Wang Wei, « Les Saisons bleues »

éd. Phébus, coll. Libretto, Paris

éd. Phé­bus, coll. Li­bretto, Pa­ris

Il s’agit de Wang Wei1, ar­tiste chi­nois (VIIIe siècle apr. J.-C.), aussi illustre en poé­sie qu’en pein­ture et en mu­sique. La mort de son père le li­vra de bonne heure et tout en­tier à l’influence ma­ter­nelle, qui im­prima sur son gé­nie une vé­ri­table em­preinte boud­dhique : c’est en elle qu’il faut voir la source de cet amour de la na­ture, de ce goût de la mé­di­ta­tion, de ce dé­ta­che­ment du monde, de cette « pu­reté dé­ta­chée » (« qing yi »2) qui pé­nètrent le ca­rac­tère de Wang Wei et forment l’essence même de ses œuvres. On peut sup­po­ser que c’est aussi sa mère qui le guida dans le choix de son sur­nom : Mo Jie3. En ef­fet, ces deux idéo­grammes, joints à ce­lui de son pré­nom Wei, forment le nom chi­nois du saint Vi­ma­la­kîrti. Toute sa vie du­rant, Wang Wei ob­serva un jeûne ri­gou­reux et s’abstint de viandes. Dans sa chambre dé­pouillée, hor­mis un ser­vice à thé, un luth et un lit de cordes, on ne voyait qu’une table basse sur la­quelle étaient ran­gées les écri­tures boud­dhiques. On n’a pas rai­son de dou­ter qu’il avait une bonne connais­sance de ces écri­tures ; mais une froide im­pres­sion d’immobilisme émane de ses poèmes qui, étant par­faits et sans dé­faut, cher­chant et at­tei­gnant leurs ef­fets, sont par là moins hu­mains, moins vi­vants. Une autre ex­pli­ca­tion de cet im­mo­bi­lisme, c’est l’influence de la pein­ture et de la mu­sique. Su Dongpo di­sait de Wang Wei que « ses poèmes étaient des ta­bleaux, et ses ta­bleaux — des poèmes ». Un autre cri­tique qua­li­fiait sa poé­sie de « pein­ture so­nore » (« you sheng hua »4). On rap­porte, comme preuve de son sa­voir dans ces deux dif­fé­rents arts, l’anecdote sui­vante : « [Se trou­vant] un jour chez une per­sonne qui pos­sé­dait un ta­bleau re­pré­sen­tant des mu­si­ciens en train de jouer d’un ins­tru­ment, Wang Wei re­garda le ta­bleau et dit : “C’est la pre­mière me­sure du troi­sième re­frain de la danse des robes arc-en-ciel”. Les cu­rieux firent ve­nir des mu­si­ciens pour jouer cette pièce. Leur pose ins­tru­men­tale confirma l’affirmation de Wang Wei »5.

Il n’existe pas moins de six tra­duc­tions fran­çaises des poèmes, mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de M. Pa­trick Carré.

「不知香積寺,
數里入雲峰.
古木無人徑,
深山何處鐘?
泉聲咽危石,
日色冷青松.
薄暮空潭曲,
安禪制毒龍.」

— Poème dans la langue ori­gi­nale

« Je n’ai pas re­connu le mo­nas­tère des Par­fums,
En allé trop loin par les nuages des som­mets.
Sen­tier dé­sert sous les vieux arbres —
Où sonne la cloche en ces monts si pro­fonds ?
La source s’enroue au pé­ril des ro­chers,
À la cou­leur du so­leil, le bleu des pins fraî­chit.
Le soir, au creux de l’étang vide,
La paix de l’éveil ap­pri­voise les dra­gons. »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Carré

« Je ne connais pas le mo­nas­tère des Par­fums Ac­cu­mu­lés.
Sur plu­sieurs lieues j’ai pé­né­tré les hau­teurs per­dues dans les nuages.
Parmi les vieux arbres, il n’y a pas de sen­tiers hu­mains ;
Au fond des mon­tagnes, d’où vient un son de cloche ?
Le bruit des sources ré­sonne sur les pierres qui res­sortent,
La cou­leur du so­leil sur les pins verts donne une idée de froid.
Dans le vide du cré­pus­cule ténu, des étangs si­nuent,
La mé­di­ta­tion pai­sible y maî­trise les dra­gons ve­ni­meux. »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Jacques Pim­pa­neau (dans « An­tho­lo­gie de la lit­té­ra­ture chi­noise clas­sique », éd. Ph. Pic­quier, Arles)

« Ne sa­chant pas où se si­tue le temple Xiangji
Je marche quelques “li” et me perds dans les monts en­nua­gés
La fo­rêt trop dense, sans au­cun sen­tier à suivre
D’où me par­vient alors ce son des cloches
Qui ré­sonne dans cette mon­tagne si pro­fonde ?
Une source chu­chote parmi des ro­chers abrupts
Des rayons froids du so­leil filtrent entre les pins verts
La nuit tombe sur l’étang calme
Je prie de maî­tri­ser le dra­gon ve­ni­meux »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Shi Bo (dans « Les Plus Beaux Poèmes ly­riques de la dy­nas­tie des Tang », éd. Qui­mé­tao, coll. Culture et Cou­tumes chi­noises, Pa­ris)

« Jusqu’au temple Xiangji, je ne connais­sais point la dis­tance,
Après plu­sieurs “li” de marche, je pé­né­trai dans les pics re­cou­verts de nuages.
Au mi­lieu des vieux arbres, nulle trace hu­maine n’était vi­sible,
Mais d’où ve­nait ce son de cloche dans la pro­fonde mon­tagne ?
Les tor­rents gar­gouillaient sur des fa­laises es­car­pées,
La lueur froide du so­leil ac­ca­blait les pins ver­doyants.
Dans le cré­pus­cule bru­meux ap­pa­rais­sait un étang à sec,
Comme si on l’avait dé­bar­rassé du dra­gon ve­ni­meux. »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Wang Chia-yu (éd. You Feng, Pa­ris)

« Je ne sais où se trouve le temple Xiangji ;
En quelques “li”, je pé­nètre la cime per­due dans les nuages.
De vieux arbres, point de sen­tiers.
Dans les mon­tagnes pro­fondes, où ré­sonne cette cloche ?
Le mur­mure de la source san­glote aux ro­chers es­car­pés.
Le so­leil co­lore les pins froids et verts.
À la tom­bée de la nuit, près du gouffre vide,
La mé­di­ta­tion pai­sible maî­trise les dra­gons ve­ni­meux. »
— Poème dans la tra­duc­tion de MM. Wei-penn Chang et Lu­cien Dri­vod (éd. Gal­li­mard, coll. Connais­sance de l’Orient, Pa­ris)

« Qui le connaît, le temple du Par­fum-ca­ché ?
À plu­sieurs “li” d’ici, sur un pic nua­geux…
Sen­tiers à tra­vers l’antique fo­rêt : nulle trace.
Au cœur du mont, sons de cloche, ve­nant d’où ?
Bruits de sources, san­glots de rocs dres­sés ;
Teinte du so­leil, fraî­chie entre les pins.
Au soir, sur l’étang dé­sert, mé­di­tant le Ch’an,
Quelqu’un ap­pri­voise le dra­gon ve­ni­meux. »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Fran­çois Cheng (dans « Entre source et nuage : voix de poètes dans la Chine d’hier et d’aujourd’hui », éd. A. Mi­chel, coll. Spi­ri­tua­li­tés vi­vantes, Pa­ris)

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Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  • Jean-Pierre Diény, « Wang Wei (699-759) » dans « En­cy­clopæ­dia uni­ver­sa­lis » (éd. élec­tro­nique)
  • Georges Mar­gou­liès, « His­toire de la lit­té­ra­ture chi­noise. Poé­sie » (éd. Payot, coll. Bi­blio­thèque his­to­rique, Pa­ris).
  1. En chi­nois 王維. Au­tre­fois trans­crit Uang Uei, Wang Wey, Ouang-oey, Ouang Oueï ou Ouan-ouey. Haut
  2. En chi­nois 清逸. Au­tre­fois trans­crit « ts’ing yi ». Haut
  3. En chi­nois 摩詰. Au­tre­fois trans­crit Mouo Kie ou Mo-k’i. Haut
  1. En chi­nois 有聲畫. Au­tre­fois trans­crit « yeou-cheng-houa ». Haut
  2. Wei-penn Chang et Lu­cien Dri­vod, « Pré­face à “Pay­sages : mi­roirs du cœur” », p. 12. Haut