Yang Wan-li, «Le Son de la pluie : poèmes»

éd. Moundarren, Millemont

éd. Moun­dar­ren, Mil­le­mont

Il s’agit de Yang Wan-li 1, le plus grand poète des Song du Sud et un des pre­miers en Chine à avoir sou­tenu que «[l’écrivain] ne re­cherche pas le poème, c’est le poème qui re­cherche l’écrivain» 2. Il na­quit en 1127. Tout juste un an au­pa­ra­vant, les hordes no­mades des Jürčen 3 s’étaient mises en mou­ve­ment. Et après avoir, déjà de­puis un siècle, constam­ment in­quiété les fron­tières chi­noises, elles avaient en­vahi la moi­tié du pays, mis à sac sa ca­pi­tale et ins­tallé un nou­vel Em­pire au Nord, re­fou­lant les Song au Sud. Cette ca­la­mité que les Song n’avaient pas su évi­ter, mal­gré les conseils et les ad­mo­nes­ta­tions ré­pé­tées des let­trés, montre bien la dé­ca­dence de cette dy­nas­tie qui aima mieux ache­ter aux en­va­his­seurs une paix hon­teuse, que d’interrompre le cours de ses vo­lup­tés. C’est au mi­lieu de ces évé­ne­ments graves que Yang Wan-li ac­céda à vingt-huit ans au titre de «doc­teur» ou «let­tré ac­com­pli» («jin­shi» 4), le plus élevé dans le sys­tème d’examen. Le pre­mier poste qu’il oc­cupa à son en­trée dans le man­da­ri­nat fut ce­lui d’administrateur des fi­nances de la pré­fec­ture de Ganz­hou. Et en 1159, il fut nommé pré­fet du Lin­gling, dans le Hu­nan. Là-bas, il es­saya par trois fois d’être ad­mis en au­dience au­près du grand homme d’État Zhang Jun 5, qui y avait été in­jus­te­ment exilé pour s’être rangé du côté des fac­tions pa­trio­tiques, dé­si­reuses de re­con­qué­rir par les armes les ter­ri­toires per­dus au Nord. L’audience lui fut, en­fin, ac­cor­dée : «Cultive l’impartialité et la sin­cé­rité», conseilla Zhang Jun au jeune Yang Wan-li, qui en fut si for­te­ment mar­qué, qu’il prit plus tard le pseu­do­nyme de Cheng Zhai 6le Stu­dio de la Sin­cé­rité»). Mal­gré toute sa sin­cé­rité, ou jus­te­ment à cause d’elle, Yang Wan-li ne s’éleva ja­mais aussi haut qu’il l’aurait mé­rité au sein du gou­ver­ne­ment. Par contre, la dé­ca­dence ayant pour ef­fet pa­ra­doxal de dé­cu­pler le raf­fi­ne­ment ar­tis­tique, le côté émo­tion­nel chez quelques âmes iso­lées, c’est alors que notre man­da­rin fit l’expérience d’une illu­mi­na­tion su­bite, un Éveil d’une in­ten­sité rare, qui lui fit quit­ter sa car­rière «comme une chaus­sure trouée» pour celle de la poé­sie. Je le laisse tout ra­con­ter : «Le jour du Nou­vel An de l’année 1178… ayant peu d’affaires of­fi­cielles à ré­gler, je me mets à com­po­ser des poèmes. Sou­dain, j’ai comme une illu­mi­na­tion… et me sens tout à coup li­béré. Je de­mande à mon fils de prendre un pin­ceau et lui dicte plu­sieurs poèmes… Dix mille choses se pré­sentent comme ma­tière à un poème. Si j’essaie de les écar­ter, elles re­fusent de par­tir. À peine ai-je le temps de tra­duire la pre­mière, que déjà les autres suivent».

«je n’avais pas en­core com­pris le son de la pluie, la nuit, sur la ri­vière prin­ta­nière!»

Yang Wan-li ré­di­gera, à comp­ter de ce jour, une œuvre im­mense qui com­prend plus de quatre mille deux cents poèmes. Le poète y tient pour un art su­prême non pas le fait d’être ca­pable d’écrire, mais le fait d’être in­ca­pable de ne pas écrire, comme les nuages trop pleins de pluie ne peuvent s’empêcher de dé­ver­ser leur eau sa­lu­taire. Ainsi dans le poème «À Guang-kou, pluie noc­turne» («Guang-kou, ye yu» 7) qui dé­crit ad­mi­ra­ble­ment les ef­fets de cette plé­ni­tude, de cette pro­fu­sion lorsqu’elle éclate à l’extérieur, ne pou­vant plus se conte­nir : «La pluie est cin­glante. Au mi­lieu de la nuit, “xiao xiao!”, le son froid com­mence. Sur une bas­sine en cris­tal sau­tillent dix mille perles. Le son clair de chaque goutte pé­nètre jusqu’à l’os. Sor­tant du rêve, je gratte ma tête et me lève pour écou­ter. J’écoute, j’écoute, jusqu’à l’aube. Toute ma vie, j’ai écouté la pluie, et main­te­nant, ma tête est blanche. Pour­tant, je n’avais pas en­core com­pris le son de la pluie, la nuit, sur la ri­vière prin­ta­nière!»

Il n’existe pas moins de deux tra­duc­tions fran­çaises des poèmes, mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de Mme Cheng Wing fun et M. Hervé Col­let.

「芭蕉得雨便欣然,
終夜作聲清更妍.
細聲巧學蠅觸紙,
大聲鏘若山落泉.
三點五點俱可聽,
萬籟不生秋夕靜.
芭蕉自喜人自愁……」

 Poème dans la langue ori­gi­nale

«Quand les ba­na­niers ren­contrent la pluie, aus­si­tôt ils se ré­jouissent
Toute la nuit ils pro­duisent un son clair, joli de sur­croît
Les notes aigües imitent in­gé­nieu­se­ment les mouches heur­tant le pa­pier
Les notes graves ré­sonnent comme une source des­cen­dant la mon­tagne
Trois gouttes, cinq gouttes, je les en­tends toutes dis­tinc­te­ment
Les dix mille bruits se sont tus, cette nuit d’automne est tran­quille
Les ba­na­niers seuls se ré­jouissent, l’homme seul s’attriste…»
— Poème dans la tra­duc­tion de Mme Cheng et M. Col­let

«Que le ba­na­nier a de joie à re­ce­voir la pluie!
Le bruit, toute la nuit, en fut clair et plai­sant :
Tan­tôt sons me­nus d’une mouche heur­tant une vitre de pa­pier,
Tan­tôt fra­cas puis­sant de cas­cade dé­va­lant les mon­tagnes.
Au tin­te­ment lim­pide des gouttes es­pa­cées,
Toute autre ru­meur s’est tue en ce calme soir d’automne.
Le ba­na­nier est heu­reux, mais l’homme s’attriste…»
— Poème dans la tra­duc­tion de Mme Pé­né­lope Bour­geois, re­vue par M. Max Kal­ten­mark (dans «An­tho­lo­gie de la poé­sie chi­noise clas­sique», éd. Gal­li­mard-UNESCO, coll. Connais­sance de l’Orient, Pa­ris)

Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  • An­dré Lévy, «Yang Wanli» dans «Dic­tion­naire uni­ver­sel des lit­té­ra­tures» (éd. Presses uni­ver­si­taires de France, Pa­ris)
  • Georges Mar­gou­liès, «His­toire de la lit­té­ra­ture chi­noise. Poé­sie» (éd. Payot, coll. Bi­blio­thèque his­to­rique, Pa­ris).
  1. En chi­nois 楊萬里. Haut
  2. Poème «Froid tar­dif, com­posé de­vant les nar­cisses sur le lac de mon­tagne». Haut
  3. Les ac­tuels Mand­chous. Haut
  4. En chi­nois 進士. Par­fois trans­crit «chin shih». Haut
  1. En chi­nois 張浚. Par­fois trans­crit Chang Chun. Haut
  2. En chi­nois 誠齋. Par­fois trans­crit Cheng Chai. Haut
  3. En chi­nois «光口夜雨». Haut