
dans « Description géographique, historique, chronologique, politique de l’Empire de la Chine. Tome II » (XVIIIe siècle), p. 369-380
Il s’agit d’une traduction partielle du « Shi Jing »1, ou « Le Livre des vers ». Le caractère « shi » signifie « vers, pièce de vers, poème », parce qu’en effet tout ce livre ne contient que des odes, composées entre le XIe et le VIe siècle av. J.-C., où l’on voit décrites les anciennes coutumes des Chinois, leurs relations aux ancêtres, au ciel, aux autres pouvoirs, leurs rites millénaires participant au rythme sacré des saisons. Confucius fait un grand éloge de ces odes et assure que la doctrine en est très pure et très sainte : « As-tu travaillé la première et la seconde partie du “Shi Jing” ? », dit-il2. « Qui voudrait faire son métier d’homme sans travailler la première et la seconde partie du “Shi Jing” restera comme planté le nez contre un mur. » Et encore : « Mes enfants, pourquoi aucun de vous n’étudie-t-il le “Shi Jing” ? Le “Shi Jing” permet de stimuler, permet d’observer, permet de communier, permet de protester. En famille, il vous aidera à servir votre père ; dans le monde, il vous aidera à servir votre souverain. Et vous y apprendrez les noms de beaucoup d’oiseaux, bêtes, plantes et arbres »3. En même temps, Confucius prend le parti de tirer de ces odes un enseignement moral, un sens politique plus ou moins éloigné du sens primitif : « Une seule phrase peut résumer les trois cents odes du “Shi Jing”, et c’est “penser droit” »4. Le « Shi Jing » se divise en quatre parties. La première, appelée « Guo Feng »5, ou « Chansons des royaumes », comprend des chansons traditionnelles et des ballades, recueillies dans leurs royaumes respectifs par des percepteurs, puis offertes et soumises ensuite à l’Empereur ; elles témoignent des souffrances endurées par le peuple et font l’éloge de l’amour. La deuxième et troisième partie portent le nom de « Xiao Ya »6 et « Da Ya »7, ou petite et grande « Ya », mot qui signifie « ce qui est distingué, convenable » ; l’honneur et la justice, la gravité et la décence, le respect envers l’autorité et l’horreur du vice sont le principal objet et comme l’âme des deux « Ya ». Enfin, la quatrième partie du « Shi Jing » s’appelle « Song »8, ce qui signifie « Hymnes » ; ce sont, pour la plupart, des éloges solennels et des cantiques en l’honneur du ciel, c’est-à-dire de Dieu même et des grands personnages de la vertueuse Antiquité. Le tout compte trois cent cinq odes.
Confucius fait un grand éloge de ces odes et assure que la doctrine en est très pure et très sainte
Cependant, il faut l’avouer, ces poèmes manquent très souvent de force. Leur esprit est avant tout positif, concret ; elles nous montrent le côté matériel de l’existence ; elles ne s’accompagnent nullement de cette espèce d’enthousiasme, de cette élévation d’idées que produisent en nous les hymnes mésopotamiens ou les psaumes hébraïques ; on y voit la langue chinoise encore à sa naissance, presque informe et bégayant dans son berceau. « Il y a certes dans le “Shi Jing” une morale sage et profitable, parfois quelques mouvements lyriques non sans grandeur ; mais presque rien de hardi et d’osé… Les sentiments sont médiocres, quoique purs… La nature ni l’humanité ne sont vues de haut… Si l’on conseille un roi, c’est en l’appelant à des vertus vulgaires : à la bonhomie plutôt qu’à la clémence, à une générosité banale plutôt qu’à une haute justice, à la propreté extérieure plutôt qu’à la pureté de l’âme. Tout est rétréci en faveur du point de vue pratique : c’est une poésie moyenne qui chante agréablement, mais qui ne s’exalte jamais », expliquent des orientalistes9.
Il n’existe pas moins de quatre traductions françaises du « Shi Jing », mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle du père Joseph-Henri de Prémare.
「天之降罔,維其優矣.人之云亡,心之憂矣.天之降罔,維其幾矣.人之云亡,心之悲矣.
觱沸檻泉,維其深矣.心之憂矣,寧自今矣.」— Ode dans la langue originale
« Le ciel jette ses filets, ils sont répandus partout ; l’homme est perdu : voilà ce qui m’afflige. Le ciel tend ses filets, ils ne sont pas loin : c’en est fait, l’homme est perdu : voilà ce qui fait toute ma tristesse.
Ce ruisseau si profond a une source, d’où il est sorti ; ma douleur lui ressemble : elle est profonde, et elle vient de bien loin. »
— Ode dans la traduction du père de Prémare
« Le ciel nous frappe, et les calamités de tout genre que nous ne pouvons éviter désormais nous enveloppent de tous côtés. Tous périssent et se consument dans le deuil le plus profond. Nous sommes retenus dans les filets des méchants par ordre du ciel ; nous y sommes en quelque sorte étouffés.
Une perte commune nous menace tous. Les hommes périssent, et nous, nous pleurons comme des malheureux.
Partout où s’offre un passage, les eaux qui grossissent s’élancent avec une grande impétuosité. Elles ont rompu leurs digues et se précipitent dans le profond abîme. Mon esprit, flottant sur le bord d’un océan de maux, est aux prises avec le plus amer chagrin, et il se laisse, en quelque sorte, entraîner par le courant des eaux de la douleur.
Notre deuil n’est pas d’une date récente ; ce n’est pas aujourd’hui qu’il a commencé, ce ne sera pas demain qu’il finira. »
— Ode dans la traduction de Guillaume Pauthier10 (XIXe siècle)
« Le ciel envoie ses (châtiments, qui nous enveloppent comme des) filets, et ils sont nombreux. Les bons ministres ont disparu ; j’en suis affligé. Le ciel envoie ses châtiments, et ils sont proches. Les bons ministres ont disparu ; j’en suis affligé.
Une eau qui jaillit, bouillonne et vient directement de la source, sort d’une grande profondeur. Mon chagrin (est très profond) ; est-ce seulement à présent qu’il commence ? »
— Ode dans la traduction du père Séraphin Couvreur (XIXe siècle)
« Cælum immittit retia, sunt illa multa. Ministri (probi) non sunt jam ; animo doleo. Cælum immittit retia, sunt illa proxima. Ministri probi non sunt jam ; animo doleo.
Subsilientis et ebullientis aquæ recta scatebra est illa profunda. Animi dolor num oritur nunc ? »
— Ode dans la traduction latine du père Séraphin Couvreur (XIXe siècle)
« A cælo plectimur et calamitates tanquam totidem retia, unde non est effugium, nos undique circumstant. Omnes pereunt et in luctu tabescunt. Malorum laqueis, quibus a cælo premimur, constricti tenemur, instatque communis omnium exitus. Pereunt homines ; et nos miseri lugemus.
Aquæ scaturientes magno impetu, qua patet aditus, erumpunt et in altum gurgitem fluunt. Animus meus in malorum voragine fluctuans mærore confligitur, et quasi diffluit. Non recens est luctus noster, non hodie incepit neque hodie finietur »
— Ode dans la traduction latine du père Alexandre de la Charme (XVIIIe siècle)
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- Jin Siyan évoquant le « Shi Jing » [Source : France Culture].
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- « Poèmes choisis et illustrés du “Livre de la poésie” [traduction de Xu Yuan chong ; préface de Liu Feng wen] » (éd. 五洲传播出版社, coll. de classiques chinois, Pékin)
- l’abbé … Bourgeat, « Cours sur l’histoire de la philosophie. Philosophie chinoise » dans « L’Université catholique », sér. 2, vol. 3, p. 215-237 [Source : Google Livres]
- le père Tchang Tcheng-ming, « Le Parallélisme dans les vers du “Cheu King” » (éd. T’ou-sè-wè-P. Geuthner, Shanghaï-Paris) [Source : Bibliothèque nationale de France].
- En chinois « 詩經 ». Parfois transcrit « Cheu King », « Che’-king », « She King », « Shih Ching », « Schi-king », « Shi King », « Xi Kim », « Chi-kin » ou « Chi King ».
- « Les Entretiens de Confucius ; traduit du chinois par Pierre Ryckmans », XVII, 10.
- id. XVII, 9.
- id. II, 2.
- En chinois « 國風 ». Autrefois transcrit « Kouo-Foung ».