Icône Mot-clefpoésie

genre lit­té­raire

« Chansons des royaumes du “Livre des vers” »

dans « La Nouvelle Revue française », nº 7, p. 5-14 ; nº 8, p. 130-136 ; nº 9, p. 195-204

dans «La Re­vue fran­çaise», nº 7, p. 5-14; nº 8, p. 130-136; nº 9, p. 195-204

Il s’agit d’une tra­duc­tion par­tielle du «Shi Jing» 1, ou «Le Livre des vers». Le ca­rac­tère «shi» si­gni­fie «vers, pièce de vers, poème», parce qu’en ef­fet tout ce livre ne contient que des , com­po­sées entre le XIe et le VIe siècle av. J.-C. On y voit dé­crites les plus an­ciennes cou­tumes des , leurs aux an­cêtres, au , aux autres pou­voirs, leurs rites mil­lé­naires par­ti­ci­pant au des sai­sons. Confu­cius fai­sait grand cas de ces odes et as­su­rait que la doc­trine en était très pure et très sainte : «As-tu tra­vaillé la pre­mière et la se­conde par­tie du “Shi Jing”?», dit-il 2. «Qui vou­drait faire son mé­tier d’ sans tra­vailler la pre­mière et la se­conde par­tie du “Shi Jing” res­tera comme planté le nez contre un mur.» Et en­core : «Mes , pour­quoi au­cun de vous n’étudie-t-il le “Shi Jing”? Le “Shi Jing” per­met de sti­mu­ler, per­met d’observer, per­met de com­mu­nier, per­met de pro­tes­ter. En , il vous ai­dera à ser­vir votre père; dans le , il vous ai­dera à ser­vir votre sou­ve­rain. Et vous y ap­pren­drez les de beau­coup d’, bêtes, et » 3. En même , le phi­lo­sophe pre­nait le parti de dé­cou­vrir dans ces odes une in­ten­tion , un but que per­sonne n’eût soup­çon­nés : «Une seule phrase peut ré­su­mer les trois cents odes du “Shi Jing”, et c’est “pen­ser » 4. Les com­men­ta­teurs chi­nois ont suivi cette d’ du grand ; ils l’ont même lar­ge­ment dé­pas­sée. Ils ont ri­va­lisé d’ingéniosité et en­vi­ronné le «Shi Jing» d’un amas d’exégèse qui a fini par en obs­cur­cir le sens pri­mi­tif.

  1. En chi­nois «詩經». Par­fois trans­crit «Cheu King», «Che’-king», «She King», «Shih Ching», «Schi-king», «Shi King», «Xi Kim», «Chi-kin» ou «Chi King». Icône Haut
  2. «Les En­tre­tiens de Confu­cius; tra­duit du chi­nois par Pierre Ry­ck­mans», XVII, 10. Icône Haut
  1. id. XVII, 9. Icône Haut
  2. id. II, 2. Icône Haut

« Susanne-Catherine de Klettenberg et les “Confessions d’une belle âme” »

dans « Le Chrétien évangélique », vol. 23, p. 21-33 & 75-88 & 119-134 & 223-229

dans «Le Chré­tien évan­gé­lique», vol. 23, p. 21-33 & 75-88 & 119-134 & 223-229

Il s’agit du poème «Re­gards je­tés dans l’éternité» («Blicke der Ewig­keit») et autres de Su­sanna von Klet­ten­berg, dite Su­sanne de Klet­ten­berg 1 (XVIIIe siècle), al­le­mande, pié­tiste et oc­cul­tiste, exal­tée s’adonnant à l’, amie de la mère de Gœthe. Les deux fa­milles, Gœthe et Klet­ten­berg, étaient ap­pa­ren­tées. Se­lon toute ap­pa­rence, Su­sanne de Klet­ten­berg connut dès son plus jeune âge l’enfant pré­coce qui de­vait, un jour, sub­ju­guer l’ et le en­tier; se­lon toute ap­pa­rence aussi, Gœthe dut à cette noble re­li­gieuse beau­coup des im­pres­sions qui en­tou­rèrent son en­fance et sa . Elle se trouve mê­lée, de ma­nière très in­time, à tout son et in­tel­lec­tuel. Écou­tons la que l’immense poète a lais­sée d’elle dans ses mé­moires : «Elle était», dit-il 2, «d’une taille svelte, de gran­deur moyenne… Sa mise très soi­gnée rap­pe­lait le des sœurs her­nutes 3. La et le re­pos de l’âme ne la quit­taient ja­mais. Elle consi­dé­rait sa ma­la­die comme un élé­ment né­ces­saire de sa pas­sa­gère ter­restre; elle souf­frait avec la plus grande pa­tience, et dans les in­ter­valles, elle était vive et cau­sante». Su­sanne de Klet­ten­berg ap­par­te­nait par sa nais­sance au monde le plus dis­tin­gué de Franc­fort; mais elle s’en était éloi­gnée de bonne heure. Sa faible, son re­le­vée, la vi­va­cité et l’originalité de son es­prit, son pen­chant pour le sur­na­tu­rel l’avaient pous­sée au mys­ti­cisme chré­tien; aux de l’ aussi : c’était le où le comte de Ca­glios­tro sé­dui­sait toutes les ima­gi­na­tions. Elle écri­vait en 1769 : «Le Sei­gneur n’est pas in­ac­tif dans notre ville, non plus; Il souffle de mille fa­çons sur les pe­tites étin­celles et les ral­lume… Il n’a cesse jusqu’à ce qu’Il ait trouvé la der­nière de Ses bre­bis» 4. Le fils de son amie al­lait de­ve­nir pour elle cette «bre­bis» éga­rée. Aux en­vi­rons de sa ving­tième an­née, Gœthe était un étu­diant tour­menté, désem­paré, «en quelque sorte comme un nau­fragé» («als ein Schiff­brü­chi­ger»), qui sem­blait «plus souf­frir en­core de l’âme que du » 5. Elle trouva en ce jeune que la avait déçu tout ce qu’elle de­man­dait : une jeune et im­pres­sion­nable, qui as­pi­rât comme elle à quelque fé­li­cité in­con­nue, et sur qui elle pût prendre de l’ascendant. «Déjà, elle avait étu­dié en se­cret l’“Opus mago-ca­ba­lis­ti­cum” de Wel­ling», dit Gœthe 6, «mais comme [cet] au­teur obs­cur­cit et fait dis­pa­raître aus­si­tôt la lu­mière qu’il com­mu­nique, elle cher­chait un ami qui lui tînt com­pa­gnie dans ces al­ter­na­tives de lu­mière et d’obscurité; elle n’eut pas be­soin de grands ef­forts pour m’inoculer aussi ce [germe]». Sous sa di­rec­tion, Gœthe porta à cette ca­ba­lis­tique l’ardeur qu’il met­tait en toutes choses.

  1. Par­fois trans­crit Su­zanne de Klet­ten­berg. Icône Haut
  2. «Œuvres; trad. par Jacques Por­chat. Tome VIII. Mé­moires», p. 293. Icône Haut
  3. Les her­nutes, plus com­mu­né­ment ap­pe­lés mo­raves, étaient des sec­taires chré­tiens d’une grande pu­reté de mœurs. Icône Haut
  1. , «L’Évolution de Gœthe : les an­nées de libre for­ma­tion (1749-1794)» (éd. F. Al­can, Pa­ris), p. 98. Icône Haut
  2. «Œuvres; trad. par Jacques Por­chat. Tome VIII. Mé­moires», p. 292. Icône Haut
  3. id. p. 295. Icône Haut

« “Sijiu fu”, En pensant à mes vieux amis »

dans « Esthétique de la musique en Chine médiévale : idéologies, débats et pratiques chez Ruan Ji et Ji Kang » (éd. électronique)

dans « de la en mé­dié­vale : idéo­lo­gies, dé­bats et pra­tiques chez Ruan Ji et » (éd. élec­tro­nique)

Il s’agit d’«En pen­sant à mes vieux amis» 1Si­jiu » 2) et autres œuvres des «Sept du bos­quet de bam­bous» 3Zhu­lin qi xian» 4), un cé­nacle de sept an­ti­con­for­mistes , hip­pies avant la lettre, qu’un même dé­goût des conven­tions et un même de «la spon­ta­néité na­tu­relle» («zi­ran» 5) réunis­saient vers 260 apr. J.-C. Ji Kang et Ruan Ji 6 ar­ri­vaient en tête de ce groupe d’amis in­sé­pa­rables; sui­vaient Shan , Ruan Xian, Wang Rong, Liu Ling et Xiang Xiu 7. Ils par­cou­raient le bos­quet de Sha­nyang 8 en s’éloignant de l’embarras des af­faires. Ados­sés à de vieux , ils en goû­taient l’ombrage. Au bord d’un ruis­seau, ils com­po­saient des poèmes. Égayés par le va-et-vient de la faune et par la splen­deur de la flore, ils jouaient des mé­lo­dies cé­lestes, sur le point de s’envoler en dan­sant dans les airs. De­man­dant à l’ivresse l’oubli de la tris­tesse, ils au­raient pu avoir pour de­vise : «Quand mon verre est plein, je le vide; quand il est vide, je le plains». Un jour que Ruan Ji, l’un des sept, était à jouer aux échecs, on vint lui ap­prendre la de sa mère; son ad­ver­saire vou­lut aus­si­tôt in­ter­rompre la par­tie, mais Ruan Ji, oc­cupé de son jeu, vou­lut conti­nuer. Il se fit même ap­por­ter deux vases de , qu’il vida, et sor­tit si saoul qu’il fal­lut le por­ter chez lui. Un contem­po­rain, Pei Kai 9, alla lui of­frir ses condo­léances et le vit fai­sant cuire de la de porc et sif­flant 10; il com­menta : «Ruan Ji est un au-delà de la mo­ra­lité or­di­naire; c’est pour­quoi il ne res­pecte pas les cé­ré­mo­nies ri­tuelles. Des gens comme vous et ap­par­te­nons [au contraire] au do­maine de la cou­tume…» 11 Ji Kang ren­dit alors vi­site à Ruan Ji en ap­por­tant sa ci­thare et du vin. Telle fut la pre­mière ren­contre entre ces er­mites hors des règles so­ciales, à l’origine du cé­nacle «du bos­quet de bam­bous». Pour­tant, l’attitude des sept à l’égard de la bois­son semble avoir été plus es­thé­tique que char­nelle. En voici une preuve : Le voi­sin de Ruan Ji avait une fort jo­lie femme. Elle ven­dait du vin, et Ruan Ji et Wang Rong al­laient boire chez elle; quel­que­fois, lorsque Ruan Ji était ivre, il s’endormait à côté d’elle. Au dé­but, na­tu­rel­le­ment, le mari de la jeune femme se mé­fiait beau­coup; puis, ayant ob­servé at­ten­ti­ve­ment ce qui se pas­sait, «il se ren­dit compte que Ruan Ji n’avait pas d’autre in­ten­tion»

  1. Par­fois tra­duit «Pen­sées sur mes an­ciens amis», « sur les an­ciens amis» ou «En des an­ciens». Icône Haut
  2. En chi­nois «思舊賦». Par­fois trans­crit «Sseu kieou fou». Icône Haut
  3. Au­tre­fois tra­duit «Sept Amis de la fo­rêt de bam­bou», «Sept Hommes ver­tueux de la fo­rêt de bam­bous», «Sept Sages de la bam­bou­se­raie» ou «Sept Sages de Tchou-lin». Icône Haut
  4. En chi­nois 竹林七賢. Au­tre­fois trans­crit «Tchou-lin ts’i-hien» ou «Chu-lin ch’i-hsien». Icône Haut
  5. En chi­nois 自然. Icône Haut
  6. En chi­nois 阮籍. Au­tre­fois trans­crit Yuan Tsi ou Jouan Tsi. Icône Haut
  1. En chi­nois 山濤, 阮咸, 王戎, 劉伶 et 向秀 (res­pec­ti­ve­ment). Par­fois trans­crit Shan T’ao, Yüan Hsien, Wang Jung, Liu Ling et Hsiang Hsiu; ou Chan T’ao, Yuan Hien, Wang Jong, Lieou Ling et Hiang Sieou (res­pec­ti­ve­ment). Icône Haut
  2. En chi­nois 山陽. Icône Haut
  3. En chi­nois 裴楷. Icône Haut
  4. Ce qui était ri­gou­reu­se­ment pros­crit dans les rites de confu­céens. Icône Haut
  5. Dans «Es­thé­tique de la mu­sique en Chine mé­dié­vale», p. 576. Icône Haut

« “Méditations poétiques” de Jouan Tsi [ou Ruan Ji] »

dans « Anthologie de la poésie chinoise classique » (éd. Gallimard-UNESCO, coll. Connaissance de l’Orient, Paris)

dans « de la clas­sique» (éd. Gal­li­mard-UNESCO, coll. Connais­sance de l’, Pa­ris)

Il s’agit d’une tra­duc­tion par­tielle des « poé­tiques” de Ruan Ji» 1Ruan Ji “Yong­huai­shi”» 2) et autres œuvres des «Sept du bos­quet de bam­bous» 3Zhu­lin qi xian» 4), un cé­nacle de sept an­ti­con­for­mistes , hip­pies avant la lettre, qu’un même dé­goût des conven­tions et un même de «la spon­ta­néité na­tu­relle» («zi­ran» 5) réunis­saient vers 260 apr. J.-C. Ji Kang et Ruan Ji 6 ar­ri­vaient en tête de ce groupe d’amis in­sé­pa­rables; sui­vaient Shan , Ruan Xian, Wang Rong, Liu Ling et Xiang Xiu 7. Ils par­cou­raient le bos­quet de Sha­nyang 8 en s’éloignant de l’embarras des af­faires. Ados­sés à de vieux , ils en goû­taient l’ombrage. Au bord d’un ruis­seau, ils com­po­saient des poèmes. Égayés par le va-et-vient de la faune et par la splen­deur de la flore, ils jouaient des mé­lo­dies cé­lestes, sur le point de s’envoler en dan­sant dans les airs. De­man­dant à l’ivresse l’oubli de la tris­tesse, ils au­raient pu avoir pour de­vise : «Quand mon verre est plein, je le vide; quand il est vide, je le plains». Un jour que Ruan Ji, l’un des sept, était à jouer aux échecs, on vint lui ap­prendre la de sa mère; son ad­ver­saire vou­lut aus­si­tôt in­ter­rompre la par­tie, mais Ruan Ji, oc­cupé de son jeu, vou­lut conti­nuer. Il se fit même ap­por­ter deux vases de , qu’il vida, et sor­tit si saoul qu’il fal­lut le por­ter chez lui. Un contem­po­rain, Pei Kai 9, alla lui of­frir ses condo­léances et le vit fai­sant cuire de la de porc et sif­flant 10; il com­menta : «Ruan Ji est un au-delà de la mo­ra­lité or­di­naire; c’est pour­quoi il ne res­pecte pas les cé­ré­mo­nies ri­tuelles. Des gens comme vous et ap­par­te­nons [au contraire] au do­maine de la cou­tume…» 11 ren­dit alors vi­site à Ruan Ji en ap­por­tant sa ci­thare et du vin. Telle fut la pre­mière ren­contre entre ces er­mites hors des règles so­ciales, à l’origine du cé­nacle «du bos­quet de bam­bous». Pour­tant, l’attitude des sept à l’égard de la bois­son semble avoir été plus que char­nelle. En voici une preuve : Le voi­sin de Ruan Ji avait une fort jo­lie femme. Elle ven­dait du vin, et Ruan Ji et Wang Rong al­laient boire chez elle; quel­que­fois, lorsque Ruan Ji était ivre, il s’endormait à côté d’elle. Au dé­but, na­tu­rel­le­ment, le mari de la jeune femme se mé­fiait beau­coup; puis, ayant ob­servé at­ten­ti­ve­ment ce qui se pas­sait, «il se ren­dit compte que Ruan Ji n’avait pas d’autre in­ten­tion»

  1. Par­fois tra­duit «En ex­po­sant mes », «Ce que j’ai au cœur», «Chants des pro­fondes pen­sées», «En ex­pri­mant ce que je res­sens», «Mes Pen­sées in­times», «Poèmes chan­tant le fond de mon cœur» ou «Poèmes in­times». Icône Haut
  2. En chi­nois «阮籍詠懷詩». Icône Haut
  3. Au­tre­fois tra­duit «Sept Amis de la fo­rêt de bam­bou», «Sept Hommes ver­tueux de la fo­rêt de bam­bous», «Sept Sages de la bam­bou­se­raie» ou «Sept Sages de Tchou-lin». Icône Haut
  4. En chi­nois 竹林七賢. Au­tre­fois trans­crit «Tchou-lin ts’i-hien» ou «Chu-lin ch’i-hsien». Icône Haut
  5. En chi­nois 自然. Icône Haut
  6. En chi­nois 阮籍. Au­tre­fois trans­crit Yuan Tsi ou Jouan Tsi. Icône Haut
  1. En chi­nois 山濤, 阮咸, 王戎, 劉伶 et 向秀 (res­pec­ti­ve­ment). Par­fois trans­crit Shan T’ao, Yüan Hsien, Wang Jung, Liu Ling et Hsiang Hsiu; ou Chan T’ao, Yuan Hien, Wang Jong, Lieou Ling et Hiang Sieou (res­pec­ti­ve­ment). Icône Haut
  2. En chi­nois 山陽. Icône Haut
  3. En chi­nois 裴楷. Icône Haut
  4. Ce qui était ri­gou­reu­se­ment pros­crit dans les rites de confu­céens. Icône Haut
  5. Dans «Es­thé­tique de la en mé­dié­vale», p. 576. Icône Haut

« Le Poète Jouan Tsi [ou Ruan Ji] (210-263) »

dans « Chine ancienne : actes du XXIXᵉ Congrès international des orientalistes » (éd. L’Asiathèque, Paris)

dans « an­cienne : actes du XXIXe Congrès in­ter­na­tio­nal des » (éd. L’Asiathèque, Pa­ris)

Il s’agit d’une tra­duc­tion par­tielle des « poé­tiques” de Ruan Ji» 1Ruan Ji “Yong­huai­shi”» 2) et autres œuvres des «Sept du bos­quet de bam­bous» 3Zhu­lin qi xian» 4), un cé­nacle de sept an­ti­con­for­mistes , hip­pies avant la lettre, qu’un même dé­goût des conven­tions et un même de «la spon­ta­néité na­tu­relle» («zi­ran» 5) réunis­saient vers 260 apr. J.-C. Ji Kang et Ruan Ji 6 ar­ri­vaient en tête de ce groupe d’amis in­sé­pa­rables; sui­vaient Shan , Ruan Xian, Wang Rong, Liu Ling et Xiang Xiu 7. Ils par­cou­raient le bos­quet de Sha­nyang 8 en s’éloignant de l’embarras des af­faires. Ados­sés à de vieux , ils en goû­taient l’ombrage. Au bord d’un ruis­seau, ils com­po­saient des poèmes. Égayés par le va-et-vient de la faune et par la splen­deur de la flore, ils jouaient des mé­lo­dies cé­lestes, sur le point de s’envoler en dan­sant dans les airs. De­man­dant à l’ivresse l’oubli de la tris­tesse, ils au­raient pu avoir pour de­vise : «Quand mon verre est plein, je le vide; quand il est vide, je le plains». Un jour que Ruan Ji, l’un des sept, était à jouer aux échecs, on vint lui ap­prendre la de sa mère; son ad­ver­saire vou­lut aus­si­tôt in­ter­rompre la par­tie, mais Ruan Ji, oc­cupé de son jeu, vou­lut conti­nuer. Il se fit même ap­por­ter deux vases de , qu’il vida, et sor­tit si saoul qu’il fal­lut le por­ter chez lui. Un contem­po­rain, Pei Kai 9, alla lui of­frir ses condo­léances et le vit fai­sant cuire de la de porc et sif­flant 10; il com­menta : «Ruan Ji est un au-delà de la mo­ra­lité or­di­naire; c’est pour­quoi il ne res­pecte pas les cé­ré­mo­nies ri­tuelles. Des gens comme vous et ap­par­te­nons [au contraire] au do­maine de la cou­tume…» 11 ren­dit alors vi­site à Ruan Ji en ap­por­tant sa ci­thare et du vin. Telle fut la pre­mière ren­contre entre ces er­mites hors des règles so­ciales, à l’origine du cé­nacle «du bos­quet de bam­bous». Pour­tant, l’attitude des sept à l’égard de la bois­son semble avoir été plus que char­nelle. En voici une preuve : Le voi­sin de Ruan Ji avait une fort jo­lie femme. Elle ven­dait du vin, et Ruan Ji et Wang Rong al­laient boire chez elle; quel­que­fois, lorsque Ruan Ji était ivre, il s’endormait à côté d’elle. Au dé­but, na­tu­rel­le­ment, le mari de la jeune femme se mé­fiait beau­coup; puis, ayant ob­servé at­ten­ti­ve­ment ce qui se pas­sait, «il se ren­dit compte que Ruan Ji n’avait pas d’autre in­ten­tion»

  1. Par­fois tra­duit «En ex­po­sant mes », «Ce que j’ai au cœur», «Chants des pro­fondes pen­sées», «En ex­pri­mant ce que je res­sens», «Mes Pen­sées in­times», «Poèmes chan­tant le fond de mon cœur» ou «Poèmes in­times». Icône Haut
  2. En chi­nois «阮籍詠懷詩». Icône Haut
  3. Au­tre­fois tra­duit «Sept Amis de la fo­rêt de bam­bou», «Sept Hommes ver­tueux de la fo­rêt de bam­bous», «Sept Sages de la bam­bou­se­raie» ou «Sept Sages de Tchou-lin». Icône Haut
  4. En chi­nois 竹林七賢. Au­tre­fois trans­crit «Tchou-lin ts’i-hien» ou «Chu-lin ch’i-hsien». Icône Haut
  5. En chi­nois 自然. Icône Haut
  6. En chi­nois 阮籍. Au­tre­fois trans­crit Yuan Tsi ou Jouan Tsi. Icône Haut
  1. En chi­nois 山濤, 阮咸, 王戎, 劉伶 et 向秀 (res­pec­ti­ve­ment). Par­fois trans­crit Shan T’ao, Yüan Hsien, Wang Jung, Liu Ling et Hsiang Hsiu; ou Chan T’ao, Yuan Hien, Wang Jong, Lieou Ling et Hiang Sieou (res­pec­ti­ve­ment). Icône Haut
  2. En chi­nois 山陽. Icône Haut
  3. En chi­nois 裴楷. Icône Haut
  4. Ce qui était ri­gou­reu­se­ment pros­crit dans les rites de confu­céens. Icône Haut
  5. Dans «Es­thé­tique de la en Chine mé­dié­vale», p. 576. Icône Haut

« Le Poète Xi Kang [ou Ji Kang] et le Club des “Sept Sages de la forêt de bambous” »

dans « Le Taoïsme et les Religions chinoises » (éd. Gallimard, coll. Bibliothèque des histoires, Paris), p. 331-340

dans «Le et les Re­li­gions chi­noises» (éd. Gal­li­mard, coll. Bi­blio­thèque des his­toires, Pa­ris), p. 331-340

Il s’agit de la «Chan­son de la du » 1Jiude song» 2) et autres œuvres des «Sept du bos­quet de bam­bous» 3Zhu­lin qi xian» 4), un cé­nacle de sept an­ti­con­for­mistes , hip­pies avant la lettre, qu’un même dé­goût des conven­tions et un même de «la spon­ta­néité na­tu­relle» («zi­ran» 5) réunis­saient vers 260 apr. J.-C. Ji Kang et Ruan Ji 6 ar­ri­vaient en tête de ce groupe d’amis in­sé­pa­rables; sui­vaient Shan , Ruan Xian, Wang Rong, Liu Ling et Xiang Xiu 7. Ils par­cou­raient le bos­quet de Sha­nyang 8 en s’éloignant de l’embarras des af­faires. Ados­sés à de vieux , ils en goû­taient l’ombrage. Au bord d’un ruis­seau, ils com­po­saient des poèmes. Égayés par le va-et-vient de la faune et par la splen­deur de la flore, ils jouaient des mé­lo­dies cé­lestes, sur le point de s’envoler en dan­sant dans les airs. De­man­dant à l’ivresse l’oubli de la tris­tesse, ils au­raient pu avoir pour de­vise : «Quand mon verre est plein, je le vide; quand il est vide, je le plains». Un jour que Ruan Ji, l’un des sept, était à jouer aux échecs, on vint lui ap­prendre la de sa mère; son ad­ver­saire vou­lut aus­si­tôt in­ter­rompre la par­tie, mais Ruan Ji, oc­cupé de son jeu, vou­lut conti­nuer. Il se fit même ap­por­ter deux vases de vin, qu’il vida, et sor­tit si saoul qu’il fal­lut le por­ter chez lui. Un contem­po­rain, Pei Kai 9, alla lui of­frir ses condo­léances et le vit fai­sant cuire de la de porc et sif­flant 10; il com­menta : «Ruan Ji est un au-delà de la mo­ra­lité or­di­naire; c’est pour­quoi il ne res­pecte pas les cé­ré­mo­nies ri­tuelles. Des gens comme vous et ap­par­te­nons [au contraire] au do­maine de la cou­tume…» 11 ren­dit alors vi­site à Ruan Ji en ap­por­tant sa ci­thare et du vin. Telle fut la pre­mière ren­contre entre ces er­mites hors des règles so­ciales, à l’origine du cé­nacle «du bos­quet de bam­bous». Pour­tant, l’attitude des sept à l’égard de la bois­son semble avoir été plus que char­nelle. En voici une preuve : Le voi­sin de Ruan Ji avait une fort jo­lie femme. Elle ven­dait du vin, et Ruan Ji et Wang Rong al­laient boire chez elle; quel­que­fois, lorsque Ruan Ji était ivre, il s’endormait à côté d’elle. Au dé­but, na­tu­rel­le­ment, le mari de la jeune femme se mé­fiait beau­coup; puis, ayant ob­servé at­ten­ti­ve­ment ce qui se pas­sait, «il se ren­dit compte que Ruan Ji n’avait pas d’autre in­ten­tion»

  1. Par­fois tra­duit «Éloge de la vertu du vin» ou «Hom­mage au mé­rite du vin». Icône Haut
  2. En chi­nois «酒德頌». Au­tre­fois trans­crit «Tsieou tö hiong», «Tsieou-tö song» ou «Chiu-te sung». Icône Haut
  3. Au­tre­fois tra­duit «Sept Amis de la fo­rêt de bam­bou», «Sept Hommes ver­tueux de la fo­rêt de bam­bous», «Sept Sages de la bam­bou­se­raie» ou «Sept Sages de Tchou-lin». Icône Haut
  4. En chi­nois 竹林七賢. Au­tre­fois trans­crit «Tchou-lin ts’i-hien» ou «Chu-lin ch’i-hsien». Icône Haut
  5. En chi­nois 自然. Icône Haut
  6. En chi­nois 阮籍. Au­tre­fois trans­crit Yuan Tsi ou Jouan Tsi. Icône Haut
  1. En chi­nois 山濤, 阮咸, 王戎, 劉伶 et 向秀 (res­pec­ti­ve­ment). Par­fois trans­crit Shan T’ao, Yüan Hsien, Wang Jung, Liu Ling et Hsiang Hsiu; ou Chan T’ao, Yuan Hien, Wang Jong, Lieou Ling et Hiang Sieou (res­pec­ti­ve­ment). Icône Haut
  2. En chi­nois 山陽. Icône Haut
  3. En chi­nois 裴楷. Icône Haut
  4. Ce qui était ri­gou­reu­se­ment pros­crit dans les rites de confu­céens. Icône Haut
  5. Dans «Es­thé­tique de la en mé­dié­vale», p. 576. Icône Haut

« Simon-Samuel Frug [ou Siméon Froug] »

dans « Histoire de la littérature judéo-allemande » (éd. Jouve, Paris)

dans « de la lit­té­ra­ture ju­déo-al­le­mande» (éd. Jouve, Pa­ris)

Il s’agit de « des morts» et autres poé­sies de  1, poète , qui a dé­fini lui-même les mo­tifs de son éter­nel «la­mento» sur le sort de son dans ces vers : «Je suis la harpe éo­lienne du sort de mon peuple, je suis l’écho de ses dou­leurs et souf­frances» 2. On sup­pose aux tsars russes Alexandre III et Ni­co­las II quelque haine per­son­nelle pour les Juifs. Et un exa­men im­par­tial de leurs dé­crets les montre bien ré­so­lus, non à re­le­ver leurs ouailles or­tho­doxes, comme on au­rait pu l’espérer, mais à ra­bais­ser et mor­ti­fier le reste de leurs su­jets. Un de leurs actes les plus im­por­tants — déjà prévu sous Ca­the­rine II, mais ja­mais tout à fait ap­pli­qué dans toute sa et sa bar­ba­rie — fut de re­fu­ser le aux Juifs de sé­jour­ner ailleurs que dans un fa­tal et tris­te­ment cé­lèbre «parc hu­main», la «zone de ré­si­dence (juive)» 3tcherta (ié­vreïs­koï) os­sed­losti» 4). La de ces fa­milles, com­pri­mée, en­ser­rée dans l’étau d’une «zone» sur­peu­plée et moi­sie, où elles étaient ré­duites à men­dier le pain quo­ti­dien, et ag­gra­vée par une sé­rie in­ter­mi­nable de vexa­tions et d’avanies, basses et mes­quines, se prê­tait très mé­dio­cre­ment à la . La chape de mo­no­to­nie qui écra­sait ces mi­sé­rables, le zèle ca­pri­cieux des au­to­ri­tés lo­cales, puis bien­tôt, la bes­tia­lité des — consé­quence di­recte de la du et de la à la­quelle le ré­gime s’employait avec tant d’énergie — fai­saient ou­blier les tra­vaux des muses. Froug fut l’un des rares à me­ner à bien cet ef­froyable la­beur de créer, tan­tôt en tan­tôt en , une . Il osa y ex­pri­mer de la sen­si­ble­rie que de piètres ont qua­li­fiée de «mi­gnonne et fé­mi­nine» et il trans­porta son pu­blic vers les hau­teurs où son l’entraînait lui-même. Né en 1860 comme fils d’humbles culti­va­teurs de la prai­rie ukrai­nienne, Froug cultiva son chant en serre chaude, à l’abri des cou­rants lit­té­raires. Ses pre­mières poé­sies pei­gnaient le pay­san la­bou­rant la , ou se re­po­sant dans un som­meil pro­fond et mé­rité. «N’étaient les condi­tions de la vie, qui en ont fait un poète de jé­ré­miades, Froug au­rait pu de­ve­nir un Kolt­sov juif», dit Meyer Is­ser Pi­nès. Ce ne fut que lorsque les mi­sères phy­siques et le déses­poir de son peuple, rap­pe­lant ceux de l’ancienne , me­na­cèrent de l’étouffer, que ses poé­sies chan­gèrent d’ et de su­jet, et qu’il ac­corda sa harpe aux com­plaintes du ghetto. «Rien dans notre vie triste», écrit notre poète 5, «rien ne me fait tant de peine que l’aspect ex­té­rieur d’un Juif : son dos voûté, ses joues creuses, ses mains maigres, sa poi­trine étroite… l’ombre noire de la qui est conti­nuel­le­ment sur son vi­sage. Ces yeux… moi­tié rê­veurs et moi­tié crain­tifs, qui courent sans cesse d’un point à l’autre, comme s’ils cher­chaient un abri, pour se ca­cher, se sau­ver d’un dan­ger énorme et im­mi­nent; ces lèvres pâles qui… semblent prêtes à chaque ins­tant à pro­non­cer les mots : “Me voilà, je me sauve!” Tout cet être qui tremble au bruit d’une feuille… me fait éter­nel­le­ment sai­gner le cœur.»

  1. En russe Семён Фруг. Par­fois trans­crit Shi­mon Frug, Si­mon Froug ou Se­men Frug. Icône Haut
  2. En russe «Я — арфа эолова доли народной, я — эхо народных скорбей». Icône Haut
  3. Par­fois tra­duit «cir­cons­crip­tion de sé­den­ta­rité», «zone de peu­ple­ment», «zone d’établissement» ou «zone d’habitation». Icône Haut
  1. En russe «черта (еврейской) оседлости». Icône Haut
  2. «Si­mon-Sa­muel Frug [ou Si­méon Froug]», p. 275. Icône Haut

Froug, « Le Chant du travail • La Coupe »

dans « Anthologie juive : des origines à nos jours » (éd. G. Crès et Cie), p. 233-234 & 251-252

dans « juive : des à nos jours» (éd. G. Crès et Cie), p. 233-234 & 251-252

Il s’agit du «Chant du tra­vail» et «La Coupe» de  1, poète , qui a dé­fini lui-même les mo­tifs de son éter­nel «la­mento» sur le sort de son dans ces vers : «Je suis la harpe éo­lienne du sort de mon peuple, je suis l’écho de ses dou­leurs et souf­frances» 2. On sup­pose aux tsars russes Alexandre III et Ni­co­las II quelque haine per­son­nelle pour les Juifs. Et un exa­men im­par­tial de leurs dé­crets les montre bien ré­so­lus, non à re­le­ver leurs ouailles or­tho­doxes, comme on au­rait pu l’espérer, mais à ra­bais­ser et mor­ti­fier le reste de leurs su­jets. Un de leurs actes les plus im­por­tants — déjà prévu sous Ca­the­rine II, mais ja­mais tout à fait ap­pli­qué dans toute sa et sa bar­ba­rie — fut de re­fu­ser le aux Juifs de sé­jour­ner ailleurs que dans un fa­tal et tris­te­ment cé­lèbre «parc hu­main», la «zone de ré­si­dence (juive)» 3tcherta (ié­vreïs­koï) os­sed­losti» 4). La de ces fa­milles, com­pri­mée, en­ser­rée dans l’étau d’une «zone» sur­peu­plée et moi­sie, où elles étaient ré­duites à men­dier le pain quo­ti­dien, et ag­gra­vée par une sé­rie in­ter­mi­nable de vexa­tions et d’avanies, basses et mes­quines, se prê­tait très mé­dio­cre­ment à la . La chape de mo­no­to­nie qui écra­sait ces mi­sé­rables, le zèle ca­pri­cieux des au­to­ri­tés lo­cales, puis bien­tôt, la bes­tia­lité des — consé­quence di­recte de la du et de la à la­quelle le ré­gime s’employait avec tant d’énergie — fai­saient ou­blier les tra­vaux des muses. Froug fut l’un des rares à me­ner à bien cet ef­froyable la­beur de créer, tan­tôt en tan­tôt en , une . Il osa y ex­pri­mer de la sen­si­ble­rie que de piètres ont qua­li­fiée de «mi­gnonne et fé­mi­nine» et il trans­porta son pu­blic vers les hau­teurs où son l’entraînait lui-même. Né en 1860 comme fils d’humbles culti­va­teurs de la prai­rie ukrai­nienne, Froug cultiva son chant en serre chaude, à l’abri des cou­rants lit­té­raires. Ses pre­mières poé­sies pei­gnaient le pay­san la­bou­rant la , ou se re­po­sant dans un som­meil pro­fond et mé­rité. «N’étaient les condi­tions de la vie, qui en ont fait un poète de jé­ré­miades, Froug au­rait pu de­ve­nir un Kolt­sov juif», dit Meyer Is­ser Pi­nès. Ce ne fut que lorsque les mi­sères phy­siques et le déses­poir de son peuple, rap­pe­lant ceux de l’ancienne , me­na­cèrent de l’étouffer, que ses poé­sies chan­gèrent d’ et de su­jet, et qu’il ac­corda sa harpe aux com­plaintes du ghetto. «Rien dans notre vie triste», écrit notre poète 5, «rien ne me fait tant de peine que l’aspect ex­té­rieur d’un Juif : son dos voûté, ses joues creuses, ses mains maigres, sa poi­trine étroite… l’ombre noire de la qui est conti­nuel­le­ment sur son vi­sage. Ces yeux… moi­tié rê­veurs et moi­tié crain­tifs, qui courent sans cesse d’un point à l’autre, comme s’ils cher­chaient un abri, pour se ca­cher, se sau­ver d’un dan­ger énorme et im­mi­nent; ces lèvres pâles qui… semblent prêtes à chaque ins­tant à pro­non­cer les mots : “Me voilà, je me sauve!” Tout cet être qui tremble au bruit d’une feuille… me fait éter­nel­le­ment sai­gner le cœur.»

  1. En russe Семён Фруг. Par­fois trans­crit Shi­mon Frug, Si­mon Froug ou Se­men Frug. Icône Haut
  2. En russe «Я — арфа эолова доли народной, я — эхо народных скорбей». Icône Haut
  3. Par­fois tra­duit «cir­cons­crip­tion de sé­den­ta­rité», «zone de peu­ple­ment», «zone d’établissement» ou «zone d’habitation». Icône Haut
  1. En russe «черта (еврейской) оседлости». Icône Haut
  2. «Si­mon-Sa­muel Frug [ou Si­méon Froug]», p. 275. Icône Haut

Froug, « Poésies. “Pianto” • La Harpe magique »

dans « Revue des études franco-russes », 1906, p. 466-470

dans «Re­vue des études franco-russes», 1906, p. 466-470

Il s’agit de «“Pianto”» et «La Harpe ma­gique» de  1, poète , qui a dé­fini lui-même les mo­tifs de son éter­nel «la­mento» sur le sort de son dans ces vers : «Je suis la harpe éo­lienne du sort de mon peuple, je suis l’écho de ses dou­leurs et souf­frances» 2. On sup­pose aux tsars russes Alexandre III et Ni­co­las II quelque haine per­son­nelle pour les Juifs. Et un exa­men im­par­tial de leurs dé­crets les montre bien ré­so­lus, non à re­le­ver leurs ouailles or­tho­doxes, comme on au­rait pu l’espérer, mais à ra­bais­ser et mor­ti­fier le reste de leurs su­jets. Un de leurs actes les plus im­por­tants — déjà prévu sous Ca­the­rine II, mais ja­mais tout à fait ap­pli­qué dans toute sa et sa bar­ba­rie — fut de re­fu­ser le aux Juifs de sé­jour­ner ailleurs que dans un fa­tal et tris­te­ment cé­lèbre «parc hu­main», la «zone de ré­si­dence (juive)» 3tcherta (ié­vreïs­koï) os­sed­losti» 4). La de ces fa­milles, com­pri­mée, en­ser­rée dans l’étau d’une «zone» sur­peu­plée et moi­sie, où elles étaient ré­duites à men­dier le pain quo­ti­dien, et ag­gra­vée par une sé­rie in­ter­mi­nable de vexa­tions et d’avanies, basses et mes­quines, se prê­tait très mé­dio­cre­ment à la . La chape de mo­no­to­nie qui écra­sait ces mi­sé­rables, le zèle ca­pri­cieux des au­to­ri­tés lo­cales, puis bien­tôt, la bes­tia­lité des — consé­quence di­recte de la du et de la à la­quelle le ré­gime s’employait avec tant d’énergie — fai­saient ou­blier les tra­vaux des muses. Froug fut l’un des rares à me­ner à bien cet ef­froyable la­beur de créer, tan­tôt en tan­tôt en , une . Il osa y ex­pri­mer de la sen­si­ble­rie que de piètres ont qua­li­fiée de «mi­gnonne et fé­mi­nine» et il trans­porta son pu­blic vers les hau­teurs où son l’entraînait lui-même. Né en 1860 comme fils d’humbles culti­va­teurs de la prai­rie ukrai­nienne, Froug cultiva son chant en serre chaude, à l’abri des cou­rants lit­té­raires. Ses pre­mières poé­sies pei­gnaient le pay­san la­bou­rant la , ou se re­po­sant dans un som­meil pro­fond et mé­rité. «N’étaient les condi­tions de la vie, qui en ont fait un poète de jé­ré­miades, Froug au­rait pu de­ve­nir un Kolt­sov juif», dit Meyer Is­ser Pi­nès. Ce ne fut que lorsque les mi­sères phy­siques et le déses­poir de son peuple, rap­pe­lant ceux de l’ancienne , me­na­cèrent de l’étouffer, que ses poé­sies chan­gèrent d’ et de su­jet, et qu’il ac­corda sa harpe aux com­plaintes du ghetto. «Rien dans notre vie triste», écrit notre poète 5, «rien ne me fait tant de peine que l’aspect ex­té­rieur d’un Juif : son dos voûté, ses joues creuses, ses mains maigres, sa poi­trine étroite… l’ombre noire de la qui est conti­nuel­le­ment sur son vi­sage. Ces yeux… moi­tié rê­veurs et moi­tié crain­tifs, qui courent sans cesse d’un point à l’autre, comme s’ils cher­chaient un abri, pour se ca­cher, se sau­ver d’un dan­ger énorme et im­mi­nent; ces lèvres pâles qui… semblent prêtes à chaque ins­tant à pro­non­cer les mots : “Me voilà, je me sauve!” Tout cet être qui tremble au bruit d’une feuille… me fait éter­nel­le­ment sai­gner le cœur.»

  1. En russe Семён Фруг. Par­fois trans­crit Shi­mon Frug, Si­mon Froug ou Se­men Frug. Icône Haut
  2. En russe «Я — арфа эолова доли народной, я — эхо народных скорбей». Icône Haut
  3. Par­fois tra­duit «cir­cons­crip­tion de sé­den­ta­rité», «zone de peu­ple­ment», «zone d’établissement» ou «zone d’habitation». Icône Haut
  1. En russe «черта (еврейской) оседлости». Icône Haut
  2. «Si­mon-Sa­muel Frug [ou Si­méon Froug]», p. 275. Icône Haut

« La Poésie de Ji Kang »

dans « Journal asiatique », vol. 248, p. 107-177 & 323-378

dans «Jour­nal asia­tique», vol. 248, p. 107-177 & 323-378

Il s’agit d’« au ca­chot» 1You­fen shi» 2) et autres poèmes de  3, vir­tuose de la ci­thare, fervent ïste, poète at­ta­chant par ses opi­nions et ses ma­nières de voir au­tant que par son ta­lent, chef de file des «Sept Sages du bos­quet de bam­bous» (fa­meux cé­nacle dont je par­le­rai ailleurs). Fier, in­dé­pen­dant, Ji Kang était un de la haute , époux d’une prin­cesse, mais al­liant un , presque re­li­gieux, de la et un pro­fond dé­goût pour les règles et les idées re­çues. Il pro­cla­mait haut et fort, seize siècles avant Flau­bert dans sa «Cor­res­pon­dance» 4, que «les hon­neurs désho­norent; le titre dé­grade; la fonc­tion abru­tit». Dans sa «Lettre de rup­ture avec Shan Tao», il confiait que l’ li­ber­taire qu’il a re­çue dans son en­fance a fait de lui «un cerf sau­vage» qui de­vient comme fou à la vue des liens ri­gides que porte au cou tout fonc­tion­naire en poste : «Un cerf sau­vage se pliera à ce qu’on lui a in­cul­qué, pourvu qu’on l’ait cap­turé et pris en main en­core jeune. Mais qu’on lui passe la bride, une fois adulte, et il se dé­bat­tra comme un dé­ment, pour faire vo­ler ses liens, quitte à ruer dans les flammes ou l’ bouillante». Ji Kang se ju­geait, en somme, to­ta­le­ment in­apte au ser­vice man­da­ri­nal. Aux yeux de ses contem­po­rains, pour un homme de sa classe et de sa condi­tion, c’était un vé­ri­table crime de ne pas être fonc­tion­naire — un crime non seule­ment contre la tra­di­tion, mais contre les as­sises mêmes de l’autorité confu­cia­niste. Ji Kang s’en ren­dait compte, mais son es­prit ex­cen­trique et re­belle l’entraînait ir­ré­sis­ti­ble­ment vers la , la cé­leste, les ébats dans la na­ture, les pro­me­nades heu­reuses au cours des­quelles il se per­dait au point d’oublier le re­tour. La lé­gende se plaît à le re­pré­sen­ter va­ga­bon­dant dans le bos­quet de bam­bous de Sha­nyang où il réunis­sait ses amis, tous plus bi­zarres les uns que les autres, re­cher­chant des dont il pré­pa­rait des d’, et «se nour­ris­sant des va­peurs roses de l’aurore» («can xia» 5).

  1. Par­fois tra­duit «Rage de mon ca­chot», «Rage en mon ca­chot», «Rage au ca­chot», «Rage d’un pri­son­nier», «Tris­tesse obs­cure», «Ran­cœur se­crète» ou «Noire Exas­pé­ra­tion». Icône Haut
  2. En «幽憤詩». Au­tre­fois trans­crit «Yu-fên-shih» ou «Yeou-fen che». Icône Haut
  3. En chi­nois 嵇康. Par­fois trans­crit Xi Kang, Ki Kang, Chi K’ang, Tsi K’ang, Hsi K’ang, Hi K’ang ou Si K’ang. Icône Haut
  1. À Léo­nie Brainne, 10 ou 11.XII.1878; à Guy de Mau­pas­sant, 15.I.1879; à sa nièce Ca­ro­line, 28.II.1880. Icône Haut
  2. En chi­nois 餐霞. L’une des ap­ti­tudes des im­mor­tels. Icône Haut

Abaï, « Poésie et Prose »

éd. eL, Almaty

éd. eL, Al­maty

Il s’agit d’Abaï Kou­nan­baïouly 1, dit Abaï Kou­nan­baïev 2, poète éclairé et hu­ma­niste, in­tel­lec­tuel mu­sul­man, tra­duc­teur de Pou­ch­kine, Ler­mon­tov et Kry­lov, père des lettres ka­za­khes (XIXe siècle). En 1956, Louis Ara­gon fon­dait la col­lec­tion «Lit­té­ra­tures so­vié­tiques» chez Gal­li­mard; et parmi les œuvres choi­sies se trou­vait le de Mou­kh­tar Aoué­zov, «Abaï». Dans son pré­am­bule, Ara­gon gra­ti­fiait le lec­teur fran­co­phone de quelques aper­çus sur le Ka­za­khs­tan; et le ro­man d’Aouézov l’entraînait au cœur de la steppe, chez les To­bykty 3, la tribu d’Abaï, dont il re­tra­çait la . Ce double tra­vail re­nou­ve­lait l’intérêt pour un poète qui avait ou­vert les yeux des Ka­za­khs sur les choses du et sus­ci­tait les pre­mières tra­duc­tions des œuvres d’Abaï. Mais peut-être de­vrais-je moins par­ler d’Aragon et d’Aouézov que du poète ka­zakh qui est mon su­jet. Abaï nais­sait en 1845. L’année sui­vante, le Ka­za­khs­tan était rat­ta­ché à la . Le était ré­duit au der­nier de­gré de la mi­sère; il ne s’était pas en­core dé­li­vré des chaînes de l’ féo­dal, que déjà il tom­bait sous le joug cruel du tsa­risme . Âme d’intellectuel, cœur de poète, Abaï com­pren­dra les mal­heurs de ses com­pa­triotes, et épris des idéaux de , de , il brû­lera du de les ré­pandre au­tour de lui. Il dé­bu­tera plein d’empressement, d’espérance. Hé­las! que de dés­illu­sions, que d’amères dé­cep­tions l’attendront dans la suite. Toute sa jeune éner­gie, toute sa ro­buste se consu­mera au mi­lieu de l’indifférence gé­né­rale. Et ar­rivé au seuil de la , «privé de forces» 4, il dé­cou­vrira que rien n’a changé; qu’il a trop man­qué de sou­tiens; que ses bons conseils ont laissé de marbre «tant de lé­gions de [gens] en­li­sés dans leurs ha­bi­tudes» 5 «proies fa­ciles» 6 de cor­rom­pus, de ma­gis­trats mal­hon­nêtes, de mol­lahs ignares ou bien de leur propre veu­le­rie et né­gli­gence. Il criera son déses­poir, sa spi­ri­tuelle, ses vaines luttes contre l’inertie de son siècle dans ses poé­sies de ma­tu­rité et sur­tout dans «Le Livre des dits» 7, ou lit­té­ra­le­ment «Les Pa­roles noires» («Kara söz­deri» 8), sorte de tes­ta­ment en prose. Pui­sant aux turco-per­sanes et russes, faite de sueur et de ka­za­khs, son œuvre lit­té­raire se dres­sera, so­li­taire, dans le de la steppe comme l’un de ces «cèdres du Li­ban al­tiers et é», l’un de ces «chênes du Ba­chân» cé­lé­brés dans la  9.

  1. En ka­zakh Абай Құнанбайұлы. Au­tre­fois trans­crit Ku­nan­baïuly ou Ku­nan­baiuli. On ren­contre aussi la gra­phie Ибраһим (Ibra­him), Abaï étant la dé­for­ma­tion de ce pré­nom mu­sul­man. Au­tre­fois trans­crit Ibra­gim, Ibro­ghim ou Ibra­ghim. Icône Haut
  2. En russe Абай Кунанбаев. Par­fois trans­crit Kou­nan­baev, Ku­nan­baev, Qu­nan­baev, Ku­nan­baiev, Ku­nan­bayev, Kou­nan­bayev, Qu­nan­ba­jev ou Ku­nan­ba­jev. Icône Haut
  3. En ka­zakh Тобықты. Icône Haut
  4. p. 91. Icône Haut
  5. p. 74. Icône Haut
  1. p. 23. Icône Haut
  2. Au­tre­fois tra­duit «Ré­flexions en prose», «Ser­mons» ou «Pa­roles édi­fiantes». Icône Haut
  3. En ka­zakh «Қара сөздері». On ren­contre aussi la gra­phie «Қара сөз» («Kara söz»). Par­fois trans­crit «Qara söz». Icône Haut
  4. «Livre d’Isaïe», II, 13; «Za­cha­rie», XI, 1-2; «Livre d’Ézéchiel», XXVII, 5-6; etc. Icône Haut

Yang Xiong, « Rhapsodie du grand mystère, “Taixuan fu” »

dans « Anthologie de la poésie chinoise » (éd. Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, Paris)

dans « de la » (éd. Gal­li­mard, coll. Bi­blio­thèque de la Pléiade, Pa­ris)

Il s’agit de la «Rhap­so­die de la des gardes im­pé­riaux» 1Yu­lie » 2), de la «Rhap­so­die du grand mys­tère» 3Taixuan fu» 4) et autres poé­sies de  5, un des re­pré­sen­tants mi­neurs de la lit­té­ra­ture et de la chi­noise, imi­ta­teur des clas­siques. Il vit le jour en l’an 53 av. J.-C. et mou­rut en l’an 18 apr. J.-C. Issu d’une noble, mais dont «les pos­ses­sions n’atteignaient pas même dix “jin” d’», et qui «man­quait de ré­serves en grains», il réus­sit à avoir pour maîtres les meilleurs pro­fes­seurs de Shu 6 (l’actuelle pro­vince de Si­chuan) : Zhuang Zun, Li Hong et Lin Lü. Tous les trois étaient ex­perts en , en si­no­grammes «étranges» (ceux an­té­rieurs à la gra­phie qui s’imposa sous les Qin) et en tra­di­tions confu­céennes et . La qua­ran­taine pas­sée, il par­tit de Shu et s’en alla à la ca­pi­tale Chang’an 7 où on le mo­qua pour sa em­bar­ras­sée et sa fa­çon d’écrire en de sa pro­vince — «un style», di­sait-on, «dé­tes­table» 8. En l’an 11 apr. J.-C., tou­jours obs­cur et pauvre mal­gré ses fonc­tions de «gen­til­homme de la porte jaune» 9huang­men lang» 10), il fut faus­se­ment ac­cusé d’avoir trempé dans le com­plot contre le nou­vel Em­pe­reur Wang Mang. En déses­poir de cause, il sauta du haut d’une tour de la Bi­blio­thèque im­pé­riale, mais sur­vé­cut à ses bles­sures et fut mis hors de cause par l’Empereur en per­sonne. Peu après, cette épi­gramme cir­cula dans la ca­pi­tale, lui re­pro­chant ses ha­bi­tudes d’ermite, son goût presque sus­pect pour la et le si­lence :

«“So­li­taire et si­len­cieux”
Il se jette du haut de la tour!
“Pur et tran­quille”
Il com­pose des pré!
»

  1. Au­tre­fois tra­duit «“Fou” sur la chasse avec les gardes im­pé­riaux» ou « de la chasse (où les por­taient) des plu­mages». Icône Haut
  2. En «羽獵賦». Par­fois trans­crit «Yü-lieh fu» ou «Yu-lie fou». Icône Haut
  3. C’est le pen­dant du «Clas­sique du grand mys­tère». Icône Haut
  4. En chi­nois «太玄賦». Par­fois trans­crit «T’ai-hsüan fu» ou «T’ai-hiuan fou». Icône Haut
  5. En chi­nois 揚雄. Au­tre­fois trans­crit Jang-hiong, Yang Hsiung, Yang Hyong ou Yang-hioung. Éga­le­ment connu sous les de Yang Ziyun (揚子雲) et de Yang Zi (揚子). Par­fois trans­crit Yang Tzu-yün, Yang Tse Yün ou Yang-tseu. Icône Haut
  1. En chi­nois . Par­fois trans­crit Chu ou Chou. Icône Haut
  2. Aujourd’hui Xi’an (西安). Au­tre­fois trans­crit Tch’ang-ngan. Icône Haut
  3. Dans le père Léon Wie­ger, « des croyances re­li­gieuses et des opi­nions phi­lo­so­phiques en  : de­puis l’origine jusqu’à nos jours», p. 315. Icône Haut
  4. Au­tre­fois tra­duit «gen­til­homme des portes im­pé­riales» ou «se­cré­taire des portes im­pé­riales». Icône Haut
  5. En chi­nois 黃門郎. Au­tre­fois trans­crit «houang-men lang». Icône Haut

Lucilius, « L’Etna »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de «L’Etna» («Ætna»), poème scien­ti­fique, qui dé­crit et ex­plique les na­tu­relles des di­vers phé­no­mènes phy­siques que pré­sente le cé­lèbre vol­can de ce nom (Ier siècle apr. J.-C.). On ne sait pas pré­ci­sé­ment qui en est l’auteur. On lit dans Sé­nèque («Lettres à Lu­ci­lius», lettre LXXIX) que Vir­gile, et Cor­ne­lius Se­ve­rus ont écrit suc­ces­si­ve­ment sur l’Etna. Il est pos­sible d’attribuer le poème à l’un de ces grands . Tou­te­fois, dans le même pas­sage, Sé­nèque in­vite Lu­ci­lius le Jeune (Lu­ci­lius Ju­nior), son ami et son cor­res­pon­dant, à pro­fi­ter de sa tour­née ad­mi­nis­tra­tive en Si­cile pour «abor­der [lui] aussi une qui at­tire tous les » et in­siste sur les ex­cel­lentes dis­po­si­tions où est ce der­nier, à la fois par ses pen­chants phi­lo­so­phiques et lit­té­raires et par ses connais­sances lo­cales sur la Si­cile, pour trai­ter du ma­jes­tueux ri­val du Vé­suve. Cela concourt à le faire ac­cep­ter comme l’auteur. Sé­nèque ne lui dit-il pas : «Je ne te connais pas, ou l’Etna te fait déjà ve­nir l’ à la bouche : tu as­pires à com­po­ser quelque grand ou­vrage égal à ce qu’ont pro­duit tes de­van­ciers»? «L’Etna» compte, se­lon les édi­tions, de 640 à 648 vers hexa­mètres, avec une rare pré­ci­sion de . Pos­té­rieur d’un demi-siècle aux «As­tro­no­miques», il pro­cède à peu près du même es­prit. Comme Ma­ni­lius, l’auteur de «L’Etna» est un dur pour les fables men­teuses ré­pan­dues par les poètes : «D’abord, qu’on ne se laisse pas abu­ser par les fic­tions des poètes» («Prin­ci­pio, ne quem ca­piat fal­la­cia va­tum»); «c’est en vain que j’essayerais d’expliquer la cause de chaque phé­no­mène, si vous per­sis­tez dans une opi­nion men­son­gère» («frus­tra cer­tis dis­po­nere sin­gula cau­sis ten­ta­mus, si firma ma­net tibi fa­bula men­dax»). Il veut donc des faits, rien que des faits, mais des faits bien avé­rés; il s’y pas­sionne. Comme Lu­crèce, il chante «la dé­li­cieuse vo­lupté» («ju­cunda vo­lup­tas») de la cer­ti­tude scien­ti­fique, la triom­phale de la dé­cou­verte : «Toutes ces mer­veilles qui frappent nos yeux dans ce vaste Uni­vers, ne pas les lais­ser dis­per­sées et confon­dues dans la masse des phé­no­mènes, mais les ob­ser­ver, les clas­ser par leur ca­rac­tère dis­tinc­tif : voilà pour l’esprit un plai­sir dé­li­cieux et di­vin». En­fin, il dé­plore que nous autres, mor­tels, nous nous tour­men­tions mi­sé­ra­ble­ment pour des riens, nous sup­por­tions mille fa­tigues dans le vain es­poir de faire for­tune, alors que «chose hon­teuse! les qui… en­seignent le vrai sont ré­duites au si­lence et dé­lais­sées comme in­dif­fé­rentes ou sté­riles».