Il s’agit des « Œuvres complètes » de Lysias d’Athènes 1, l’un des plus grands orateurs de l’Antiquité (Ve-IVe siècle av. J.-C.). Il exerça presque exclusivement la profession de « logographe », c’est-à-dire qu’il composa des discours pour des clients se présentant à l’accusation ou à la défense devant le tribunal. En effet, selon la loi athénienne, les intéressés devaient prononcer eux-mêmes leurs plaidoyers, mais ils pouvaient en remettre la composition à des gens de talent. Lysias acquit, dans ce rôle, une réputation sans égale. Pendant vingt ans au moins, il fut ce qu’on appellerait aujourd’hui l’avocat le plus en vogue d’Athènes. Il fit deux cent trente-trois plaidoyers (il nous en reste seulement une trentaine), et on dit qu’il ne perdit que deux fois le procès qu’on lui avait confié. Cicéron, dont l’autorité sur ce sujet est si respectable, en parle comme d’un homme « qui écrivait avec une délicatesse et une élégance parfaites » 2, et « qu’on oserait presque appeler un orateur accompli en tout point » 3. Quintilien partage le même avis. « Le style de Lysias », déclare quant à lui Denys d’Halicarnasse, « se distingue par une grande pureté : c’est le plus parfait modèle du dialecte attique » 4 ; « jamais orateur ne parla mieux le langage de la persuasion » 5. Il excellait surtout à feindre un air simple, peu relevé, négligé. Il prenait soin de proportionner son style au caractère et à l’état de son client 6, qui pouvait être le premier venu — peut-être pas un homme grossier et illettré, mais en tout cas un profane, un simple particulier (un « idiôtês » 7), quelqu’un qui n’était pas du métier ; souvent un homme du peuple, un campagnard, un marchand ou un artisan. Un discours ingénieux et fleuri aurait été ridicule et suspect dans la bouche d’un tel novice. Il fallait que Lysias lui prêtât des mots modérés, naïfs, un peu timides, dignes d’intérêt, parlant toujours à l’évidence et au bon sens des juges, sans jamais exiger de leur part un grand effort d’intelligence. Point de mots trop enflammés. Le plaidoyer de Lysias « Sur le meurtre d’Ératosthène » (« Hyper tou Eratosthenous phonou » 8) demeure un exemple inégalé du genre. La cause défendue est celle de l’Athénien Euphilétos qui, ayant surpris sa femme et un certain Ératosthène en flagrant délit d’adultère, avait tué ce dernier. L’amant avait supplié qu’on lui laissât la vie, mais Euphilétos l’avait frappé en criant : « Ce n’est pas [moi qui te donne] la mort, mais la loi — cette loi que tu as violée, que tu as sacrifiée à tes débauches, aimant mieux couvrir d’un éternel affront ma femme et mes enfants ». C’est avec ce cri que s’achève le plaidoyer du mari crédule et trompé. « Pas un mot sur le dénouement lugubre de l’affaire. Dans cette retenue, on remarque tout la délicatesse avec laquelle Lysias procède : l’homme dont il est l’interprète n’est ni un violent ni un sanguinaire, mais un malheureux contraint au meurtre par l’étendue de l’offense qu’il a subie » 9.
Il n’existe pas moins de cinq traductions françaises des « Œuvres complètes », mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle de l’abbé Athanase Auger.
« Θέογνις γὰρ καὶ Πείσων ἔλεγον ἐν τοῖς τριάκοντα περὶ τῶν μετοίκων, ὡς εἶέν τινες τῇ πολιτείᾳ ἀχθόμενοι· καλλίστην οὖν εἶναι πρόφασιν τιμωρεῖσθαι μὲν δοκεῖν, τῷ δ’ ἔργῳ χρηματίζεσθαι… Καὶ τοὺς ἀκούοντας οὐ χαλεπῶς ἔπειθον· ἀποκτιννύναι μὲν γὰρ ἀνθρώπους περὶ οὐδενὸς ἡγοῦντο, λαμϐάνειν δὲ χρήματα περὶ πολλοῦ ἐποιοῦντο. Ἔδοξεν οὖν αὐτοῖς δέκα συλλαϐεῖν, τούτων δὲ δύο πένητας, ἵνα αὐτοῖς ᾖ πρὸς τοὺς ἄλλους ἀπολογία, ὡς οὐ χρημάτων ἕνεκα ταῦτα πέπρακται, ἀλλὰ συμφέροντα τῇ πολιτείᾳ γεγένηται, ὥσπερ τι τῶν ἄλλων εὐλόγως πεποιηκότες. Διαλαϐόντες δὲ τὰς οἰκίας ἐϐάδιζον· καὶ ἐμὲ μὲν ξένους ἑστιῶντα κατέλαϐον, οὓς ἐξελάσαντες Πείσωνί με παραδιδόασιν… »
— Passage dans la langue originale
« Théognis et Pison, deux des Trente Tyrans, firent observer à leurs collègues que, parmi les étrangers établis à Athènes, plusieurs étaient contraires au gouvernement actuel ; que le prétexte de punir des coupables serait un excellent moyen d’enrichir le trésor… Il leur fut aisé de persuader leurs auditeurs, qui aimaient autant l’argent qu’ils estimaient peu la vie des hommes. Les Trente décidèrent donc qu’ils feraient prendre dix étrangers dont deux seraient choisis parmi les pauvres, afin de pouvoir se justifier devant le peuple et lui faire croire qu’ils n’agissaient point par des vues de cupidité, mais pour l’intérêt de l’État ; comme si jamais, dans le reste de leur conduite, ils eussent suivi quelques principes de justice. Ils se partagent donc les divers quartiers de la ville et se mettent en marche. Je donnais ce jour-là un repas à des étrangers ; ils entrent chez moi, les chassent et me livrent à Pison. »
— Passage dans la traduction de l’abbé Auger
« Théognis et Pison, deux des Trente Tyrans, firent observer à leurs collègues qu’à Athènes, plusieurs étaient contraires au gouvernement actuel ; que le prétexte de punir des coupables serait un excellent moyen d’enrichir le trésor… Il leur fut aisé de persuader leurs auditeurs, qui aimaient autant l’argent qu’ils estimaient peu la vie des hommes. Les Trente décidèrent donc qu’ils feraient prendre les riches, parmi lesquels ils mêleraient des pauvres, afin de pouvoir se justifier devant le peuple et lui faire croire qu’ils n’agissaient point par des vues de cupidité, mais pour l’intérêt de l’État ; comme si jamais, dans le reste de leur conduite, ils eussent suivi quelques principes de justice. Ils se partagent les divers quartiers de la ville et se mettent en marche. Je donnais ce jour-là un repas à des étrangers ; ils entrent chez moi, les chassent et me livrent à Pison. »
— Passage dans la traduction de l’abbé Auger, revue par Pierre-Samuel Dupont de Nemours (XVIIIe siècle)
« Théognis et Pison déclarèrent dans le Conseil des Trente que, parmi les métèques, il y en avait d’hostiles à la constitution : “Excellent prétexte pour se procurer de l’argent, sous couleur de faire un exemple…”. Ils n’eurent pas de peine à persuader des auditeurs, qui comptaient pour rien la vie des gens et pour beaucoup l’argent qu’ils en tireraient. On décida d’arrêter dix métèques et, dans le groupe, deux pauvres, afin de pouvoir protester auprès du public que la mesure avait été dictée non par la cupidité, mais par l’intérêt de l’État, comme tout le reste. Ils se partagent donc les maisons, et les voilà en route. Pour moi, ils me trouvent à table avec des hôtes ; ils les chassent et me livrent à Pison. »
— Passage dans la traduction de Louis Gernet et Marcel Bizos (éd. Les Belles Lettres, coll. des universités de France, Paris)
« Dans le conseil des Trente, Théognis et Pison, parlant des métèques, prétendirent qu’il y en avait d’hostiles à la constitution. “Excellente occasion”, disaient-ils, “de les pressurer, en ayant l’air de les punir…” Il n’était pas malaisé de persuader des gens qui comptaient pour peu la vie d’un homme, mais pour beaucoup son argent. Ils décidèrent donc de faire arrêter dix métèques, dont deux seraient pauvres : de cette manière, même à l’égard des autres, ils pourraient soutenir qu’ils avaient agi en cela, comme dans le reste, non par cupidité, mais dans l’intérêt public. Ils se partagent les maisons, et se mettent en route. Pour moi, ils me surprennent ayant des hôtes à ma table : ils les chassent et me livrent à Pison. »
— Passage dans la traduction de Louis Bodin (dans « Extraits des orateurs attiques », XIXe siècle)
« Dans une réunion des Trente, Théognis et Pison dirent que, parmi les étrangers domiciliés, plusieurs étaient contraires au gouvernement ; que le prétexte de les punir serait un excellent moyen de les pressurer… Les auditeurs furent aisément persuadés : l’assassinat leur coûtait aussi peu que le pillage leur était cher. Ils décident donc l’arrestation de dix étrangers et ils en choisissent deux parmi les pauvres, afin de se ménager une apologie : ce n’est point la cupidité, c’est la raison d’État qui les aura fait agir ; comme si, jusque-là, un seul de leurs actes eût mérité cet éloge ! Ils se partagent donc la ville et se mettent en marche. Je traitais ce jour-là des étrangers : ils m’arrêtent, chassent mes hôtes, me livrent à Pison. »
— Passage dans une traduction anonyme (dans « Orateurs et Sophistes grecs », XIXe siècle)
« Dixerunt apud Trigintaviros Theognis et Piso de inquilinis, esse nonnullos qui præsentem reipublicæ statum ægre ferrent : pulcherrimam ergo se nactos esse opportunitatem ; specie quidem pœnas repetendi, re vera autem faciendi quæstum… Quod nullo negotio audientibus persuasere. Hominum enim internecionem nihili pendebant : plurimi vero ducebant ut opes compararent. Visum est igitur decem comprehendere ; ex his duos inopes, ut eis adversus alios parata esset defensio, scilicet hæc non lucri causa fieri, sed civitati optime esse consultum ; quasi parati essent ad cetera quoque rite exsequenda. Distributis itaque ædibus proficiscuntur : et me quidem hospites convivio excipientem offenderunt, quibus amotis me Pisoni tradidere… »
— Passage dans la traduction latine de John Taylor (XVIIIe siècle)
« Dixerunt apud Trigintaviros Theognis et Piso de inquilinis, esse nonnullos qui præsentem reipublicæ statum ægre ferrent : pulcherrimam ergo hanc se nactos esse opportunitatem ; verbo quidem pœnas repetendi, re autem vera faciendi quæstum… Quod nullo negotio persuasere audientibus, qui ut vitam hominum parvi, ita pecunias magni faciebant. Istis igitur visum est decem comprehendere ; et ex his duos inopes, ut hæc ipsis adversus alios parata esset defensio, ista fieri scilicet non lucri privati causa, sed publici emolumenti ; quasi ulla unquam in re juste et honeste egissent. Ædes itaque inter se partiti proficiscuntur : et me quidem hospites convivio excipientem offenderunt, quibus expulsis me Pisoni tradidere… »
— Passage dans la traduction latine de l’abbé Auger (XVIIIe siècle)
« Theognis et Pison, qui erant inter Triginta, dicebant non multos esse ex advenis, qui præsentem Reipublicæ statum ægre ferrent : maximam ergo se oportunitatem nactos, ut interea sibi opes comparent, dum inimicos ulcisci videantur… Quod haud difficulter reliquis audientibus persuadebant. At isti interficere alios nihil pensi habebant, opes vero sibi comparare, plurimi ducebant. Decretum est igitur ipsis, decem comprehendere, ac inter hos, duos pauperes ; ut idoneam sibi haberent excusationem adversus alios, quod non divitiarum causa hæc ab ipsis fierent ; sed quod ita Reipublicæ expediret ; ut et hæc inter cætera magna cum ratione fecisse viderentur. Ibant itaque et occupabant ædes civium ; ac me quidem, cum hospites convivio exciperem, comprehenderunt, hisque expulsis, me Pisoni tradebant. »
— Passage dans la traduction latine de Josse van der Heyden (XVIIe siècle)
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- Alfred Croiset, « Lysias » dans « Histoire de la littérature grecque. Tome IV. Période attique. Éloquence • Histoire • Philosophie » (XIXe siècle), p. 431-458 [Source : Google Livres]
- Jules Girard, « Des caractères de l’atticisme dans l’éloquence de Lysias » (XIXe siècle) [Source : Google Livres]
- Robert Laffont et Valentino Bompiani, « Sur le meurtre d’Ératosthène » dans « Dictionnaire des œuvres de tous les temps et de tous les pays » (éd. R. Laffont, coll. Bouquins, Paris).