Il s’agit de la « Correspondance entre Schiller et Gœthe » (« Briefwechsel zwischen Schiller und Goethe »). Il est difficile d’apprécier la rencontre, le choc sympathique, l’alliance sereine et féconde de deux génies tels que l’auteur de « Faust » et l’auteur de « Wallenstein », à moins de connaître exactement leur antipathie de départ. Écoutons-les se juger l’un l’autre, au moment où, arrivés tous deux à l’apogée de leur renommée par des chemins concurrents et parallèles, ils tenaient l’admiration de l’Allemagne en suspens : « Je détestais Schiller, parce que son talent vigoureux, mais sans maturité, avait déchaîné à travers l’Allemagne, comme un torrent impétueux, tous les paradoxes moraux et dramatiques dont je m’étais efforcé de purifier mon intelligence », disait Gœthe. « Je serais malheureux si je me rencontrais souvent avec Gœthe. Il n’a pas un seul moment d’expansion, même avec ses amis les plus intimes. Il annonce son existence par les bienfaits, mais à la manière des dieux, sans se donner lui-même », disait Schiller. Étant très grands l’un et l’autre, ils étaient en même temps très différents et très opposés. « Jamais deux hommes ne sont partis de si loin pour se rencontrer », dit un critique1. Gœthe était un réaliste, tourné vers la nature extérieure en spectateur immobile et paisible ; Schiller, au contraire, était un idéaliste, ne voyant le monde qu’à travers les brumes de ses rêves, et le voyant plus vibrant et plus entraînant qu’il n’apparaissait à la plupart des gens. Bientôt pourtant, ces deux âmes allaient unir leurs sentiments et leurs pensées ; ces deux esprits allaient se compléter, s’enrichir mutuellement, prendre un même essor vers de nouvelles régions de la littérature, et s’insuffler une seconde jeunesse ; tout cela à un âge où ils étaient pleinement formés l’un et l’autre. « On peut comprendre par là toute la valeur de [leurs] lettres : elles ne contiennent pas seulement des confidences pleines de charme et d’intérêt ; elles forment un véritable cours de littérature, où les questions les plus importantes de l’art et de la poésie sont traitées avec la largeur de vue et le sentiment profond qui n’appartiennent qu’au génie. Ce sont deux poètes qui nous livrent, en quelque sorte, le secret de leur art ; qui nous initient à leurs plus intimes préoccupations, et nous font entrer ainsi dans ce qu’a de plus profond leur esprit particulier, d’abord, et ensuite l’esprit de leur race », dit un traducteur
Johann Wolfgang von Gœthe
auteur
Schiller et Gœthe, « Correspondance (1794-1805). Tome I »
Il s’agit de la « Correspondance entre Schiller et Gœthe » (« Briefwechsel zwischen Schiller und Goethe »). Il est difficile d’apprécier la rencontre, le choc sympathique, l’alliance sereine et féconde de deux génies tels que l’auteur de « Faust » et l’auteur de « Wallenstein », à moins de connaître exactement leur antipathie de départ. Écoutons-les se juger l’un l’autre, au moment où, arrivés tous deux à l’apogée de leur renommée par des chemins concurrents et parallèles, ils tenaient l’admiration de l’Allemagne en suspens : « Je détestais Schiller, parce que son talent vigoureux, mais sans maturité, avait déchaîné à travers l’Allemagne, comme un torrent impétueux, tous les paradoxes moraux et dramatiques dont je m’étais efforcé de purifier mon intelligence », disait Gœthe. « Je serais malheureux si je me rencontrais souvent avec Gœthe. Il n’a pas un seul moment d’expansion, même avec ses amis les plus intimes. Il annonce son existence par les bienfaits, mais à la manière des dieux, sans se donner lui-même », disait Schiller. Étant très grands l’un et l’autre, ils étaient en même temps très différents et très opposés. « Jamais deux hommes ne sont partis de si loin pour se rencontrer », dit un critique1. Gœthe était un réaliste, tourné vers la nature extérieure en spectateur immobile et paisible ; Schiller, au contraire, était un idéaliste, ne voyant le monde qu’à travers les brumes de ses rêves, et le voyant plus vibrant et plus entraînant qu’il n’apparaissait à la plupart des gens. Bientôt pourtant, ces deux âmes allaient unir leurs sentiments et leurs pensées ; ces deux esprits allaient se compléter, s’enrichir mutuellement, prendre un même essor vers de nouvelles régions de la littérature, et s’insuffler une seconde jeunesse ; tout cela à un âge où ils étaient pleinement formés l’un et l’autre. « On peut comprendre par là toute la valeur de [leurs] lettres : elles ne contiennent pas seulement des confidences pleines de charme et d’intérêt ; elles forment un véritable cours de littérature, où les questions les plus importantes de l’art et de la poésie sont traitées avec la largeur de vue et le sentiment profond qui n’appartiennent qu’au génie. Ce sont deux poètes qui nous livrent, en quelque sorte, le secret de leur art ; qui nous initient à leurs plus intimes préoccupations, et nous font entrer ainsi dans ce qu’a de plus profond leur esprit particulier, d’abord, et ensuite l’esprit de leur race », dit un traducteur