Lucien, « Œuvres. Tome III »

XVIIIᵉ siècle

XVIIIe siècle

Il s’agit de « Pro­mé­thée, ou le Cau­case » (« Pro­mê­theus, ê Kau­ka­sos »1) et autres œuvres de Lu­cien de Sa­mo­sate2, au­teur d’expression grecque qui n’épargna dans ses sa­tires en­jouées ni les dieux ni les hommes. « Je suis né en Sy­rie, sur les bords de l’Euphrate. Mais qu’importe mon pays ? J’en sais, parmi mes ad­ver­saires, qui ne sont pas moins bar­bares que moi… Mon ac­cent étran­ger ne nuira point à ma cause si j’ai le bon droit de mon côté », dit-il dans « Les Phi­lo­sophes res­sus­ci­tés, ou le Pê­cheur »3. Les pa­rents de Lu­cien étaient pauvres et d’humble condi­tion. Ils le des­ti­nèrent dès le dé­part au mé­tier de sculp­teur et mirent en ap­pren­tis­sage chez son oncle, qui était sta­tuaire. Mais son ini­tia­tion ne fut pas heu­reuse : pour son coup d’essai, il brisa le marbre qu’on lui avait donné à dé­gros­sir, et son oncle, homme d’un ca­rac­tère em­porté, l’en pu­nit sé­vè­re­ment. Il n’en fal­lut pas da­van­tage pour dé­goû­ter sans re­tour le jeune ap­prenti, dont le gé­nie et les sen­ti­ments étaient au-des­sus d’un mé­tier ma­nuel. Il prit dès lors la dé­ci­sion de ne plus re­mettre les pieds dans un ate­lier et se li­vra tout en­tier à l’étude des lettres. Il ra­conte lui-même cette anec­dote de jeu­nesse, de la ma­nière la plus sym­pa­thique, dans un écrit qu’il com­posa long­temps après et in­ti­tulé « Le Songe de Lu­cien »4. Il y sup­pose qu’en ren­trant à la mai­son, après s’être sauvé des mains de son oncle, il s’endort, ac­ca­blé de fa­tigue et de tris­tesse. Il voit dans son som­meil les di­vi­ni­tés tu­té­laires de la Sculp­ture et de l’Instruction. Cha­cune d’elles fait l’éloge de son art : « Si tu veux me suivre, je te ren­drai, pour ainsi dire, le contem­po­rain de tous les gé­nies su­blimes qui ont existé… en te fai­sant connaître les im­mor­tels ou­vrages des grands écri­vains et les belles ac­tions des an­ciens hé­ros… Je te pro­mets, [à toi] aussi, un rang dis­tin­gué parmi ce pe­tit nombre d’hommes for­tu­nés qui ont ob­tenu l’immortalité. Et lors même que tu au­ras cessé de vivre, les sa­vants ai­me­ront en­core s’entretenir avec toi dans tes écrits »5. On de­vine quelle di­vi­nité plaide ainsi et fi­nit par l’emporter. Aussi, dans « La Double Ac­cu­sa­tion », ce Sy­rien re­mer­cie-t-il l’Instruction de l’avoir « élevé » et « in­tro­duit parmi les Grecs », alors qu’« il n’était en­core qu’un jeune étourdi [par­lant] un lan­gage bar­bare » et por­tant une vi­laine robe orien­tale6.

« C’est un im­pi­toyable cen­seur de toute su­per­sti­tion et de toute char­la­ta­ne­rie »

L’idéal que l’Instruction pro­met­tait à Lu­cien était in­carné, à cette époque-là, par ceux qu’on ap­pe­lait les « so­phistes ». Ce terme n’était pas tou­jours pris en mau­vaise part. Il si­gni­fiait un homme cultivé, formé à la rhé­to­rique, frotté de phi­lo­so­phie et qui vi­vait de son sa­voir, en exer­çant les mé­tiers de pro­fes­seur, lo­go­graphe ou avo­cat. À moins qu’il ne choi­sît de par­cou­rir le monde, en don­nant des confé­rences ré­mu­né­rées. Lu­cien fut tout cela à ses dé­buts et il ne quitta la car­rière de so­phiste qu’à l’âge de qua­rante ans pour se li­vrer à l’écriture. Ce fut la forme du dia­logue sa­ti­rique, joi­gnant la raille­rie fa­cile à l’érudition, et les com­mé­rages de bain pu­blic aux ré­mi­nis­cences ho­mé­riques, qu’il adopta pour ses écrits. Il dit lui-même, dans « La Double Ac­cu­sa­tion », com­ment il par­vint à ce genre nou­veau, en par­tant des dia­logues phi­lo­so­phiques du grave Pla­ton, qu’il força à sou­rire : « Quand je l’ai pris, le dia­logue était triste et sombre ; ses per­pé­tuelles in­ter­ro­ga­tions le ren­daient sec et aride. Je conviens que cela lui don­nait un air im­po­sant, mais il n’avait rien d’agréable, ni qui pût plaire… Je lui ai ap­pris à se rap­pro­cher des hommes et à mar­cher avec eux sur la terre. Je l’ai dé­li­vré de ce qu’il avait de maus­sade et de re­bu­tant »7. On re­con­naît, dans ce so­phiste sans re­li­gion, un es­prit pi­quant et libre, pour qui les er­reurs et les cré­du­li­tés hu­maines sont un su­jet de per­pé­tuelle mo­que­rie : « C’est un im­pi­toyable cen­seur de toute su­per­sti­tion et de toute char­la­ta­ne­rie », dit un cri­tique8, « mais il est in­con­sé­quent dans sa mau­vaise hu­meur ; il confond avec les plus vils so­phistes ceux mêmes qu’il a loués ailleurs comme de vrais phi­lo­sophes — par exemple, So­crate et Aris­tote. Il met dans leur bouche un lan­gage in­sensé et fu­rieux qui n’a ja­mais été le leur. » En un mot, si Lu­cien est l’un des grands re­pré­sen­tants du bon sens sa­ti­rique, il a aussi les tra­vers d’un far­ceur qui rit de tout, même de la vertu la plus vraie et la plus réelle. C’est là le dé­faut es­sen­tiel qu’on re­marque dans ses ou­vrages ; mais ce dé­faut, tem­péré par l’enjouement iro­nique de son es­prit, dis­pa­raît le plus sou­vent en­tiè­re­ment dans la pu­reté de son style, c’est-à-dire un per­si­flage agréable et in­gé­nieux, qui fait de Lu­cien le plus vol­tai­rien des au­teurs grecs.

« Les moines chré­tiens qui co­piaient et conser­vaient dans les cou­vents une si faible part de la lit­té­ra­ture grecque, ont pré­servé Lu­cien de l’oubli. Grâces leur en se­raient ren­dues s’ils avaient agi en let­trés. Mais ils mon­traient d’autres sou­cis : ils ré­pan­daient ces livres avec zèle, non pour leur charme ou leur es­prit, mais pour leur im­piété à l’égard des [dieux païens]… Tel fut donc le sen­ti­ment au­quel nous de­vons de lire en­core l’œuvre presque en­tière de Lu­cien, avec une ad­mi­ra­tion qui ne va pas tou­jours sans mé­lange : le lec­teur s’arrête sou­vent, chez Lu­cien comme chez Vol­taire, et s’étonne qu’un es­prit si fin puisse à vo­lonté ne l’être plus du tout. Cer­taines de ses pages sont de pures niai­se­ries qui dé­cou­ragent toute ana­lyse et valent exac­te­ment un chant de “La Pu­celle”. Et puis, tout à coup, voici un chef-d’œuvre… “Les Dia­logues des cour­ti­sanes”… Après deux mille an­nées, le lec­teur re­con­naît et dans un monde si loin­tain, tous les per­son­nages de ces “Dia­logues”, sans en ex­cep­ter le moindre… tant le conteur an­tique avait mis ses soins à re­tran­cher, le long de son livre, tout ce qui n’était pas éter­nel », conclut un tra­duc­teur9.

Il n’existe pas moins de dix tra­duc­tions fran­çaises de « Pro­mé­thée, ou le Cau­case », mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de l’abbé Guillaume Mas­sieu.

« ΗΦΑΙΣΤΟΣ. — Περισκοπῶμεν, ὦ Ἑρμῆ· οὔτε γὰρ ταπεινὸν καὶ πρόσγειον ἐσταυρῶσθαι χρή, ὡς μὴ ἐπαμύνοιεν αὐτῷ τὰ πλάσματα αὐτοῦ οἱ ἄνθρωποι, οὔτε μὴν κατὰ τὸ ἄκρον, — ἀφανὴς γὰρ ἂν εἴη τοῖς κάτω — ἀλλ’ εἰ δοκεῖ κατὰ μέσον ἐνταῦθά που ὑπὲρ τῆς φάραγγος ἀνεσταυρώσθω ἐκπετασθεὶς τὼ χεῖρε ἀπὸ τουτουὶ τοῦ κρημνοῦ πρὸς τὸν ἐναντίον.

ΕΡΜΗΣ. — Εὖ λέγεις· ἀπόξυροί (var. ἀπότομοί) τε γὰρ αἱ πέτραι καὶ ἀπρόσϐατοι πανταχόθεν, ἠρέμα ἐπινενευκυῖαι, καὶ τῷ ποδὶ στενὴν ταύτην ὁ κρημνὸς ἔχει τὴν ἐπίϐασιν, ὡς ἀκροποδητὶ μόλις ἑστάναι, καὶ ὅλως ἐπικαιρότατος ἂν ὁ σταυρὸς γένοιτο. Μὴ μέλλε οὖν, ὦ Προμηθεῦ, ἀλλ’ ἀνάϐαινε καὶ πάρεχε σεαυτὸν καταπαγησόμενον πρὸς τὸ ὄρος. »
— Pas­sage dans la langue ori­gi­nale

« VULCAIN. — Tu as rai­son ; car il ne faut pas le pla­cer si bas que les hommes, dont il est le père, viennent le dé­ta­cher ; ni si haut qu’il échappe à leur vue. Si tu m’en crois, nous choi­si­rons le mi­lieu de la mon­tagne ; cet en­droit par exemple, où son corps, sus­pendu au-des­sus de ce pré­ci­pice, sera re­tenu par ses mains que nous al­lons clouer à droite et à gauche sur ces deux ro­chers.

MERCURE. — Fort bien ; ils sont es­car­pés et in­ac­ces­sibles, ils penchent un peu de tous cô­tés, et l’on au­rait peine à trou­ver de quoi po­ser la pointe du pied dans cet abîme étroit ; on ne pour­rait guère choi­sir de lieu plus conve­nable pour un sup­plice. Al­lons, Pro­mé­thée, avance, que l’on t’attache à la mon­tagne. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de l’abbé Mas­sieu

« HÉPHAÏSTOS. — Cher­chons, Her­mès. Il ne faut pas le cru­ci­fier en bas, près de la terre ; au­tre­ment les hommes, qu’il a fa­çon­nés, pour­raient lui por­ter se­cours ; ni sur le som­met : on ne le ver­rait pas d’en bas ; mais, si tu m’en crois, cru­ci­fions-le quelque part vers le mi­lieu, ici, au-des­sus du pré­ci­pice, les deux mains éten­dues de ce ro­cher à ce­lui d’en face.

HERMÈS. — C’est bien dit ; car ces ro­chers sont nus, in­ac­ces­sibles de tous les cô­tés, dou­ce­ment in­cli­nés, et l’escarpement de la roche n’offre que cet étroit es­pace pour po­ser le pied, en sorte qu’on peut à peine s’y te­nir de­bout sur la pointe des pieds ; bref, c’est la place la plus com­mode pour le cru­ci­fier. Ne tarde donc pas, Pro­mé­thée, monte et laisse-toi clouer à la mon­tagne. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion d’Émile Cham­bry (éd. Gar­nier frères, coll. Clas­siques Gar­nier, Pa­ris)

« HÉPHAÏSTOS. — Oui, cher­chons, Her­mès. Car il ne doit pas être cru­ci­fié trop bas près du sol, de peur que les hommes, ses créa­tures, ne lui portent se­cours ; ni pour­tant vers le som­met, car on ne le ver­rait pas d’en bas. Mais, si tu veux, cru­ci­fions-le à mi-hau­teur, par ici, au-des­sus du pré­ci­pice, les deux bras éten­dus de cet es­car­pe­ment jusqu’à ce­lui d’en face.

HERMÈS. — Tu as rai­son. Car par­tout les ro­chers sont à pic et in­ac­ces­sibles, très lé­gè­re­ment in­cli­nés, et le roc n’offre au pié­ton que ce point d’appui étroit, en sorte qu’on a à peine la place de se te­nir de­bout sur la pointe des pieds. En somme, ce se­rait un en­droit très conve­nable pour le mettre en croix. Bref, ne tarde plus, Pro­mé­thée, monte et laisse-toi fixer à la mon­tagne. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de M. Jacques Bom­paire (éd. Les Belles Lettres, coll. des uni­ver­si­tés de France, Pa­ris)

« VULCAIN. — Exa­mi­nons, Mer­cure ; car il ne faut pas le cru­ci­fier dans un en­droit bas et voi­sin de la terre, de peur que les hommes qu’il a for­més ne viennent le dé­li­vrer. Il ne faut pas non plus le pla­cer sur le som­met de la mon­tagne ; on ne le ver­rait pas. Mais si tu m’en crois, nous l’attacherons à une hau­teur mé­diocre : ici, au-des­sus de ce pré­ci­pice ; nous éten­drons ses mains, l’une sur ce ro­cher, l’autre sur ce­lui qui est en face.

MERCURE. — Tu as rai­son. Ces ro­chers sont nus, in­ac­ces­sibles de toutes parts et lé­gè­re­ment in­cli­nés ; ce pré­ci­pice n’a qu’un sen­tier étroit, sur le­quel on peut à peine se te­nir sur la pointe du pied : voilà la croix la plus conve­nable que nous puis­sions trou­ver. Al­lons, Pro­mé­thée ! Plus de re­tar­de­ments. Monte et viens ici, que l’on te cloue à cette mon­tagne. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Jacques-Ni­co­las Be­lin de Ballu (XVIIIe siècle)

« VULCAIN. — Exa­mi­nons, Mer­cure ; car il ne faut pas le cru­ci­fier dans un en­droit bas et voi­sin de la terre, de peur que les hommes qu’il a for­més ne viennent le dé­li­vrer. Il ne faut pas non plus le pla­cer sur le som­met de la mon­tagne ; on ne le ver­rait pas. Mais si tu m’en crois, nous l’attacherons à une hau­teur mé­diocre : ici, au-des­sus de ce pré­ci­pice ; nous éten­drons ses mains, l’une sur ce ro­cher, l’autre sur ce­lui qui est en face.

MERCURE. — Tu as rai­son. Ces ro­chers sont es­car­pés, in­ac­ces­sibles et pen­dant de tous cô­tés ; ce pré­ci­pice n’a qu’un sen­tier étroit, sur le­quel on peut à peine se te­nir sur la pointe du pied : voilà la croix la plus conve­nable que nous puis­sions trou­ver. Al­lons, Pro­mé­thée ! Plus de re­tar­de­ments. Monte ici et laisse-toi clouer, sans ré­sis­tance, à cette mon­tagne. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Jacques-Ni­co­las Be­lin de Ballu, re­vue par Louis Hum­bert (XIXe siècle)

« VULCAIN. — Exa­mi­nons, Mer­cure ; car il ne faut pas l’enchaîner dans un en­droit bas et voi­sin de la terre, de peur que les hommes qu’il a for­més ne viennent le dé­li­vrer. Il ne faut pas non plus le pla­cer sur le som­met de la mon­tagne ; on ne le ver­rait pas. Mais si tu m’en crois, nous l’attacherons à une hau­teur mé­diocre : ici, au-des­sus de ce pré­ci­pice ; nous éten­drons ses mains, l’une sur ce ro­cher, l’autre sur ce­lui qui est en face.

MERCURE. — Tu as rai­son. Ces ro­chers sont nus, in­ac­ces­sibles de toutes parts et lé­gè­re­ment in­cli­nés ; ce pré­ci­pice n’a qu’un sen­tier étroit, sur le­quel on peut à peine po­ser le pied : voilà la croix la plus conve­nable que nous puis­sions trou­ver. Al­lons, Pro­mé­thée ! Plus de re­tar­de­ments. Monte et viens ici, que l’on te cloue à cette mon­tagne. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Jacques-Ni­co­las Be­lin de Ballu, re­vue par Émile Pes­son­neaux (XIXe siècle)

« VULCAIN. — Cher­chons, Mer­cure ; il ne faut pas, en ef­fet, l’enchaîner dans un lieu bas et voi­sin de la terre, de peur que les hommes, qu’il a fa­bri­qués, ne viennent l’y dé­li­vrer ; et ce­pen­dant il ne faut pas que ce soit trop haut, parce qu’on ne le ver­rait plus d’en bas ; mais si tu veux bien, at­ta­chons-le à une hau­teur moyenne, ici, au-des­sus de ce pré­ci­pice, les mains éten­dues, l’une sur ce ro­cher, l’autre sur ce­lui qui est en face.

MERCURE. — Tu as rai­son. Ces roches sont es­car­pées, in­ac­ces­sibles et pen­dantes de tous cô­tés : ce pré­ci­pice n’offre qu’une place étroite où l’on puisse po­ser le pied ; à peine s’y peut-on te­nir sur la pointe : nous ne sau­rions trou­ver de croix plus com­mode. Al­lons, Pro­mé­thée, pas de re­tard : monte ici, et laisse-toi de bonne grâce clouer à cette mon­tagne. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion d’Eugène Tal­bot (XIXe siècle)

« VULCAIN. — Je le veux ; mais il ne le faut pas mettre si bas que les hommes, qu’il a faits, le puissent ve­nir dé­ta­cher ; ni si haut qu’on ne le puisse voir. Il sera bien, à mon avis, sur le pen­chant de cette mon­tagne, au-des­sus de cet abîme. Nous at­ta­che­rons l’une des mains à ce roc, et l’autre à ce­lui qui est tout contre.

MERCURE. — Tu as rai­son ; car ils sont tous deux es­car­pés et in­ac­ces­sibles. Viens çà, Pro­mé­thée, ne te fais point ti­rer l’oreille, et monte vi­te­ment, que l’on t’attache. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Ni­co­las Per­rot d’Ablancourt (XVIIe siècle)

« VULCAIN. — Re­gar­dons voir, Mer­cure, car il ne convient pas qu’il soit af­figé10 bas et près de terre, de peur que les hommes, qui sont de sa fac­ture, ne lui donnent se­cours ; ni aussi à la cime, car il se­rait hors de vue à ceux d’en bas. Mais si tu le trouves bon, at­ta­chons-le ici, au mi­lieu, au­près cette pe­tite val­lée, en lui éten­dant les mains de cha­cun côté.

MERCURE. — Tu dis bien, car je vois que le che­min pour ve­nir à ce cou­peau est fort étroit et les pierres ra­bo­teuses, in­ac­ces­sibles et comme peu à peu pen­dantes en ta­lus, tel­le­ment qu’à grande peine s’y pour­rait-on te­nir de­bout. En somme, ce sera un lieu fort propre au sup­plice. Ne tarde donc point, Pro­mé­thée, ains11 monte et te pré­sente toi-même, pour être af­figé à la mon­tagne. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Fil­bert Bre­tin (XVIe siècle)

« VULCAIN. — Avi­sons, Mer­cure, en quel lieu nous l’attacherons ; car il ne faut pas le clouer bas et près de terre (de peur que ceux de son mé­tier lui donnent se­cours), ni moins en­core si haut que ceux d’en bas ne le puissent voir. Que si tu le trouves bon, at­ta­chons-le près de ce pe­tit val­lon et lui éten­dons les mains de chaque côté.

MERCURE. — Tu ne dis pas mal ; car je vois que le che­min pour at­teindre à ce cou­peau est fort étroit, les pierres in­ac­ces­sibles et ra­bo­teuses et si pen­chantes qu’on ne peut s’y te­nir de­bout. Bref, ce lieu me semble tout propre au sup­plice qui lui est or­donné. Ne tarde donc point, Pro­mé­thée, ains monte et te pré­sente toi-même, pour être at­ta­ché à la mon­tagne. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Jean Bau­doin (XVIIe siècle)

« VULCANUS. — Cir­cum­spi­cia­mus, Mer­curi : neque enim in hu­mili et terræ proximo loco cruci af­fi­gen­dus est, ne auxi­liari ipsi pos­sint quos fin­xit, ho­mines ; neque etiam ad mon­tis ver­ti­cem ; fu­giat enim vi­sum eo­rum, qui in­fra sunt : sed, si vi­de­tur, in me­dio is­tic pro­pe­mo­dum su­pra præ­ci­pi­tium suf­fixus hæ­reat, dis­pan­sis ma­ni­bus ab hac parte in ad­ver­sam.

MERCURIUS. — Recte di­cis : nam exesæ sunt hæ cautes et in­ac­cessæ un­di­quaque12, le­ni­ter in­cli­natæ ; et pedi hunc an­gus­tum op­pido præ­ci­pi­tium ha­bet po­nendo ves­ti­gio lo­cum, ut sum­mis di­gi­tis vix ali­cubi consis­tere li­ceat : com­mo­dis­sima de­nique fue­rit ista crux. Quin tu ergo sine mora, Pro­me­theu, as­cende, teque præbe de­fi­gen­dum ad mon­tem. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion la­tine de Ti­be­rius Hem­ste­rhuis et Jo­hann Mat­thias Ges­ner (XVIIIe siècle)

« VULCANUS. — Cir­cum­spi­cia­mus, Mer­curi. Neque enim hu­mili in loco et terræ proximo est af­fi­gen­dus : ne ho­mines fig­men­tum ip­sius opem fe­rant ipsi. Neque rur­sus in su­blimi : nam iis qui sunt in ra­dice mon­tis non ap­pa­re­ret. Sed si ita tibi vi­sum fue­rit, hic in meatque illinc e re­gione ma­ni­bus, cruci af­fi­ga­tur.

MERCURIUS. — Recte di­cis : præ­rupta enim hic un­dique sunt saxa et in­ac­cessa, sen­sim in de­clive ver­gen­tia : tamque an­gus­tum ha­bet pedi adi­tum rupes ista, ut vix sum­mis in­sis­tas pe­di­bus. Hic de­nique quam maxime op­por­tuna furca fiat. Ne igi­tur cunc­tere, Pro­me­theu, sed as­cende, et præbe te monti af­fi­gen­dum. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion la­tine de Jean Be­noît, dit Jo­hannes Be­ne­dic­tus (XVIIe siècle)

« VULCANUS. — Cir­cum­spec­tan­dum pro­fecto, Mer­curi, no­bis est, ne hu­mili loco ac prope ter­ram af­fixus, plas­ma­tis sui (nempe ho­mi­num) ex­pe­ria­tur auxi­lia : aut rur­sus in su­blimi pro­pen­dens, iis qui in mon­tis ra­dice ver­san­tur, mi­nime ap­pa­reat. Qua­mo­brem, nisi ali­ter tibi vi­sum fue­rit, hic in mon­tis me­dio su­pra conval­lem, pas­sis hinc atque illinc e re­gione ma­ni­bus, cruci af­fi­ga­tur.

MERCURIUS. — Recte di­cis : præ­rupta enim hic un­dique sunt saxa et ne­mini ac­cessa, quippe pro­pen­den­tia pa­rum­per in præ­ceps, tanta proinde an­gus­tia, ut nul­lum pe­ni­tus re­ci­piant ves­ti­gium, quum vix sum­mis hic in­sis­tas pe­di­bus : de­nique quam­maxime op­por­tuna in qui­bus furca fiat. Ne igi­tur cunc­te­ris, Pro­me­theu, sed as­cende et præbe te monti af­fi­gen­dum. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion la­tine d’Ottmar Nacht­gall, dit Ot­to­ma­rus Lus­ci­nius (XVIe siècle)

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  1. En grec « Προμηθεύς, ἢ Καύκασος ». Haut
  2. En grec Λουκιανὸς ὁ Σαμοσατεύς. Au­tre­fois trans­crit Lu­cian de Sa­mo­sate. Haut
  3. « Œuvres. Tome II », p. 399. Haut
  4. À ne pas confondre avec « Le Rêve, ou le Coq », qui porte sur un su­jet dif­fé­rent. Haut
  5. « Œuvres. Tome I », p. 14-15 & 17. Haut
  6. « Tome IV », p. 469 & 465. Haut
  1. id. p. 475. Haut
  2. Jean-Fran­çois de La Harpe. Haut
  3. Pierre Louÿs. Haut
  4. « Af­fi­ger » si­gni­fie « at­ta­cher, fixer une chose à une autre ». Haut
  5. « Ains » si­gni­fie « mais plu­tôt, mais au contraire ». Haut
  6. « Un­di­quaque » s’est dit pour « un­dique ». Haut