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«Lapérouse et ses Compagnons dans la baie d’Hudson : textes»

éd. La Découvrance, La Rochelle

éd. La Dé­cou­vrance, La Ro­chelle

Il s’agit du «Jour­nal de na­vi­ga­tion» 1 de Jean-Fran­çois de La Pé­rouse et de la «Re­la­tion de l’expédition com­man­dée par La Pé­rouse pour la [des­truc­tion] des éta­blis­se­ments an­glais de la baie d’Hudson» de Paul Mon­ne­ron. La cé­lé­brité du grand voyage au­tour du monde de La Pé­rouse est cause que ses pré­cé­dents ex­ploits sont res­tés dans l’ombre. La rude ex­pé­di­tion me­née par lui et ses com­pa­gnons en 1782 contre les forts an­glais de la baie d’Hudson lors de la guerre sou­te­nue par la France pour l’indépendance des États-Unis est peu connue. Des pa­piers de pre­mière im­por­tance re­la­tifs à ces faits, entre autres le «Jour­nal de na­vi­ga­tion» de La Pé­rouse, n’ont été édi­tés qu’en 2012, après un ou­bli de 230 ans. Et en­core, leur édi­teur crai­gnant — je ne sais trop com­ment ni pour­quoi — d’alimenter «le mythe d’une ex­pé­di­tion dans des mers in­con­nues, en réa­lité fré­quen­tées de­puis long­temps… — vi­sion trop fran­çaise des évé­ne­ments», n’a-t-il ex­posé que les dé­fauts et tu tous les mé­rites de ce «raid» — ex­pé­di­tion pour­tant dé­li­cate, dans des mers dif­fi­ciles, dont La Pé­rouse s’était ac­quitté en ma­rin consommé et en homme al­liant les sen­ti­ments d’humanité avec les exi­gences du de­voir. «Rien», dit cet édi­teur dans un ju­ge­ment sé­vère, pour ne pas dire in­juste 2, «ne per­met de pen­ser que les ré­sul­tats de la cam­pagne dans la baie d’Hudson aient pu avoir les moindres consé­quences dé­ci­sives… [Chez les An­glais] ce pe­tit dé­sastre semble avoir été bien sup­porté, y com­pris par la hié­rar­chie de la Com­pa­gnie… Tous les res­pon­sables avaient re­trouvé leur poste l’année sui­vante». La Pé­rouse s’était fau­filé à tra­vers des brumes presque conti­nuelles, qui ne lui per­met­taient que ra­re­ment d’observer la hau­teur du so­leil. Il avait na­vi­gué à l’estime. Il avait triom­phé des élé­ments li­gués contre lui. Il avait rasé les éta­blis­se­ments an­glais, com­plè­te­ment iso­lés sur ces ri­vages loin­tains; mais il n’avait pas ou­blié en même temps les égards qu’on doit au mal­heur. Ayant laissé la vie sauve aux vain­cus, il leur avait cédé une quan­tité suf­fi­sante de vivres, de poudre et de plomb, afin qu’ils pussent être en état de re­joindre les leurs. À ce geste hu­ma­ni­taire, il en avait ajouté en­core un autre. Dans le fort d’York Fac­tory, il avait dé­cou­vert les jour­naux d’exploration de Sa­muel Hearne pour le compte de la Com­pa­gnie d’Hudson. Il les avait ren­dus in­tacts à leur au­teur à la condi­tion que ce­lui-ci les fît im­pri­mer et pu­blier dès son re­tour en An­gle­terre.

  1. Éga­le­ment connu sous le titre de «Jour­nal de la cam­pagne du “Sceptre” com­mandé par M. de La­pé­rouse, ca­pi­taine de vais­seau ayant sous ses ordres les fré­gates l’“As­trée” et l’“En­ga­geante”». Haut
  1. «La­pé­rouse et ses Com­pa­gnons dans la baie d’Hudson», p. 138. Haut

le major de Rostaing, «Prise et Destruction des forts anglais du Prince-de-Galles et d’York [Factory]» • La Pérouse, «Rapport au ministre de la Marine sur cette expédition»

dans « Revue du Dauphiné et du Vivarais », 1879, p. 507-524

dans «Re­vue du Dau­phiné et du Vi­va­rais», 1879, p. 507-524

Il s’agit de la «Re­la­tion in­édite : prise et des­truc­tion des forts an­glais du Prince-de-Galles et d’York [Fac­tory]» du ma­jor Jo­seph de Ros­taing et du «Rap­port au mi­nistre de la Ma­rine et des Co­lo­nies sur l’expédition de la baie d’Hudson» 1 de Jean-Fran­çois de La Pé­rouse. La cé­lé­brité du grand voyage au­tour du monde de La Pé­rouse est cause que ses pré­cé­dents ex­ploits sont res­tés dans l’ombre. La rude ex­pé­di­tion me­née par lui et ses com­pa­gnons en 1782 contre les forts an­glais de la baie d’Hudson lors de la guerre sou­te­nue par la France pour l’indépendance des États-Unis est peu connue. Des pa­piers de pre­mière im­por­tance re­la­tifs à ces faits, entre autres le «Jour­nal de na­vi­ga­tion» de La Pé­rouse, n’ont été édi­tés qu’en 2012, après un ou­bli de 230 ans. Et en­core, leur édi­teur crai­gnant — je ne sais trop com­ment ni pour­quoi — d’alimenter «le mythe d’une ex­pé­di­tion dans des mers in­con­nues, en réa­lité fré­quen­tées de­puis long­temps… — vi­sion trop fran­çaise des évé­ne­ments», n’a-t-il ex­posé que les dé­fauts et tu tous les mé­rites de ce «raid» — ex­pé­di­tion pour­tant dé­li­cate, dans des mers dif­fi­ciles, dont La Pé­rouse s’était ac­quitté en ma­rin consommé et en homme al­liant les sen­ti­ments d’humanité avec les exi­gences du de­voir. «Rien», dit cet édi­teur dans un ju­ge­ment sé­vère, pour ne pas dire in­juste 2, «ne per­met de pen­ser que les ré­sul­tats de la cam­pagne dans la baie d’Hudson aient pu avoir les moindres consé­quences dé­ci­sives… [Chez les An­glais] ce pe­tit dé­sastre semble avoir été bien sup­porté, y com­pris par la hié­rar­chie de la Com­pa­gnie… Tous les res­pon­sables avaient re­trouvé leur poste l’année sui­vante». La Pé­rouse s’était fau­filé à tra­vers des brumes presque conti­nuelles, qui ne lui per­met­taient que ra­re­ment d’observer la hau­teur du so­leil. Il avait na­vi­gué à l’estime. Il avait triom­phé des élé­ments li­gués contre lui. Il avait rasé les éta­blis­se­ments an­glais, com­plè­te­ment iso­lés sur ces ri­vages loin­tains; mais il n’avait pas ou­blié en même temps les égards qu’on doit au mal­heur. Ayant laissé la vie sauve aux vain­cus, il leur avait cédé une quan­tité suf­fi­sante de vivres, de poudre et de plomb, afin qu’ils pussent être en état de re­joindre les leurs. À ce geste hu­ma­ni­taire, il en avait ajouté en­core un autre. Dans le fort d’York Fac­tory, il avait dé­cou­vert les jour­naux d’exploration de Sa­muel Hearne pour le compte de la Com­pa­gnie d’Hudson. Il les avait ren­dus in­tacts à leur au­teur à la condi­tion que ce­lui-ci les fît im­pri­mer et pu­blier dès son re­tour en An­gle­terre.

  1. Éga­le­ment connu sous le titre de «Lettre écrite au mar­quis de Cas­tries, mi­nistre et se­cré­taire d’État au dé­par­te­ment de la Ma­rine, par M. de La Pé­rouse, ca­pi­taine de vais­seau, com­man­dant une di­vi­sion du roi; à bord du “Sceptre”, dans le dé­troit d’Hudson, le 6 sep­tembre 1782». Haut
  1. «La­pé­rouse et ses Com­pa­gnons dans la baie d’Hudson», p. 138. Haut

La Monneraye, «Souvenirs de 1760 à 1791»

éd. H. Champion, Paris

éd. H. Cham­pion, Pa­ris

Il s’agit de l’«Ex­pé­di­tion de la baie d’Hudson (1782)» et autres sou­ve­nirs de Pierre-Bruno-Jean de La Mon­ne­raye. La cé­lé­brité du grand voyage au­tour du monde de La Pé­rouse est cause que ses pré­cé­dents ex­ploits sont res­tés dans l’ombre. La rude ex­pé­di­tion me­née par lui et ses com­pa­gnons en 1782 contre les forts an­glais de la baie d’Hudson lors de la guerre sou­te­nue par la France pour l’indépendance des États-Unis est peu connue. Des pa­piers de pre­mière im­por­tance re­la­tifs à ces faits, entre autres le «Jour­nal de na­vi­ga­tion» de La Pé­rouse, n’ont été édi­tés qu’en 2012, après un ou­bli de 230 ans. Et en­core, leur édi­teur crai­gnant — je ne sais trop com­ment ni pour­quoi — d’alimenter «le mythe d’une ex­pé­di­tion dans des mers in­con­nues, en réa­lité fré­quen­tées de­puis long­temps… — vi­sion trop fran­çaise des évé­ne­ments», n’a-t-il ex­posé que les dé­fauts et tu tous les mé­rites de ce «raid» — ex­pé­di­tion pour­tant dé­li­cate, dans des mers dif­fi­ciles, dont La Pé­rouse s’était ac­quitté en ma­rin consommé et en homme al­liant les sen­ti­ments d’humanité avec les exi­gences du de­voir. «Rien», dit cet édi­teur dans un ju­ge­ment sé­vère, pour ne pas dire in­juste 1, «ne per­met de pen­ser que les ré­sul­tats de la cam­pagne dans la baie d’Hudson aient pu avoir les moindres consé­quences dé­ci­sives… [Chez les An­glais] ce pe­tit dé­sastre semble avoir été bien sup­porté, y com­pris par la hié­rar­chie de la Com­pa­gnie… Tous les res­pon­sables avaient re­trouvé leur poste l’année sui­vante». La Pé­rouse s’était fau­filé à tra­vers des brumes presque conti­nuelles, qui ne lui per­met­taient que ra­re­ment d’observer la hau­teur du so­leil. Il avait na­vi­gué à l’estime. Il avait triom­phé des élé­ments li­gués contre lui. Il avait rasé les éta­blis­se­ments an­glais, com­plè­te­ment iso­lés sur ces ri­vages loin­tains; mais il n’avait pas ou­blié en même temps les égards qu’on doit au mal­heur. Ayant laissé la vie sauve aux vain­cus, il leur avait cédé une quan­tité suf­fi­sante de vivres, de poudre et de plomb, afin qu’ils pussent être en état de re­joindre les leurs. À ce geste hu­ma­ni­taire, il en avait ajouté en­core un autre. Dans le fort d’York Fac­tory, il avait dé­cou­vert les jour­naux d’exploration de Sa­muel Hearne pour le compte de la Com­pa­gnie d’Hudson. Il les avait ren­dus in­tacts à leur au­teur à la condi­tion que ce­lui-ci les fît im­pri­mer et pu­blier dès son re­tour en An­gle­terre.

  1. «La­pé­rouse et ses Com­pa­gnons dans la baie d’Hudson», p. 138. Haut

Sagard, «Histoire du Canada, [ou] Voyages que les frères mineurs récollets y ont faits depuis l’an 1615. Tome IV»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de la re­la­tion «His­toire du Ca­nada» du frère Ga­briel Sa­gard, mis­sion­naire fran­çais, qui a fi­dè­le­ment dé­crit le quo­ti­dien des In­diens parmi les­quels il vé­cut pen­dant près d’un an, ainsi que l’œuvre di­vine qu’il eut la convic­tion d’accomplir, lorsque, la croix sur le cœur, le re­gard au ciel, il vint s’enfoncer dans les so­li­tudes du Ca­nada. Il en a tiré deux re­la­tions : «Le Grand Voyage du pays des Hu­rons» et «His­toire du Ca­nada», qui sont pré­cieuses en ce qu’elles nous ren­seignent sur les mœurs et l’esprit de tri­bus aujourd’hui éteintes ou ré­duites à une poi­gnée d’hommes. Ce fut le 18 mars 1623 que le frère Sa­gard par­tit de Pa­ris, à pied et sans ar­gent, voya­geant «à l’apostolique» 1, pour se rendre à Dieppe, lieu de l’embarquement. La grande et épou­van­table tra­ver­sée de l’océan l’incommoda fort et le contrai­gnit «de rendre le tri­but à la mer [de vo­mir]» tout au long des trois mois et six jours de na­vi­ga­tion qu’il lui fal­lut pour ar­ri­ver à la ville de Qué­bec. De là, «ayant tra­versé d’île en île» en pe­tit ca­not, il prit terre au pays des Hu­rons tant dé­siré «par un jour de di­manche, fête de Saint-Ber­nard 2, en­vi­ron midi, [alors] que le so­leil don­nait à plomb» 3. Tous les In­diens sor­tirent de leurs ca­banes pour ve­nir le voir et lui firent un fort bon ac­cueil à leur fa­çon; et par des ca­resses ex­tra­or­di­naires, ils lui té­moi­gnèrent «l’aise et le conten­te­ment» qu’ils avaient de sa ve­nue. Notre zélé re­li­gieux se mit aus­si­tôt à l’étude de la langue hu­ronne, dont il ne man­qua pas de dres­ser un lexique : «J’écrivais, et ob­ser­vant soi­gneu­se­ment les mots de la langue… j’en dres­sais des mé­moires que j’étudiais et ré­pé­tais de­vant mes sau­vages, les­quels y pre­naient plai­sir et m’aidaient à m’y per­fec­tion­ner…; m’[appelant] sou­vent “Aviel”, au lieu de “Ga­briel” qu’ils ne pou­vaient pro­non­cer à cause de la lettre “b” qui ne se trouve point en toute leur langue… “Ga­briel, prends ta plume et écris”, puis ils m’expliquaient au mieux qu’ils pou­vaient ce que je dé­si­rais sa­voir» 4. Peu à peu, il par­vint à s’habituer dans un lieu si mi­sé­rable. Peu à peu, aussi, il ap­prit la langue des In­diens. Il s’entretint alors fra­ter­nel­le­ment avec eux; il les at­ten­drit par sa man­sué­tude et dou­ceur; et comme il se mon­trait tou­jours si bon en­vers eux, il les per­suada ai­sé­ment que le Dieu dont il leur prê­chait la loi, était le bon Dieu. «Telle a été l’action bien­fai­sante de la France dans ses pos­ses­sions d’Amérique. Au Sud, les Es­pa­gnols sup­pli­ciaient, mas­sa­craient la pauvre race in­dienne. Au Nord, les An­glais la re­fou­laient de zone en zone jusque dans les froids et arides dé­serts. Nos mis­sion­naires l’adoucissaient et l’humanisaient», dit Xa­vier Mar­mier

  1. «Le Grand Voyage du pays des Hu­rons», p. 7. Haut
  2. Le 20 août. Haut
  1. id. p. 81. Haut
  2. id. p. 87-88. Haut

Sagard, «Histoire du Canada, [ou] Voyages que les frères mineurs récollets y ont faits depuis l’an 1615. Tome III»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de la re­la­tion «His­toire du Ca­nada» du frère Ga­briel Sa­gard, mis­sion­naire fran­çais, qui a fi­dè­le­ment dé­crit le quo­ti­dien des In­diens parmi les­quels il vé­cut pen­dant près d’un an, ainsi que l’œuvre di­vine qu’il eut la convic­tion d’accomplir, lorsque, la croix sur le cœur, le re­gard au ciel, il vint s’enfoncer dans les so­li­tudes du Ca­nada. Il en a tiré deux re­la­tions : «Le Grand Voyage du pays des Hu­rons» et «His­toire du Ca­nada», qui sont pré­cieuses en ce qu’elles nous ren­seignent sur les mœurs et l’esprit de tri­bus aujourd’hui éteintes ou ré­duites à une poi­gnée d’hommes. Ce fut le 18 mars 1623 que le frère Sa­gard par­tit de Pa­ris, à pied et sans ar­gent, voya­geant «à l’apostolique» 1, pour se rendre à Dieppe, lieu de l’embarquement. La grande et épou­van­table tra­ver­sée de l’océan l’incommoda fort et le contrai­gnit «de rendre le tri­but à la mer [de vo­mir]» tout au long des trois mois et six jours de na­vi­ga­tion qu’il lui fal­lut pour ar­ri­ver à la ville de Qué­bec. De là, «ayant tra­versé d’île en île» en pe­tit ca­not, il prit terre au pays des Hu­rons tant dé­siré «par un jour de di­manche, fête de Saint-Ber­nard 2, en­vi­ron midi, [alors] que le so­leil don­nait à plomb» 3. Tous les In­diens sor­tirent de leurs ca­banes pour ve­nir le voir et lui firent un fort bon ac­cueil à leur fa­çon; et par des ca­resses ex­tra­or­di­naires, ils lui té­moi­gnèrent «l’aise et le conten­te­ment» qu’ils avaient de sa ve­nue. Notre zélé re­li­gieux se mit aus­si­tôt à l’étude de la langue hu­ronne, dont il ne man­qua pas de dres­ser un lexique : «J’écrivais, et ob­ser­vant soi­gneu­se­ment les mots de la langue… j’en dres­sais des mé­moires que j’étudiais et ré­pé­tais de­vant mes sau­vages, les­quels y pre­naient plai­sir et m’aidaient à m’y per­fec­tion­ner…; m’[appelant] sou­vent “Aviel”, au lieu de “Ga­briel” qu’ils ne pou­vaient pro­non­cer à cause de la lettre “b” qui ne se trouve point en toute leur langue… “Ga­briel, prends ta plume et écris”, puis ils m’expliquaient au mieux qu’ils pou­vaient ce que je dé­si­rais sa­voir» 4. Peu à peu, il par­vint à s’habituer dans un lieu si mi­sé­rable. Peu à peu, aussi, il ap­prit la langue des In­diens. Il s’entretint alors fra­ter­nel­le­ment avec eux; il les at­ten­drit par sa man­sué­tude et dou­ceur; et comme il se mon­trait tou­jours si bon en­vers eux, il les per­suada ai­sé­ment que le Dieu dont il leur prê­chait la loi, était le bon Dieu. «Telle a été l’action bien­fai­sante de la France dans ses pos­ses­sions d’Amérique. Au Sud, les Es­pa­gnols sup­pli­ciaient, mas­sa­craient la pauvre race in­dienne. Au Nord, les An­glais la re­fou­laient de zone en zone jusque dans les froids et arides dé­serts. Nos mis­sion­naires l’adoucissaient et l’humanisaient», dit Xa­vier Mar­mier

  1. «Le Grand Voyage du pays des Hu­rons», p. 7. Haut
  2. Le 20 août. Haut
  1. id. p. 81. Haut
  2. id. p. 87-88. Haut

Sagard, «Histoire du Canada, [ou] Voyages que les frères mineurs récollets y ont faits depuis l’an 1615. Tome II»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de la re­la­tion «His­toire du Ca­nada» du frère Ga­briel Sa­gard, mis­sion­naire fran­çais, qui a fi­dè­le­ment dé­crit le quo­ti­dien des In­diens parmi les­quels il vé­cut pen­dant près d’un an, ainsi que l’œuvre di­vine qu’il eut la convic­tion d’accomplir, lorsque, la croix sur le cœur, le re­gard au ciel, il vint s’enfoncer dans les so­li­tudes du Ca­nada. Il en a tiré deux re­la­tions : «Le Grand Voyage du pays des Hu­rons» et «His­toire du Ca­nada», qui sont pré­cieuses en ce qu’elles nous ren­seignent sur les mœurs et l’esprit de tri­bus aujourd’hui éteintes ou ré­duites à une poi­gnée d’hommes. Ce fut le 18 mars 1623 que le frère Sa­gard par­tit de Pa­ris, à pied et sans ar­gent, voya­geant «à l’apostolique» 1, pour se rendre à Dieppe, lieu de l’embarquement. La grande et épou­van­table tra­ver­sée de l’océan l’incommoda fort et le contrai­gnit «de rendre le tri­but à la mer [de vo­mir]» tout au long des trois mois et six jours de na­vi­ga­tion qu’il lui fal­lut pour ar­ri­ver à la ville de Qué­bec. De là, «ayant tra­versé d’île en île» en pe­tit ca­not, il prit terre au pays des Hu­rons tant dé­siré «par un jour de di­manche, fête de Saint-Ber­nard 2, en­vi­ron midi, [alors] que le so­leil don­nait à plomb» 3. Tous les In­diens sor­tirent de leurs ca­banes pour ve­nir le voir et lui firent un fort bon ac­cueil à leur fa­çon; et par des ca­resses ex­tra­or­di­naires, ils lui té­moi­gnèrent «l’aise et le conten­te­ment» qu’ils avaient de sa ve­nue. Notre zélé re­li­gieux se mit aus­si­tôt à l’étude de la langue hu­ronne, dont il ne man­qua pas de dres­ser un lexique : «J’écrivais, et ob­ser­vant soi­gneu­se­ment les mots de la langue… j’en dres­sais des mé­moires que j’étudiais et ré­pé­tais de­vant mes sau­vages, les­quels y pre­naient plai­sir et m’aidaient à m’y per­fec­tion­ner…; m’[appelant] sou­vent “Aviel”, au lieu de “Ga­briel” qu’ils ne pou­vaient pro­non­cer à cause de la lettre “b” qui ne se trouve point en toute leur langue… “Ga­briel, prends ta plume et écris”, puis ils m’expliquaient au mieux qu’ils pou­vaient ce que je dé­si­rais sa­voir» 4. Peu à peu, il par­vint à s’habituer dans un lieu si mi­sé­rable. Peu à peu, aussi, il ap­prit la langue des In­diens. Il s’entretint alors fra­ter­nel­le­ment avec eux; il les at­ten­drit par sa man­sué­tude et dou­ceur; et comme il se mon­trait tou­jours si bon en­vers eux, il les per­suada ai­sé­ment que le Dieu dont il leur prê­chait la loi, était le bon Dieu. «Telle a été l’action bien­fai­sante de la France dans ses pos­ses­sions d’Amérique. Au Sud, les Es­pa­gnols sup­pli­ciaient, mas­sa­craient la pauvre race in­dienne. Au Nord, les An­glais la re­fou­laient de zone en zone jusque dans les froids et arides dé­serts. Nos mis­sion­naires l’adoucissaient et l’humanisaient», dit Xa­vier Mar­mier

  1. «Le Grand Voyage du pays des Hu­rons», p. 7. Haut
  2. Le 20 août. Haut
  1. id. p. 81. Haut
  2. id. p. 87-88. Haut

Sagard, «Histoire du Canada, [ou] Voyages que les frères mineurs récollets y ont faits depuis l’an 1615. Tome I»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de la re­la­tion «His­toire du Ca­nada» du frère Ga­briel Sa­gard, mis­sion­naire fran­çais, qui a fi­dè­le­ment dé­crit le quo­ti­dien des In­diens parmi les­quels il vé­cut pen­dant près d’un an, ainsi que l’œuvre di­vine qu’il eut la convic­tion d’accomplir, lorsque, la croix sur le cœur, le re­gard au ciel, il vint s’enfoncer dans les so­li­tudes du Ca­nada. Il en a tiré deux re­la­tions : «Le Grand Voyage du pays des Hu­rons» et «His­toire du Ca­nada», qui sont pré­cieuses en ce qu’elles nous ren­seignent sur les mœurs et l’esprit de tri­bus aujourd’hui éteintes ou ré­duites à une poi­gnée d’hommes. Ce fut le 18 mars 1623 que le frère Sa­gard par­tit de Pa­ris, à pied et sans ar­gent, voya­geant «à l’apostolique» 1, pour se rendre à Dieppe, lieu de l’embarquement. La grande et épou­van­table tra­ver­sée de l’océan l’incommoda fort et le contrai­gnit «de rendre le tri­but à la mer [de vo­mir]» tout au long des trois mois et six jours de na­vi­ga­tion qu’il lui fal­lut pour ar­ri­ver à la ville de Qué­bec. De là, «ayant tra­versé d’île en île» en pe­tit ca­not, il prit terre au pays des Hu­rons tant dé­siré «par un jour de di­manche, fête de Saint-Ber­nard 2, en­vi­ron midi, [alors] que le so­leil don­nait à plomb» 3. Tous les In­diens sor­tirent de leurs ca­banes pour ve­nir le voir et lui firent un fort bon ac­cueil à leur fa­çon; et par des ca­resses ex­tra­or­di­naires, ils lui té­moi­gnèrent «l’aise et le conten­te­ment» qu’ils avaient de sa ve­nue. Notre zélé re­li­gieux se mit aus­si­tôt à l’étude de la langue hu­ronne, dont il ne man­qua pas de dres­ser un lexique : «J’écrivais, et ob­ser­vant soi­gneu­se­ment les mots de la langue… j’en dres­sais des mé­moires que j’étudiais et ré­pé­tais de­vant mes sau­vages, les­quels y pre­naient plai­sir et m’aidaient à m’y per­fec­tion­ner…; m’[appelant] sou­vent “Aviel”, au lieu de “Ga­briel” qu’ils ne pou­vaient pro­non­cer à cause de la lettre “b” qui ne se trouve point en toute leur langue… “Ga­briel, prends ta plume et écris”, puis ils m’expliquaient au mieux qu’ils pou­vaient ce que je dé­si­rais sa­voir» 4. Peu à peu, il par­vint à s’habituer dans un lieu si mi­sé­rable. Peu à peu, aussi, il ap­prit la langue des In­diens. Il s’entretint alors fra­ter­nel­le­ment avec eux; il les at­ten­drit par sa man­sué­tude et dou­ceur; et comme il se mon­trait tou­jours si bon en­vers eux, il les per­suada ai­sé­ment que le Dieu dont il leur prê­chait la loi, était le bon Dieu. «Telle a été l’action bien­fai­sante de la France dans ses pos­ses­sions d’Amérique. Au Sud, les Es­pa­gnols sup­pli­ciaient, mas­sa­craient la pauvre race in­dienne. Au Nord, les An­glais la re­fou­laient de zone en zone jusque dans les froids et arides dé­serts. Nos mis­sion­naires l’adoucissaient et l’humanisaient», dit Xa­vier Mar­mier

  1. «Le Grand Voyage du pays des Hu­rons», p. 7. Haut
  2. Le 20 août. Haut
  1. id. p. 81. Haut
  2. id. p. 87-88. Haut

García Márquez, «Cent Ans de solitude : roman»

éd. du Seuil, coll. Points, Paris

éd. du Seuil, coll. Points, Pa­ris

Il s’agit de «Cent Ans de so­li­tude» («Cien Años de so­le­dad») de M. Ga­briel García Már­quez (XXe-XXIe siècle). Au point de dé­part des œuvres de M. García Már­quez, il y a Ma­condo, ce vil­lage my­thique de l’Amérique la­tine, qui res­semble bien à l’Aracataca réelle, sans l’être tout à fait — ce vil­lage qui, à l’origine, n’était qu’«une ruelle avec une ri­vière à l’une de ses ex­tré­mi­tés» 1 et qui, suite à la fièvre ba­na­nière, aux puan­teurs, à la vo­ra­cité, à la cor­rup­tion ame­nées par la Uni­ted Fruit Com­pany, se trans­forma en une de ces villes in­fâmes de So­dome et Go­morrhe «qui ont cessé de rendre ser­vice à la créa­tion» 2. Vers 1910, quand les Yan­kees y dé­bar­quèrent pour la pre­mière fois, avec leurs lan­gou­reuses épouses por­tant de grands cha­peaux de gaze, nul ne sa­vait en­core ce que ces nou­veaux ve­nus ve­naient y cher­cher. Do­tés de moyens au­tre­fois ré­ser­vés à Dieu, les Yan­kees mo­di­fièrent le ré­gime des pluies, pré­ci­pi­tèrent le cycle des ré­coltes et firent sor­tir la ri­vière du lit qu’elle oc­cu­pait de­puis tou­jours. Et pour qu’ils pussent trou­ver dans cet en­droit toute la di­gnité due à de beaux et riches sei­gneurs, et qu’ils n’eussent pas à en­du­rer la cha­leur, l’insalubrité, les pri­va­tions du vil­lage, ils s’en bâ­tirent un autre, avec des rues bor­dées de pal­miers, avec des mai­sons aux fe­nêtres grilla­gées, aux pis­cines bleu-tur­quoise et aux pe­louses pleines de cailles et de paons. Au­tour de ce pa­ra­dis de rêve s’étendait, comme au­tour d’un pou­lailler, une clô­ture élec­tri­fiée, sur­pro­té­gée par les rondes in­ces­santes de Noirs ar­més de fu­sils et de chiens de garde. De l’autre côté, les cam­pe­ments où s’entassaient les mil­liers d’ouvriers de la com­pa­gnie ba­na­nière n’étaient que de mi­nables abris à toit de palme, mon­tés sur des pieux et sans murs où, la nuit, des nuées de mous­tiques ache­vaient la sai­gnée des ex­ploi­tés. Pour ces ou­vriers qui ar­ri­vaient sans maî­tresses, les Yan­kees firent amé­na­ger des bor­dels en­core plus vastes que le vil­lage, «et par un glo­rieux mer­credi, ils firent ve­nir tout un convoi d’inimaginables pu­tains, fe­melles ba­by­lo­niennes rom­pues à des pro­cé­dés im­mé­mo­riaux et pour­vues de toutes sortes d’onguents et ac­ces­soires pour sti­mu­ler les désar­més, dé­gour­dir les ti­mides, as­sou­vir les vo­races» 3. La pu­tas­se­rie s’étendit à cer­taines fa­milles na­tives, dont les filles fi­nirent par se vendre au contre­maître en­jô­leur pour quelques pe­sos.

  1. En es­pa­gnol «un cal­le­jón con un río en un ex­tremo». Haut
  2. En es­pa­gnol «que han de­jado de pres­tar ser­vi­cio a la crea­ción». Haut
  1. En es­pa­gnol «y un miér­coles de glo­ria, lle­va­ron un tren car­gado de pu­tas in­ve­rosí­miles, hem­bras ba­biló­ni­cas adies­tra­das en re­cur­sos in­me­mo­riales, y pro­vis­tas de toda clase de ungüen­tos y dis­po­si­ti­vos para es­ti­mu­lar a los inermes, des­pa­bi­lar a los tí­mi­dos, sa­ciar a los vo­races». Haut

García Márquez, «Douze Contes vagabonds»

éd. Grasset-Librairie générale française, coll. Le Livre de poche, Paris

éd. Gras­set-Li­brai­rie gé­né­rale fran­çaise, coll. Le Livre de poche, Pa­ris

Il s’agit de «Douze Contes va­ga­bonds» («Doce Cuen­tos per­egri­nos») de M. Ga­briel García Már­quez (XXe-XXIe siècle). Au point de dé­part des œuvres de M. García Már­quez, il y a Ma­condo, ce vil­lage my­thique de l’Amérique la­tine, qui res­semble bien à l’Aracataca réelle, sans l’être tout à fait — ce vil­lage qui, à l’origine, n’était qu’«une ruelle avec une ri­vière à l’une de ses ex­tré­mi­tés» 1 et qui, suite à la fièvre ba­na­nière, aux puan­teurs, à la vo­ra­cité, à la cor­rup­tion ame­nées par la Uni­ted Fruit Com­pany, se trans­forma en une de ces villes in­fâmes de So­dome et Go­morrhe «qui ont cessé de rendre ser­vice à la créa­tion» 2. Vers 1910, quand les Yan­kees y dé­bar­quèrent pour la pre­mière fois, avec leurs lan­gou­reuses épouses por­tant de grands cha­peaux de gaze, nul ne sa­vait en­core ce que ces nou­veaux ve­nus ve­naient y cher­cher. Do­tés de moyens au­tre­fois ré­ser­vés à Dieu, les Yan­kees mo­di­fièrent le ré­gime des pluies, pré­ci­pi­tèrent le cycle des ré­coltes et firent sor­tir la ri­vière du lit qu’elle oc­cu­pait de­puis tou­jours. Et pour qu’ils pussent trou­ver dans cet en­droit toute la di­gnité due à de beaux et riches sei­gneurs, et qu’ils n’eussent pas à en­du­rer la cha­leur, l’insalubrité, les pri­va­tions du vil­lage, ils s’en bâ­tirent un autre, avec des rues bor­dées de pal­miers, avec des mai­sons aux fe­nêtres grilla­gées, aux pis­cines bleu-tur­quoise et aux pe­louses pleines de cailles et de paons. Au­tour de ce pa­ra­dis de rêve s’étendait, comme au­tour d’un pou­lailler, une clô­ture élec­tri­fiée, sur­pro­té­gée par les rondes in­ces­santes de Noirs ar­més de fu­sils et de chiens de garde. De l’autre côté, les cam­pe­ments où s’entassaient les mil­liers d’ouvriers de la com­pa­gnie ba­na­nière n’étaient que de mi­nables abris à toit de palme, mon­tés sur des pieux et sans murs où, la nuit, des nuées de mous­tiques ache­vaient la sai­gnée des ex­ploi­tés. Pour ces ou­vriers qui ar­ri­vaient sans maî­tresses, les Yan­kees firent amé­na­ger des bor­dels en­core plus vastes que le vil­lage, «et par un glo­rieux mer­credi, ils firent ve­nir tout un convoi d’inimaginables pu­tains, fe­melles ba­by­lo­niennes rom­pues à des pro­cé­dés im­mé­mo­riaux et pour­vues de toutes sortes d’onguents et ac­ces­soires pour sti­mu­ler les désar­més, dé­gour­dir les ti­mides, as­sou­vir les vo­races» 3. La pu­tas­se­rie s’étendit à cer­taines fa­milles na­tives, dont les filles fi­nirent par se vendre au contre­maître en­jô­leur pour quelques pe­sos.

  1. En es­pa­gnol «un cal­le­jón con un río en un ex­tremo». Haut
  2. En es­pa­gnol «que han de­jado de pres­tar ser­vi­cio a la crea­ción». Haut
  1. En es­pa­gnol «y un miér­coles de glo­ria, lle­va­ron un tren car­gado de pu­tas in­ve­rosí­miles, hem­bras ba­biló­ni­cas adies­tra­das en re­cur­sos in­me­mo­riales, y pro­vis­tas de toda clase de ungüen­tos y dis­po­si­ti­vos para es­ti­mu­lar a los inermes, des­pa­bi­lar a los tí­mi­dos, sa­ciar a los vo­races». Haut

García Márquez, «Le Général dans son labyrinthe : roman»

éd. Grasset-Librairie générale française, coll. Le Livre de poche, Paris

éd. Gras­set-Li­brai­rie gé­né­rale fran­çaise, coll. Le Livre de poche, Pa­ris

Il s’agit du «Gé­né­ral dans son la­by­rinthe» («El Ge­ne­ral en su la­be­rinto») de M. Ga­briel García Már­quez (XXe-XXIe siècle). Au point de dé­part des œuvres de M. García Már­quez, il y a Ma­condo, ce vil­lage my­thique de l’Amérique la­tine, qui res­semble bien à l’Aracataca réelle, sans l’être tout à fait — ce vil­lage qui, à l’origine, n’était qu’«une ruelle avec une ri­vière à l’une de ses ex­tré­mi­tés» 1 et qui, suite à la fièvre ba­na­nière, aux puan­teurs, à la vo­ra­cité, à la cor­rup­tion ame­nées par la Uni­ted Fruit Com­pany, se trans­forma en une de ces villes in­fâmes de So­dome et Go­morrhe «qui ont cessé de rendre ser­vice à la créa­tion» 2. Vers 1910, quand les Yan­kees y dé­bar­quèrent pour la pre­mière fois, avec leurs lan­gou­reuses épouses por­tant de grands cha­peaux de gaze, nul ne sa­vait en­core ce que ces nou­veaux ve­nus ve­naient y cher­cher. Do­tés de moyens au­tre­fois ré­ser­vés à Dieu, les Yan­kees mo­di­fièrent le ré­gime des pluies, pré­ci­pi­tèrent le cycle des ré­coltes et firent sor­tir la ri­vière du lit qu’elle oc­cu­pait de­puis tou­jours. Et pour qu’ils pussent trou­ver dans cet en­droit toute la di­gnité due à de beaux et riches sei­gneurs, et qu’ils n’eussent pas à en­du­rer la cha­leur, l’insalubrité, les pri­va­tions du vil­lage, ils s’en bâ­tirent un autre, avec des rues bor­dées de pal­miers, avec des mai­sons aux fe­nêtres grilla­gées, aux pis­cines bleu-tur­quoise et aux pe­louses pleines de cailles et de paons. Au­tour de ce pa­ra­dis de rêve s’étendait, comme au­tour d’un pou­lailler, une clô­ture élec­tri­fiée, sur­pro­té­gée par les rondes in­ces­santes de Noirs ar­més de fu­sils et de chiens de garde. De l’autre côté, les cam­pe­ments où s’entassaient les mil­liers d’ouvriers de la com­pa­gnie ba­na­nière n’étaient que de mi­nables abris à toit de palme, mon­tés sur des pieux et sans murs où, la nuit, des nuées de mous­tiques ache­vaient la sai­gnée des ex­ploi­tés. Pour ces ou­vriers qui ar­ri­vaient sans maî­tresses, les Yan­kees firent amé­na­ger des bor­dels en­core plus vastes que le vil­lage, «et par un glo­rieux mer­credi, ils firent ve­nir tout un convoi d’inimaginables pu­tains, fe­melles ba­by­lo­niennes rom­pues à des pro­cé­dés im­mé­mo­riaux et pour­vues de toutes sortes d’onguents et ac­ces­soires pour sti­mu­ler les désar­més, dé­gour­dir les ti­mides, as­sou­vir les vo­races» 3. La pu­tas­se­rie s’étendit à cer­taines fa­milles na­tives, dont les filles fi­nirent par se vendre au contre­maître en­jô­leur pour quelques pe­sos.

  1. En es­pa­gnol «un cal­le­jón con un río en un ex­tremo». Haut
  2. En es­pa­gnol «que han de­jado de pres­tar ser­vi­cio a la crea­ción». Haut
  1. En es­pa­gnol «y un miér­coles de glo­ria, lle­va­ron un tren car­gado de pu­tas in­ve­rosí­miles, hem­bras ba­biló­ni­cas adies­tra­das en re­cur­sos in­me­mo­riales, y pro­vis­tas de toda clase de ungüen­tos y dis­po­si­ti­vos para es­ti­mu­lar a los inermes, des­pa­bi­lar a los tí­mi­dos, sa­ciar a los vo­races». Haut

García Márquez, «La Mala Hora : roman»

éd. Grasset-Librairie générale française, coll. Le Livre de poche, Paris

éd. Gras­set-Li­brai­rie gé­né­rale fran­çaise, coll. Le Livre de poche, Pa­ris

Il s’agit de «La Mala Hora» de M. Ga­briel García Már­quez (XXe-XXIe siècle). Au point de dé­part des œuvres de M. García Már­quez, il y a Ma­condo, ce vil­lage my­thique de l’Amérique la­tine, qui res­semble bien à l’Aracataca réelle, sans l’être tout à fait — ce vil­lage qui, à l’origine, n’était qu’«une ruelle avec une ri­vière à l’une de ses ex­tré­mi­tés» 1 et qui, suite à la fièvre ba­na­nière, aux puan­teurs, à la vo­ra­cité, à la cor­rup­tion ame­nées par la Uni­ted Fruit Com­pany, se trans­forma en une de ces villes in­fâmes de So­dome et Go­morrhe «qui ont cessé de rendre ser­vice à la créa­tion» 2. Vers 1910, quand les Yan­kees y dé­bar­quèrent pour la pre­mière fois, avec leurs lan­gou­reuses épouses por­tant de grands cha­peaux de gaze, nul ne sa­vait en­core ce que ces nou­veaux ve­nus ve­naient y cher­cher. Do­tés de moyens au­tre­fois ré­ser­vés à Dieu, les Yan­kees mo­di­fièrent le ré­gime des pluies, pré­ci­pi­tèrent le cycle des ré­coltes et firent sor­tir la ri­vière du lit qu’elle oc­cu­pait de­puis tou­jours. Et pour qu’ils pussent trou­ver dans cet en­droit toute la di­gnité due à de beaux et riches sei­gneurs, et qu’ils n’eussent pas à en­du­rer la cha­leur, l’insalubrité, les pri­va­tions du vil­lage, ils s’en bâ­tirent un autre, avec des rues bor­dées de pal­miers, avec des mai­sons aux fe­nêtres grilla­gées, aux pis­cines bleu-tur­quoise et aux pe­louses pleines de cailles et de paons. Au­tour de ce pa­ra­dis de rêve s’étendait, comme au­tour d’un pou­lailler, une clô­ture élec­tri­fiée, sur­pro­té­gée par les rondes in­ces­santes de Noirs ar­més de fu­sils et de chiens de garde. De l’autre côté, les cam­pe­ments où s’entassaient les mil­liers d’ouvriers de la com­pa­gnie ba­na­nière n’étaient que de mi­nables abris à toit de palme, mon­tés sur des pieux et sans murs où, la nuit, des nuées de mous­tiques ache­vaient la sai­gnée des ex­ploi­tés. Pour ces ou­vriers qui ar­ri­vaient sans maî­tresses, les Yan­kees firent amé­na­ger des bor­dels en­core plus vastes que le vil­lage, «et par un glo­rieux mer­credi, ils firent ve­nir tout un convoi d’inimaginables pu­tains, fe­melles ba­by­lo­niennes rom­pues à des pro­cé­dés im­mé­mo­riaux et pour­vues de toutes sortes d’onguents et ac­ces­soires pour sti­mu­ler les désar­més, dé­gour­dir les ti­mides, as­sou­vir les vo­races» 3. La pu­tas­se­rie s’étendit à cer­taines fa­milles na­tives, dont les filles fi­nirent par se vendre au contre­maître en­jô­leur pour quelques pe­sos.

  1. En es­pa­gnol «un cal­le­jón con un río en un ex­tremo». Haut
  2. En es­pa­gnol «que han de­jado de pres­tar ser­vi­cio a la crea­ción». Haut
  1. En es­pa­gnol «y un miér­coles de glo­ria, lle­va­ron un tren car­gado de pu­tas in­ve­rosí­miles, hem­bras ba­biló­ni­cas adies­tra­das en re­cur­sos in­me­mo­riales, y pro­vis­tas de toda clase de ungüen­tos y dis­po­si­ti­vos para es­ti­mu­lar a los inermes, des­pa­bi­lar a los tí­mi­dos, sa­ciar a los vo­races». Haut

García Márquez, «L’Automne du patriarche : roman»

éd. B. Grasset, Paris

éd. B. Gras­set, Pa­ris

Il s’agit de «L’Automne du pa­triarche» («El Otoño del pa­triarca») de M. Ga­briel García Már­quez (XXe-XXIe siècle). Au point de dé­part des œuvres de M. García Már­quez, il y a Ma­condo, ce vil­lage my­thique de l’Amérique la­tine, qui res­semble bien à l’Aracataca réelle, sans l’être tout à fait — ce vil­lage qui, à l’origine, n’était qu’«une ruelle avec une ri­vière à l’une de ses ex­tré­mi­tés» 1 et qui, suite à la fièvre ba­na­nière, aux puan­teurs, à la vo­ra­cité, à la cor­rup­tion ame­nées par la Uni­ted Fruit Com­pany, se trans­forma en une de ces villes in­fâmes de So­dome et Go­morrhe «qui ont cessé de rendre ser­vice à la créa­tion» 2. Vers 1910, quand les Yan­kees y dé­bar­quèrent pour la pre­mière fois, avec leurs lan­gou­reuses épouses por­tant de grands cha­peaux de gaze, nul ne sa­vait en­core ce que ces nou­veaux ve­nus ve­naient y cher­cher. Do­tés de moyens au­tre­fois ré­ser­vés à Dieu, les Yan­kees mo­di­fièrent le ré­gime des pluies, pré­ci­pi­tèrent le cycle des ré­coltes et firent sor­tir la ri­vière du lit qu’elle oc­cu­pait de­puis tou­jours. Et pour qu’ils pussent trou­ver dans cet en­droit toute la di­gnité due à de beaux et riches sei­gneurs, et qu’ils n’eussent pas à en­du­rer la cha­leur, l’insalubrité, les pri­va­tions du vil­lage, ils s’en bâ­tirent un autre, avec des rues bor­dées de pal­miers, avec des mai­sons aux fe­nêtres grilla­gées, aux pis­cines bleu-tur­quoise et aux pe­louses pleines de cailles et de paons. Au­tour de ce pa­ra­dis de rêve s’étendait, comme au­tour d’un pou­lailler, une clô­ture élec­tri­fiée, sur­pro­té­gée par les rondes in­ces­santes de Noirs ar­més de fu­sils et de chiens de garde. De l’autre côté, les cam­pe­ments où s’entassaient les mil­liers d’ouvriers de la com­pa­gnie ba­na­nière n’étaient que de mi­nables abris à toit de palme, mon­tés sur des pieux et sans murs où, la nuit, des nuées de mous­tiques ache­vaient la sai­gnée des ex­ploi­tés. Pour ces ou­vriers qui ar­ri­vaient sans maî­tresses, les Yan­kees firent amé­na­ger des bor­dels en­core plus vastes que le vil­lage, «et par un glo­rieux mer­credi, ils firent ve­nir tout un convoi d’inimaginables pu­tains, fe­melles ba­by­lo­niennes rom­pues à des pro­cé­dés im­mé­mo­riaux et pour­vues de toutes sortes d’onguents et ac­ces­soires pour sti­mu­ler les désar­més, dé­gour­dir les ti­mides, as­sou­vir les vo­races» 3. La pu­tas­se­rie s’étendit à cer­taines fa­milles na­tives, dont les filles fi­nirent par se vendre au contre­maître en­jô­leur pour quelques pe­sos.

  1. En es­pa­gnol «un cal­le­jón con un río en un ex­tremo». Haut
  2. En es­pa­gnol «que han de­jado de pres­tar ser­vi­cio a la crea­ción». Haut
  1. En es­pa­gnol «y un miér­coles de glo­ria, lle­va­ron un tren car­gado de pu­tas in­ve­rosí­miles, hem­bras ba­biló­ni­cas adies­tra­das en re­cur­sos in­me­mo­riales, y pro­vis­tas de toda clase de ungüen­tos y dis­po­si­ti­vos para es­ti­mu­lar a los inermes, des­pa­bi­lar a los tí­mi­dos, sa­ciar a los vo­races». Haut

García Márquez, «Pas de lettre pour le colonel»

éd. B. Grasset, Paris

éd. B. Gras­set, Pa­ris

Il s’agit de «Pas de lettre pour le co­lo­nel» («El co­ro­nel no tiene quien le es­criba») de M. Ga­briel García Már­quez (XXe-XXIe siècle). Au point de dé­part des œuvres de M. García Már­quez, il y a Ma­condo, ce vil­lage my­thique de l’Amérique la­tine, qui res­semble bien à l’Aracataca réelle, sans l’être tout à fait — ce vil­lage qui, à l’origine, n’était qu’«une ruelle avec une ri­vière à l’une de ses ex­tré­mi­tés» 1 et qui, suite à la fièvre ba­na­nière, aux puan­teurs, à la vo­ra­cité, à la cor­rup­tion ame­nées par la Uni­ted Fruit Com­pany, se trans­forma en une de ces villes in­fâmes de So­dome et Go­morrhe «qui ont cessé de rendre ser­vice à la créa­tion» 2. Vers 1910, quand les Yan­kees y dé­bar­quèrent pour la pre­mière fois, avec leurs lan­gou­reuses épouses por­tant de grands cha­peaux de gaze, nul ne sa­vait en­core ce que ces nou­veaux ve­nus ve­naient y cher­cher. Do­tés de moyens au­tre­fois ré­ser­vés à Dieu, les Yan­kees mo­di­fièrent le ré­gime des pluies, pré­ci­pi­tèrent le cycle des ré­coltes et firent sor­tir la ri­vière du lit qu’elle oc­cu­pait de­puis tou­jours. Et pour qu’ils pussent trou­ver dans cet en­droit toute la di­gnité due à de beaux et riches sei­gneurs, et qu’ils n’eussent pas à en­du­rer la cha­leur, l’insalubrité, les pri­va­tions du vil­lage, ils s’en bâ­tirent un autre, avec des rues bor­dées de pal­miers, avec des mai­sons aux fe­nêtres grilla­gées, aux pis­cines bleu-tur­quoise et aux pe­louses pleines de cailles et de paons. Au­tour de ce pa­ra­dis de rêve s’étendait, comme au­tour d’un pou­lailler, une clô­ture élec­tri­fiée, sur­pro­té­gée par les rondes in­ces­santes de Noirs ar­més de fu­sils et de chiens de garde. De l’autre côté, les cam­pe­ments où s’entassaient les mil­liers d’ouvriers de la com­pa­gnie ba­na­nière n’étaient que de mi­nables abris à toit de palme, mon­tés sur des pieux et sans murs où, la nuit, des nuées de mous­tiques ache­vaient la sai­gnée des ex­ploi­tés. Pour ces ou­vriers qui ar­ri­vaient sans maî­tresses, les Yan­kees firent amé­na­ger des bor­dels en­core plus vastes que le vil­lage, «et par un glo­rieux mer­credi, ils firent ve­nir tout un convoi d’inimaginables pu­tains, fe­melles ba­by­lo­niennes rom­pues à des pro­cé­dés im­mé­mo­riaux et pour­vues de toutes sortes d’onguents et ac­ces­soires pour sti­mu­ler les désar­més, dé­gour­dir les ti­mides, as­sou­vir les vo­races» 3. La pu­tas­se­rie s’étendit à cer­taines fa­milles na­tives, dont les filles fi­nirent par se vendre au contre­maître en­jô­leur pour quelques pe­sos.

  1. En es­pa­gnol «un cal­le­jón con un río en un ex­tremo». Haut
  2. En es­pa­gnol «que han de­jado de pres­tar ser­vi­cio a la crea­ción». Haut
  1. En es­pa­gnol «y un miér­coles de glo­ria, lle­va­ron un tren car­gado de pu­tas in­ve­rosí­miles, hem­bras ba­biló­ni­cas adies­tra­das en re­cur­sos in­me­mo­riales, y pro­vis­tas de toda clase de ungüen­tos y dis­po­si­ti­vos para es­ti­mu­lar a los inermes, des­pa­bi­lar a los tí­mi­dos, sa­ciar a los vo­races». Haut