Abou-Nowâs, « Poèmes bachiques et libertins »

éd. Verticales, Paris

éd. Ver­ti­cales, Pa­ris

Il s’agit d’Abou-Nowâs1 (VIIIe-IXe siècle apr. J.-C.), poète per­san d’expression arabe, « ivrogne, pé­dé­raste, li­ber­tin, demi-fou de Hâ­roun al-Ra­chîd, aussi connu par ses bons mots et ses fa­cé­ties, que par ses vers »2. Il na­quit à Ah­vaz, d’un père arabe qui le laissa or­phe­lin, et d’une mère per­sane qui le ven­dit à un mar­chand d’épices de Bas­so­rah. L’enfant, ce­pen­dant, n’avait au­cune es­pèce d’aptitude pour le com­merce ; il ne pre­nait in­té­rêt qu’aux choses de l’esprit et af­fec­tion­nait par­ti­cu­liè­re­ment les belles lettres. Il n’avait qu’un dé­sir : ce­lui d’approcher le poète Wâ­liba ibn al-Hou­bab. Or, il ad­vint qu’un jour ce poète li­ber­tin et ama­teur de gar­çons s’arrêta de­vant la bou­tique d’épices et dis­tin­gua le jeune Abou-Nowâs pour sa mine. Il lui pro­posa de l’emmener avec lui à Bag­dad : « J’ai re­mar­qué en toi les signes non équi­voques d’un grand ta­lent qui ne de­mande qu’à s’épanouir », lui dit-il3. Plus tard, le bruit de son ta­lent étant par­venu aux oreilles de Hâ­roun al-Ra­chîd, ce prince le fit ve­nir à sa Cour, où il le lo­gea et ré­pan­dit sur lui ses bien­faits. Abou-Nowâs, par ses saillies aussi heu­reuses que har­dies, par son sa­voir des ex­pres­sions rares et par le charme de ses poé­sies, fit les dé­lices de la Cour brillante de ce prince. Al-Ja­hiz, l’un des hommes les plus éru­dits de ce temps, di­sait : « Je ne connais pas à Abou-Nowâs d’égal pour la connais­sance de la langue arabe ». Et Abou-Nowâs di­sait lui-même : « Je n’ai pas dit un vers avant d’avoir étu­dié soixante poé­tesses, dont al-Khansâ et Laylâ, et que dire du nombre des poètes ! »4 Ja­mais il ne re­nia, pour au­tant, ses ori­gines per­sanes : il se mo­qua sans re­te­nue de la gloire des Arabes « qui ne sont pas les seuls élus de Dieu » ; il at­ta­qua cet es­prit de race, cet or­gueil tri­bal si im­por­tant dans la poé­sie arabe, et dont s’armait un Fé­raz­dak peu de temps au­pa­ra­vant ; en­fin, sa na­ture raf­fi­née et dis­so­lue re­fusa de se plier aux mœurs aus­tères du Bé­douin « man­geur de lé­zard et bu­veur d’eau de puits dans les outres » me­nant une vie pré­caire sur une « terre aride peu­plée d’hyènes et de cha­cals »5.

« ivrogne, pé­dé­raste, li­ber­tin, demi-fou de Hâ­roun al-Ra­chîd, aussi connu par ses bons mots et ses fa­cé­ties, que par ses vers »

On ra­conte que le gar­dien des tré­sors d’Égypte de­manda un jour à Abou-Nowâs quelle était son ori­gine ; le poète lui ré­pon­dit : « Mon gé­nie me tient lieu d’origine »6. Ici, il au­rait pu ajou­ter que son li­ber­ti­nage lui te­nait lieu de gé­nie ; car adonné qu’il était à tous les plai­sirs, li­cites et illi­cites — avec une pré­fé­rence mar­quée pour ces der­niers — il en fit la ma­tière de ses plus cé­lèbres poèmes. Les scènes qui re­pré­sentent des bu­veurs in­tré­pides, tou­jours al­té­rés, qui ne se laissent pas dis­traire de leurs graves oc­cu­pa­tions par l’appel à la prière que lance vai­ne­ment le muez­zin du haut des mi­na­rets ; la bonne cha­leur du vin servi par une jo­lie fille ha­billée en gar­çon ou un joli gar­çon ha­billé en fille ; tel est le thème de ses poé­sies, que vient tra­ver­ser par­fois le sou­ve­nir triste des ta­vernes dis­pa­rues et des com­pa­gnons dis­per­sés : pen­sée la­men­table, re­fou­lée bien vite à grand ren­fort de vin. On ra­conte que le mor­ceau dont Abou-Nowâs était le plus fier, et qu’il dé­cla­mait im­man­qua­ble­ment si on lui lais­sait le choix, était ce­lui où il avait rendu un dé­li­cat hom­mage aux par­ties in­times d’une in­con­nue : « Ô ca­bane d’un guet­teur sur une cime glis­sante [pour] la main de qui la convoite ! L’ombre y re­vient quand la prend de biais le so­leil, mais quand il lui fait face, elle in­vite à en­trer. J’y dé­po­sai mon tré­sor, sauvé des ar­deurs [de la ca­ni­cule]. Après une courte pause j’y fus gra­ti­fié d’une lé­gère on­dée par les failles des ro­seaux, moi, blotti comme dans les flancs d’une au­tru­chonne »7. Abou-Nowâs mou­rut à Bag­dad en 815 apr. J.-C. ; il pé­rit, semble-t-il, as­sas­siné au mi­lieu d’un fes­tin, vic­time des ran­cunes que sa verve sa­ti­rique avait sus­ci­tées.

Voici un pas­sage qui don­nera une idée de la ma­nière d’Abou-Nowâs :
« L’échanson brun
De la race de Ja­phet,
Dont la taille [est] souple
Comme la ra­mure
Et les seins [sont] aussi pleins qu’une dune,
Fait res­plen­dir dans nos coupes
Un vin qui jette
Au cœur des té­nèbres
L’éclat ful­gu­rant des Gé­meaux !
 »8

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Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  • Ja­mel-Ed­dine Ben­cheikh, « Poé­sies ba­chiques d’Abū Nuwās : thèmes et per­son­nages » dans « Bul­le­tin d’études orien­tales », vol. 18, p. 7-75
  • Wa­cyf Bou­tros Ghali, « Le Jar­din des fleurs : es­sais sur la poé­sie arabe et mor­ceaux choi­sis » (éd. Mer­cure de France, Pa­ris)
  • Clé­ment Huart, « Lit­té­ra­ture arabe » (éd. A. Co­lin, Pa­ris) [Source : Google Livres].
  1. En arabe أبو نواس. Par­fois trans­crit Abou-Na­vas, Abou Na­was, Abou-Nao­vas, Ebu Nü­vas, Abou Nouas, Aboû Nouwâs ou Abū Nuwās. Haut
  2. An­dré Gide, « Es­sais cri­tiques » (éd. Gal­li­mard, coll. Bi­blio­thèque de la Pléiade, Pa­ris), p. 105. Haut
  3. Dans Wa­cyf Bou­tros Ghali, « Le Jar­din des fleurs », p. 212. Haut
  4. Dans id. p. 213. Haut
  1. Dans Ja­mel-Ed­dine Ben­cheikh, « Poé­sies ba­chiques », p. 73. Haut
  2. Dans id. p. 211. Haut
  3. Dans Abû al-Fa­raj, « Mu­siques sur le fleuve », p. 278. Haut
  4. p. 43. Haut