
dans « Esthétique de la musique en Chine médiévale : idéologies, débats et pratiques chez Ruan Ji et Ji Kang » (éd. électronique)
Il s’agit d’« En pensant à mes vieux amis » 1 (« Sijiu fu » 2) et autres œuvres des « Sept Sages du bosquet de bambous » 3 (« Zhulin qi xian » 4), un cénacle de sept anticonformistes chinois, hippies avant la lettre, qu’un même dégoût des conventions et un même amour de « la spontanéité naturelle » (« ziran » 5) réunissaient vers 260 apr. J.-C. Ji Kang et Ruan Ji 6 arrivaient en tête de ce groupe d’amis inséparables ; suivaient Shan Tao, Ruan Xian, Wang Rong, Liu Ling et Xiang Xiu 7. Ils parcouraient le bosquet de Shanyang 8 en s’éloignant de l’embarras des affaires. Adossés à de vieux arbres, ils en goûtaient l’ombrage. Au bord d’un ruisseau, ils composaient des poèmes. Égayés par le va-et-vient de la faune et par la splendeur de la flore, ils jouaient des mélodies célestes, sur le point de s’envoler en dansant dans les airs. Demandant à l’ivresse l’oubli de la tristesse, ils auraient pu avoir pour devise : « Quand mon verre est plein, je le vide ; quand il est vide, je le plains ». Un jour que Ruan Ji, l’un des sept, était à jouer aux échecs, on vint lui apprendre la mort de sa mère ; son adversaire voulut aussitôt interrompre la partie, mais Ruan Ji, occupé de son jeu, voulut continuer. Il se fit même apporter deux vases de vin, qu’il vida, et sortit si saoul qu’il fallut le porter chez lui. Un contemporain, Pei Kai 9, alla lui offrir ses condoléances et le vit faisant cuire de la viande de porc et sifflant 10 ; il commenta : « Ruan Ji est un homme au-delà de la moralité ordinaire ; c’est pourquoi il ne respecte pas les cérémonies rituelles. Des gens comme vous et moi appartenons [au contraire] au domaine de la coutume… » 11 Ji Kang rendit alors visite à Ruan Ji en apportant sa cithare et du vin. Telle fut la première rencontre entre ces ermites hors des règles sociales, à l’origine du cénacle « du bosquet de bambous ». Pourtant, l’attitude des sept à l’égard de la boisson semble avoir été plus esthétique que charnelle. En voici une preuve : Le voisin de Ruan Ji avait une fort jolie femme. Elle vendait du vin, et Ruan Ji et Wang Rong allaient boire chez elle ; quelquefois, lorsque Ruan Ji était ivre, il s’endormait à côté d’elle. Au début, naturellement, le mari de la jeune femme se méfiait beaucoup ; puis, ayant observé attentivement ce qui se passait, « il se rendit compte que Ruan Ji n’avait pas d’autre intention »
- Parfois traduit « Pensées sur mes anciens amis », « Méditation sur les anciens amis » ou « En souvenir des temps anciens ».
- En chinois « 思舊賦 ». Parfois transcrit « Sseu kieou fou ».
- Autrefois traduit « Sept Amis de la forêt de bambou », « Sept Hommes vertueux de la forêt de bambous », « Sept Sages de la bambouseraie » ou « Sept Sages de Tchou-lin ».
- En chinois 竹林七賢. Autrefois transcrit « Tchou-lin ts’i-hien » ou « Chu-lin ch’i-hsien ».
- En chinois 自然.
- En chinois 阮籍. Autrefois transcrit Yuan Tsi ou Jouan Tsi.
- En chinois 山濤, 阮咸, 王戎, 劉伶 et 向秀 (respectivement). Parfois transcrit Shan T’ao, Yüan Hsien, Wang Jung, Liu Ling et Hsiang Hsiu ; ou Chan T’ao, Yuan Hien, Wang Jong, Lieou Ling et Hiang Sieou (respectivement).
- En chinois 山陽.
- En chinois 裴楷.
- Ce qui était rigoureusement proscrit dans les rites de deuil confucéens.
- Dans « Esthétique de la musique en Chine médiévale », p. 576.