Anvari, «Poème»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit d’une tra­duc­tion par­tielle des «Odes» d’Anvari 1, poète de langue per­sane, éga­le­ment connu sous le nom d’Anvari Abi­vardi 2, car il na­quit près d’Abivard, dans l’actuel Turk­mé­nis­tan (XIIe siècle apr. J.-C.). Ce fut le poète le plus brillant de la Cour du sul­tan Ah­mad San­jar. Le style de ses com­po­si­tions est as­sez dif­fi­cile, et cer­taines de ses «Odes» ont be­soin d’un com­men­taire pour être com­prises. L’ode, ce­pen­dant, est le genre où An­vari est re­gardé comme su­pé­rieur à tous les autres poètes per­sans, comme en té­moigne ce dis­tique : «Parmi les poètes, trois sont pro­phètes, en dé­pit de la pa­role de Ma­ho­met : “Plus de pro­phète après moi!”; dans l’épopée Fir­dousi, dans le gha­zel Saadi, dans l’ode An­vari» 3. On sait peu de chose sur sa vie, sauf les cir­cons­tances dans les­quelles il de­vint le poète of­fi­ciel du sul­tan. Les voici, d’ailleurs. Moezzi, qui le pré­céda dans ce poste, jouis­sait d’une telle mé­moire qu’il lui suf­fi­sait d’entendre une ode une fois pour la re­te­nir par cœur. Aussi, chaque fois qu’un poète ré­ci­tait une ode de­vant le sul­tan Ah­mad San­jar, lorsque la pièce ar­ri­vait à sa fin, plai­sait-elle à ce mo­narque, Moezzi ne man­quait pas de s’écrier : «Il y a beau temps que j’ai com­posé cette poé­sie; d’ailleurs, elle est en­core dans ma mé­moire» 4, et il la ré­ci­tait du pre­mier au der­nier vers. Les poètes pré­ten­dants étaient plon­gés dans la stu­pé­fac­tion, ne sa­chant par quel moyen pré­sen­ter au sul­tan Ah­mad San­jar des vers dont ce mo­narque fût per­suadé que Moezzi n’était pas l’auteur. An­vari trouva le stra­ta­gème sui­vant : il re­vê­tit des ha­bits tout râ­pés et orna sa tête d’une ai­grette ex­tra­or­di­naire, puis se ren­dit avec un air de fo­lie chez Moezzi. «Je suis poète», lui dit-il, «et j’ai com­posé quelques vers en l’honneur du sul­tan; j’attends de vous que vous les lui dé­cla­miez et que vous re­ce­viez pour mon compte un ca­deau sé­rieux. — Ré­cite-les-moi», ré­pon­dit Moezzi. An­vari com­mença en ces termes : «Vive le roi, vive le roi, vive le roi! Vive l’émir, vive l’émir, vive l’émir!», et il conti­nua à dé­bi­ter d’autres ba­li­vernes de la même force. Moezzi se fi­gura avoir af­faire à un bouf­fon et lui dit : «De­main ma­tin, trouve-toi à la Cour du sul­tan : je lui ex­po­se­rai ta si­tua­tion, et j’obtiendrai qu’il t’attache à son ser­vice». Le len­de­main, An­vari s’habilla avec conve­nance, se coiffa d’un tur­ban élé­gant et en­tra dans le pa­lais. Pris de court, Moezzi ne put que dire : «Dé­clame-nous l’ode que tu as com­po­sée en l’honneur du sul­tan». Aus­si­tôt, An­vari ré­cita le dé­but d’une ode pleine de com­pa­rai­sons au­da­cieuses et de louanges su­perbes :

«Si terre et mer pou­vaient de­ve­nir cœur et main, ils de­vien­draient le cœur et la main de notre maître [Ah­mad San­jar], le sou­ve­rain de ce bas monde, dont les ordres par­courent l’univers comme la des­ti­née… Ô toi, fort comme le des­tin! quand tu dé­cides, la mon­tagne de­vient sans force ni pou­voir. Ton éten­dard est un mi­racle dont les termes sont ex­pli­qués et trans­la­tés par la vic­toire. Non! je ne di­rai pas qu’un autre être que Dieu mo­di­fie ce qui est et connaît les se­crets; mais je dis que, par ton es­prit et ton dra­peau, nuit et jour, deux ef­fets sont au monde vi­sibles : ton ju­ge­ment rend ma­ni­festes les mys­tères qui de­meu­raient ca­chés, tout comme la des­ti­née; ton éten­dard fait dis­pa­raître les dis­cordes qui se­raient in­fi­nies, comme la pen­sée» 5.

Puis, se tour­nant vers Moezzi : «Si vous avez com­posé cette ode-là, vous», dit-il 6, «eh bien, ré­ci­tez la suite! Si­non, avouez qu’elle est la fille de mon cer­veau vierge, car je vais ache­ver de vous la dire». Moezzi resta confondu, et le sul­tan com­prit com­ment ce poète en usait avec ses confrères. An­vari acheva sa ré­ci­ta­tion, et le sul­tan lui donna place parmi les gens de mé­rite et les fa­vo­ris de son au­guste Cour.

«dans l’épopée Fir­dousi, dans le gha­zel Saadi, dans l’ode An­vari»

Voici un pas­sage qui don­nera une idée du style des «Odes» : «Lorsqu’au le­ver de l’aurore, la nuit re­pliant les dra­pe­ries étoi­lées de sa tente té­né­breuse, l’œil de la na­ture s’entr’ouvrit ra­fraî­chi par un doux som­meil; le cœur consumé de mille feux, les yeux hu­mides de larmes, j’abandonnai ma couche so­li­taire. Tour­menté de dé­sirs, je par­cou­rais tris­te­ment ma re­traite si­len­cieuse. Peut-être, me di­sais-je, vais-je la voir pa­raître cette maî­tresse ado­rée! Peut-être, de se bouche gra­cieuse, vais-je en­tendre des pa­roles d’amour!…» 7

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  1. En per­san انوری. Au­tre­fois trans­crit En­weri, En­very, En­veri, En­verri, An­veri, An­very, An­weri, An­wery, Anouary, An­wary ou An­warī. Haut
  2. En per­san انوری ابیوردی. Haut
  3. Dans Al­bert de Bi­ber­stein Ka­zi­mirski, «An­veri». Haut
  4. «No­tice sur le poète per­san En­veri», p. 242. Haut
  1. Dans «An­tho­lo­gie per­sane», p. 58. Haut
  2. «No­tice sur le poète per­san En­veri», p. 243. Haut
  3. p. 193-195. Haut