Leconte de Lisle, « Œuvres complètes. Tome V. Œuvres en prose (1852-1894) »

éd. H. Champion, coll. Textes de littérature moderne et contemporaine, Paris

éd. H. Cham­pion, coll. Textes de et contem­po­raine, Pa­ris

Il s’agit de «L’Inde fran­çaise» et autres œuvres de , poète de l’école du Par­nasse (XIXe siècle). On nomme par­nas­siens le groupe d’ qui se consti­tua au­tour de la re­vue «Le Par­nasse contem­po­rain», et qui se pro­posa comme but l’admiration de l’antique : «Que j’entende par­ler de l’ ou de l’Inde, aus­si­tôt mon es­prit s’agite pour fran­chir l’ qui m’emprisonne; que le nom de la soit pro­noncé, et voilà mon par­tie : je vogue sur la Io­nienne, je dé­barque au Pi­rée, et je re­vois l’un après l’autre ces sen­tiers si sou­vent par­cou­rus sur le char des en com­pa­gnie des hé­ros ou des » 1. L’impression que fit l’ sur ces écri­vains fut très pro­fonde. Mé­con­tents du in­dus­triel où les poètes de­ve­naient d’heure en heure plus in­utiles, et où l’art res­tait pré­sent par et comme un dé­cor in­si­gni­fiant, les par­nas­siens cou­rurent en troupe vers les temples rui­nés de l’Antiquité. Ils s’attachèrent à elle; ils se firent ses ser­vi­teurs; ils se mon­trèrent in­justes pour tout ce qui ne la tou­chait pas : «Al­lons res­pec­tueu­se­ment de­man­der des le­çons à la muse io­nienne! C’est… une si grande que d’avoir, à l’abri des… fié­vreuses de l’art mé­lan­co­lique et tour­menté de nos époques mo­dernes, un re­fuge dans le monde jeune et se­rein de la . Plai­gnons ceux dont la ne pé­nètre ja­mais dans cette ré­gion à la fois hé­roïque et pai­sible où se meuvent les poètes, les et les !» 2 He­re­dia et Le­conte de Lisle furent les der­niers re­pré­sen­tants de cette école; ils en furent aussi les plus fi­dèles, car ils en ap­pli­quèrent la doc­trine avec le plus de fer­meté et d’imperturbable confiance, sans dé­faillance. C’est que pour ces deux créoles — na­tifs l’un de , l’autre de — l’Antiquité se mêle et se confond avec l’île na­tale, im­men­sé­ment agran­die par leur ima­gi­na­tion, aug­men­tée de tout pays où la , belle et ro­buste, a dé­ployé des éner­gies pri­mi­tives, que ce soit au pied de l’Himalaya ou dans les val­lons de la Grèce, dans les champs si­ci­liens ou sous le . «Il n’est pas be­soin d’être un grand psy­cho­logue pour com­prendre que [l’] sou­vent af­fi­ché par [He­re­dia et Le­conte de Lisle] n’est en qu’une es­pèce d’exorcisme, d’incantation, pour échap­per [au ] du dé­part, de l’, de la rup­ture avec la na­tale», dit avec M. Ed­gard Pich 3.

Oui, la terre na­tale re­vit dans les exo­tiques de ces deux créoles. Pour peu­pler sa de di­vi­ni­tés ma­rines, He­re­dia ne fait que se sou­ve­nir de la mer des Ca­raïbes, en face de la­quelle les de vague, de , d’ et de beauté qui mon­taient dans son d’enfant, lui ré­vé­laient tout un cycle de di­vi­ni­tés in­sai­sis­sables. De même, les bœufs hin­dous «dont le poil est de neige et la corne d’argent» 4, Le­conte de Lisle les connaît de­puis son en­fance; il les voyait, in­do­lents et ro­bustes, hu­mer l’air tro­pi­cal. Il pense en­core à eux le jour où, en l’ du tau­reau olym­pien, il écrit son «Ful­tus hya­cin­tho».

l’Antiquité se mêle et se confond avec l’île na­tale

«Il y a [chez He­re­dia et Le­conte de Lisle] le bouillon­ne­ment d’une pen­sée conte­nue sous la beauté de la forme. Il y a sur­tout ce qu’ils pos­sèdent seuls — le d’accumuler dans un der­nier vers toute une époque de l’, une de hé­ros, une échap­pée in­ter­mi­nable sur les pers­pec­tives de l’ ou du . Ainsi, le vers déjà fa­meux d’“Antoine et Cléo­pâtre”, quand An­toine voit pas­ser dans les yeux de sa maî­tresse la dé­route d’Actium, le nœud de l’histoire ro­maine, le des­tin du monde : “Toute une mer im­mense où fuyaient des ga­lères”. Ainsi, “Le La­bou­reur” sur la glèbe, au mi­lieu de ses ou­tils, quand : “Il songe que peut-être il fau­dra, chez les morts, la­bou­rer des champs d’ombre ar­ro­sés par l’Érèbe”. Ce sont là les ma­té­riaux im­pé­ris­sables de leur œuvre, le bu­tin dé­si­gné de toutes les an­tho­lo­gies, tant qu’il y aura une fran­çaise», dit le vi­comte de Vogüé 5.

Voici un pas­sage qui don­nera une idée du de «L’Inde fran­çaise» : «La an­glo-saxonne… s’est mon­trée sans cesse, entre tous les peuples an­ciens et mo­dernes, la race an­ti­pa­thique et des­truc­tive par ex­cel­lence. Ce n’a pas été seule­ment la condi­tion de son ori­gi­na­lité, mais en quelque sorte la loi de son exis­tence. Elle a pré­senté ce spec­tacle in­croyable d’une im­mense ex­pan­sion vers tous les points du globe, sans que sa hau­taine en ait été trou­blée. Elle ne s’est ja­mais rien as­si­milé, elle n’a été mo­di­fiée par au­cun contact, elle n’a subi au­cune des exi­gences d’une dé­sor­mais com­mune. Après avoir re­foulé et dis­persé les tri­bus de l’ sep­ten­trio­nale qui n’ont pu être as­ser­vies, elle a vécu en de­hors et au-des­sus des peuples hin­dous, trop nom­breux pour qu’elle ten­tât de les dé­truire, mais as­sez inertes pour su­bir l’écrasement et l’avidité in­sa­tiable de son » 6.

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Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  1. Vic­tor de La­prade, «Ques­tions d’art et de ». Icône Haut
  2. id. Icône Haut
  3. «Pré­face aux “Œuvres com­plètes” de Le­conte de Lisle», p. 11-12. Icône Haut
  1. Le­conte de Lisle, «Nur­ma­hal». Icône Haut
  2. «Re­mer­cie­ment au poète des “Tro­phées”». Icône Haut
  3. p. 31. Icône Haut