de cette défunte, son serviteur, et qui lui présentais la cuvette et lui donnais de l’eau pour se laver les mains ; et quand elle a quitté ce monde, comme il était entendu entre nous, je suis parti de Chirvan. Je jure sur la personne de Dieu, qu’il n’y a aucune autre cause qui puisse me tenir éloigné de mon pays, bien que l’ami et l’ennemi pensent autrement ; mais ce que j’ai dit c’est la vérité même » 6. La perte de sa femme inspira au poète trois pièces de vers, dont la première se remarque par l’expression vraie du sentiment qui l’a dictée. De toutes les poésies de Khagani, c’est la seule où il apparaît un homme sincère, la douleur lui faisant oublier, l’espace d’un moment, son langage apprêté et son érudition convenue
« Abou ṭ-Ṭayyib al-Motanabbî, un poète arabe du Xe siècle : essai d’histoire littéraire »
Il s’agit d’Abou’ltayyib 1, surnommé Moténabbi 2, orgueilleux poète de Cour, rendu célèbre en servant différents princes arabes, en chantant leurs hauts faits et leurs bienfaits, en se brouillant avec eux, en se vengeant par des satires des louanges qu’il leur avait données auparavant. Ses poèmes ont quelquefois de la beauté dans leur éloquence ; mais, plus souvent encore, ils ne brillent que par ce singulier mélange d’insolence et de politesse, de bassesse et d’orgueil qui distingue les courtisans ; cet art de plaire aux grands en se moquant d’eux. Si l’on en croit ses rivaux, ce poète était le fils d’un simple porteur d’eau dans la ville de Koufa (en Irak), quoiqu’il se vantât beaucoup de sa noblesse. Dès sa jeunesse, il fut tourmenté par une ambition incommensurable, réconfortée par les succès de sa poésie, qui était payée très chèrement par les princes auxquels il s’attachait. Bientôt, la tête lui tourna, et il crut pouvoir passer à un aussi juste titre pour prophète en vers, que Mahomet l’avait été en prose ; cela lui valut le surnom de Moténabbi (« celui qui se prétend prophète »). Mais, enfin, quand il se vit dans l’impossibilité de réaliser cet idéal ; quand le temps et les occasions le détrompèrent en le rappelant à une vie si brève, si ordinaire, si fatalement humaine ; quand il songea que des pans entiers de son ambitieuse nature resteraient à jamais ensevelis dans l’ombre, ce fut un débordement d’une amertume sans pareille. « De là, cet amour-propre qui, au lieu de rechercher à bien faire pour gagner l’estime d’autrui et devenir altruisme, se transforme en égoïsme haineux et malveillant à l’égard des autres [ou en] joie quand ils ont échoué », dit M. Joseph Daher 3. Témoin les vers suivants où il dit aux hommes tout le mépris et toute la haine qu’ils lui inspirent : « Je critique les petites gens de ce siècle, car le plus docte d’entre eux est un crétin, le plus énergique un lâche, le plus noble un chien, le plus clairvoyant un aveugle, le plus vigilant un loir, et le plus courageux un singe ».
Hâfez, « Le Divan : œuvre lyrique d’un spirituel en Perse au XIVe siècle »
Il s’agit du Divan (Recueil de poésies) de Shams ad-din Mohammad 1, plus connu sous le surnom de Hâfez 2 (« sachant de mémoire le Coran »). La ville de Chiraz, l’Athènes de la Perse, a produit, à un siècle de distance, deux des plus grands poètes de l’Orient ; car il n’y avait pas un demi-siècle que Saadi n’était plus, lorsque Hâfez a paru sur la scène du monde et a illustré sa patrie. L’ardeur de son inspiration lyrique, qui célèbre Dieu sous les symboles apparemment irréligieux de l’amour du vin, des plaisirs des sens, et parfois même de la débauche, désespère interprètes et traducteurs, et fait de son œuvre un exemple parfait de poésie pure. Cette superposition de sens permet toute la gamme des interprétations et laisse le lecteur libre de choisir la signification le mieux en rapport avec son état d’âme du moment. Aussi, de tous les poètes persans, Hâfez est-il le plus universel. Longtemps inconnu en Occident, il a été révélé dans le « Divan oriental-occidental » de Gœthe, grâce à ce compliment, peut-être le plus beau que l’on puisse adresser à un poète, à savoir que sa poésie nous console et nous donne courage dans les vicissitudes de la vie : « À la montée et à la descente, tes chants, Hâfez, charment le pénible chemin de rochers, quand le guide, avec ravissement, sur la haute croupe du mulet, chante pour éveiller les étoiles et pour effrayer les brigands » 3. Oui, chacun croit trouver chez Hâfez ce qu’il cherche : les âmes affligées — un consolateur, les artistes — un modèle sublime de raffinement, les mystiques — un esprit voisin de Dieu, les amants — un guide. Souvent la seule musique des vers suffit pour séduire les illettrés, et pour leur faire sentir tout un ordre de beautés, qu’ils n’avaient peut-être jamais si bien comprises auparavant :
« “Saman-buyân ghobâr-e gham čo benšinand benšânand.” Quand s’assoient ceux qui fleurent le jasmin, ils font tomber la poussière du chagrin. »
- En persan شمس الدین محمد. Parfois transcrit Chams-od-dîn Mohammad, Chams al-din Mohammad, Chams-ad-din Mohamed, Mohammed Schamseddin, Mohammed-Chems-eddyn, Muhammad Schams ad-din, Mohammed Shems ed-din ou Shams ud-dîn Muhammad.
- En persan حافظ. Parfois transcrit Haphyz, Hâfiz, Hhâfiz, Hafis, Hafes, Afez ou Hafedh.