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Mazilescu, « Il se fera silence, il se fera soir »

éd. Comp’act, coll. La Polygraphe, Chambéry

éd. Comp’act, coll. La , Cham­béry

Il s’agit des re­cueils «Il se fera si­lence, il se fera soir» («Va fi li­niște, va fi seară»), «Frag­ments de la ré­gion de ja­dis» («Frag­mente din re­giu­nea de odi­nioară») et «Vers» («Ver­suri») de M. , l’un des der­niers sur­réa­listes rou­mains. Exa­gé­rant un peu, je di­rais que la de M. Ma­zi­lescu a com­mencé et fini dans la ta­verne de l’Union des à Bu­ca­rest. La table où il s’asseyait chaque soir n’était pas seule­ment le coin de l’établissement où les plus co­pieuses quan­ti­tés de vodka étaient en­glou­ties; c’était éga­le­ment une sorte d’atelier, un cé­nacle lit­té­raire. Entre deux dis­cours tra­giques, em­pes­tant l’alcool, agré­men­tés de l’invocation de la belle Ro­dica, sa déesse et «la plus grande réa­li­sa­tion de [sa] » 1, ponc­tués, en­fin, de ju­rons, qu’il était le seul à pou­voir se per­mettre en l’éminente pré­sence de MM. Ma­rin Preda et Ni­chita Stă­nescu as­sis de­vant lui, M. Ma­zi­lescu dé­cla­mait sa toute der­nière poé­sie, tout en y opé­rant de pe­tites mais im­por­tantes re­touches. On l’appelait «le tailleur de dia­mants» 2, car il don­nait à sa poé­sie une pre­mière forme, puis il re­tran­chait, ajou­tait, sub­sti­tuait des mots pen­dant des mois, si bien que ses convives fi­nis­saient par l’apprendre par cœur en l’entendant ré­ci­ter si sou­vent. Comme tous les vers d’ivrogne, ceux de M. Ma­zi­lescu ap­pa­raissent tou­jours d’une fa­çon ou d’une autre in­ter­rom­pus, el­lip­tiques, in­ex­pli­ca­ble­ment ac­cro­chés à leur propre dif­fé­rente de la nôtre, échap­pant à la . In­fé­rieurs aux vers lu­cides si l’on veut, ils ont, ce­pen­dant, ce mé­rite qu’ils donnent la ferme convic­tion que la poé­sie, c’est la chose la plus es­sen­tielle qui soit, la chose qui se ré­veille le plus tôt et qui s’éteint en der­nier lieu en nous, quand bien même nous se­rions as­sis dans une ta­verne aux confins du ci­vi­lisé là où les map­pe­mondes in­diquent seule­ment «Ibi sunt leones» («Là se trouvent des lions») : «Qui donc se tient là au bord de l’abîme et dit et parle en re­gar­dant sans cesse à sa montre, comme un vieillard saisi de pa­nique à la tom­bée de la ? Ses pen­sées [sont] plus éteintes qu’une bou­gie éteinte. “Ibi sunt leones.” C’est là que se croisent en ef­fet les deux zones : [celle] de la vie et [celle] de la confiance in­com­men­su­rable en l’éternité. Par là, il pousse des . “Ibi sunt leones”», dit M. Ma­zi­lescu

  1. «Il se fera si­lence, il se fera soir», p. 13. Icône Haut
  1. En «șle­fui­to­rul de dia­mante». Icône Haut

Yang Wan-li, « Le Son de la pluie : poèmes »

éd. Moundarren, Millemont

éd. Moun­dar­ren, Mil­le­mont

Il s’agit de Yang Wan-li 1, le plus grand poète des Song du Sud et un des pre­miers en à avoir sou­tenu que «[l’écrivain] ne pas le poème, c’est le poème qui re­cherche l’écrivain» 2. Il na­quit en 1127. Tout juste un an au­pa­ra­vant, les hordes no­mades des Jürčen 3 s’étaient mises en mou­ve­ment. Et après avoir, déjà de­puis un siècle, constam­ment in­quiété les chi­noises, elles avaient en­vahi la moi­tié du pays, mis à sac sa ca­pi­tale et ins­tallé un nou­vel Em­pire au Nord, re­fou­lant les Song au Sud. Cette ca­la­mité que les Song n’avaient pas su évi­ter, mal­gré les conseils et les ad­mo­nes­ta­tions ré­pé­tées des let­trés, montre bien la de cette dy­nas­tie qui aima mieux ache­ter aux en­va­his­seurs une hon­teuse, que d’interrompre le cours de ses vo­lup­tés. C’est au mi­lieu de ces évé­ne­ments graves que Yang Wan-li ac­céda à vingt-huit ans au titre de «doc­teur» ou «let­tré ac­com­pli» («jin­shi» 4), le plus élevé dans le sys­tème d’examen. Le pre­mier poste qu’il oc­cupa à son en­trée dans le man­da­ri­nat fut ce­lui d’administrateur des fi­nances de la pré­fec­ture de Ganz­hou. Et en 1159, il fut nommé pré­fet du Lin­gling, dans le Hu­nan. Là-bas, il es­saya par trois fois d’être ad­mis en au­dience au­près du grand d’État Zhang Jun 5, qui y avait été in­jus­te­ment é pour s’être rangé du côté des fac­tions pa­trio­tiques, dé­si­reuses de re­con­qué­rir par les les ter­ri­toires per­dus au Nord. L’audience lui fut, en­fin, ac­cor­dée : «Cultive l’impartialité et la sin­cé­rité», conseilla Zhang Jun au jeune Yang Wan-li, qui en fut si for­te­ment mar­qué, qu’il prit plus tard le pseu­do­nyme de Cheng Zhai 6le Stu­dio de la Sin­cé­rité»). Mal­gré toute sa sin­cé­rité, ou jus­te­ment à cause d’elle, Yang Wan-li ne s’éleva ja­mais aussi haut qu’il l’aurait mé­rité au sein du . Par contre, la dé­ca­dence ayant pour ef­fet pa­ra­doxal de dé­cu­pler le raf­fi­ne­ment ar­tis­tique, le côté émo­tion­nel chez quelques âmes iso­lées, c’est alors que notre man­da­rin fit l’ d’une illu­mi­na­tion su­bite, un Éveil d’une in­ten­sité rare, qui lui fit quit­ter sa «comme une chaus­sure trouée» pour celle de la . Je le laisse tout ra­con­ter : «Le jour du Nou­vel An de l’année 1178… ayant peu d’affaires of­fi­cielles à ré­gler, je me mets à com­po­ser des poèmes. Sou­dain, j’ai comme une illu­mi­na­tion… et me sens tout à coup li­béré. Je de­mande à mon fils de prendre un pin­ceau et lui dicte plu­sieurs poèmes… Dix mille choses se pré­sentent comme à un poème. Si j’essaie de les écar­ter, elles re­fusent de par­tir. À peine ai-je le de tra­duire la pre­mière, que déjà les autres suivent».

  1. En 楊萬里. Icône Haut
  2. Poème « tar­dif, com­posé de­vant les nar­cisses sur le lac de mon­tagne». Icône Haut
  3. Les ac­tuels Mand­chous. Icône Haut
  1. En chi­nois 進士. Par­fois trans­crit «chin shih». Icône Haut
  2. En chi­nois 張浚. Par­fois trans­crit Chang Chun. Icône Haut
  3. En chi­nois 誠齋. Par­fois trans­crit Cheng Chai. Icône Haut

Bashô, « Seigneur ermite : l’intégrale des haïkus »

éd. La Table ronde, Paris

éd. La Table ronde, Pa­ris

Il s’agit des de Mat­suo Ba­shô 1, illustre de la ja­po­naise (XVIIe siècle apr. J.-C.). Par son de , en­core plus que par son œuvre elle-même, ce fils de sa­mou­raï a im­posé la forme ac­tuelle du haïku, mais sur­tout il en a dé­fini la ma­nière, l’esprit : lé­gè­reté, de sim­pli­cité, ex­trême pour la , et ce quelque chose qu’on ne peut dé­fi­nir fa­ci­le­ment et qu’il faut sen­tir — une élé­gance in­té­rieure, comme re­vê­tue de pu­deur dis­crète, qui est fon­ciè­re­ment ja­po­naise. Son poème de la rai­nette est un fa­meux exemple du saut par le­quel le haïku se dé­bar­rasse de l’artificiel pour at­teindre la so­briété nue : «Vieil étang / une rai­nette y plon­geant / chu­cho­tis de l’» 2. Ce haïku tra­duit et d’autres sont le pre­mier ou­vrage par le­quel la poé­sie et la asia­tiques viennent jusqu’à Mme Mar­gue­rite Your­ce­nar qui a quinze ans : «Ce livre ex­quis a été l’équivalent pour d’une porte en­tre­bâillée; elle ne s’est plus ja­mais re­fer­mée de­puis», écrit-elle dans une lettre da­tée de 1955. En 1982, pen­dant ses trois mois pas­sés au , elle suit sur les sen­tiers étroits la trace de Ba­shô; et tan­dis qu’un ami , qui la guide, com­mence à lui tra­duire «Elles mour­ront bien­tôt…», elle l’interrompt en ci­tant par cœur la chute : «et pour­tant n’en montrent rien / chant des ci­gales». «Peut-être son plus beau poème», pré­cise-t-elle dans un pe­tit ar­ticle in­ti­tulé «Ba­shô sur la route». À Kyôto, elle vi­site la hutte qui a hé­bergé notre poète vers la fin de sa vie — Ra­ku­shi­sha 3la chau­mière où tombent les ka­kis» 4) qui lui «fait pen­ser à la lé­gère dé­pouille d’une ci­gale». À l’intérieur, si on peut par­ler d’intérieur dans un lieu si ou­vert aux in­tem­pé­ries, rien ou presque pour se pro­té­ger du pas­sage des sai­sons, si pré­sentes jus­te­ment dans l’œuvre de Ba­shô «par les in­con­vé­nients et les ma­laises qu’elles ap­portent au­tant que par l’extase des yeux et de l’esprit que dis­pense leur beauté», comme ex­plique Mme Your­ce­nar. Quant au maître lui-même : «Cet am­bu­lant», écrit-elle, «qui a in­ti­tulé l’un de ses “Sou­ve­nirs d’un sque­lette ex­posé aux in­tem­pé­ries” voyage moins pour s’instruire… que pour su­bir. Su­bir est une fa­culté ja­po­naise, pous­sée par­fois jusqu’au ma­so­chisme [!], mais l’émotion et la connais­sance chez Ba­shô naissent de cette sou­mis­sion à l’événement ou à l’incident : la pluie, le vent, les longues marches, les as­cen­sions sur les sen­tiers ge­lés des , les gîtes de ha­sard, comme ce­lui de l’octroi à Shi­to­mae où il une pièce au plan­cher de bat­tue avec un » Sous des ap­pa­rences de pro­me­nades, ces éveillaient la pen­sée de Ba­shô et met­taient sa vie en confor­mité avec la haute idée qu’il se fai­sait du haïku : «Le vent me trans­perce / ré­si­gné à y lais­ser mes os / je pars en voyage»

  1. En ja­po­nais 松尾芭蕉. Au­tre­fois trans­crit Mat­soura Ba­cho, Mat­sura Ba­sho, Mat­souo Ba­shô ou Mat­suwo Ba­shô. Icône Haut
  2. En ja­po­nais «古池や蛙飛こむ水のおと». Icône Haut
  1. En ja­po­nais 落柿舎. Icône Haut
  2. Par­fois tra­duit «la villa où tombent les ka­kis», «villa aux ka­kis tom­bés» ou «la mai­son des ka­kis tom­bés à terre». Icône Haut

« Vörösmarty : le poète de la Renaissance hongroise »

dans « Cosmopolis », vol. 10, p. 115-128

dans «Cos­mo­po­lis», vol. 10, p. 115-128

Il s’agit de Mi­chel Vörös­marty (Mihály Vörös­marty 1), le pre­mier poète com­plet dont la ait pu s’enorgueillir (XIXe siècle). Après avoir ré­sisté aux in­va­sions étran­gères pen­dant une bonne par­tie de son , la Hon­grie avait senti s’user ses forces; la lé­thar­gie l’avait sai­sie, et elle avait éprouvé une es­pèce de lent en­gour­dis­se­ment dont elle ne de­vait s’éveiller qu’avec les guerres na­po­léo­niennes, après une longue pé­riode de ger­ma­ni­sa­tion et d’anéantissement. «L’instant fut unique. L’activité se ré­ta­blit spon­ta­né­ment, im­pa­tiente de s’exercer; de tous cô­tés, des hommes sur­girent, cher­chant la voie , la bonne orien­ta­tion, l’acte conforme au hon­grois» 2. Un nom do­mine cette pé­riode : Mi­chel Vörös­marty. Grand ré­for­ma­teur de la et créa­teur d’une émi­nem­ment na­tio­nale, ar­tiste noble et pa­triote ar­dent, Vörös­marty ou­vrit le che­min que les Petœfi et les Arany al­laient suivre. À vingt-cinq ans, il acheva son pre­mier chef-d’œuvre : «La Fuite de Zalán» 3Zalán Futása»), cé­lé­brant en dix chants la vic­toire my­thique des Hon­grois dans les d’Alpár et la fuite de Zalán, le chef des Slaves et des Bul­gares 4. En voici le dé­but : «Gloire de nos aïeux, où t’attardes-tu dans la brume noc­turne? On vit s’écrouler [les] siècles, et so­li­taire, tu erres sous leurs dé­combres dans la pro­fon­deur, avec un éclat [qui va] s’affaiblissant» 5. Cette épo­pée fonda la gloire de Vörös­marty; elle re­tra­çait, dans un brillant , les ex­ploits des an­cêtres et leurs luttes pour la conquête du pays. La langue neuve et la na­tio­nale va­lurent au poète l’admiration de ses com­pa­triotes. En 1848, il su­bit les consé­quences de cette gloire. Élu membre de la diète, il prit part à la Ré­vo­lu­tion, et après la ca­tas­trophe de Vilá­gos, qui vit la Hon­grie suc­com­ber sous les forces de la et de l’Autriche, il dut er­rer en se ca­chant dans des huttes de fo­res­tiers : «Nos pa­triam fu­gi­mus» («Nous autres, nous fuyons la pa­trie» 6), écri­vit-il sur la porte d’une ca­bane mi­sé­rable l’ayant abrité une .

  1. Au­tre­fois trans­crit Mi­chel Vœrœs­marty. Icône Haut
  2. «Un Poète hon­grois : Vörös­marty», p. 8. Icône Haut
  3. Par­fois tra­duit «La Dé­faite de Zalán». Icône Haut
  1. La chro­nique «Gesta Hun­ga­ro­rum» («Geste des Hon­grois», in­édit en ), qui a servi de source à Vörös­marty, dit : «Le grand “khan”, prince de , grand-père du prince Zalán, s’était em­paré de la qui se trouve entre la Theisse et le Da­nube… et il avait fait ha­bi­ter là des Slaves et des Bul­gares» («Ter­ram, quæ ja­cet in­ter This­ciam et Da­nu­bium, præoc­cu­pa­vis­set sibi “kea­nus” ma­gnus, dux Bul­ga­rie, avus Sa­lani du­cis… et fe­cis­set ibi ha­bi­tare Scla­vos et Bul­ga­ros»). Icône Haut
  2. «Un Poète hon­grois : Vörös­marty», p. 8. Icône Haut
  3. Vir­gile, «Bu­co­liques», poème I, v. 4. Icône Haut

« Les Auteurs du printemps russe. Galitch »

éd. Noir sur blanc, Montricher

éd. Noir sur blanc, Mon­tri­cher

Il s’agit de M. Alexandre Ga­litch 1, poète-chan­son­nier (XXe siècle). Avec son pen­chant à la cor­ro­sive, son ma­nie­ment de l’argot des camps, son art de sai­sir les dé­tails pi­quants de la des classes in­fé­rieures ou per­sé­cu­tées aux­quelles il ap­par­te­nait, M. Ga­litch a inau­guré, gui­tare au poing, le genre du court sketch mis en vers et rendu avec une sû­reté éton­nante dans les ac­cents et l’intonation. Dis­si­dentes, sub­ver­sives, ses bal­lades gê­naient le pou­voir, qui ne pou­vait leur par­don­ner de dire à haute ce que l’ de la masse, l’homme de la rue pen­sait tout bas. Ré­pan­dues très vite grâce à la du ma­gné­to­phone, elles raillaient la no­menk­la­tura bu­reau­cra­tique et ses pri­vi­lèges («pri­vi­lèges no­menk­la­tu­raux, tra­hi­sons no­menk­la­tu­rales», chan­taient-elles en re­frain) ainsi que l’humeur peu­reuse des pe­tits comme ce­lui qui, ayant rêvé qu’il était le géant At­las, ne parla de son rêve «ni à sa fille ni à sa femme» («ni dot­cheri ni jené» 2) pour ne pas éveiller de soup­çons. Aussi, en dé­pit de leur qua­lité , en dé­pit de la po­pu­la­rité de leur au­teur, de­venu l’une des «voix de che­vet» des étu­diants et an­ti­con­for­mistes so­vié­tiques, elles n’avaient au­cune d’être im­pri­mées dans les re­vues au­to­ri­sées. On ne les pu­blia qu’à l’étranger : en 1969, 1972 et 1974 à Franc­fort sous le titre de «» («Pesni» 3) ou «La Gé­né­ra­tion per­due» 4Po­ko­lé­nié obret­chion­nykh» 5) de même qu’en 1971 à Pa­ris sous le titre de «Poèmes de » («Poemy Ros­sii» 6). Ces pa­ru­tions clan­des­tines ag­gra­vèrent en­core le cas de M. Ga­litch aux yeux des au­to­ri­tés. Ex­pulsé de l’Union des et celle des ci­néastes, vi­sité par des agents de sur­veillance, convo­qué au KGB, rayé des scènes où il avait par­ti­cipé en tant qu’acteur, sans par­ler des en­re­gis­tre­ments de ses bal­lades qu’on confis­quait chez ses amis, M. Ga­litch se vit contraint en 1974 de quit­ter cette Rus­sie à la­quelle il était pour­tant vis­cé­ra­le­ment at­ta­ché.

  1. En russe Александр Галич. Par­fois trans­crit Alexan­der Ga­lich, Alek­sandr Ga­licz ou Alek­sandr Ga­lič. De son vrai nom Alexandre Aro­no­vitch Guinz­bourg (Александр Аронович Гинзбург). Par­fois trans­crit Gins­burg, Guins­bourg, Ginz­burg ou Ginz­bourg. Icône Haut
  2. En russe «ни дочери ни жене» Icône Haut
  3. En russe «Песни» Icône Haut
  1. Au­tre­fois tra­duit «La Gé­né­ra­tion des condam­nés». Icône Haut
  2. En russe «Поколение обречённых». Par­fois trans­crit «Po­ko­le­nie obret­chen­nych» ou «Po­ko­le­nie obre­chen­nykh». Icône Haut
  3. En russe «Поэмы России». Icône Haut

« Chiyo-ni : une femme éprise de poésie »

éd. Pippa, coll. Kolam-Poésie, Paris

éd. Pippa, coll. Ko­lam-, Pa­ris

Il s’agit d’une tra­duc­tion par­tielle de Kaga no Tchiyo-jo 1, poé­tesse et nonne ja­po­naise (XVIIIe siècle apr. J.-C.), éga­le­ment connue sous le sur­nom de Tchiyo-ni 2Tchiyo la nonne»). Un maître du haïku, Ro­ghennbô 3, passa par la ville de pro­vince où ha­bi­tait Tchiyo, en­core toute jeune. «N’importe com­ment», pensa-t-elle, «je sol­li­ci­te­rai d’un haï­kiste aussi cé­lèbre des conseils sur l’art de com­po­ser…» Et pous­sée par le dé­mon de la poé­sie, elle s’en alla frap­per à la porte de l’auberge et prier Ro­ghennbô de lui don­ner une le­çon de poé­sie. Fa­ti­gué par le long voyage, il lui dit de prendre l’encre et le pa­pier et de com­po­ser quelque chose sur un su­jet tout in­di­qué par la sai­son : le cou­cou. Puis, sans plus s’inquiéter d’elle, il com­mença à dor­mir en ron­flant. Après avoir lon­gue­ment ré­flé­chi, Tchiyo com­posa une poé­sie et de­manda ti­mi­de­ment : «Ex­cu­sez-, s’il vous plaît… — Qu’est-ce qu’il y a?», dit le poète brus­que­ment ré­veillé. Et tou­jours al­longé, il lut la poé­sie qui lui était pré­sen­tée sur un rou­leau de pa­pier. Il fut très sur­pris de voir qu’une fille de quinze ans était ca­pable d’écrire avec tant de ta­lent; mais ca­chant son vé­ri­table sen­ti­ment, il dé­clara : «Voici une poé­sie qui n’a pas de sens. Com­pose donc quelque chose de plus vi­vant». Et peu après, il se re­mit à ron­fler. L’élève conti­nua à mé­di­ter et à écrire. Elle com­posa vingt poé­sies, trente poé­sies, sans oser les mon­trer. À me­sure que les heures s’écoulaient, des tas de pa­piers noir­cis s’entassaient. Ayant perdu la no­tion du , elle se dé­sola : «Ah! n’a pas voulu m’accorder le ta­lent d’une vraie poé­tesse. Dès aujourd’hui, c’est fini; je re­nonce com­plè­te­ment à écrire». Au même ins­tant, le son d’une cloche, ve­nant on ne sait d’où, an­nonça l’arrivée de l’aurore. Ro­ghennbô, qui était moine, se sou­leva d’un bond sur sa couche : «Comme j’ai bien dormi! Mais… se­rait-ce déjà le ma­tin?» 4 Au bruit de la qui frap­pait l’air, Tchiyo re­vint tout à coup à la . Sans pen­ser, déses­pé­ré­ment, elle mur­mura cette ex­quise poé­sie :

«Cou­cou!
Cou­cou! à ces mots,
Le jour est venu
»

  1. En 加賀千代女. Par­fois trans­crit Kaga no Chiyo-jo. Icône Haut
  2. En ja­po­nais 千代尼. Par­fois trans­crit Chiyo-ni. Icône Haut
  1. En ja­po­nais 盧元坊. Par­fois trans­crit Ro­genbō. Icône Haut
  2. «Une Poé­tesse ja­po­naise au XVIIIe siècle : Kaga no Tchiyo-jo», p. 91-93. Icône Haut

Seigetsu, « Jours d’errance : cent neuf haïkus »

éd. des Lisières, coll. Aphyllante, Sainte-Jalle

éd. des Li­sières, coll. Aphyl­lante, Sainte-Jalle

Il s’agit d’une tra­duc­tion par­tielle d’Inoue Sei­getsu 1, haï­kiste qui vé­cut et mou­rut dans la men­di­cité (XIXe siècle). On dit par­fois «qu’un écri­vain ne de­vrait pas avoir d’autre que ses ». Mais tombe-t-on sur quelque au­teur dis­cret, étran­ger à ce qu’on ap­pelle «le », n’ayant ni aïeux ni connue, on se rend compte com­bien un his­to­rien nous au­rait été d’un grand se­cours. Il nous au­rait mon­tré la mai­son de l’écrivain et nous au­rait donné de lui un si­gna­le­ment aussi exact que s’il eût été fait au Bu­reau des pas­se­ports. Quelle fut l’origine et l’ de Sei­getsu? Com­ment fut-il bal­lotté par les vagues tu­mul­tueuses de la fin de l’époque d’Edo et du dé­but de celle de Meiji? Voilà des ques­tions aux­quelles per­sonne ne peut ré­pondre. Dans sa trente-sixième ou trente-sep­tième an­née, ayant jeté ses de sa­mou­raï, cet ap­pa­rut de nulle part le long de la val­lée d’Ina, dans la pro­vince de Na­gano, et il erra pen­dant trente autres an­nées, en pro­po­sant ses poèmes cal­li­gra­phiés à l’encre noire en du gîte et du cou­vert. L’auteur de «Ra­shô­mon», le cé­lèbre , dira au su­jet de ces cal­li­gra­phies : «C’est tel­le­ment beau! On peut dire que c’est une mer­veille» 2. Pour­tant, aussi beaux soient-ils, ces d’ ne nous donnent au­cun moyen pour dé­chi­rer le voile dont Sei­getsu a voulu en­ve­lop­per son . Voici un haïku : «La route du Nord / mon er­rance est ma mai­son / loin­tain de bois» 3. On sup­pose que le vient de se cou­cher sur notre poète tou­jours en marche. C’est l’hiver. Un feu de bois loin­tain, vi­sible à tra­vers une porte cou­lis­sante en pa­pier, éveille de l’é au fond de son cœur. Autre haïku : «Le plu­vier ti­tube / la vient le dé­gri­ser / on en­tend sa » 4. On peut pré­su­mer que notre poète est ivre, et la nuit si froide qu’il a pré­féré mar­cher plu­tôt que de cher­cher vai­ne­ment le som­meil. Il en­tend un plu­vier dans le noir, et sans le voir, il s’imagine l’oiseau en train de ti­tu­ber comme lui, com­pa­gnon de son va­ga­bon­dage et aussi de ses . Der­nier haïku : «Pour le Nou­vel An / un ha­bit tout neuf; ja­dis / j’avais une femme» 5. Notre poète, quelque pauvre qu’il soit, s’est vêtu d’habits neufs pour le jour de l’An comme c’est la cou­tume. Il est seul. Dans la pre­mière moi­tié de sa , il avait un lo­gis ac­cueillant et confor­table; mais on peut de­vi­ner que la perte de sa femme a pré­ci­pité sa dé­ci­sion de s’éloigner de tout et de tous pour s’engager sur la voie du haïku : «Ren­con­trant le haïku», dit-il dans une rare confi­dence 6, «je me mis à suivre le vent, à pour­suivre les nuages, à goû­ter les , les , et cette de­vint la de ma vie».

  1. En ja­po­nais 井上井月. De son vrai nom In­oue Kat­suzo (井上克三). Icône Haut
  2. p. 22 Icône Haut
  3. En ja­po­nais «行暮し越路や榾の遠明り». Icône Haut
  1. En ja­po­nais «酒さめて千鳥のまこときく夜かな». Icône Haut
  2. En ja­po­nais «妻持ちしことも有りしを着衣始». Icône Haut
  3. p. 21. Icône Haut

Issa, « Haïkus satiriques »

éd. Pippa, coll. Kolam-Poésie, Paris

éd. Pippa, coll. Ko­lam-, Pa­ris

Il s’agit de  1, poète (XVIIIe-XIXe siècle). C’est le plus grand maître du haïku, plus grand en­core que Ba­shô, non seule­ment par son , mais aussi par son im­mense sym­pa­thie pour la qui ne lui fut ce­pen­dant pas clé­mente. D’un être mi­nus­cule, d’un es­car­got ba­vant sous la pluie, il pou­vait faire des ter­cets, dont l’élégante ai­sance émer­veillait hommes et  : «Pe­tit es­car­got / grimpe dou­ce­ment sur­tout / c’est le mont Fuji!» 2 Et aussi : «Porte de bran­chages / pour rem­pla­cer la ser­rure / juste un es­car­got» 3. Issa na­quit à Ka­shi­wa­bara, un pe­tit vil­lage du Shi­nano as­sis dans un re­pli de mon­tagne. La neige fon­dait seule­ment en été; et dès le dé­but de l’automne, le givre ap­pa­rais­sait. Il avait deux ans quand il per­dit sa mère. Cela le ren­dait triste d’entendre tous les autres se mo­quer de lui en chan­tant : «On re­con­naît l’enfant sans mère par­tout, il se tient de­vant la porte en se mor­dant les doigts». Voilà pour­quoi il ne se mê­lait point à leurs , mais res­tait ac­croupi près des fa­gots de bois et des bottes de foin en­tas­sés dans les champs : «Viens donc avec / et amu­sons-nous un peu / moi­neau sans pa­rents!» 4 Il avait sept ans quand son père se re­ma­ria avec une fille de pay­san, sé­vère et dé­ci­dée. Bien vite, elle prit en grippe Issa qui, se­lon elle, avait l’insupportable ma­nie de vou­loir étu­dier. Toute la jour­née, il de­vait tra­vailler la , ra­mas­ser les lé­gumes, faire les foins, me­ner les che­vaux; et toute la soi­rée, as­sis près de la fe­nêtre dans le clair de lune, tres­ser des san­dales et des sa­bots avec de la paille, sans qu’il lui res­tât le moindre mo­ment pour lire. Sa belle-mère lui in­ter­di­sait même de se ser­vir de la lampe. Toutes les fois qu’il pou­vait s’échapper, il al­lait lire en ca­chette chez Na­ka­mura Ro­ku­zae­mon 5, pa­tron d’auberge et poète, tou­jours constant à lui té­moi­gner de l’. Issa avait onze ans quand sa belle-mère mit au un fils. À par­tir de ce jour-là, de dure, elle de­vint mé­chante. Elle l’obligea à s’occuper du bébé, et chaque fois que ce­lui-ci pleu­rait, elle l’en ren­dait de quelque fa­çon res­pon­sable. Il re­ce­vait des coups de bâ­ton cent fois par jour, huit mille fois par mois. Une aube de prin­temps, dans sa qua­tor­zième an­née, las de sa belle-mère et de ses co­lères plus cou­pantes que la bise de mon­tagne, il quitta la mai­son où il était né et prit le che­min de la ca­pi­tale. Son père l’accompagna jusqu’au vil­lage voi­sin et lui dit : «Ne fais rien qui puisse lais­ser les gens pen­ser du de toi, et re­viens bien­tôt me mon­trer ton tendre vi­sage»

  1. En ja­po­nais 小林一茶. Icône Haut
  2. En ja­po­nais «蝸牛そろそろのぼれ富士の山». Icône Haut
  3. En ja­po­nais «柴の戸や錠の代りにかたつむり». Icône Haut
  1. En ja­po­nais «我と来て遊べや親のない雀». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 中村六左衛門. Icône Haut

Issa, « Haïku »

éd. Verdier, Lagrasse

éd. Ver­dier, La­grasse

Il s’agit de  1, poète (XVIIIe-XIXe siècle). C’est le plus grand maître du haïku, plus grand en­core que Ba­shô, non seule­ment par son , mais aussi par son im­mense sym­pa­thie pour la qui ne lui fut ce­pen­dant pas clé­mente. D’un être mi­nus­cule, d’un es­car­got ba­vant sous la pluie, il pou­vait faire des ter­cets, dont l’élégante ai­sance émer­veillait hommes et  : «Pe­tit es­car­got / grimpe dou­ce­ment sur­tout / c’est le mont Fuji!» 2 Et aussi : «Porte de bran­chages / pour rem­pla­cer la ser­rure / juste un es­car­got» 3. Issa na­quit à Ka­shi­wa­bara, un pe­tit vil­lage du Shi­nano as­sis dans un re­pli de mon­tagne. La neige fon­dait seule­ment en été; et dès le dé­but de l’automne, le givre ap­pa­rais­sait. Il avait deux ans quand il per­dit sa mère. Cela le ren­dait triste d’entendre tous les autres se mo­quer de lui en chan­tant : «On re­con­naît l’enfant sans mère par­tout, il se tient de­vant la porte en se mor­dant les doigts». Voilà pour­quoi il ne se mê­lait point à leurs , mais res­tait ac­croupi près des fa­gots de bois et des bottes de foin en­tas­sés dans les champs : «Viens donc avec / et amu­sons-nous un peu / moi­neau sans pa­rents!» 4 Il avait sept ans quand son père se re­ma­ria avec une fille de pay­san, sé­vère et dé­ci­dée. Bien vite, elle prit en grippe Issa qui, se­lon elle, avait l’insupportable ma­nie de vou­loir étu­dier. Toute la jour­née, il de­vait tra­vailler la , ra­mas­ser les lé­gumes, faire les foins, me­ner les che­vaux; et toute la soi­rée, as­sis près de la fe­nêtre dans le clair de lune, tres­ser des san­dales et des sa­bots avec de la paille, sans qu’il lui res­tât le moindre mo­ment pour lire. Sa belle-mère lui in­ter­di­sait même de se ser­vir de la lampe. Toutes les fois qu’il pou­vait s’échapper, il al­lait lire en ca­chette chez Na­ka­mura Ro­ku­zae­mon 5, pa­tron d’auberge et poète, tou­jours constant à lui té­moi­gner de l’. Issa avait onze ans quand sa belle-mère mit au un fils. À par­tir de ce jour-là, de dure, elle de­vint mé­chante. Elle l’obligea à s’occuper du bébé, et chaque fois que ce­lui-ci pleu­rait, elle l’en ren­dait de quelque fa­çon res­pon­sable. Il re­ce­vait des coups de bâ­ton cent fois par jour, huit mille fois par mois. Une aube de prin­temps, dans sa qua­tor­zième an­née, las de sa belle-mère et de ses co­lères plus cou­pantes que la bise de mon­tagne, il quitta la mai­son où il était né et prit le che­min de la ca­pi­tale. Son père l’accompagna jusqu’au vil­lage voi­sin et lui dit : «Ne fais rien qui puisse lais­ser les gens pen­ser du de toi, et re­viens bien­tôt me mon­trer ton tendre vi­sage»

  1. En ja­po­nais 小林一茶. Icône Haut
  2. En ja­po­nais «蝸牛そろそろのぼれ富士の山». Icône Haut
  3. En ja­po­nais «柴の戸や錠の代りにかたつむり». Icône Haut
  1. En ja­po­nais «我と来て遊べや親のない雀». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 中村六左衛門. Icône Haut

Issa, « En village de miséreux : choix de poèmes »

éd. Gallimard, coll. Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Connais­sance de l’, Pa­ris

Il s’agit de  1, poète (XVIIIe-XIXe siècle). C’est le plus grand maître du haïku, plus grand en­core que Ba­shô, non seule­ment par son , mais aussi par son im­mense sym­pa­thie pour la qui ne lui fut ce­pen­dant pas clé­mente. D’un être mi­nus­cule, d’un es­car­got ba­vant sous la pluie, il pou­vait faire des ter­cets, dont l’élégante ai­sance émer­veillait hommes et  : «Pe­tit es­car­got / grimpe dou­ce­ment sur­tout / c’est le mont Fuji!» 2 Et aussi : «Porte de bran­chages / pour rem­pla­cer la ser­rure / juste un es­car­got» 3. Issa na­quit à Ka­shi­wa­bara, un pe­tit vil­lage du Shi­nano as­sis dans un re­pli de mon­tagne. La neige fon­dait seule­ment en été; et dès le dé­but de l’automne, le givre ap­pa­rais­sait. Il avait deux ans quand il per­dit sa mère. Cela le ren­dait triste d’entendre tous les autres se mo­quer de lui en chan­tant : «On re­con­naît l’enfant sans mère par­tout, il se tient de­vant la porte en se mor­dant les doigts». Voilà pour­quoi il ne se mê­lait point à leurs , mais res­tait ac­croupi près des fa­gots de bois et des bottes de foin en­tas­sés dans les champs : «Viens donc avec / et amu­sons-nous un peu / moi­neau sans pa­rents!» 4 Il avait sept ans quand son père se re­ma­ria avec une fille de pay­san, sé­vère et dé­ci­dée. Bien vite, elle prit en grippe Issa qui, se­lon elle, avait l’insupportable ma­nie de vou­loir étu­dier. Toute la jour­née, il de­vait tra­vailler la , ra­mas­ser les lé­gumes, faire les foins, me­ner les che­vaux; et toute la soi­rée, as­sis près de la fe­nêtre dans le clair de lune, tres­ser des san­dales et des sa­bots avec de la paille, sans qu’il lui res­tât le moindre mo­ment pour lire. Sa belle-mère lui in­ter­di­sait même de se ser­vir de la lampe. Toutes les fois qu’il pou­vait s’échapper, il al­lait lire en ca­chette chez Na­ka­mura Ro­ku­zae­mon 5, pa­tron d’auberge et poète, tou­jours constant à lui té­moi­gner de l’. Issa avait onze ans quand sa belle-mère mit au un fils. À par­tir de ce jour-là, de dure, elle de­vint mé­chante. Elle l’obligea à s’occuper du bébé, et chaque fois que ce­lui-ci pleu­rait, elle l’en ren­dait de quelque fa­çon res­pon­sable. Il re­ce­vait des coups de bâ­ton cent fois par jour, huit mille fois par mois. Une aube de prin­temps, dans sa qua­tor­zième an­née, las de sa belle-mère et de ses co­lères plus cou­pantes que la bise de mon­tagne, il quitta la mai­son où il était né et prit le che­min de la ca­pi­tale. Son père l’accompagna jusqu’au vil­lage voi­sin et lui dit : «Ne fais rien qui puisse lais­ser les gens pen­ser du de toi, et re­viens bien­tôt me mon­trer ton tendre vi­sage»

  1. En ja­po­nais 小林一茶. Icône Haut
  2. En ja­po­nais «蝸牛そろそろのぼれ富士の山». Icône Haut
  3. En ja­po­nais «柴の戸や錠の代りにかたつむり». Icône Haut
  1. En ja­po­nais «我と来て遊べや親のない雀». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 中村六左衛門. Icône Haut

Issa, « “Ora ga haru”, Mon Année de printemps »

éd. C. Defaut, Nantes

éd. C. De­faut, Nantes

Il s’agit de  1, poète (XVIIIe-XIXe siècle). C’est le plus grand maître du haïku, plus grand en­core que Ba­shô, non seule­ment par son , mais aussi par son im­mense sym­pa­thie pour la qui ne lui fut ce­pen­dant pas clé­mente. D’un être mi­nus­cule, d’un es­car­got ba­vant sous la pluie, il pou­vait faire des ter­cets, dont l’élégante ai­sance émer­veillait hommes et  : «Pe­tit es­car­got / grimpe dou­ce­ment sur­tout / c’est le mont Fuji!» 2 Et aussi : «Porte de bran­chages / pour rem­pla­cer la ser­rure / juste un es­car­got» 3. Issa na­quit à Ka­shi­wa­bara, un pe­tit vil­lage du Shi­nano as­sis dans un re­pli de mon­tagne. La neige fon­dait seule­ment en été; et dès le dé­but de l’automne, le givre ap­pa­rais­sait. Il avait deux ans quand il per­dit sa mère. Cela le ren­dait triste d’entendre tous les autres se mo­quer de lui en chan­tant : «On re­con­naît l’enfant sans mère par­tout, il se tient de­vant la porte en se mor­dant les doigts». Voilà pour­quoi il ne se mê­lait point à leurs , mais res­tait ac­croupi près des fa­gots de bois et des bottes de foin en­tas­sés dans les champs : «Viens donc avec / et amu­sons-nous un peu / moi­neau sans pa­rents!» 4 Il avait sept ans quand son père se re­ma­ria avec une fille de pay­san, sé­vère et dé­ci­dée. Bien vite, elle prit en grippe Issa qui, se­lon elle, avait l’insupportable ma­nie de vou­loir étu­dier. Toute la jour­née, il de­vait tra­vailler la , ra­mas­ser les lé­gumes, faire les foins, me­ner les che­vaux; et toute la soi­rée, as­sis près de la fe­nêtre dans le clair de lune, tres­ser des san­dales et des sa­bots avec de la paille, sans qu’il lui res­tât le moindre mo­ment pour lire. Sa belle-mère lui in­ter­di­sait même de se ser­vir de la lampe. Toutes les fois qu’il pou­vait s’échapper, il al­lait lire en ca­chette chez Na­ka­mura Ro­ku­zae­mon 5, pa­tron d’auberge et poète, tou­jours constant à lui té­moi­gner de l’. Issa avait onze ans quand sa belle-mère mit au un fils. À par­tir de ce jour-là, de dure, elle de­vint mé­chante. Elle l’obligea à s’occuper du bébé, et chaque fois que ce­lui-ci pleu­rait, elle l’en ren­dait de quelque fa­çon res­pon­sable. Il re­ce­vait des coups de bâ­ton cent fois par jour, huit mille fois par mois. Une aube de prin­temps, dans sa qua­tor­zième an­née, las de sa belle-mère et de ses co­lères plus cou­pantes que la bise de mon­tagne, il quitta la mai­son où il était né et prit le che­min de la ca­pi­tale. Son père l’accompagna jusqu’au vil­lage voi­sin et lui dit : «Ne fais rien qui puisse lais­ser les gens pen­ser du de toi, et re­viens bien­tôt me mon­trer ton tendre vi­sage»

  1. En ja­po­nais 小林一茶. Icône Haut
  2. En ja­po­nais «蝸牛そろそろのぼれ富士の山». Icône Haut
  3. En ja­po­nais «柴の戸や錠の代りにかたつむり». Icône Haut
  1. En ja­po­nais «我と来て遊べや親のない雀». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 中村六左衛門. Icône Haut

Baïf, « Œuvres complètes. Tome III. Les Jeux »

éd. H. Champion, Paris

éd. H. Cham­pion, Pa­ris

Il s’agit des «Œuvres com­plètes» de  1, poète (XVIe siècle apr. J.-C.). Tan­dis que Du Bel­lay et Ron­sard ont vu maintes fois leurs «Œuvres com­plètes» édi­tées, celles de Baïf ont dû at­tendre le XXIe siècle pour être en­fin réunies (en­core que seuls les pre­miers tomes ont paru à ce jour). Il est vrai que ses vers, où il est tout de même aisé de trou­ver quelques pas­sages ad­mi­rables, sont sou­vent de lec­ture la­bo­rieuse et ré­com­pen­sée. Son est gauche. Son est toute d’emprunt. Il prend à pleines mains dans les de l’«An­tho­lo­gie grecque» et leurs imi­ta­teurs néo-la­tins, à moins qu’il ne pille les pé­trar­quistes et les bem­bistes ita­liens. Vic­time de sa trop grande fa­ci­lité, il laisse pas­ser des in­cor­rec­tions, des so­lé­cismes, des mal­adresses et écrit né­gli­gem­ment, sans tâ­ton­ne­ment comme sans re­touches : «La phrase s’étend, s’étire, abuse des re­jets…; parce qu’il ne sut ja­mais ni se sur­veiller ni se contraindre», dé­clare un  2. «On pour­rait presque dire qu’on a plus de peine à lire ses vers, qu’il n’en eut… à les com­po­ser; car il pa­raît que, de son , on l’accusait déjà de né­gli­gence», disent d’autres 3. Au reste, Baïf se rend compte de sa non­cha­lance, l’avoue et ne veut pas s’en cor­ri­ger : «Le pis que l’on dira, c’est que je suis de ceux qui à se re­po­lir sont un peu pa­res­seux, et que mes rudes vers n’ont [pas] été, sur l’enclume, re­mis as­sez de fois» 4. Feuille­tant ses propres poèmes, il trouve «leur su­jet si bi­zarre et di­vers, qu’en lire trois du long de grand- je n’ose» 5; mais loin d’essayer de cor­ri­ger ces bi­zar­re­ries, il af­fecte une en­tière in­dif­fé­rence et pré­fère re­non­cer aux pre­mières places : «Mon but est de me plaire aux que je chante… Si nul ne s’en contente, il faut que je m’en passe» 6. De plus en plus, il se sent une vo­ca­tion de ré­for­ma­teur. Tra­duc­teur de l’«An­ti­gone» de So­phocle et de «L’Eunuque» de Té­rence, au moins au­tant mu­si­cien que poète, il veut sim­pli­fier l’orthographe en la ré­dui­sant à la pho­né­tique et ap­pli­quer à la le vers mé­trique. Pour as­su­rer le de sa , il fonde une Aca­dé­mie de et de , plus d’un demi-siècle avant l’. Son Aca­dé­mie ne réus­sira pas mieux que ses vers et son or­tho­graphe. Néan­moins, on ne peut qu’admirer la per­sé­vé­rance de ce grand ex­pé­ri­men­ta­teur qui, de poé­sie en poé­sie, al­lait mul­ti­pliant les ten­ta­tives; par le foi­son­ne­ment de ses «Œuvres com­plètes», il mé­rite cette épi­taphe qu’un contem­po­rain 7 lui a dres­sée : «Baïf étant la de Poé­sie, il fit — épris de haute — cou­ler par­tout les ondes de Per­messe 8, sui­vant les pas des muses de la … Ores qu’il est … cette belle pour la est ta­rie».

  1. On ren­contre aussi les gra­phies Jean-An­toine de Bayf et Jan-An­toéne de Baïf. Icône Haut
  2. Raoul Mor­çay. Icône Haut
  3. Claude-Sixte Sau­treau de Marsy et Bar­thé­lemy Im­bert. Icône Haut
  4. Le poème «Ma Fran­cine, il est temps de te mon­trer au jour…». Icône Haut
  1. Le poème «, quand je re­vois tout ce que je com­pose…». Icône Haut
  2. Le poème «Mais sans m’en avi­ser se­rais-je mi­sé­rable?…». Icône Haut
  3. Jean Vau­que­lin de La Fres­naye. Icône Haut
  4. Ri­vière ar­ro­sant la de­meure des muses. Icône Haut

Issa, « Et pourtant, et pourtant : poèmes »

éd. Moundarren, Millemont

éd. Moun­dar­ren, Mil­le­mont

Il s’agit de  1, poète (XVIIIe-XIXe siècle). C’est le plus grand maître du haïku, plus grand en­core que Ba­shô, non seule­ment par son , mais aussi par son im­mense sym­pa­thie pour la qui ne lui fut ce­pen­dant pas clé­mente. D’un être mi­nus­cule, d’un es­car­got ba­vant sous la pluie, il pou­vait faire des ter­cets, dont l’élégante ai­sance émer­veillait hommes et  : «Pe­tit es­car­got / grimpe dou­ce­ment sur­tout / c’est le mont Fuji!» 2 Et aussi : «Porte de bran­chages / pour rem­pla­cer la ser­rure / juste un es­car­got» 3. Issa na­quit à Ka­shi­wa­bara, un pe­tit vil­lage du Shi­nano as­sis dans un re­pli de mon­tagne. La neige fon­dait seule­ment en été; et dès le dé­but de l’automne, le givre ap­pa­rais­sait. Il avait deux ans quand il per­dit sa mère. Cela le ren­dait triste d’entendre tous les autres se mo­quer de lui en chan­tant : «On re­con­naît l’enfant sans mère par­tout, il se tient de­vant la porte en se mor­dant les doigts». Voilà pour­quoi il ne se mê­lait point à leurs , mais res­tait ac­croupi près des fa­gots de bois et des bottes de foin en­tas­sés dans les champs : «Viens donc avec / et amu­sons-nous un peu / moi­neau sans pa­rents!» 4 Il avait sept ans quand son père se re­ma­ria avec une fille de pay­san, sé­vère et dé­ci­dée. Bien vite, elle prit en grippe Issa qui, se­lon elle, avait l’insupportable ma­nie de vou­loir étu­dier. Toute la jour­née, il de­vait tra­vailler la , ra­mas­ser les lé­gumes, faire les foins, me­ner les che­vaux; et toute la soi­rée, as­sis près de la fe­nêtre dans le clair de lune, tres­ser des san­dales et des sa­bots avec de la paille, sans qu’il lui res­tât le moindre mo­ment pour lire. Sa belle-mère lui in­ter­di­sait même de se ser­vir de la lampe. Toutes les fois qu’il pou­vait s’échapper, il al­lait lire en ca­chette chez Na­ka­mura Ro­ku­zae­mon 5, pa­tron d’auberge et poète, tou­jours constant à lui té­moi­gner de l’. Issa avait onze ans quand sa belle-mère mit au un fils. À par­tir de ce jour-là, de dure, elle de­vint mé­chante. Elle l’obligea à s’occuper du bébé, et chaque fois que ce­lui-ci pleu­rait, elle l’en ren­dait de quelque fa­çon res­pon­sable. Il re­ce­vait des coups de bâ­ton cent fois par jour, huit mille fois par mois. Une aube de prin­temps, dans sa qua­tor­zième an­née, las de sa belle-mère et de ses co­lères plus cou­pantes que la bise de mon­tagne, il quitta la mai­son où il était né et prit le che­min de la ca­pi­tale. Son père l’accompagna jusqu’au vil­lage voi­sin et lui dit : «Ne fais rien qui puisse lais­ser les gens pen­ser du de toi, et re­viens bien­tôt me mon­trer ton tendre vi­sage»

  1. En ja­po­nais 小林一茶. Icône Haut
  2. En ja­po­nais «蝸牛そろそろのぼれ富士の山». Icône Haut
  3. En ja­po­nais «柴の戸や錠の代りにかたつむり». Icône Haut
  1. En ja­po­nais «我と来て遊べや親のない雀». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 中村六左衛門. Icône Haut