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su­jet

Sarafian, «Le Livre de la sagesse»

dans Stéphane Cermakian, « Poétique de l’exil : Friedrich Hölderlin, Arthur Rimbaud et Nigoghos Sarafian » (éd. Classiques Garnier, coll. Littérature • Histoire • Politique, Paris), p. 337-346

dans Sté­phane Cer­ma­kian, «Poé­tique de l’exil : Frie­drich Höl­der­lin, Ar­thur Rim­baud et Ni­go­ghos Sa­ra­fian» (éd. Clas­siques Gar­nier, coll. Lit­té­ra­ture • His­toire • Po­li­tique, Pa­ris), p. 337-346

Il s’agit d’une tra­duc­tion par­tielle de «Ci­ta­delle» («Mitch­na­pert» 1) de Ni­go­ghos Sa­ra­fian 2, dit Ni­co­las Sa­ra­fian, poète ma­jeur de la dia­spora ar­mé­nienne. Né à bord d’un ba­teau fai­sant route de Constan­ti­nople (Tur­quie) à Varna (Bul­ga­rie), un di­manche de Pâques, Sa­ra­fian n’aura pu s’enraciner nulle part. Le lit­to­ral de la mer Noire, comme plus tard le bois de Vin­cennes, se­ront pour lui les lieux pri­vi­lé­giés où il se sen­tira proche de sa pa­trie, de l’humanité, tout en étant seul au bout du monde, aban­donné de tous, pa­reil à un condamné à mort qui ignore sa faute : «Je re­garde mon pays de la rive étran­gère et je suis étran­ger comme Ar­mé­nien; étran­ger au monde en même temps… Mes poèmes sont mou­vants comme la mer. Mon pays est tou­jours deux, je me sens deux avec lui», écrit-il 3. Sa fa­mille pro­ve­nait de la ville chré­tienne d’Agn 4 (l’actuelle Ke­ma­liye) qu’elle avait dû fuir au mo­ment des mas­sacres di­li­gen­tés par le sul­tan Abdül­ha­mid II, sur­nommé «le sul­tan rouge», en 1895-1896. Et elle dis­pa­rais­sait en par­tie dans le gé­no­cide de 1915. Il ren­con­tra la lit­té­ra­ture sur les bancs des écoles ar­mé­niennes de Varna et Constan­ti­nople, où en­sei­gnaient les grands maîtres, les Ha­gop Ocha­gan, les Va­han Té­kéyan, qui avaient échappé d’une fa­çon ou d’une autre à ces car­nages. Mais avec les at­taques ké­ma­listes de 1922, qui ache­vaient l’œuvre d’extermination com­men­cée des dé­cen­nies au­pa­ra­vant, Sa­ra­fian, comme bon nombre de ses pairs, aban­donna Constan­ti­nople à ja­mais et ga­gna la France par la Bul­ga­rie, la Rou­ma­nie, le reste de l’Europe, lesté d’une unique va­lise, l’adresse d’une église ar­mé­nienne ou celle d’un proche à la main. «Notre pa­trie nous a échappé, elle a glissé sous nos pieds nous pro­je­tant à la mer. Mais c’est la meilleure oc­ca­sion pour ap­prendre à na­ger», écrit-il 5. Dé­bu­tait une vie sa­cri­fiée à la fo­lie d’écrire. À sa fa­çon, toute l’œuvre poé­tique de Sa­ra­fian tente de mé­di­ter sur l’expérience de l’Arménien à l’étranger, de ce­lui qui n’a nulle part où je­ter l’ancre, nul port tran­quille et sûr : «Des­tin de ce­lui qui est né hors de son pays. Je ne puis m’en éloi­gner, et pour­tant je sais que cette sé­pa­ra­tion est in­dis­pen­sable pour créer de grandes choses. La vie ha­le­tante nous at­tend. Les an­nées passent ra­pi­de­ment. Et toutes ces an­nées ont laissé leur amer­tume», écrit-il

  1. En ar­mé­nien oc­ci­den­tal «Միջնաբերդ». Haut
  2. En ar­mé­nien oc­ci­den­tal Նիկողոս Սարաֆեան. Haut
  3. Dans Be­le­dian, «Cin­quante Ans de lit­té­ra­ture ar­mé­nienne en France», p. 428. Haut
  1. En ar­mé­nien oc­ci­den­tal Ակն. Par­fois trans­crit Agĕn ou Akn. Ville fon­dée, au dé­but du XIe siècle apr. J.-C., par des Ar­mé­niens qui vinrent s’établir en Asie Mi­neure avec le roi Sénék‘érim. Haut
  2. Dans id. p. 7. Haut

Sarafian, «Le Bois de Vincennes»

éd. Parenthèses, coll. Arménies, Marseille

éd. Pa­ren­thèses, coll. Ar­mé­nies, Mar­seille

Il s’agit du «Bois de Vin­cennes» («Vén­séni an­dare» 1) de Ni­go­ghos Sa­ra­fian 2, dit Ni­co­las Sa­ra­fian, poète ma­jeur de la dia­spora ar­mé­nienne. Né à bord d’un ba­teau fai­sant route de Constan­ti­nople (Tur­quie) à Varna (Bul­ga­rie), un di­manche de Pâques, Sa­ra­fian n’aura pu s’enraciner nulle part. Le lit­to­ral de la mer Noire, comme plus tard le bois de Vin­cennes, se­ront pour lui les lieux pri­vi­lé­giés où il se sen­tira proche de sa pa­trie, de l’humanité, tout en étant seul au bout du monde, aban­donné de tous, pa­reil à un condamné à mort qui ignore sa faute : «Je re­garde mon pays de la rive étran­gère et je suis étran­ger comme Ar­mé­nien; étran­ger au monde en même temps… Mes poèmes sont mou­vants comme la mer. Mon pays est tou­jours deux, je me sens deux avec lui», écrit-il 3. Sa fa­mille pro­ve­nait de la ville chré­tienne d’Agn 4 (l’actuelle Ke­ma­liye) qu’elle avait dû fuir au mo­ment des mas­sacres di­li­gen­tés par le sul­tan Abdül­ha­mid II, sur­nommé «le sul­tan rouge», en 1895-1896. Et elle dis­pa­rais­sait en par­tie dans le gé­no­cide de 1915. Il ren­con­tra la lit­té­ra­ture sur les bancs des écoles ar­mé­niennes de Varna et Constan­ti­nople, où en­sei­gnaient les grands maîtres, les Ha­gop Ocha­gan, les Va­han Té­kéyan, qui avaient échappé d’une fa­çon ou d’une autre à ces car­nages. Mais avec les at­taques ké­ma­listes de 1922, qui ache­vaient l’œuvre d’extermination com­men­cée des dé­cen­nies au­pa­ra­vant, Sa­ra­fian, comme bon nombre de ses pairs, aban­donna Constan­ti­nople à ja­mais et ga­gna la France par la Bul­ga­rie, la Rou­ma­nie, le reste de l’Europe, lesté d’une unique va­lise, l’adresse d’une église ar­mé­nienne ou celle d’un proche à la main. «Notre pa­trie nous a échappé, elle a glissé sous nos pieds nous pro­je­tant à la mer. Mais c’est la meilleure oc­ca­sion pour ap­prendre à na­ger», écrit-il 5. Dé­bu­tait une vie sa­cri­fiée à la fo­lie d’écrire. À sa fa­çon, toute l’œuvre poé­tique de Sa­ra­fian tente de mé­di­ter sur l’expérience de l’Arménien à l’étranger, de ce­lui qui n’a nulle part où je­ter l’ancre, nul port tran­quille et sûr : «Des­tin de ce­lui qui est né hors de son pays. Je ne puis m’en éloi­gner, et pour­tant je sais que cette sé­pa­ra­tion est in­dis­pen­sable pour créer de grandes choses. La vie ha­le­tante nous at­tend. Les an­nées passent ra­pi­de­ment. Et toutes ces an­nées ont laissé leur amer­tume», écrit-il

  1. En ar­mé­nien oc­ci­den­tal «Վենսենի անտառը». Haut
  2. En ar­mé­nien oc­ci­den­tal Նիկողոս Սարաֆեան. Haut
  3. Dans Be­le­dian, «Cin­quante Ans de lit­té­ra­ture ar­mé­nienne en France», p. 428. Haut
  1. En ar­mé­nien oc­ci­den­tal Ակն. Par­fois trans­crit Agĕn ou Akn. Ville fon­dée, au dé­but du XIe siècle apr. J.-C., par des Ar­mé­niens qui vinrent s’établir en Asie Mi­neure avec le roi Sénék‘érim. Haut
  2. Dans id. p. 7. Haut

Hugo, «Les Chants du crépuscule • Les Voix intérieures • Les Rayons et les Ombres»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des «Rayons et les Ombres» et autres œuvres de Vic­tor Hugo (XIXe siècle). Il faut re­con­naître que Hugo est non seule­ment le pre­mier en rang des écri­vains de langue fran­çaise, de­puis que cette langue a été fixée; mais le seul qui ait un droit vrai­ment ab­solu à ce titre d’écrivain dans sa pleine ac­cep­tion. Toutes les ca­té­go­ries de l’histoire lit­té­raire se trouvent en lui dé­jouées. La cri­tique qui vou­drait dé­mê­ler cette fi­gure ti­ta­nique, stu­pé­fiante, te­nant quelque chose de la di­vi­nité, est en pré­sence du pro­blème le plus in­so­luble. Fut-il poète, ro­man­cier ou pen­seur? Fut-il spi­ri­tua­liste ou réa­liste? Il fut tout cela et plus en­core. Nou­veau don Qui­chotte, cet homme est allé por­ter ses pas sur tous les che­mins de l’esprit, mon­ter sur toutes les bar­ri­cades qu’il ren­con­trait, sou­tien des faibles et pour­fen­deur des ty­rans, son­neur de clai­rons et amant de la vio­lette; si bien qu’aucune des fa­milles qui se par­tagent l’espèce hu­maine au phy­sique et au mo­ral ne peut se l’attribuer en­tiè­re­ment. Tan­tôt égal à la mer, com­paré à la mon­tagne, rap­pro­ché du so­leil, as­si­milé à l’ouragan, tan­tôt phi­lo­sophe, re­dres­seur des abus du siècle, pro­fes­seur d’histoire et guide po­li­tique, tan­tôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à ge­noux de­vant le vieillard pour le vé­né­rer et de­vant l’enfant pour le conso­ler, il fut je ne sais quel suc­cé­dané de la na­ture. Avec sa mort, c’est un monde cy­clo­péen d’idées et d’impressions qui est parti, un conti­nent de gra­nit qui s’est dé­ta­ché et a roulé avec fra­cas au fond des abîmes. «Qui pour­rait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo”?», dit Édouard Dru­mont 1. «Comme l’océan, comme la mon­tagne, comme la fo­rêt, ce gé­nie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues in­ces­sam­ment re­nou­ve­lées; ce qu’on aime dans la fo­rêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces mil­liers d’arbres et ces mil­liers de feuilles qui confondent leur ver­dure et leur bruit.»

  1. «Vic­tor Hugo de­vant l’opinion», p. 104. Haut

Hugo, «Les Orientales • Les Feuilles d’automne»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des «Feuilles d’automne» et autres œuvres de Vic­tor Hugo (XIXe siècle). Il faut re­con­naître que Hugo est non seule­ment le pre­mier en rang des écri­vains de langue fran­çaise, de­puis que cette langue a été fixée; mais le seul qui ait un droit vrai­ment ab­solu à ce titre d’écrivain dans sa pleine ac­cep­tion. Toutes les ca­té­go­ries de l’histoire lit­té­raire se trouvent en lui dé­jouées. La cri­tique qui vou­drait dé­mê­ler cette fi­gure ti­ta­nique, stu­pé­fiante, te­nant quelque chose de la di­vi­nité, est en pré­sence du pro­blème le plus in­so­luble. Fut-il poète, ro­man­cier ou pen­seur? Fut-il spi­ri­tua­liste ou réa­liste? Il fut tout cela et plus en­core. Nou­veau don Qui­chotte, cet homme est allé por­ter ses pas sur tous les che­mins de l’esprit, mon­ter sur toutes les bar­ri­cades qu’il ren­con­trait, sou­tien des faibles et pour­fen­deur des ty­rans, son­neur de clai­rons et amant de la vio­lette; si bien qu’aucune des fa­milles qui se par­tagent l’espèce hu­maine au phy­sique et au mo­ral ne peut se l’attribuer en­tiè­re­ment. Tan­tôt égal à la mer, com­paré à la mon­tagne, rap­pro­ché du so­leil, as­si­milé à l’ouragan, tan­tôt phi­lo­sophe, re­dres­seur des abus du siècle, pro­fes­seur d’histoire et guide po­li­tique, tan­tôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à ge­noux de­vant le vieillard pour le vé­né­rer et de­vant l’enfant pour le conso­ler, il fut je ne sais quel suc­cé­dané de la na­ture. Avec sa mort, c’est un monde cy­clo­péen d’idées et d’impressions qui est parti, un conti­nent de gra­nit qui s’est dé­ta­ché et a roulé avec fra­cas au fond des abîmes. «Qui pour­rait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo”?», dit Édouard Dru­mont 1. «Comme l’océan, comme la mon­tagne, comme la fo­rêt, ce gé­nie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues in­ces­sam­ment re­nou­ve­lées; ce qu’on aime dans la fo­rêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces mil­liers d’arbres et ces mil­liers de feuilles qui confondent leur ver­dure et leur bruit.»

  1. «Vic­tor Hugo de­vant l’opinion», p. 104. Haut

Hugo, «Odes et Ballades»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des «Odes et Bal­lades» et autres œuvres de Vic­tor Hugo (XIXe siècle). Il faut re­con­naître que Hugo est non seule­ment le pre­mier en rang des écri­vains de langue fran­çaise, de­puis que cette langue a été fixée; mais le seul qui ait un droit vrai­ment ab­solu à ce titre d’écrivain dans sa pleine ac­cep­tion. Toutes les ca­té­go­ries de l’histoire lit­té­raire se trouvent en lui dé­jouées. La cri­tique qui vou­drait dé­mê­ler cette fi­gure ti­ta­nique, stu­pé­fiante, te­nant quelque chose de la di­vi­nité, est en pré­sence du pro­blème le plus in­so­luble. Fut-il poète, ro­man­cier ou pen­seur? Fut-il spi­ri­tua­liste ou réa­liste? Il fut tout cela et plus en­core. Nou­veau don Qui­chotte, cet homme est allé por­ter ses pas sur tous les che­mins de l’esprit, mon­ter sur toutes les bar­ri­cades qu’il ren­con­trait, sou­tien des faibles et pour­fen­deur des ty­rans, son­neur de clai­rons et amant de la vio­lette; si bien qu’aucune des fa­milles qui se par­tagent l’espèce hu­maine au phy­sique et au mo­ral ne peut se l’attribuer en­tiè­re­ment. Tan­tôt égal à la mer, com­paré à la mon­tagne, rap­pro­ché du so­leil, as­si­milé à l’ouragan, tan­tôt phi­lo­sophe, re­dres­seur des abus du siècle, pro­fes­seur d’histoire et guide po­li­tique, tan­tôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à ge­noux de­vant le vieillard pour le vé­né­rer et de­vant l’enfant pour le conso­ler, il fut je ne sais quel suc­cé­dané de la na­ture. Avec sa mort, c’est un monde cy­clo­péen d’idées et d’impressions qui est parti, un conti­nent de gra­nit qui s’est dé­ta­ché et a roulé avec fra­cas au fond des abîmes. «Qui pour­rait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo”?», dit Édouard Dru­mont 1. «Comme l’océan, comme la mon­tagne, comme la fo­rêt, ce gé­nie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues in­ces­sam­ment re­nou­ve­lées; ce qu’on aime dans la fo­rêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces mil­liers d’arbres et ces mil­liers de feuilles qui confondent leur ver­dure et leur bruit.»

  1. «Vic­tor Hugo de­vant l’opinion», p. 104. Haut

Sayyâb, «Le Golfe et le Fleuve : poèmes»

éd. Sindbad-Actes Sud, coll. UNESCO d’œuvres représentatives-La Petite Bibliothèque de Sindbad, Arles

éd. Sind­bad-Actes Sud, coll. UNESCO d’œuvres re­pré­sen­ta­tives-La Pe­tite Bi­blio­thèque de Sind­bad, Arles

Il s’agit de M. Badr Cha­ker es-Sayyâb 1, poète ira­kien, qui a af­fran­chi la poé­sie arabe de deux mille ans de mé­trique pour la sou­mettre aux contraintes de la vie nou­velle (XXe siècle). À l’âge de six ans, il perd sa mère; et son père s’étant re­ma­rié, il est re­cueilli par son grand-père. Ce sera pour le poète un pre­mier choc dont il ne se re­met­tra ja­mais, et le dé­but d’une dé­marche nos­tal­gique qui l’accompagnera tout au long de sa vie, abré­gée su­bi­te­ment par la ma­la­die. Cette dé­marche, c’est la re­cherche de sa mère, et au-delà, celle de son pe­tit vil­lage na­tal de Djay­koûr 2 qu’il as­si­mile à l’authenticité, à la terre «[de] l’enfance, [de] l’adolescence qui une fois fut» 3. Cette terre pa­rée de rires, de chants et de par­fums re­pré­sente pour M. Sayyâb une sorte d’Éden dont il n’a été éloi­gné que par «le choc mé­tal­lique de l’argent» et «la ru­meur des ma­chines» 4. Comme Sind­bad le Ma­rin ou Ulysse sur son ba­teau, hanté par le dé­sir du re­tour, M. Sayyâb s’imagine la nuit em­bar­quer sur le crois­sant de lune et «pé­ré­gri­ner avec des nuages pour voiles et l’impossible pour tout port» 5. Comme Achille qui ai­me­rait mille fois mieux être, sur terre, aux gages d’un pauvre homme, que de ré­gner sur les ombres, M. Sayyâb pré­fère être «un en­fant af­famé, en larmes dans la nuit d’Irak, [plu­tôt que] ce mort qui n’eut ja­mais de la vie qu’un spec­tacle» 6. On voit que c’est en mé­lan­geant mythe an­tique et temps mo­dernes que M. Sayyâb pro­duit l’alliage de sa poé­sie : «L’expression di­recte de ce qui n’est pas poé­sie», dit-il 7, «ne peut de­ve­nir poé­tique. Où est alors la so­lu­tion? En ré­ponse, le poète ira vers le mythe, [les] lé­gendes qui ont gardé leur in­ten­sité et leur fraî­cheur; il s’en ser­vira comme ma­té­riaux pour bâ­tir les mondes qui dé­fie­ront la lo­gique de l’or et de l’acier». En­fin, no­tons le contraste que M. Sayyâb se plaît à faire entre la ville et le vil­lage : Pa­ris, le pa­ran­gon des villes, la cité des ci­tés, est un lieu du vice, où «des hommes pris de vin sortent leurs cou­teaux», où «l’air se crispe sous l’éclat de rire des pu­tains»; tan­dis que Djay­koûr est une source de l’innocence «avec un ho­ri­zon de fleurs dans un vase, astres bleus et rouges d’un rêve d’enfant»

  1. En arabe بدر شاكر السياب. Au­tre­fois trans­crit Badr Šā­kir al-Sayyāb, Badr Sha­ker al-Sayyab, Badr Cha­kir al-Sayyab ou Badr Sha­kir as-Sayyab. Haut
  2. En arabe جيكور. Par­fois trans­crit Ǧaykūr, Jay­kour ou Jay­kur. Haut
  3. Poème «La Mai­son de mon grand-père». Haut
  4. Poème «L’Élégie de Djay­koûr». Haut
  1. Poème «La Mai­son de mon grand-père». Haut
  2. Poème «Iq­bâl et la Nuit». Haut
  3. Dans «Les Ca­hiers de l’Oronte», p. 90. Haut

Sayyâb, «Les Poèmes de Djaykoûr»

éd. Fata Morgana, Saint-Clément-de-Rivière

éd. Fata Mor­gana, Saint-Clé­ment-de-Ri­vière

Il s’agit de M. Badr Cha­ker es-Sayyâb 1, poète ira­kien, qui a af­fran­chi la poé­sie arabe de deux mille ans de mé­trique pour la sou­mettre aux contraintes de la vie nou­velle (XXe siècle). À l’âge de six ans, il perd sa mère; et son père s’étant re­ma­rié, il est re­cueilli par son grand-père. Ce sera pour le poète un pre­mier choc dont il ne se re­met­tra ja­mais, et le dé­but d’une dé­marche nos­tal­gique qui l’accompagnera tout au long de sa vie, abré­gée su­bi­te­ment par la ma­la­die. Cette dé­marche, c’est la re­cherche de sa mère, et au-delà, celle de son pe­tit vil­lage na­tal de Djay­koûr 2 qu’il as­si­mile à l’authenticité, à la terre «[de] l’enfance, [de] l’adolescence qui une fois fut» 3. Cette terre pa­rée de rires, de chants et de par­fums re­pré­sente pour M. Sayyâb une sorte d’Éden dont il n’a été éloi­gné que par «le choc mé­tal­lique de l’argent» et «la ru­meur des ma­chines» 4. Comme Sind­bad le Ma­rin ou Ulysse sur son ba­teau, hanté par le dé­sir du re­tour, M. Sayyâb s’imagine la nuit em­bar­quer sur le crois­sant de lune et «pé­ré­gri­ner avec des nuages pour voiles et l’impossible pour tout port» 5. Comme Achille qui ai­me­rait mille fois mieux être, sur terre, aux gages d’un pauvre homme, que de ré­gner sur les ombres, M. Sayyâb pré­fère être «un en­fant af­famé, en larmes dans la nuit d’Irak, [plu­tôt que] ce mort qui n’eut ja­mais de la vie qu’un spec­tacle» 6. On voit que c’est en mé­lan­geant mythe an­tique et temps mo­dernes que M. Sayyâb pro­duit l’alliage de sa poé­sie : «L’expression di­recte de ce qui n’est pas poé­sie», dit-il 7, «ne peut de­ve­nir poé­tique. Où est alors la so­lu­tion? En ré­ponse, le poète ira vers le mythe, [les] lé­gendes qui ont gardé leur in­ten­sité et leur fraî­cheur; il s’en ser­vira comme ma­té­riaux pour bâ­tir les mondes qui dé­fie­ront la lo­gique de l’or et de l’acier». En­fin, no­tons le contraste que M. Sayyâb se plaît à faire entre la ville et le vil­lage : Pa­ris, le pa­ran­gon des villes, la cité des ci­tés, est un lieu du vice, où «des hommes pris de vin sortent leurs cou­teaux», où «l’air se crispe sous l’éclat de rire des pu­tains»; tan­dis que Djay­koûr est une source de l’innocence «avec un ho­ri­zon de fleurs dans un vase, astres bleus et rouges d’un rêve d’enfant»

  1. En arabe بدر شاكر السياب. Au­tre­fois trans­crit Badr Šā­kir al-Sayyāb, Badr Sha­ker al-Sayyab, Badr Cha­kir al-Sayyab ou Badr Sha­kir as-Sayyab. Haut
  2. En arabe جيكور. Par­fois trans­crit Ǧaykūr, Jay­kour ou Jay­kur. Haut
  3. Poème «La Mai­son de mon grand-père». Haut
  4. Poème «L’Élégie de Djay­koûr». Haut
  1. Poème «La Mai­son de mon grand-père». Haut
  2. Poème «Iq­bâl et la Nuit». Haut
  3. Dans «Les Ca­hiers de l’Oronte», p. 90. Haut

Rákóczi, «L’Autobiographie d’un prince rebelle. Confession • Mémoires»

éd. Corvina, Budapest

éd. Cor­vina, Bu­da­pest

Il s’agit de la «Confes­sion d’un pé­cheur» («Confes­sio pec­ca­to­ris») et des «Mé­moires» de Fran­çois II Rákóczi 1, prince de Hon­grie, fervent ad­mi­ra­teur et ami de la France à tel point qu’en mou­rant il vou­lut que son cœur re­po­sât en terre fran­çaise (XVIIe-XVIIIe siècle). Rákóczi mé­rite le titre d’écrivain de langue fran­çaise; car c’est dans cette langue qu’il ex­prima les as­pi­ra­tions sé­cu­laires du peuple hon­grois : le grand amour de la li­berté et le dé­sir de voir la pa­trie dé­li­vrée du joug étran­ger. Lorsqu’en l’an 1707, la Hon­grie, me­na­cée d’une ger­ma­ni­sa­tion com­plète par l’Autriche, se ré­volta contre les Habs­bourg, Rákóczi fut poussé à la lutte à la fois par le fait d’une vo­lonté su­pé­rieure et par la sienne propre. Le peuple et, en même temps, le des­tin dont il avait hé­rité l’appelaient im­pé­rieu­se­ment à conduire ce com­bat qu’il sa­vait pour­tant in­égal. Il tourna ses re­gards vers Louis XIV qui lui en­voya, outre des se­cours en ar­gent, d’éminents stra­tèges et in­gé­nieurs qui don­nèrent à la Cour ma­gyare une al­lure ver­saillaise. La «Confes­sion» et les «Mé­moires» furent écrits en France, où ce prince mal­heu­reux vint se ré­fu­gier après l’échec de l’indépendance hon­groise. Il y sé­journa de l’an 1712 à 1717, d’abord comme hôte de Louis XIV, à Ver­sailles, puis comme ré­sident du couvent des ca­mal­dules, à Gros­bois. Il as­sista aux re­pré­sen­ta­tions des pièces de Ra­cine et Mo­lière, il vi­sita les ga­le­ries, il fit la connais­sance de Saint-Si­mon qui dit du couvent des ca­mal­dules «que Rákóczi n’y voyait presque per­sonne, vi­vait très fru­ga­le­ment dans une grande pé­ni­tence, au pain et à l’eau une ou deux fois la se­maine, et as­sidu à tous les of­fices du jour et de la nuit». Peu d’hommes pleu­rèrent la mort du Roi-So­leil avec plus de sin­cé­rité que Rákóczi. Cette mort mar­qua, d’ailleurs, la perte de son der­nier es­poir, et même si, sur l’invitation du Sul­tan turc, il se ren­dit à Constan­ti­nople pour or­ga­ni­ser une ar­mée ap­pe­lée à re­com­men­cer la guerre contre l’Autriche, les cir­cons­tances ne lui per­mirent pas de réa­li­ser son grand rêve, et il mou­rut dans l’émigration et dans l’obscurité.

  1. En hon­grois II Rákóczi Fe­renc. Au­tre­fois trans­crit Ra­gokzy, Ra­koczy, Ra­gotzi, Ra­gotsy, Ra­gotski ou Ra­gotsky. Haut

Rimbaud, «Œuvres : des Ardennes au désert»

éd. Pocket, coll. Pocket classiques, Paris

éd. Po­cket, coll. Po­cket clas­siques, Pa­ris

Il s’agit d’Arthur Rim­baud, poète fran­çais (XIXe siècle). Les bê­tises se sont ac­cu­mu­lées sur le compte de Rim­baud, mais peut-être qu’il est cou­pable de les avoir per­mises, et de ne pas avoir rendu im­pos­sibles cer­taines in­ter­pré­ta­tions ex­tra­va­gantes, en se plai­sant, dans la se­conde par­tie de son œuvre, à faire des phrases sans suite, des phrases d’un es­prit fou, dé­tra­qué, dé­ré­glé, des phrases dont il se ré­ser­vait la tra­duc­tion, et dont il di­sait : «Ça dit ce que ça dit, lit­té­ra­le­ment et dans tous les sens» 1; «Je no­tais l’inexprimable, je fixais des ver­tiges» 2; «J’ai seul la clef de cette pa­rade sau­vage» 3; etc. Mais nous n’avons pas en­vie de nous dé­cou­ra­ger d’avance. Nous avons en­vie, au contraire, de sa­voir, très dé­ci­dé­ment, à quoi nous en te­nir sur cette se­conde par­tie si contro­ver­sée. La bonne mé­thode est d’aller pas à pas, com­men­çant par le viol de Rim­baud. Et d’abord, qu’est-ce qui per­met de par­ler de viol? Un de ses poèmes le per­met, qui porte le titre du «Cœur v[i]olé», et qui re­pro­duit, avec des mots qui ne s’inventent pas, les scènes abo­mi­nables aux­quelles Rim­baud a été obligé de se sou­mettre sous la vio­lence des ignobles in­di­vi­dus au mi­lieu des­quels il s’est trouvé en pleine Com­mune de Pa­ris (mai 1871), lui si jeune :

«Mon triste cœur bave à la poupe,
Mon cœur cou­vert de ca­po­ral :
Ils y lancent des jets de soupe,
Mon triste cœur bave à la poupe :
Sous les quo­li­bets de la troupe
Qui pousse un rire gé­né­ral,
Mon triste cœur bave à la poupe,
Mon cœur cou­vert de ca­po­ral!
Ithy­phal­liques et piou­piesques,
Leurs quo­li­bets l’ont dé­pravé!
», etc.

  1. À sa mère, à pro­pos d’«Une Sai­son en en­fer». Haut
  2. «Al­chi­mie du Verbe». Haut
  1. «Pa­rade». Haut

Hugo, «Notre-Dame de Paris. Tome II»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de «Notre-Dame de Pa­ris» et autres œuvres de Vic­tor Hugo (XIXe siècle). Il faut re­con­naître que Hugo est non seule­ment le pre­mier en rang des écri­vains de langue fran­çaise, de­puis que cette langue a été fixée; mais le seul qui ait un droit vrai­ment ab­solu à ce titre d’écrivain dans sa pleine ac­cep­tion. Toutes les ca­té­go­ries de l’histoire lit­té­raire se trouvent en lui dé­jouées. La cri­tique qui vou­drait dé­mê­ler cette fi­gure ti­ta­nique, stu­pé­fiante, te­nant quelque chose de la di­vi­nité, est en pré­sence du pro­blème le plus in­so­luble. Fut-il poète, ro­man­cier ou pen­seur? Fut-il spi­ri­tua­liste ou réa­liste? Il fut tout cela et plus en­core. Nou­veau don Qui­chotte, cet homme est allé por­ter ses pas sur tous les che­mins de l’esprit, mon­ter sur toutes les bar­ri­cades qu’il ren­con­trait, sou­tien des faibles et pour­fen­deur des ty­rans, son­neur de clai­rons et amant de la vio­lette; si bien qu’aucune des fa­milles qui se par­tagent l’espèce hu­maine au phy­sique et au mo­ral ne peut se l’attribuer en­tiè­re­ment. Tan­tôt égal à la mer, com­paré à la mon­tagne, rap­pro­ché du so­leil, as­si­milé à l’ouragan, tan­tôt phi­lo­sophe, re­dres­seur des abus du siècle, pro­fes­seur d’histoire et guide po­li­tique, tan­tôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à ge­noux de­vant le vieillard pour le vé­né­rer et de­vant l’enfant pour le conso­ler, il fut je ne sais quel suc­cé­dané de la na­ture. Avec sa mort, c’est un monde cy­clo­péen d’idées et d’impressions qui est parti, un conti­nent de gra­nit qui s’est dé­ta­ché et a roulé avec fra­cas au fond des abîmes. «Qui pour­rait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo”?», dit Édouard Dru­mont 1. «Comme l’océan, comme la mon­tagne, comme la fo­rêt, ce gé­nie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues in­ces­sam­ment re­nou­ve­lées; ce qu’on aime dans la fo­rêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces mil­liers d’arbres et ces mil­liers de feuilles qui confondent leur ver­dure et leur bruit.»

  1. «Vic­tor Hugo de­vant l’opinion», p. 104. Haut

Hugo, «Notre-Dame de Paris. Tome I»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de «Notre-Dame de Pa­ris» et autres œuvres de Vic­tor Hugo (XIXe siècle). Il faut re­con­naître que Hugo est non seule­ment le pre­mier en rang des écri­vains de langue fran­çaise, de­puis que cette langue a été fixée; mais le seul qui ait un droit vrai­ment ab­solu à ce titre d’écrivain dans sa pleine ac­cep­tion. Toutes les ca­té­go­ries de l’histoire lit­té­raire se trouvent en lui dé­jouées. La cri­tique qui vou­drait dé­mê­ler cette fi­gure ti­ta­nique, stu­pé­fiante, te­nant quelque chose de la di­vi­nité, est en pré­sence du pro­blème le plus in­so­luble. Fut-il poète, ro­man­cier ou pen­seur? Fut-il spi­ri­tua­liste ou réa­liste? Il fut tout cela et plus en­core. Nou­veau don Qui­chotte, cet homme est allé por­ter ses pas sur tous les che­mins de l’esprit, mon­ter sur toutes les bar­ri­cades qu’il ren­con­trait, sou­tien des faibles et pour­fen­deur des ty­rans, son­neur de clai­rons et amant de la vio­lette; si bien qu’aucune des fa­milles qui se par­tagent l’espèce hu­maine au phy­sique et au mo­ral ne peut se l’attribuer en­tiè­re­ment. Tan­tôt égal à la mer, com­paré à la mon­tagne, rap­pro­ché du so­leil, as­si­milé à l’ouragan, tan­tôt phi­lo­sophe, re­dres­seur des abus du siècle, pro­fes­seur d’histoire et guide po­li­tique, tan­tôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à ge­noux de­vant le vieillard pour le vé­né­rer et de­vant l’enfant pour le conso­ler, il fut je ne sais quel suc­cé­dané de la na­ture. Avec sa mort, c’est un monde cy­clo­péen d’idées et d’impressions qui est parti, un conti­nent de gra­nit qui s’est dé­ta­ché et a roulé avec fra­cas au fond des abîmes. «Qui pour­rait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo”?», dit Édouard Dru­mont 1. «Comme l’océan, comme la mon­tagne, comme la fo­rêt, ce gé­nie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues in­ces­sam­ment re­nou­ve­lées; ce qu’on aime dans la fo­rêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces mil­liers d’arbres et ces mil­liers de feuilles qui confondent leur ver­dure et leur bruit.»

  1. «Vic­tor Hugo de­vant l’opinion», p. 104. Haut

Hugo, «Han d’Islande»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de «Han d’Islande» et autres œuvres de Vic­tor Hugo (XIXe siècle). Il faut re­con­naître que Hugo est non seule­ment le pre­mier en rang des écri­vains de langue fran­çaise, de­puis que cette langue a été fixée; mais le seul qui ait un droit vrai­ment ab­solu à ce titre d’écrivain dans sa pleine ac­cep­tion. Toutes les ca­té­go­ries de l’histoire lit­té­raire se trouvent en lui dé­jouées. La cri­tique qui vou­drait dé­mê­ler cette fi­gure ti­ta­nique, stu­pé­fiante, te­nant quelque chose de la di­vi­nité, est en pré­sence du pro­blème le plus in­so­luble. Fut-il poète, ro­man­cier ou pen­seur? Fut-il spi­ri­tua­liste ou réa­liste? Il fut tout cela et plus en­core. Nou­veau don Qui­chotte, cet homme est allé por­ter ses pas sur tous les che­mins de l’esprit, mon­ter sur toutes les bar­ri­cades qu’il ren­con­trait, sou­tien des faibles et pour­fen­deur des ty­rans, son­neur de clai­rons et amant de la vio­lette; si bien qu’aucune des fa­milles qui se par­tagent l’espèce hu­maine au phy­sique et au mo­ral ne peut se l’attribuer en­tiè­re­ment. Tan­tôt égal à la mer, com­paré à la mon­tagne, rap­pro­ché du so­leil, as­si­milé à l’ouragan, tan­tôt phi­lo­sophe, re­dres­seur des abus du siècle, pro­fes­seur d’histoire et guide po­li­tique, tan­tôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à ge­noux de­vant le vieillard pour le vé­né­rer et de­vant l’enfant pour le conso­ler, il fut je ne sais quel suc­cé­dané de la na­ture. Avec sa mort, c’est un monde cy­clo­péen d’idées et d’impressions qui est parti, un conti­nent de gra­nit qui s’est dé­ta­ché et a roulé avec fra­cas au fond des abîmes. «Qui pour­rait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo”?», dit Édouard Dru­mont 1. «Comme l’océan, comme la mon­tagne, comme la fo­rêt, ce gé­nie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues in­ces­sam­ment re­nou­ve­lées; ce qu’on aime dans la fo­rêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces mil­liers d’arbres et ces mil­liers de feuilles qui confondent leur ver­dure et leur bruit.»

  1. «Vic­tor Hugo de­vant l’opinion», p. 104. Haut

Hugo, «L’Art d’être grand-père»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de «L’Art d’être grand-père» et autres œuvres de Vic­tor Hugo (XIXe siècle). Il faut re­con­naître que Hugo est non seule­ment le pre­mier en rang des écri­vains de langue fran­çaise, de­puis que cette langue a été fixée; mais le seul qui ait un droit vrai­ment ab­solu à ce titre d’écrivain dans sa pleine ac­cep­tion. Toutes les ca­té­go­ries de l’histoire lit­té­raire se trouvent en lui dé­jouées. La cri­tique qui vou­drait dé­mê­ler cette fi­gure ti­ta­nique, stu­pé­fiante, te­nant quelque chose de la di­vi­nité, est en pré­sence du pro­blème le plus in­so­luble. Fut-il poète, ro­man­cier ou pen­seur? Fut-il spi­ri­tua­liste ou réa­liste? Il fut tout cela et plus en­core. Nou­veau don Qui­chotte, cet homme est allé por­ter ses pas sur tous les che­mins de l’esprit, mon­ter sur toutes les bar­ri­cades qu’il ren­con­trait, sou­tien des faibles et pour­fen­deur des ty­rans, son­neur de clai­rons et amant de la vio­lette; si bien qu’aucune des fa­milles qui se par­tagent l’espèce hu­maine au phy­sique et au mo­ral ne peut se l’attribuer en­tiè­re­ment. Tan­tôt égal à la mer, com­paré à la mon­tagne, rap­pro­ché du so­leil, as­si­milé à l’ouragan, tan­tôt phi­lo­sophe, re­dres­seur des abus du siècle, pro­fes­seur d’histoire et guide po­li­tique, tan­tôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à ge­noux de­vant le vieillard pour le vé­né­rer et de­vant l’enfant pour le conso­ler, il fut je ne sais quel suc­cé­dané de la na­ture. Avec sa mort, c’est un monde cy­clo­péen d’idées et d’impressions qui est parti, un conti­nent de gra­nit qui s’est dé­ta­ché et a roulé avec fra­cas au fond des abîmes. «Qui pour­rait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo”?», dit Édouard Dru­mont 1. «Comme l’océan, comme la mon­tagne, comme la fo­rêt, ce gé­nie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues in­ces­sam­ment re­nou­ve­lées; ce qu’on aime dans la fo­rêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces mil­liers d’arbres et ces mil­liers de feuilles qui confondent leur ver­dure et leur bruit.»

  1. «Vic­tor Hugo de­vant l’opinion», p. 104. Haut