Mot-clefpoésie

genre lit­té­raire

«Susanne-Catherine de Klettenberg et les “Confessions d’une belle âme”»

dans « Le Chrétien évangélique », vol. 23, p. 21-33 & 75-88 & 119-134 & 223-229

dans «Le Chré­tien évan­gé­lique», vol. 23, p. 21-33 & 75-88 & 119-134 & 223-229

Il s’agit du poème «Re­gards je­tés dans l’éternité» («Blicke der Ewig­keit») et autres écrits de Su­sanna von Klet­ten­berg, dite Su­sanne de Klet­ten­berg 1 (XVIIIe siècle), mys­tique al­le­mande, pié­tiste et oc­cul­tiste, âme exal­tée s’adonnant à l’alchimie, amie de la mère de Gœthe. Les deux fa­milles, Gœthe et Klet­ten­berg, étaient ap­pa­ren­tées. Se­lon toute ap­pa­rence, Su­sanne de Klet­ten­berg connut dès son plus jeune âge l’enfant pré­coce qui de­vait, un jour, sub­ju­guer l’Allemagne et le monde en­tier; se­lon toute ap­pa­rence aussi, Gœthe dut à cette noble re­li­gieuse beau­coup des im­pres­sions qui en­tou­rèrent son en­fance et sa jeu­nesse. Elle se trouve mê­lée, de ma­nière très in­time, à tout son dé­ve­lop­pe­ment mo­ral et in­tel­lec­tuel. Écou­tons la des­crip­tion que l’immense poète a lais­sée d’elle dans ses mé­moires : «Elle était», dit-il 2, «d’une taille svelte, de gran­deur moyenne… Sa mise très soi­gnée rap­pe­lait le cos­tume des sœurs her­nutes 3. La sé­ré­nité et le re­pos de l’âme ne la quit­taient ja­mais. Elle consi­dé­rait sa ma­la­die comme un élé­ment né­ces­saire de sa pas­sa­gère exis­tence ter­restre; elle souf­frait avec la plus grande pa­tience, et dans les in­ter­valles, elle était vive et cau­sante». Su­sanne de Klet­ten­berg ap­par­te­nait par sa nais­sance au monde le plus dis­tin­gué de Franc­fort; mais elle s’en était éloi­gnée de bonne heure. Sa santé faible, son édu­ca­tion re­le­vée, la vi­va­cité et l’originalité de son es­prit, son pen­chant pour le sur­na­tu­rel l’avaient pous­sée au mys­ti­cisme chré­tien; aux doc­trines de l’occultisme aussi : c’était le temps où le comte de Ca­glios­tro sé­dui­sait toutes les ima­gi­na­tions. Elle écri­vait en 1769 : «Le Sei­gneur n’est pas in­ac­tif dans notre ville, non plus; Il souffle de mille fa­çons sur les pe­tites étin­celles et les ral­lume… Il n’a cesse jusqu’à ce qu’Il ait trouvé la der­nière de Ses bre­bis» 4. Le fils de son amie al­lait de­ve­nir pour elle cette «bre­bis» éga­rée. Aux en­vi­rons de sa ving­tième an­née, Gœthe était un étu­diant tour­menté, désem­paré, «en quelque sorte comme un nau­fragé» («als ein Schiff­brü­chi­ger»), qui sem­blait «plus souf­frir en­core de l’âme que du corps» 5. Elle trouva en ce jeune homme que la vie avait déçu tout ce qu’elle de­man­dait : une na­ture jeune et im­pres­sion­nable, qui as­pi­rât comme elle à quelque fé­li­cité in­con­nue, et sur qui elle pût prendre de l’ascendant. «Déjà, elle avait étu­dié en se­cret l’“Opus mago-ca­ba­lis­ti­cum” de Wel­ling», dit Gœthe 6, «mais comme [cet] au­teur obs­cur­cit et fait dis­pa­raître aus­si­tôt la lu­mière qu’il com­mu­nique, elle cher­chait un ami qui lui tînt com­pa­gnie dans ces al­ter­na­tives de lu­mière et d’obscurité; elle n’eut pas be­soin de grands ef­forts pour m’inoculer aussi ce [germe]». Sous sa di­rec­tion, Gœthe porta à cette ma­gie ca­ba­lis­tique l’ardeur qu’il met­tait en toutes choses.

  1. Par­fois trans­crit Su­zanne de Klet­ten­berg. Haut
  2. «Œuvres; trad. par Jacques Por­chat. Tome VIII. Mé­moires», p. 293. Haut
  3. Les her­nutes, plus com­mu­né­ment ap­pe­lés mo­raves, étaient des sec­taires chré­tiens d’une grande pu­reté de mœurs. Haut
  1. Hip­po­lyte Loi­seau, «L’Évolution mo­rale de Gœthe : les an­nées de libre for­ma­tion (1749-1794)» (éd. F. Al­can, Pa­ris), p. 98. Haut
  2. «Œuvres; trad. par Jacques Por­chat. Tome VIII. Mé­moires», p. 292. Haut
  3. id. p. 295. Haut

«“Sijiu fu”, En pensant à mes vieux amis»

dans « Esthétique de la musique en Chine médiévale : idéologies, débats et pratiques chez Ruan Ji et Ji Kang » (éd. électronique)

dans «Es­thé­tique de la mu­sique en Chine mé­dié­vale : idéo­lo­gies, dé­bats et pra­tiques chez Ruan Ji et Ji Kang» (éd. élec­tro­nique)

Il s’agit d’«En pen­sant à mes vieux amis» 1Si­jiu fu» 2) et autres œuvres des «Sept Sages du bos­quet de bam­bous» 3Zhu­lin qi xian» 4), un cé­nacle de sept an­ti­con­for­mistes chi­nois, hip­pies avant la lettre, qu’un même dé­goût des conven­tions et un même amour de «la spon­ta­néité na­tu­relle» («zi­ran» 5) réunis­saient vers 260 apr. J.-C. Ji Kang et Ruan Ji 6 ar­ri­vaient en tête de ce groupe d’amis in­sé­pa­rables; sui­vaient Shan Tao, Ruan Xian, Wang Rong, Liu Ling et Xiang Xiu 7. Ils par­cou­raient le bos­quet de Sha­nyang 8 en s’éloignant de l’embarras des af­faires. Ados­sés à de vieux arbres, ils en goû­taient l’ombrage. Au bord d’un ruis­seau, ils com­po­saient des poèmes. Égayés par le va-et-vient de la faune et par la splen­deur de la flore, ils jouaient des mé­lo­dies cé­lestes, sur le point de s’envoler en dan­sant dans les airs. De­man­dant à l’ivresse l’oubli de la tris­tesse, ils au­raient pu avoir pour de­vise : «Quand mon verre est plein, je le vide; quand il est vide, je le plains». Un jour que Ruan Ji, l’un des sept, était à jouer aux échecs, on vint lui ap­prendre la mort de sa mère; son ad­ver­saire vou­lut aus­si­tôt in­ter­rompre la par­tie, mais Ruan Ji, oc­cupé de son jeu, vou­lut conti­nuer. Il se fit même ap­por­ter deux vases de vin, qu’il vida, et sor­tit si saoul qu’il fal­lut le por­ter chez lui. Un contem­po­rain, Pei Kai 9, alla lui of­frir ses condo­léances et le vit fai­sant cuire de la viande de porc et sif­flant 10; il com­menta : «Ruan Ji est un homme au-delà de la mo­ra­lité or­di­naire; c’est pour­quoi il ne res­pecte pas les cé­ré­mo­nies ri­tuelles. Des gens comme vous et moi ap­par­te­nons [au contraire] au do­maine de la cou­tume…» 11 Ji Kang ren­dit alors vi­site à Ruan Ji en ap­por­tant sa ci­thare et du vin. Telle fut la pre­mière ren­contre entre ces er­mites hors des règles so­ciales, à l’origine du cé­nacle «du bos­quet de bam­bous». Pour­tant, l’attitude des sept à l’égard de la bois­son semble avoir été plus es­thé­tique que char­nelle. En voici une preuve : Le voi­sin de Ruan Ji avait une fort jo­lie femme. Elle ven­dait du vin, et Ruan Ji et Wang Rong al­laient boire chez elle; quel­que­fois, lorsque Ruan Ji était ivre, il s’endormait à côté d’elle. Au dé­but, na­tu­rel­le­ment, le mari de la jeune femme se mé­fiait beau­coup; puis, ayant ob­servé at­ten­ti­ve­ment ce qui se pas­sait, «il se ren­dit compte que Ruan Ji n’avait pas d’autre in­ten­tion»

  1. Par­fois tra­duit «Pen­sées sur mes an­ciens amis», «Mé­di­ta­tion sur les an­ciens amis» ou «En sou­ve­nir des temps an­ciens». Haut
  2. En chi­nois «思舊賦». Par­fois trans­crit «Sseu kieou fou». Haut
  3. Au­tre­fois tra­duit «Sept Amis de la fo­rêt de bam­bou», «Sept Hommes ver­tueux de la fo­rêt de bam­bous», «Sept Sages de la bam­bou­se­raie» ou «Sept Sages de Tchou-lin». Haut
  4. En chi­nois 竹林七賢. Au­tre­fois trans­crit «Tchou-lin ts’i-hien» ou «Chu-lin ch’i-hsien». Haut
  5. En chi­nois 自然. Haut
  6. En chi­nois 阮籍. Au­tre­fois trans­crit Yuan Tsi ou Jouan Tsi. Haut
  1. En chi­nois 山濤, 阮咸, 王戎, 劉伶 et 向秀 (res­pec­ti­ve­ment). Par­fois trans­crit Shan T’ao, Yüan Hsien, Wang Jung, Liu Ling et Hsiang Hsiu; ou Chan T’ao, Yuan Hien, Wang Jong, Lieou Ling et Hiang Sieou (res­pec­ti­ve­ment). Haut
  2. En chi­nois 山陽. Haut
  3. En chi­nois 裴楷. Haut
  4. Ce qui était ri­gou­reu­se­ment pros­crit dans les rites de deuil confu­céens. Haut
  5. Dans «Es­thé­tique de la mu­sique en Chine mé­dié­vale», p. 576. Haut

«“Méditations poétiques” de Jouan Tsi [ou Ruan Ji]»

dans « Anthologie de la poésie chinoise classique » (éd. Gallimard-UNESCO, coll. Connaissance de l’Orient, Paris)

dans «An­tho­lo­gie de la poé­sie chi­noise clas­sique» (éd. Gal­li­mard-UNESCO, coll. Connais­sance de l’Orient, Pa­ris)

Il s’agit d’une tra­duc­tion par­tielle des «“Mé­di­ta­tions poé­tiques” de Ruan Ji» 1Ruan Ji “Yong­huai­shi”» 2) et autres œuvres des «Sept Sages du bos­quet de bam­bous» 3Zhu­lin qi xian» 4), un cé­nacle de sept an­ti­con­for­mistes chi­nois, hip­pies avant la lettre, qu’un même dé­goût des conven­tions et un même amour de «la spon­ta­néité na­tu­relle» («zi­ran» 5) réunis­saient vers 260 apr. J.-C. Ji Kang et Ruan Ji 6 ar­ri­vaient en tête de ce groupe d’amis in­sé­pa­rables; sui­vaient Shan Tao, Ruan Xian, Wang Rong, Liu Ling et Xiang Xiu 7. Ils par­cou­raient le bos­quet de Sha­nyang 8 en s’éloignant de l’embarras des af­faires. Ados­sés à de vieux arbres, ils en goû­taient l’ombrage. Au bord d’un ruis­seau, ils com­po­saient des poèmes. Égayés par le va-et-vient de la faune et par la splen­deur de la flore, ils jouaient des mé­lo­dies cé­lestes, sur le point de s’envoler en dan­sant dans les airs. De­man­dant à l’ivresse l’oubli de la tris­tesse, ils au­raient pu avoir pour de­vise : «Quand mon verre est plein, je le vide; quand il est vide, je le plains». Un jour que Ruan Ji, l’un des sept, était à jouer aux échecs, on vint lui ap­prendre la mort de sa mère; son ad­ver­saire vou­lut aus­si­tôt in­ter­rompre la par­tie, mais Ruan Ji, oc­cupé de son jeu, vou­lut conti­nuer. Il se fit même ap­por­ter deux vases de vin, qu’il vida, et sor­tit si saoul qu’il fal­lut le por­ter chez lui. Un contem­po­rain, Pei Kai 9, alla lui of­frir ses condo­léances et le vit fai­sant cuire de la viande de porc et sif­flant 10; il com­menta : «Ruan Ji est un homme au-delà de la mo­ra­lité or­di­naire; c’est pour­quoi il ne res­pecte pas les cé­ré­mo­nies ri­tuelles. Des gens comme vous et moi ap­par­te­nons [au contraire] au do­maine de la cou­tume…» 11 Ji Kang ren­dit alors vi­site à Ruan Ji en ap­por­tant sa ci­thare et du vin. Telle fut la pre­mière ren­contre entre ces er­mites hors des règles so­ciales, à l’origine du cé­nacle «du bos­quet de bam­bous». Pour­tant, l’attitude des sept à l’égard de la bois­son semble avoir été plus es­thé­tique que char­nelle. En voici une preuve : Le voi­sin de Ruan Ji avait une fort jo­lie femme. Elle ven­dait du vin, et Ruan Ji et Wang Rong al­laient boire chez elle; quel­que­fois, lorsque Ruan Ji était ivre, il s’endormait à côté d’elle. Au dé­but, na­tu­rel­le­ment, le mari de la jeune femme se mé­fiait beau­coup; puis, ayant ob­servé at­ten­ti­ve­ment ce qui se pas­sait, «il se ren­dit compte que Ruan Ji n’avait pas d’autre in­ten­tion»

  1. Par­fois tra­duit «En ex­po­sant mes sen­ti­ments», «Ce que j’ai au cœur», «Chants des pro­fondes pen­sées», «En ex­pri­mant ce que je res­sens», «Mes Pen­sées in­times», «Poèmes chan­tant le fond de mon cœur» ou «Poèmes in­times». Haut
  2. En chi­nois «阮籍詠懷詩». Haut
  3. Au­tre­fois tra­duit «Sept Amis de la fo­rêt de bam­bou», «Sept Hommes ver­tueux de la fo­rêt de bam­bous», «Sept Sages de la bam­bou­se­raie» ou «Sept Sages de Tchou-lin». Haut
  4. En chi­nois 竹林七賢. Au­tre­fois trans­crit «Tchou-lin ts’i-hien» ou «Chu-lin ch’i-hsien». Haut
  5. En chi­nois 自然. Haut
  6. En chi­nois 阮籍. Au­tre­fois trans­crit Yuan Tsi ou Jouan Tsi. Haut
  1. En chi­nois 山濤, 阮咸, 王戎, 劉伶 et 向秀 (res­pec­ti­ve­ment). Par­fois trans­crit Shan T’ao, Yüan Hsien, Wang Jung, Liu Ling et Hsiang Hsiu; ou Chan T’ao, Yuan Hien, Wang Jong, Lieou Ling et Hiang Sieou (res­pec­ti­ve­ment). Haut
  2. En chi­nois 山陽. Haut
  3. En chi­nois 裴楷. Haut
  4. Ce qui était ri­gou­reu­se­ment pros­crit dans les rites de deuil confu­céens. Haut
  5. Dans «Es­thé­tique de la mu­sique en Chine mé­dié­vale», p. 576. Haut

«Le Poète Jouan Tsi [ou Ruan Ji] (210-263)»

dans « Chine ancienne : actes du XXIXᵉ Congrès international des orientalistes » (éd. L’Asiathèque, Paris)

dans «Chine an­cienne : actes du XXIXe Congrès in­ter­na­tio­nal des orien­ta­listes» (éd. L’Asiathèque, Pa­ris)

Il s’agit d’une tra­duc­tion par­tielle des «“Mé­di­ta­tions poé­tiques” de Ruan Ji» 1Ruan Ji “Yong­huai­shi”» 2) et autres œuvres des «Sept Sages du bos­quet de bam­bous» 3Zhu­lin qi xian» 4), un cé­nacle de sept an­ti­con­for­mistes chi­nois, hip­pies avant la lettre, qu’un même dé­goût des conven­tions et un même amour de «la spon­ta­néité na­tu­relle» («zi­ran» 5) réunis­saient vers 260 apr. J.-C. Ji Kang et Ruan Ji 6 ar­ri­vaient en tête de ce groupe d’amis in­sé­pa­rables; sui­vaient Shan Tao, Ruan Xian, Wang Rong, Liu Ling et Xiang Xiu 7. Ils par­cou­raient le bos­quet de Sha­nyang 8 en s’éloignant de l’embarras des af­faires. Ados­sés à de vieux arbres, ils en goû­taient l’ombrage. Au bord d’un ruis­seau, ils com­po­saient des poèmes. Égayés par le va-et-vient de la faune et par la splen­deur de la flore, ils jouaient des mé­lo­dies cé­lestes, sur le point de s’envoler en dan­sant dans les airs. De­man­dant à l’ivresse l’oubli de la tris­tesse, ils au­raient pu avoir pour de­vise : «Quand mon verre est plein, je le vide; quand il est vide, je le plains». Un jour que Ruan Ji, l’un des sept, était à jouer aux échecs, on vint lui ap­prendre la mort de sa mère; son ad­ver­saire vou­lut aus­si­tôt in­ter­rompre la par­tie, mais Ruan Ji, oc­cupé de son jeu, vou­lut conti­nuer. Il se fit même ap­por­ter deux vases de vin, qu’il vida, et sor­tit si saoul qu’il fal­lut le por­ter chez lui. Un contem­po­rain, Pei Kai 9, alla lui of­frir ses condo­léances et le vit fai­sant cuire de la viande de porc et sif­flant 10; il com­menta : «Ruan Ji est un homme au-delà de la mo­ra­lité or­di­naire; c’est pour­quoi il ne res­pecte pas les cé­ré­mo­nies ri­tuelles. Des gens comme vous et moi ap­par­te­nons [au contraire] au do­maine de la cou­tume…» 11 Ji Kang ren­dit alors vi­site à Ruan Ji en ap­por­tant sa ci­thare et du vin. Telle fut la pre­mière ren­contre entre ces er­mites hors des règles so­ciales, à l’origine du cé­nacle «du bos­quet de bam­bous». Pour­tant, l’attitude des sept à l’égard de la bois­son semble avoir été plus es­thé­tique que char­nelle. En voici une preuve : Le voi­sin de Ruan Ji avait une fort jo­lie femme. Elle ven­dait du vin, et Ruan Ji et Wang Rong al­laient boire chez elle; quel­que­fois, lorsque Ruan Ji était ivre, il s’endormait à côté d’elle. Au dé­but, na­tu­rel­le­ment, le mari de la jeune femme se mé­fiait beau­coup; puis, ayant ob­servé at­ten­ti­ve­ment ce qui se pas­sait, «il se ren­dit compte que Ruan Ji n’avait pas d’autre in­ten­tion»

  1. Par­fois tra­duit «En ex­po­sant mes sen­ti­ments», «Ce que j’ai au cœur», «Chants des pro­fondes pen­sées», «En ex­pri­mant ce que je res­sens», «Mes Pen­sées in­times», «Poèmes chan­tant le fond de mon cœur» ou «Poèmes in­times». Haut
  2. En chi­nois «阮籍詠懷詩». Haut
  3. Au­tre­fois tra­duit «Sept Amis de la fo­rêt de bam­bou», «Sept Hommes ver­tueux de la fo­rêt de bam­bous», «Sept Sages de la bam­bou­se­raie» ou «Sept Sages de Tchou-lin». Haut
  4. En chi­nois 竹林七賢. Au­tre­fois trans­crit «Tchou-lin ts’i-hien» ou «Chu-lin ch’i-hsien». Haut
  5. En chi­nois 自然. Haut
  6. En chi­nois 阮籍. Au­tre­fois trans­crit Yuan Tsi ou Jouan Tsi. Haut
  1. En chi­nois 山濤, 阮咸, 王戎, 劉伶 et 向秀 (res­pec­ti­ve­ment). Par­fois trans­crit Shan T’ao, Yüan Hsien, Wang Jung, Liu Ling et Hsiang Hsiu; ou Chan T’ao, Yuan Hien, Wang Jong, Lieou Ling et Hiang Sieou (res­pec­ti­ve­ment). Haut
  2. En chi­nois 山陽. Haut
  3. En chi­nois 裴楷. Haut
  4. Ce qui était ri­gou­reu­se­ment pros­crit dans les rites de deuil confu­céens. Haut
  5. Dans «Es­thé­tique de la mu­sique en Chine mé­dié­vale», p. 576. Haut

«Le Poète Xi Kang [ou Ji Kang] et le Club des “Sept Sages de la forêt de bambous”»

dans « Le Taoïsme et les Religions chinoises » (éd. Gallimard, coll. Bibliothèque des histoires, Paris), p. 331-340

dans «Le Taoïsme et les Re­li­gions chi­noises» (éd. Gal­li­mard, coll. Bi­blio­thèque des his­toires, Pa­ris), p. 331-340

Il s’agit de la «Chan­son de la vertu du vin» 1Jiude song» 2) et autres œuvres des «Sept Sages du bos­quet de bam­bous» 3Zhu­lin qi xian» 4), un cé­nacle de sept an­ti­con­for­mistes chi­nois, hip­pies avant la lettre, qu’un même dé­goût des conven­tions et un même amour de «la spon­ta­néité na­tu­relle» («zi­ran» 5) réunis­saient vers 260 apr. J.-C. Ji Kang et Ruan Ji 6 ar­ri­vaient en tête de ce groupe d’amis in­sé­pa­rables; sui­vaient Shan Tao, Ruan Xian, Wang Rong, Liu Ling et Xiang Xiu 7. Ils par­cou­raient le bos­quet de Sha­nyang 8 en s’éloignant de l’embarras des af­faires. Ados­sés à de vieux arbres, ils en goû­taient l’ombrage. Au bord d’un ruis­seau, ils com­po­saient des poèmes. Égayés par le va-et-vient de la faune et par la splen­deur de la flore, ils jouaient des mé­lo­dies cé­lestes, sur le point de s’envoler en dan­sant dans les airs. De­man­dant à l’ivresse l’oubli de la tris­tesse, ils au­raient pu avoir pour de­vise : «Quand mon verre est plein, je le vide; quand il est vide, je le plains». Un jour que Ruan Ji, l’un des sept, était à jouer aux échecs, on vint lui ap­prendre la mort de sa mère; son ad­ver­saire vou­lut aus­si­tôt in­ter­rompre la par­tie, mais Ruan Ji, oc­cupé de son jeu, vou­lut conti­nuer. Il se fit même ap­por­ter deux vases de vin, qu’il vida, et sor­tit si saoul qu’il fal­lut le por­ter chez lui. Un contem­po­rain, Pei Kai 9, alla lui of­frir ses condo­léances et le vit fai­sant cuire de la viande de porc et sif­flant 10; il com­menta : «Ruan Ji est un homme au-delà de la mo­ra­lité or­di­naire; c’est pour­quoi il ne res­pecte pas les cé­ré­mo­nies ri­tuelles. Des gens comme vous et moi ap­par­te­nons [au contraire] au do­maine de la cou­tume…» 11 Ji Kang ren­dit alors vi­site à Ruan Ji en ap­por­tant sa ci­thare et du vin. Telle fut la pre­mière ren­contre entre ces er­mites hors des règles so­ciales, à l’origine du cé­nacle «du bos­quet de bam­bous». Pour­tant, l’attitude des sept à l’égard de la bois­son semble avoir été plus es­thé­tique que char­nelle. En voici une preuve : Le voi­sin de Ruan Ji avait une fort jo­lie femme. Elle ven­dait du vin, et Ruan Ji et Wang Rong al­laient boire chez elle; quel­que­fois, lorsque Ruan Ji était ivre, il s’endormait à côté d’elle. Au dé­but, na­tu­rel­le­ment, le mari de la jeune femme se mé­fiait beau­coup; puis, ayant ob­servé at­ten­ti­ve­ment ce qui se pas­sait, «il se ren­dit compte que Ruan Ji n’avait pas d’autre in­ten­tion»

  1. Par­fois tra­duit «Éloge de la vertu du vin» ou «Hom­mage au mé­rite du vin». Haut
  2. En chi­nois «酒德頌». Au­tre­fois trans­crit «Tsieou tö hiong», «Tsieou-tö song» ou «Chiu-te sung». Haut
  3. Au­tre­fois tra­duit «Sept Amis de la fo­rêt de bam­bou», «Sept Hommes ver­tueux de la fo­rêt de bam­bous», «Sept Sages de la bam­bou­se­raie» ou «Sept Sages de Tchou-lin». Haut
  4. En chi­nois 竹林七賢. Au­tre­fois trans­crit «Tchou-lin ts’i-hien» ou «Chu-lin ch’i-hsien». Haut
  5. En chi­nois 自然. Haut
  6. En chi­nois 阮籍. Au­tre­fois trans­crit Yuan Tsi ou Jouan Tsi. Haut
  1. En chi­nois 山濤, 阮咸, 王戎, 劉伶 et 向秀 (res­pec­ti­ve­ment). Par­fois trans­crit Shan T’ao, Yüan Hsien, Wang Jung, Liu Ling et Hsiang Hsiu; ou Chan T’ao, Yuan Hien, Wang Jong, Lieou Ling et Hiang Sieou (res­pec­ti­ve­ment). Haut
  2. En chi­nois 山陽. Haut
  3. En chi­nois 裴楷. Haut
  4. Ce qui était ri­gou­reu­se­ment pros­crit dans les rites de deuil confu­céens. Haut
  5. Dans «Es­thé­tique de la mu­sique en Chine mé­dié­vale», p. 576. Haut

«Simon-Samuel Frug [ou Siméon Froug]»

dans « Histoire de la littérature judéo-allemande » (éd. Jouve, Paris)

dans «His­toire de la lit­té­ra­ture ju­déo-al­le­mande» (éd. Jouve, Pa­ris)

Il s’agit de «Ré­sur­rec­tion des morts» et autres poé­sies de Si­méon Froug 1, poète juif, qui a dé­fini lui-même les mo­tifs de son éter­nel «la­mento» sur le sort de son peuple dans ces vers : «Je suis la harpe éo­lienne du sort de mon peuple, je suis l’écho de ses dou­leurs et souf­frances» 2. On sup­pose aux tsars russes Alexandre III et Ni­co­las II quelque haine per­son­nelle pour les Juifs. Et un exa­men im­par­tial de leurs dé­crets les montre bien ré­so­lus, non à re­le­ver leurs ouailles or­tho­doxes, comme on au­rait pu l’espérer, mais à ra­bais­ser et mor­ti­fier le reste de leurs su­jets. Un de leurs actes les plus im­por­tants — déjà prévu sous Ca­the­rine II, mais ja­mais tout à fait ap­pli­qué dans toute sa cruauté et sa bar­ba­rie — fut de re­fu­ser le droit aux Juifs de sé­jour­ner ailleurs que dans un fa­tal et tris­te­ment cé­lèbre «parc hu­main», la «zone de ré­si­dence (juive)» 3tcherta (ié­vreïs­koï) os­sed­losti» 4). La vie de ces fa­milles, com­pri­mée, en­ser­rée dans l’étau d’une «zone» sur­peu­plée et moi­sie, où elles étaient ré­duites à men­dier le pain quo­ti­dien, et ag­gra­vée par une sé­rie in­ter­mi­nable de vexa­tions et d’avanies, basses et mes­quines, se prê­tait très mé­dio­cre­ment à la poé­sie. La chape de mo­no­to­nie qui écra­sait ces mi­sé­rables, le zèle ca­pri­cieux des au­to­ri­tés lo­cales, puis bien­tôt, la bes­tia­lité des po­groms — consé­quence di­recte de la po­li­tique du men­songe et de la vio­lence à la­quelle le ré­gime s’employait avec tant d’énergie — fai­saient ou­blier les tra­vaux des muses. Froug fut l’un des rares à me­ner à bien cet ef­froyable la­beur de créer, tan­tôt en russe tan­tôt en yid­dish, une langue poé­tique. Il osa y ex­pri­mer de la sen­si­ble­rie que de piètres es­prits ont qua­li­fiée de «mi­gnonne et fé­mi­nine» et il trans­porta son pu­blic vers les hau­teurs où son gé­nie l’entraînait lui-même. Né en 1860 comme fils d’humbles culti­va­teurs de la prai­rie ukrai­nienne, Froug cultiva son chant en serre chaude, à l’abri des cou­rants lit­té­raires. Ses pre­mières poé­sies pei­gnaient le pay­san la­bou­rant la terre, ou se re­po­sant dans un som­meil pro­fond et mé­rité. «N’étaient les condi­tions de la vie, qui en ont fait un poète de jé­ré­miades, Froug au­rait pu de­ve­nir un Kolt­sov juif», dit Meyer Is­ser Pi­nès. Ce ne fut que lorsque les mi­sères phy­siques et le déses­poir de son peuple, rap­pe­lant ceux de l’ancienne Ju­dée, me­na­cèrent de l’étouffer, que ses poé­sies chan­gèrent d’âme et de su­jet, et qu’il ac­corda sa harpe aux com­plaintes du ghetto. «Rien dans notre vie triste», écrit notre poète 5, «rien ne me fait tant de peine que l’aspect ex­té­rieur d’un Juif : son dos voûté, ses joues creuses, ses mains maigres, sa poi­trine étroite… l’ombre noire de la peur qui est conti­nuel­le­ment sur son vi­sage. Ces yeux… moi­tié rê­veurs et moi­tié crain­tifs, qui courent sans cesse d’un point à l’autre, comme s’ils cher­chaient un abri, pour se ca­cher, se sau­ver d’un dan­ger énorme et im­mi­nent; ces lèvres pâles qui… semblent prêtes à chaque ins­tant à pro­non­cer les mots : “Me voilà, je me sauve!” Tout cet être qui tremble au bruit d’une feuille… me fait éter­nel­le­ment sai­gner le cœur.»

  1. En russe Семён Фруг. Par­fois trans­crit Shi­mon Frug, Si­mon Froug ou Se­men Frug. Haut
  2. En russe «Я — арфа эолова доли народной, я — эхо народных скорбей». Haut
  3. Par­fois tra­duit «cir­cons­crip­tion de sé­den­ta­rité», «zone de peu­ple­ment», «zone d’établissement» ou «zone d’habitation». Haut
  1. En russe «черта (еврейской) оседлости». Haut
  2. «Si­mon-Sa­muel Frug [ou Si­méon Froug]», p. 275. Haut

Froug, «Le Chant du travail • La Coupe»

dans « Anthologie juive : des origines à nos jours » (éd. G. Crès et Cie), p. 233-234 & 251-252

dans «An­tho­lo­gie juive : des ori­gines à nos jours» (éd. G. Crès et Cie), p. 233-234 & 251-252

Il s’agit du «Chant du tra­vail» et «La Coupe» de Si­méon Froug 1, poète juif, qui a dé­fini lui-même les mo­tifs de son éter­nel «la­mento» sur le sort de son peuple dans ces vers : «Je suis la harpe éo­lienne du sort de mon peuple, je suis l’écho de ses dou­leurs et souf­frances» 2. On sup­pose aux tsars russes Alexandre III et Ni­co­las II quelque haine per­son­nelle pour les Juifs. Et un exa­men im­par­tial de leurs dé­crets les montre bien ré­so­lus, non à re­le­ver leurs ouailles or­tho­doxes, comme on au­rait pu l’espérer, mais à ra­bais­ser et mor­ti­fier le reste de leurs su­jets. Un de leurs actes les plus im­por­tants — déjà prévu sous Ca­the­rine II, mais ja­mais tout à fait ap­pli­qué dans toute sa cruauté et sa bar­ba­rie — fut de re­fu­ser le droit aux Juifs de sé­jour­ner ailleurs que dans un fa­tal et tris­te­ment cé­lèbre «parc hu­main», la «zone de ré­si­dence (juive)» 3tcherta (ié­vreïs­koï) os­sed­losti» 4). La vie de ces fa­milles, com­pri­mée, en­ser­rée dans l’étau d’une «zone» sur­peu­plée et moi­sie, où elles étaient ré­duites à men­dier le pain quo­ti­dien, et ag­gra­vée par une sé­rie in­ter­mi­nable de vexa­tions et d’avanies, basses et mes­quines, se prê­tait très mé­dio­cre­ment à la poé­sie. La chape de mo­no­to­nie qui écra­sait ces mi­sé­rables, le zèle ca­pri­cieux des au­to­ri­tés lo­cales, puis bien­tôt, la bes­tia­lité des po­groms — consé­quence di­recte de la po­li­tique du men­songe et de la vio­lence à la­quelle le ré­gime s’employait avec tant d’énergie — fai­saient ou­blier les tra­vaux des muses. Froug fut l’un des rares à me­ner à bien cet ef­froyable la­beur de créer, tan­tôt en russe tan­tôt en yid­dish, une langue poé­tique. Il osa y ex­pri­mer de la sen­si­ble­rie que de piètres es­prits ont qua­li­fiée de «mi­gnonne et fé­mi­nine» et il trans­porta son pu­blic vers les hau­teurs où son gé­nie l’entraînait lui-même. Né en 1860 comme fils d’humbles culti­va­teurs de la prai­rie ukrai­nienne, Froug cultiva son chant en serre chaude, à l’abri des cou­rants lit­té­raires. Ses pre­mières poé­sies pei­gnaient le pay­san la­bou­rant la terre, ou se re­po­sant dans un som­meil pro­fond et mé­rité. «N’étaient les condi­tions de la vie, qui en ont fait un poète de jé­ré­miades, Froug au­rait pu de­ve­nir un Kolt­sov juif», dit Meyer Is­ser Pi­nès. Ce ne fut que lorsque les mi­sères phy­siques et le déses­poir de son peuple, rap­pe­lant ceux de l’ancienne Ju­dée, me­na­cèrent de l’étouffer, que ses poé­sies chan­gèrent d’âme et de su­jet, et qu’il ac­corda sa harpe aux com­plaintes du ghetto. «Rien dans notre vie triste», écrit notre poète 5, «rien ne me fait tant de peine que l’aspect ex­té­rieur d’un Juif : son dos voûté, ses joues creuses, ses mains maigres, sa poi­trine étroite… l’ombre noire de la peur qui est conti­nuel­le­ment sur son vi­sage. Ces yeux… moi­tié rê­veurs et moi­tié crain­tifs, qui courent sans cesse d’un point à l’autre, comme s’ils cher­chaient un abri, pour se ca­cher, se sau­ver d’un dan­ger énorme et im­mi­nent; ces lèvres pâles qui… semblent prêtes à chaque ins­tant à pro­non­cer les mots : “Me voilà, je me sauve!” Tout cet être qui tremble au bruit d’une feuille… me fait éter­nel­le­ment sai­gner le cœur.»

  1. En russe Семён Фруг. Par­fois trans­crit Shi­mon Frug, Si­mon Froug ou Se­men Frug. Haut
  2. En russe «Я — арфа эолова доли народной, я — эхо народных скорбей». Haut
  3. Par­fois tra­duit «cir­cons­crip­tion de sé­den­ta­rité», «zone de peu­ple­ment», «zone d’établissement» ou «zone d’habitation». Haut
  1. En russe «черта (еврейской) оседлости». Haut
  2. «Si­mon-Sa­muel Frug [ou Si­méon Froug]», p. 275. Haut

Froug, «Poésies. “Pianto” • La Harpe magique»

dans « Revue des études franco-russes », 1906, p. 466-470

dans «Re­vue des études franco-russes», 1906, p. 466-470

Il s’agit de «“Pianto”» et «La Harpe ma­gique» de Si­méon Froug 1, poète juif, qui a dé­fini lui-même les mo­tifs de son éter­nel «la­mento» sur le sort de son peuple dans ces vers : «Je suis la harpe éo­lienne du sort de mon peuple, je suis l’écho de ses dou­leurs et souf­frances» 2. On sup­pose aux tsars russes Alexandre III et Ni­co­las II quelque haine per­son­nelle pour les Juifs. Et un exa­men im­par­tial de leurs dé­crets les montre bien ré­so­lus, non à re­le­ver leurs ouailles or­tho­doxes, comme on au­rait pu l’espérer, mais à ra­bais­ser et mor­ti­fier le reste de leurs su­jets. Un de leurs actes les plus im­por­tants — déjà prévu sous Ca­the­rine II, mais ja­mais tout à fait ap­pli­qué dans toute sa cruauté et sa bar­ba­rie — fut de re­fu­ser le droit aux Juifs de sé­jour­ner ailleurs que dans un fa­tal et tris­te­ment cé­lèbre «parc hu­main», la «zone de ré­si­dence (juive)» 3tcherta (ié­vreïs­koï) os­sed­losti» 4). La vie de ces fa­milles, com­pri­mée, en­ser­rée dans l’étau d’une «zone» sur­peu­plée et moi­sie, où elles étaient ré­duites à men­dier le pain quo­ti­dien, et ag­gra­vée par une sé­rie in­ter­mi­nable de vexa­tions et d’avanies, basses et mes­quines, se prê­tait très mé­dio­cre­ment à la poé­sie. La chape de mo­no­to­nie qui écra­sait ces mi­sé­rables, le zèle ca­pri­cieux des au­to­ri­tés lo­cales, puis bien­tôt, la bes­tia­lité des po­groms — consé­quence di­recte de la po­li­tique du men­songe et de la vio­lence à la­quelle le ré­gime s’employait avec tant d’énergie — fai­saient ou­blier les tra­vaux des muses. Froug fut l’un des rares à me­ner à bien cet ef­froyable la­beur de créer, tan­tôt en russe tan­tôt en yid­dish, une langue poé­tique. Il osa y ex­pri­mer de la sen­si­ble­rie que de piètres es­prits ont qua­li­fiée de «mi­gnonne et fé­mi­nine» et il trans­porta son pu­blic vers les hau­teurs où son gé­nie l’entraînait lui-même. Né en 1860 comme fils d’humbles culti­va­teurs de la prai­rie ukrai­nienne, Froug cultiva son chant en serre chaude, à l’abri des cou­rants lit­té­raires. Ses pre­mières poé­sies pei­gnaient le pay­san la­bou­rant la terre, ou se re­po­sant dans un som­meil pro­fond et mé­rité. «N’étaient les condi­tions de la vie, qui en ont fait un poète de jé­ré­miades, Froug au­rait pu de­ve­nir un Kolt­sov juif», dit Meyer Is­ser Pi­nès. Ce ne fut que lorsque les mi­sères phy­siques et le déses­poir de son peuple, rap­pe­lant ceux de l’ancienne Ju­dée, me­na­cèrent de l’étouffer, que ses poé­sies chan­gèrent d’âme et de su­jet, et qu’il ac­corda sa harpe aux com­plaintes du ghetto. «Rien dans notre vie triste», écrit notre poète 5, «rien ne me fait tant de peine que l’aspect ex­té­rieur d’un Juif : son dos voûté, ses joues creuses, ses mains maigres, sa poi­trine étroite… l’ombre noire de la peur qui est conti­nuel­le­ment sur son vi­sage. Ces yeux… moi­tié rê­veurs et moi­tié crain­tifs, qui courent sans cesse d’un point à l’autre, comme s’ils cher­chaient un abri, pour se ca­cher, se sau­ver d’un dan­ger énorme et im­mi­nent; ces lèvres pâles qui… semblent prêtes à chaque ins­tant à pro­non­cer les mots : “Me voilà, je me sauve!” Tout cet être qui tremble au bruit d’une feuille… me fait éter­nel­le­ment sai­gner le cœur.»

  1. En russe Семён Фруг. Par­fois trans­crit Shi­mon Frug, Si­mon Froug ou Se­men Frug. Haut
  2. En russe «Я — арфа эолова доли народной, я — эхо народных скорбей». Haut
  3. Par­fois tra­duit «cir­cons­crip­tion de sé­den­ta­rité», «zone de peu­ple­ment», «zone d’établissement» ou «zone d’habitation». Haut
  1. En russe «черта (еврейской) оседлости». Haut
  2. «Si­mon-Sa­muel Frug [ou Si­méon Froug]», p. 275. Haut

«La Poésie de Ji Kang»

dans « Journal asiatique », vol. 248, p. 107-177 & 323-378

dans «Jour­nal asia­tique», vol. 248, p. 107-177 & 323-378

Il s’agit d’«An­goisse au ca­chot» 1You­fen shi» 2) et autres poèmes de Ji Kang 3, vir­tuose de la ci­thare, fervent taoïste, poète at­ta­chant par ses opi­nions et ses ma­nières de voir au­tant que par son ta­lent, chef de file des «Sept Sages du bos­quet de bam­bous» (fa­meux cé­nacle dont je par­le­rai ailleurs). Fier, in­dé­pen­dant, Ji Kang était un homme de la haute so­ciété, époux d’une prin­cesse, mais al­liant un amour mys­tique, presque re­li­gieux, de la na­ture et un pro­fond dé­goût pour les règles et les idées re­çues. Il pro­cla­mait haut et fort, seize siècles avant Flau­bert dans sa «Cor­res­pon­dance» 4, que «les hon­neurs désho­norent; le titre dé­grade; la fonc­tion abru­tit». Dans sa «Lettre de rup­ture avec Shan Tao», il confiait que l’éducation li­ber­taire qu’il a re­çue dans son en­fance a fait de lui «un cerf sau­vage» qui de­vient comme fou à la vue des liens ri­gides que porte au cou tout fonc­tion­naire en poste : «Un cerf sau­vage se pliera à ce qu’on lui a in­cul­qué, pourvu qu’on l’ait cap­turé et pris en main en­core jeune. Mais qu’on lui passe la bride, une fois adulte, et il se dé­bat­tra comme un dé­ment, pour faire vo­ler ses liens, quitte à ruer dans les flammes ou l’eau bouillante». Ji Kang se ju­geait, en somme, to­ta­le­ment in­apte au ser­vice man­da­ri­nal. Aux yeux de ses contem­po­rains, pour un homme de sa classe et de sa condi­tion, c’était un vé­ri­table crime de ne pas être fonc­tion­naire — un crime non seule­ment contre la tra­di­tion, mais contre les as­sises mêmes de l’autorité confu­cia­niste. Ji Kang s’en ren­dait compte, mais son es­prit ex­cen­trique et re­belle l’entraînait ir­ré­sis­ti­ble­ment vers la poé­sie, la mu­sique cé­leste, les ébats dans la na­ture, les pro­me­nades heu­reuses au cours des­quelles il se per­dait au point d’oublier le re­tour. La lé­gende se plaît à le re­pré­sen­ter va­ga­bon­dant dans le bos­quet de bam­bous de Sha­nyang où il réunis­sait ses amis, tous plus bi­zarres les uns que les autres, re­cher­chant des plantes dont il pré­pa­rait des drogues d’immortalité, et «se nour­ris­sant des va­peurs roses de l’aurore» («can xia» 5).

  1. Par­fois tra­duit «Rage de mon ca­chot», «Rage en mon ca­chot», «Rage au ca­chot», «Rage d’un pri­son­nier», «Tris­tesse obs­cure», «Ran­cœur se­crète» ou «Noire Exas­pé­ra­tion». Haut
  2. En chi­nois «幽憤詩». Au­tre­fois trans­crit «Yu-fên-shih» ou «Yeou-fen che». Haut
  3. En chi­nois 嵇康. Par­fois trans­crit Xi Kang, Ki Kang, Chi K’ang, Tsi K’ang, Hsi K’ang, Hi K’ang ou Si K’ang. Haut
  1. À Léo­nie Brainne, 10 ou 11.XII.1878; à Guy de Mau­pas­sant, 15.I.1879; à sa nièce Ca­ro­line, 28.II.1880. Haut
  2. En chi­nois 餐霞. L’une des ap­ti­tudes des im­mor­tels. Haut

Abaï, «Poésie et Prose»

éd. eL, Almaty

éd. eL, Al­maty

Il s’agit d’Abaï Kou­nan­baïouly 1, dit Abaï Kou­nan­baïev 2, poète éclairé et hu­ma­niste, in­tel­lec­tuel mu­sul­man, tra­duc­teur de Pou­ch­kine, Ler­mon­tov et Kry­lov, père des lettres ka­za­khes (XIXe siècle). En 1956, Louis Ara­gon fon­dait la col­lec­tion «Lit­té­ra­tures so­vié­tiques» chez Gal­li­mard; et parmi les œuvres choi­sies se trou­vait le ro­man de Mou­kh­tar Aoué­zov, «Abaï». Dans son pré­am­bule, Ara­gon gra­ti­fiait le lec­teur fran­co­phone de quelques aper­çus sur le Ka­za­khs­tan; et le ro­man d’Aouézov l’entraînait au cœur de la steppe, chez les To­bykty 3, la tribu d’Abaï, dont il re­tra­çait la vie. Ce double tra­vail re­nou­ve­lait l’intérêt pour un poète qui avait ou­vert les yeux des Ka­za­khs sur les choses du monde et sus­ci­tait les pre­mières tra­duc­tions des œuvres d’Abaï. Mais peut-être de­vrais-je moins par­ler d’Aragon et d’Aouézov que du poète ka­zakh qui est mon su­jet. Abaï nais­sait en 1845. L’année sui­vante, le Ka­za­khs­tan était rat­ta­ché à la Rus­sie. Le peuple était ré­duit au der­nier de­gré de la mi­sère; il ne s’était pas en­core dé­li­vré des chaînes de l’esclavage féo­dal, que déjà il tom­bait sous le joug cruel du tsa­risme russe. Âme d’intellectuel, cœur de poète, Abaï com­pren­dra les mal­heurs de ses com­pa­triotes, et épris des idéaux de li­berté, de jus­tice, il brû­lera du dé­sir de les ré­pandre au­tour de lui. Il dé­bu­tera plein d’empressement, d’espérance. Hé­las! que de dés­illu­sions, que d’amères dé­cep­tions l’attendront dans la suite. Toute sa jeune éner­gie, toute sa ro­buste in­tel­li­gence se consu­mera au mi­lieu de l’indifférence gé­né­rale. Et ar­rivé au seuil de la mort, «privé de forces» 4, il dé­cou­vrira que rien n’a changé; qu’il a trop man­qué de sou­tiens; que ses bons conseils ont laissé de marbre «tant de lé­gions de [gens] en­li­sés dans leurs ha­bi­tudes» 5 «proies fa­ciles» 6 de chefs cor­rom­pus, de ma­gis­trats mal­hon­nêtes, de mol­lahs ignares ou bien de leur propre veu­le­rie et né­gli­gence. Il criera son déses­poir, sa so­li­tude spi­ri­tuelle, ses vaines luttes contre l’inertie de son siècle dans ses poé­sies de ma­tu­rité et sur­tout dans «Le Livre des dits» 7, ou lit­té­ra­le­ment «Les Pa­roles noires» («Kara söz­deri» 8), sorte de tes­ta­ment en prose. Pui­sant aux sources turco-per­sanes et russes, faite de sueur et de sang ka­za­khs, son œuvre lit­té­raire se dres­sera, so­li­taire, dans le ciel de la steppe comme l’un de ces «cèdres du Li­ban al­tiers et éle­vés», l’un de ces «chênes du Ba­chân» cé­lé­brés dans la Bible 9.

  1. En ka­zakh Абай Құнанбайұлы. Au­tre­fois trans­crit Ku­nan­baïuly ou Ku­nan­baiuli. On ren­contre aussi la gra­phie Ибраһим (Ibra­him), Abaï étant la dé­for­ma­tion de ce pré­nom mu­sul­man. Au­tre­fois trans­crit Ibra­gim, Ibro­ghim ou Ibra­ghim. Haut
  2. En russe Абай Кунанбаев. Par­fois trans­crit Kou­nan­baev, Ku­nan­baev, Qu­nan­baev, Ku­nan­baiev, Ku­nan­bayev, Kou­nan­bayev, Qu­nan­ba­jev ou Ku­nan­ba­jev. Haut
  3. En ka­zakh Тобықты. Haut
  4. p. 91. Haut
  5. p. 74. Haut
  1. p. 23. Haut
  2. Au­tre­fois tra­duit «Ré­flexions en prose», «Ser­mons» ou «Pa­roles édi­fiantes». Haut
  3. En ka­zakh «Қара сөздері». On ren­contre aussi la gra­phie «Қара сөз» («Kara söz»). Par­fois trans­crit «Qara söz». Haut
  4. «Livre d’Isaïe», II, 13; «Za­cha­rie», XI, 1-2; «Livre d’Ézéchiel», XXVII, 5-6; etc. Haut

Yang Xiong, «Rhapsodie du grand mystère, “Taixuan fu”»

dans « Anthologie de la poésie chinoise » (éd. Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, Paris)

dans «An­tho­lo­gie de la poé­sie chi­noise» (éd. Gal­li­mard, coll. Bi­blio­thèque de la Pléiade, Pa­ris)

Il s’agit de la «Rhap­so­die de la chasse des gardes im­pé­riaux» 1Yu­lie fu» 2), de la «Rhap­so­die du grand mys­tère» 3Taixuan fu» 4) et autres poé­sies de Yang Xiong 5, un des re­pré­sen­tants mi­neurs de la lit­té­ra­ture et de la pen­sée chi­noise, imi­ta­teur des clas­siques. Il vit le jour en l’an 53 av. J.-C. et mou­rut en l’an 18 apr. J.-C. Issu d’une fa­mille noble, mais dont «les pos­ses­sions n’atteignaient pas même dix “jin” d’or», et qui «man­quait de ré­serves en grains», il réus­sit à avoir pour maîtres les meilleurs pro­fes­seurs de Shu 6 (l’actuelle pro­vince de Si­chuan) : Zhuang Zun, Li Hong et Lin Lü. Tous les trois étaient ex­perts en di­vi­na­tion, en si­no­grammes «étranges» (ceux an­té­rieurs à la gra­phie qui s’imposa sous les Qin) et en tra­di­tions confu­céennes et taoïstes. La qua­ran­taine pas­sée, il par­tit de Shu et s’en alla à la ca­pi­tale Chang’an 7 où on le mo­qua pour sa pa­role em­bar­ras­sée et sa fa­çon d’écrire en style de sa pro­vince — «un style», di­sait-on, «dé­tes­table» 8. En l’an 11 apr. J.-C., tou­jours obs­cur et pauvre mal­gré ses fonc­tions de «gen­til­homme de la porte jaune» 9huang­men lang» 10), il fut faus­se­ment ac­cusé d’avoir trempé dans le com­plot contre le nou­vel Em­pe­reur Wang Mang. En déses­poir de cause, il sauta du haut d’une tour de la Bi­blio­thèque im­pé­riale, mais sur­vé­cut à ses bles­sures et fut mis hors de cause par l’Empereur en per­sonne. Peu après, cette épi­gramme cir­cula dans la ca­pi­tale, lui re­pro­chant ses ha­bi­tudes d’ermite, son goût presque sus­pect pour la so­li­tude et le si­lence :

«“So­li­taire et si­len­cieux”
Il se jette du haut de la tour!
“Pur et tran­quille”
Il com­pose des pré­sages!
»

  1. Au­tre­fois tra­duit «“Fou” sur la chasse avec les gardes im­pé­riaux» ou «Des­crip­tion de la chasse (où les sol­dats por­taient) des plu­mages». Haut
  2. En chi­nois «羽獵賦». Par­fois trans­crit «Yü-lieh fu» ou «Yu-lie fou». Haut
  3. C’est le pen­dant poé­tique du «Clas­sique du grand mys­tère». Haut
  4. En chi­nois «太玄賦». Par­fois trans­crit «T’ai-hsüan fu» ou «T’ai-hiuan fou». Haut
  5. En chi­nois 揚雄. Au­tre­fois trans­crit Jang-hiong, Yang Hsiung, Yang Hyong ou Yang-hioung. Éga­le­ment connu sous les noms de Yang Ziyun (揚子雲) et de Yang Zi (揚子). Par­fois trans­crit Yang Tzu-yün, Yang Tse Yün ou Yang-tseu. Haut
  1. En chi­nois . Par­fois trans­crit Chu ou Chou. Haut
  2. Aujourd’hui Xi’an (西安). Au­tre­fois trans­crit Tch’ang-ngan. Haut
  3. Dans le père Léon Wie­ger, «His­toire des croyances re­li­gieuses et des opi­nions phi­lo­so­phiques en Chine : de­puis l’origine jusqu’à nos jours», p. 315. Haut
  4. Au­tre­fois tra­duit «gen­til­homme des portes im­pé­riales» ou «se­cré­taire des portes im­pé­riales». Haut
  5. En chi­nois 黃門郎. Au­tre­fois trans­crit «houang-men lang». Haut

Lucilius, «L’Etna»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de «L’Etna» («Ætna»), poème scien­ti­fique, qui dé­crit et ex­plique les causes na­tu­relles des di­vers phé­no­mènes phy­siques que pré­sente le cé­lèbre vol­can de ce nom (Ier siècle apr. J.-C.). On ne sait pas pré­ci­sé­ment qui en est l’auteur. On lit dans Sé­nèque («Lettres à Lu­ci­lius», lettre LXXIX) que Vir­gile, Ovide et Cor­ne­lius Se­ve­rus ont écrit suc­ces­si­ve­ment sur l’Etna. Il est pos­sible d’attribuer le poème à l’un de ces grands noms. Tou­te­fois, dans le même pas­sage, Sé­nèque in­vite Lu­ci­lius le Jeune (Lu­ci­lius Ju­nior), son ami et son cor­res­pon­dant, à pro­fi­ter de sa tour­née ad­mi­nis­tra­tive en Si­cile pour «abor­der [lui] aussi une ma­tière qui at­tire tous les poètes» et in­siste sur les ex­cel­lentes dis­po­si­tions où est ce der­nier, à la fois par ses pen­chants phi­lo­so­phiques et lit­té­raires et par ses connais­sances lo­cales sur la Si­cile, pour trai­ter du ma­jes­tueux ri­val du Vé­suve. Cela concourt à le faire ac­cep­ter comme l’auteur. Sé­nèque ne lui dit-il pas : «Je ne te connais pas, ou l’Etna te fait déjà ve­nir l’eau à la bouche : tu as­pires à com­po­ser quelque grand ou­vrage égal à ce qu’ont pro­duit tes de­van­ciers»? «L’Etna» compte, se­lon les édi­tions, de 640 à 648 vers hexa­mètres, écrits avec une rare pré­ci­sion de style. Pos­té­rieur d’un demi-siècle aux «As­tro­no­miques», il pro­cède à peu près du même es­prit. Comme Ma­ni­lius, l’auteur de «L’Etna» est un homme dur pour les fables men­teuses ré­pan­dues par les poètes : «D’abord, qu’on ne se laisse pas abu­ser par les fic­tions des poètes» («Prin­ci­pio, ne quem ca­piat fal­la­cia va­tum»); «c’est en vain que j’essayerais d’expliquer la cause de chaque phé­no­mène, si vous per­sis­tez dans une opi­nion men­son­gère» («frus­tra cer­tis dis­po­nere sin­gula cau­sis ten­ta­mus, si firma ma­net tibi fa­bula men­dax»). Il veut donc des faits, rien que des faits, mais des faits bien avé­rés; il s’y pas­sionne. Comme Lu­crèce, il chante «la dé­li­cieuse vo­lupté» («ju­cunda vo­lup­tas») de la cer­ti­tude scien­ti­fique, la joie triom­phale de la dé­cou­verte : «Toutes ces mer­veilles qui frappent nos yeux dans ce vaste Uni­vers, ne pas les lais­ser dis­per­sées et confon­dues dans la masse des phé­no­mènes, mais les ob­ser­ver, les clas­ser par leur ca­rac­tère dis­tinc­tif : voilà pour l’esprit un plai­sir dé­li­cieux et di­vin». En­fin, il dé­plore que nous autres, mor­tels, nous nous tour­men­tions mi­sé­ra­ble­ment pour des riens, nous sup­por­tions mille fa­tigues dans le vain es­poir de faire for­tune, alors que «chose hon­teuse! les sciences qui… en­seignent le vrai sont ré­duites au si­lence et dé­lais­sées comme in­dif­fé­rentes ou sté­riles».

«Les Minnesingers. Walther von der Vogelweide (1190-1240)»

dans « Bulletin de la Société littéraire de Strasbourg », vol. 2, p. 29-62

dans «Bul­le­tin de la So­ciété lit­té­raire de Stras­bourg», vol. 2, p. 29-62

Il s’agit de «Sous les tilleuls…» («Un­der der lin­den…» 1), «Hé­las! Comme toutes mes an­nées se sont éva­po­rées» 2Owê! War sint vers­wun­den al­liu mî­niu jâr») et autres chants de Wal­ther von der Vo­gel­weide, dit Wal­ther de la Vo­gel­weide, le pre­mier grand poète de langue al­le­mande. «Qu’avez-vous fait», de­manda-t-on une fois à Henri Heine 3, «le pre­mier jour de votre ar­ri­vée à Pa­ris? Quelle fut votre pre­mière course?» On s’attendait à l’entendre nom­mer la place de la Concorde ou bien le Pan­théon. «Tout de suite après mon ar­ri­vée», dit Heine, «j’étais allé à la Bi­blio­thèque royale (l’actuelle Bi­blio­thèque na­tio­nale de France) et je m’étais fait mon­trer par le conser­va­teur le ma­nus­crit des “Min­ne­sin­gers”… Et c’est vrai : de­puis des an­nées, je dé­si­rais voir de mes yeux les chères feuilles qui nous ont conservé les poé­sies de Wal­ther de la Vo­gel­weide, le plus grand ly­rique al­le­mand.» À la fin du XIIe siècle, Vienne, ville aux confins de l’aire ger­ma­nique, en de­vint la mé­tro­pole ar­tis­tique. Elle s’ennoblit par les chants des trou­ba­dours cé­lèbres — les min­ne­sin­gers (chantres d’amour) — dont l’Alsacien Rein­mar de Ha­gue­nau, qui y trans­porta les formes et l’esprit de la poé­sie cour­toise fran­çaise. C’est sous sa di­rec­tion que Vo­gel­weide fit son ap­pren­tis­sage de poète. L’élève sur­passa bien­tôt ses contem­po­rains et son maître; et c’est mer­veille de voir à quel point, entre ses mains ha­biles, le vieux haut-al­le­mand s’assouplit et se ra­dou­cit. Ce­pen­dant, mal­gré ses ser­vices et sa no­blesse, Vo­gel­weide était pauvre, et à la mort du duc Fré­dé­ric Ier d’Autriche, il resta sans pro­tec­teur. Il dut se ré­soudre à quit­ter Vienne et à me­ner une exis­tence va­ga­bonde. Cette date marque un tour­nant dans la lit­té­ra­ture al­le­mande. Au contact des éco­lâtres iti­né­rants, go­liards, jon­gleurs, Vo­gel­weide éten­dit la forme du «min­ne­lied» («chan­son d’amour») à l’amour de la pa­trie, de la beauté, aux ré­flexions mo­rales, aux sen­ti­ments plus per­son­nels et plus vil­la­geois aussi, les jeunes pay­sannes rem­pla­çant les châ­te­laines : «De l’Elbe jusqu’au Rhin», dit-il 4, «et de là jusqu’aux fron­tières de Hon­grie, se ren­contrent bien les meilleures que j’aie vues… Si j’ai bon œil et bon ju­ge­ment pour la beauté, pour la grâce, de par Dieu, je ju­re­rais bien que chez nous les simples femmes valent mieux qu’ailleurs les grandes dames». Une des com­po­si­tions les plus gra­cieuses et les plus fraîches de Vo­gel­weide est sa pas­tou­relle «Sous les tilleuls…», où une jeune femme dé­crit, avec pu­deur et sim­pli­cité, les joies qu’elle a éprou­vées dans les bras de son amant, à l’ombre des arbres té­moins.

  1. On ren­contre aussi la gra­phie «Un­ter den lin­den…». Haut
  2. Par­fois tra­duit «Hé­las! Où sont al­lées toutes mes an­nées», «Hé­las! Que sont de­ve­nues toutes mes an­nées», «Ô tris­tesse! Par où s’est-elle dis­per­sée, la gerbe de mes an­nées», «Hé­las! Où sont-ils, mes ans éva­nouis», «Com­ment ont passé mes an­nées», «Mal­heur à moi! Com­ment se sont éva­nouies, où se sont en­fuies les an­nées de ma vie», «Las, où sont-elles en al­lées, toutes mes an­nées?», «Hé­las! Où sont en­glou­ties toutes mes an­nées?» ou «Hé­las! Où donc ont-elles dis­paru, toutes mes an­nées?». Haut
  1. «Sa­tires et Por­traits», p. 121. Haut
  2. «Les Min­ne­sin­gers. Wal­ther von der Vo­gel­weide», p. 47. Haut