dans « La Nouvelle Revue française », nº 7, p. 5-14 ; nº 8, p. 130-136 ; nº 9, p. 195-204
Il s’agit d’une traduction partielle du « Shi Jing » 1, ou « Le Livre des vers ». Le caractère « shi » signifie « vers, pièce de vers, poème », parce qu’en effet tout ce livre ne contient que des odes, composées entre le XIe et le VIe siècle av. J.-C. On y voit décrites les plus anciennes coutumes des Chinois, leurs relations aux ancêtres, au ciel, aux autres pouvoirs, leurs rites millénaires participant au rythme sacré des saisons. Confucius faisait grand cas de ces odes et assurait que la doctrine en était très pure et très sainte : « As-tu travaillé la première et la seconde partie du “Shi Jing” ? », dit-il 2. « Qui voudrait faire son métier d’homme sans travailler la première et la seconde partie du “Shi Jing” restera comme planté le nez contre un mur. » Et encore : « Mes enfants, pourquoi aucun de vous n’étudie-t-il le “Shi Jing” ? Le “Shi Jing” permet de stimuler, permet d’observer, permet de communier, permet de protester. En famille, il vous aidera à servir votre père ; dans le monde, il vous aidera à servir votre souverain. Et vous y apprendrez les noms de beaucoup d’oiseaux, bêtes, plantes et arbres » 3. En même temps, le sublime philosophe prenait le parti de découvrir dans ces odes une intention morale, un but politique que personne n’eût soupçonnés : « Une seule phrase peut résumer les trois cents odes du “Shi Jing”, et c’est “penser droit” » 4. Les commentateurs chinois ont suivi cette générosité d’interprétation du grand sage ; ils l’ont même largement dépassée. Ils ont rivalisé d’ingéniosité et environné le « Shi Jing » d’un amas d’exégèse qui a fini par en obscurcir le sens primitif.
Confucius faisait un grand éloge de ces odes et assurait que la doctrine en était très pure et très sainte
L’ouvrage se divise en quatre parties. La première, « Guo Feng » 5, ou « Chansons des royaumes » 6, est affectée aux chansons traditionnelles et aux ballades, recueillies dans leurs royaumes respectifs par des princes féodaux, puis offertes et soumises ensuite à l’Empereur ; elles témoignent des souffrances endurées par le peuple et font l’éloge de l’amour. La deuxième et troisième partie portent le nom de « Xiao Ya » 7 et « Da Ya » 8, ou petite et grande « Ya », mot qui signifie « ce qui convient » aux cérémonies mineures et majeures ; les banquets rituels, les réunions princières ou les grandes fêtes célébrant les ancêtres sont les principales occasions et comme l’âme des deux « Ya ». Enfin, la quatrième partie du « Shi Jing » s’appelle « Song » 9, ou « Hymnes » ; ce sont, pour la plupart, des cantiques solennels et des péans en l’honneur du ciel, c’est-à-dire de Dieu même et des personnages de la vertueuse Antiquité. Le tout compte trois cent cinq odes.
Cependant, il faut bien l’avouer, ces poèmes manquent souvent de force. Leur esprit est avant tout positif, concret ; elles nous montrent le côté matériel de l’existence ; elles ne s’accompagnent nullement de cette espèce d’enthousiasme, de cette élévation d’idées que produisent en nous les hymnes mésopotamiens ou les psaumes hébraïques. On y voit la langue chinoise encore à sa naissance, presque informe et bégayant dans son berceau. « Il y a certes dans le “Shi Jing” une morale sage et profitable, parfois quelques mouvements lyriques non sans grandeur ; mais presque rien de hardi et d’osé… Les sentiments sont médiocres, quoique purs… La nature ni l’humanité ne sont vues de haut… Si l’on conseille un roi, c’est en l’appelant à des vertus vulgaires : à la bonhomie plutôt qu’à la clémence, à une générosité banale plutôt qu’à une haute justice, à la propreté extérieure plutôt qu’à la pureté de l’âme. Tout est rétréci en faveur du point de vue pratique : c’est une poésie moyenne qui chante agréablement, mais qui ne s’exalte jamais », expliquent des orientalistes 10.
Il n’existe pas moins de quatre traductions françaises du « Shi Jing », mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle de Louis Laloy.
「摽有梅,其實七兮,求我庶士,迨其吉兮.
摽有梅,其實三兮,求我庶士,迨其今兮.
摽有梅,頃筐塈之,求我庶士,迨其謂之.」— Ode dans la langue originale
« Les prunes tombent ;
Sept de dix restent encore.
Jeunes gens qui me désirez,
Voici le jour heureux.Les prunes tombent ;
Trois de dix restent encore.
Jeunes gens qui me désirez,
C’est aujourd’hui le jour.Les prunes tombent ;
Le panier plat les recueille.
Jeunes gens qui me désirez,
C’est le jour de parler. 11 »
— Ode dans la traduction de Laloy
« Il y a un arbre nommé “mêï” (prunier) dont les prunes sont déjà en grande partie tombées (cueillies).
Ses fruits pendants ne sont plus qu’au nombre de sept !
Celui qui me recherche dans la foule des jeunes bacheliers,
Celui-là doit choisir un jour heureux !Il y a un arbre nommé “mêï” (prunier), dont les prunes sont déjà en grande partie cueillies.
Ses fruits pendants ne sont plus qu’au nombre de trois !
Celui qui me recherche dans la foule des jeunes bacheliers,
Celui-là doit choisir ce jour même (sans attendre un jour heureux) !Il y a un arbre nommé “mêï” (prunier), qui est dépouillé de tous ses fruits ;
Ils sont tous recueillis dans des corbeilles en roseaux.
Ceux qui nous recherchent dans la foule des jeunes bacheliers,
Quels qu’ils soient, le moment est venu pour eux de se déclarer. »
— Ode dans la traduction de Guillaume Pauthier (XIXe siècle)
« Voici que tombent les prunes !
Il n’en reste plus que sept !
Demandez-nous, jeunes hommes !
C’est l’époque consacrée !Voici que tombent les prunes !
Il n’en reste plus que trois !
Demandez-nous, jeunes hommes !
C’est l’époque, maintenant !Voici que tombent les prunes !
Les paniers emplissez-en !
Demandez-nous, jeunes hommes !
C’est l’époque, parlez-en ! »
— Ode dans la traduction de Marcel Granet (éd. E. Leroux, Paris)
« Les fruits tombent du prunier ; il n’en reste plus que sept (ou il n’en reste plus que les sept dixièmes). Puissent les bons jeunes gens qui me désirent, profiter de cet heureux jour !
Les fruits tombent du prunier ; il n’en reste plus que trois (ou les trois dixièmes). Puissent les bons jeunes gens qui me recherchent, venir aujourd’hui !
Les derniers fruits sont tombés du prunier ; on les a recueillis dans le panier plat à bords déprimés. Puissent les bons jeunes gens qui me recherchent, venir sans retard fixer le jour des noces ! »
— Ode dans la traduction du père Séraphin Couvreur (XIXe siècle)
« Decidunt habita pruna ; illi fructus septem manent (vel ex decem manent septem). Qui expetunt me omnes boni juvenes, occurrente hoc fausto die, (veniant) !
Decidunt habita pruna ; illi fructus tres manent (vel ex decem manent tres). Qui ambiunt me omnes frugi juvenes, occurrente hoc die, (veniant) !
Deciderunt habita pruna ; in inclinato canistro collegerunt illa. Qui ambiunt me omnes boni juvenes, occurrente (hoc opportuno die), ipsi loquantur de illa re (et statuant nuptiarum diem cum parentibus meis) ! »
— Ode dans la traduction latine du père Séraphin Couvreur (XIXe siècle)
« Pruni “mæi” dictæ ex arbore deciderunt, nec supersunt in arbore nisi septem. Qui me volunt ex illis, quisquis sit adolescens, debet ille rei perficiendæ aptam diem [quærere].
Pruni “mæi” ex arbore deciderunt, nec supersunt nisi tres ; qui me volunt ex illis etc. (ut supra).
Prunis “mæi” ex arbore excussis impleta sunt canistra. Qui me volunt ex illis, quisquis sit adolescens, diem dicat ille. »
— Ode dans la traduction latine du père Alexandre de la Charme (XVIIIe siècle)
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- Traduction partielle de Louis Laloy (1909) [Source : La Nouvelle Revue française (NRF)]
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- Traduction partielle de Louis Laloy (éd. électronique) [Source : Chine ancienne]
- Édition et traductions française et latine du père Séraphin Couvreur, 1re édition (1896) [Source : Google Livres]
- Édition et traduction du père Séraphin Couvreur, 2e édition (1916) [Source : Google Livres]
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- Traduction du père Séraphin Couvreur (éd. électronique) [Source : Chine ancienne]
- Traduction de Guillaume Pauthier (1872) [Source : Google Livres]
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- Traduction de Guillaume Pauthier (1872) ; autre copie [Source : Google Livres]
- Traduction de Guillaume Pauthier (1872) ; autre copie [Source : Americana]
- Édition et traduction partielles de Marcel Granet, 2e édition (1929) [Source : Bibliothèque nationale de France]
- Édition et traduction partielles de Marcel Granet, 1re édition (1919) [Source : Bibliothèque nationale de France]
- Édition et traduction partielles de Marcel Granet, 1re édition (1919) ; autre copie [Source : Google Livres]
- Édition et traduction partielles de Marcel Granet, 1re édition (1919) ; autre copie [Source : Google Livres]
- Édition et traduction partielles de Marcel Granet, 1re édition (1919) ; autre copie [Source : Google Livres]
- Édition et traduction partielles de Marcel Granet, 1re édition (1919) ; autre copie [Source : Google Livres]
- Traduction partielle de Marcel Granet (éd. électronique) [Source : Université du Québec à Chicoutimi]…
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- Jin Siyan évoquant le « Shi Jing » [Source : France Culture].
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- « Poèmes choisis et illustrés du “Livre de la poésie” [traduction de Xu Yuan chong ; préface de Liu Feng wen] » (éd. 五洲传播出版社, coll. de classiques chinois, Pékin)
- l’abbé … Bourgeat, « Cours sur l’histoire de la philosophie. Philosophie chinoise » dans « L’Université catholique », sér. 2, vol. 3, p. 215-237 [Source : Google Livres]
- le père Tchang Tcheng-ming, « Le Parallélisme dans les vers du “Cheu King” » (éd. T’ou-sè-wè-P. Geuthner, Shanghaï-Paris) [Source : Bibliothèque nationale de France].
- En chinois « 詩經 ». Parfois transcrit « Cheu King », « Che’-king », « She King », « Shih Ching », « Schi-king », « Shi King », « Xi Kim », « Chi-kin » ou « Chi King ».
- « Les Entretiens de Confucius ; traduit du chinois par Pierre Ryckmans », XVII, 10.
- id. XVII, 9.
- id. II, 2.
- En chinois « 國風 ». Autrefois transcrit « Kouo-Foung ».
- Parfois traduit « Vent des royaumes », « Vents de pays », « Enseignements des royaumes », « Chants populaires des principautés » ou « Chants des principautés ».
- En chinois « 小雅 ». Autrefois transcrit « Siao-Ia ».
- En chinois « 大雅 ». Autrefois transcrit « Ta-Ia ».
- En chinois « 頌 ». Parfois transcrit « Soung ».
- … Pino et Jules David.
- Il est temps pour la jeune fille de se marier, avant que la saison soit passée et qu’il soit déjà tard pour trouver un mari.