Il s’agit de Wang Wei 1, artiste chinois (VIIIe siècle apr. J.-C.), aussi illustre en poésie qu’en peinture et musique. La mort de son père le livra de bonne heure et tout entier à l’influence maternelle, qui imprima sur son génie une véritable empreinte bouddhique : c’est en elle qu’il faut voir la source de cet amour de la nature, de ce goût de la méditation, de ce détachement du monde, de cette « pureté détachée » (« qing yi » 2) qui pénètrent le caractère de Wang Wei et forment l’essence même de ses compositions. On peut supposer que c’est aussi sa mère qui le guida dans le choix de son surnom : Mo-jie 3. En effet, ces deux idéogrammes, joints à celui de son prénom Wei, forment le nom chinois du saint Vimalakîrti. Sa vie durant, Wang Wei observa un jeûne rigoureux et s’abstint de viandes. Dans sa chambre dépouillée, hormis un service à thé, un luth et un lit de cordes, on ne voyait qu’une table basse sur laquelle étaient rangées les écritures bouddhiques. On n’a pas raison de douter qu’il avait une bonne connaissance de ces écritures ; mais une froide impression d’immobilisme émane de ses poèmes qui, étant parfaits et sans défaut, cherchant et atteignant leurs effets, sont par là moins humains, moins vivants. Une autre explication de cet immobilisme, c’est l’influence de la peinture et la musique. Le grand lettré Su Dongpo écrivait : « Lorsque je goûte la poésie de Mo-jie, je trouve des peintures dans ses poèmes ; lorsque je contemple la peinture de Mo-jie, je trouve des poèmes dans sa peinture » 4. Un autre critique qualifiait sa poésie de « peinture sonore » (« you sheng hua » 5). On rapporte, comme preuve de son savoir dans ces deux différents arts, l’anecdote suivante : « [Se trouvant] un jour chez une personne qui possédait un tableau représentant des musiciens en train de jouer d’un instrument, Wang Wei regarda le tableau et dit : “C’est la première mesure du troisième refrain de la Danse de la robe d’arc-en-ciel 6”. Les curieux firent venir des musiciens pour jouer cette pièce. Leur pose instrumentale confirma l’affirmation de Wang Wei » 7.
« je trouve des peintures dans ses poèmes »
Voici un passage qui donnera une idée de la manière de Wang Wei :
« L’atmosphère de l’automne est limpide et lointaine.
Je ne me sens plus loin des hommes.
Je me réjouis de voir les hérons sur la grève,
En même temps que les monts sortant des nuages.
Les flots limpides s’agitent vers le soir,
Le clair de lune brille et va cesser.
Cette nuit, appuyé sur ma rame unique,
Indécis, je voudrais ne jamais rentrer » 8.
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- Traduction de Mme Liou Kin-ling (1941) [Source : Yoto Yotov].
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Che Bing Chiu, « Wang Wei, le “Wangchuan ji” (“Recueil du Val de la Jante”) : un poète en sa villégiature » dans « Le Point Références », hors-série nº 2, p. 34
- Jean-Pierre Diény, « Wang Wei (699-759) » dans « Encyclopædia universalis » (éd. électronique)
- Georges Margouliès, « Histoire de la littérature chinoise. Poésie » (éd. Payot, coll. Bibliothèque historique, Paris).
- En chinois 王維. Autrefois transcrit Uang Uei, Wang Wey, Ouang-oey, Ouang Oueï ou Ouan-ouey.
- En chinois 清逸. Autrefois transcrit « ts’ing yi ».
- En chinois 摩詰. Parfois transcrit Mouo Kie, Mo-k’i ou Moji.
- Dans Che Bing Chiu, « Wang Wei, le “Wangchuan ji” (“Recueil du Val de la Jante”) : un poète en sa villégiature ».
- En chinois 有聲畫. Parfois transcrit « yeou-cheng-houa ».
- En chinois 霓裳羽衣曲. Nom d’une mélodie venue d’Asie centrale et entrée en Chine sous les Tang, période où les échanges culturels avec l’Ouest étaient très riches.
- Dans Wei-penn Chang et Lucien Drivod, « Préface à “Paysages : miroirs du cœur” », p. 12.
- p. 129.
Bravo pour votre remarquable travail.
Pourriez-vous proposer une suite de traductions de « Zhu li guan » du même auteur ?
Cordialement à vous.
« Zhu li guan » (« L’Auberge des bambous ») figure à la fois dans la traduction de Mme Liou Kin-ling, ici présente, et dans celle de M. Patrick Carré, dont j’ai rendu compte ailleurs, sans oublier une forêt d’autres traductions non moins nombreuses que les bambous du poème :
« Seul assis au milieu des bambous,
Je joue du luth et chante à mesure ;
Ignoré de tous, au fond des bois.
La lune s’est approchée : clarté. »
— Poème dans la traduction (I) de M. François Cheng (dans « Entre source et nuage : voix de poètes dans la Chine d’hier et d’aujourd’hui », éd. A. Michel, coll. Spiritualités vivantes, Paris)
« Assis seul à l’écart au milieu des bambous,
Je joue de la cithare et chante à pleine voix ;
Dans la forêt profonde, où les hommes m’oublient,
Seul un rayon de lune est venu m’éclairer. »
— Poème dans la traduction (II) de M. François Cheng, revue par M. Jean-Pierre Diény (dans « Anthologie de la poésie chinoise classique », éd. Gallimard-UNESCO, coll. Connaissance de l’Orient, Paris)