Il s’agit de « L’Inde française » et autres œuvres de Charles-Marie Leconte de Lisle, poète de l’école du Parnasse (XIXe siècle). On nomme parnassiens le groupe d’écrivains français qui se constitua autour de la revue « Le Parnasse contemporain », et qui se proposa comme but l’admiration de l’antique : « Que j’entende parler de l’Égypte ou de l’Inde, aussitôt mon esprit s’agite pour franchir l’horizon qui m’emprisonne ; que le nom de la Grèce soit prononcé, et voilà mon imagination partie : je vogue sur la mer Ionienne, je débarque au Pirée, et je revois l’un après l’autre ces sentiers si souvent parcourus sur le char des poètes en compagnie des héros ou des dieux »1. L’impression que fit l’Antiquité sur ces écrivains fut très profonde. Mécontents du monde industriel où les poètes devenaient d’heure en heure plus inutiles, et où l’art restait présent par charité et comme un décor insignifiant, les parnassiens coururent en troupe vers les temples ruinés de l’Antiquité. Ils s’attachèrent à elle ; ils se firent ses serviteurs ; ils se montrèrent injustes pour tout ce qui ne la touchait pas : « Allons respectueusement demander des leçons à la muse ionienne ! C’est… une richesse si grande que d’avoir, à l’abri des… émotions fiévreuses de l’art mélancolique et tourmenté de nos époques modernes, un refuge dans le monde jeune et serein de la poésie antique. Plaignons ceux dont la pensée ne pénètre jamais dans cette région à la fois héroïque et paisible où se meuvent les poètes, les guerriers et les sages ! »2 Heredia et Leconte de Lisle furent les derniers représentants de cette école ; ils en furent aussi les plus fidèles, car ils en appliquèrent la doctrine avec le plus de fermeté et d’imperturbable confiance, sans défaillance. C’est que pour ces deux créoles — natifs l’un de Cuba, l’autre de la Réunion — l’Antiquité se mêle et se confond avec l’île natale, immensément agrandie par leur imagination, augmentée de tout pays où la nature, belle et robuste, a déployé des énergies primitives, que ce soit au pied de l’Himalaya ou dans les vallons de la Grèce, dans les champs siciliens ou sous le soleil égyptien. « Il n’est pas besoin d’être un grand psychologue pour comprendre que [l’exotisme] souvent affiché par [Heredia et Leconte de Lisle] n’est en réalité qu’une espèce d’exorcisme, d’incantation, pour échapper [au souvenir] du départ, de l’exil, de la rupture avec la terre natale », dit avec raison M. Edgard Pich3.
Oui, la terre natale revit dans les rêves exotiques de ces deux créoles. Pour peupler sa mythologie de divinités marines, Heredia ne fait que se souvenir de la mer des Caraïbes, en face de laquelle les sentiments de vague, de terreur, d’infini et de beauté qui montaient dans son âme d’enfant, lui révélaient tout un cycle de divinités insaisissables. De même, les bœufs hindous « dont le poil est de neige et la corne d’argent »4, Leconte de Lisle les connaît depuis son enfance ; il les voyait, indolents et robustes, humer l’air tropical. Il pense encore à eux le jour où, en l’honneur du taureau olympien, il écrit son « Fultus hyacintho ».
l’Antiquité se mêle et se confond avec l’île natale
« Il y a [chez Heredia et Leconte de Lisle] le bouillonnement d’une pensée contenue sous la beauté de la forme. Il y a surtout ce qu’ils possèdent seuls — le don d’accumuler dans un dernier vers toute une époque de l’histoire, une existence de héros, une échappée interminable sur les perspectives de l’espace ou du temps. Ainsi, le vers déjà fameux d’“Antoine et Cléopâtre”, quand Antoine voit passer dans les yeux de sa maîtresse la déroute d’Actium, le nœud de l’histoire romaine, le destin du monde : “Toute une mer immense où fuyaient des galères”. Ainsi, “Le Laboureur” sur la glèbe, au milieu de ses outils, quand : “Il songe que peut-être il faudra, chez les morts, labourer des champs d’ombre arrosés par l’Érèbe”. Ce sont là les matériaux impérissables de leur œuvre, le butin désigné de toutes les anthologies, tant qu’il y aura une langue française », dit le vicomte de Vogüé5.
Voici un passage qui donnera une idée du style de « L’Inde française » : « La nation anglo-saxonne… s’est montrée sans cesse, entre tous les peuples anciens et modernes, la race antipathique et destructive par excellence. Ce n’a pas été seulement la condition de son originalité, mais en quelque sorte la loi de son existence. Elle a présenté ce spectacle incroyable d’une immense expansion vers tous les points du globe, sans que sa solitude hautaine en ait été troublée. Elle ne s’est jamais rien assimilé, elle n’a été modifiée par aucun contact, elle n’a subi aucune des exigences d’une vie désormais commune. Après avoir refoulé et dispersé les tribus de l’Amérique septentrionale qui n’ont pu être asservies, elle a vécu en dehors et au-dessus des peuples hindous, trop nombreux pour qu’elle tentât de les détruire, mais assez inertes pour subir l’écrasement et l’avidité insatiable de son despotisme »6.
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- « Catéchisme populaire républicain » (1872) [Source : Google Livres]
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- « Discours prononcés dans la séance publique tenue par l’Académie française pour la réception de Leconte de Lisle » (1987) [Source : Bibliothèque nationale de France]
- « Discours de réception • Réponse de M. Alexandre Dumas fils » (1887) [Source : Canadiana]
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- « Discours de réception à l’Académie française » (1887) [Source : Google Livres].
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- « Discours de réception à l’Académie française », lu par René Depasse [Source : Littérature audio].
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Jean Dornis, « Essai sur Leconte de Lisle » (éd. P. Ollendorff, Paris) [Source : Canadiana]
- Victor de Laprade, « Questions d’art et de morale, 2e édition » (XIXe siècle) [Source : Google Livres]
- le vicomte Eugène-Melchior de Vogüé, « Remerciement au poète des “Trophées” » dans « Devant le siècle » (XIXe siècle), p. 297-313 [Source : Canadiana].