Lucien, «Œuvres. Tome VI»

XVIIIᵉ siècle

XVIIIe siècle

Il s’agit des «Dia­logues des cour­ti­sanes» («He­tai­ri­koi Dia­lo­goi» 1) et autres œuvres de Lu­cien de Sa­mo­sate 2, au­teur d’expression grecque qui n’épargna dans ses sa­tires en­jouées ni les dieux ni les hommes. «Je suis né en Sy­rie, sur les bords de l’Euphrate. Mais qu’importe mon pays? J’en sais, parmi mes ad­ver­saires, qui ne sont pas moins bar­bares que moi… Mon ac­cent étran­ger ne nuira point à ma cause si j’ai le bon droit de mon côté», dit-il dans «Les Phi­lo­sophes res­sus­ci­tés, ou le Pê­cheur» 3. Les pa­rents de Lu­cien étaient pauvres et d’humble condi­tion. Ils le des­ti­nèrent dès le dé­part au mé­tier de sculp­teur et mirent en ap­pren­tis­sage chez son oncle, qui était sta­tuaire. Mais son ini­tia­tion ne fut pas heu­reuse : pour son coup d’essai, il brisa le marbre qu’on lui avait donné à dé­gros­sir, et son oncle, homme d’un ca­rac­tère em­porté, l’en pu­nit sé­vè­re­ment. Il n’en fal­lut pas da­van­tage pour dé­goû­ter sans re­tour le jeune ap­prenti, dont le gé­nie et les sen­ti­ments étaient au-des­sus d’un mé­tier ma­nuel. Il prit dès lors la dé­ci­sion de ne plus re­mettre les pieds dans un ate­lier et se li­vra tout en­tier à l’étude des lettres. Il ra­conte lui-même cette anec­dote de jeu­nesse, de la ma­nière la plus sym­pa­thique, dans un écrit qu’il com­posa long­temps après et in­ti­tulé «Le Songe de Lu­cien» 4. Il y sup­pose qu’en ren­trant à la mai­son, après s’être sauvé des mains de son oncle, il s’endort, ac­ca­blé de fa­tigue et de tris­tesse. Il voit dans son som­meil les di­vi­ni­tés tu­té­laires de la Sculp­ture et de l’Instruction. Cha­cune d’elles fait l’éloge de son art : «Si tu veux me suivre, je te ren­drai, pour ainsi dire, le contem­po­rain de tous les gé­nies su­blimes qui ont existé… en te fai­sant connaître les im­mor­tels ou­vrages des grands écri­vains et les belles ac­tions des an­ciens hé­ros… Je te pro­mets, [à toi] aussi, un rang dis­tin­gué parmi ce pe­tit nombre d’hommes for­tu­nés qui ont ob­tenu l’immortalité. Et lors même que tu au­ras cessé de vivre, les sa­vants ai­me­ront en­core s’entretenir avec toi dans tes écrits» 5. On de­vine quelle di­vi­nité plaide ainsi et fi­nit par l’emporter. Aussi, dans «La Double Ac­cu­sa­tion», ce Sy­rien re­mer­cie-t-il l’Instruction de l’avoir «élevé» et «in­tro­duit parmi les Grecs», alors qu’«il n’était en­core qu’un jeune étourdi [par­lant] un lan­gage bar­bare» et por­tant une vi­laine robe orien­tale 6.

«C’est un im­pi­toyable cen­seur de toute su­per­sti­tion et de toute char­la­ta­ne­rie»

L’idéal que l’Instruction pro­met­tait à Lu­cien était in­carné, à cette époque-là, par ceux qu’on ap­pe­lait les «so­phistes». Ce terme n’était pas tou­jours pris en mau­vaise part. Il si­gni­fiait un homme cultivé, formé à la rhé­to­rique, frotté de phi­lo­so­phie et qui vi­vait de son sa­voir, en exer­çant les mé­tiers de pro­fes­seur, lo­go­graphe ou avo­cat. À moins qu’il ne choi­sît de par­cou­rir le monde, en don­nant des confé­rences ré­mu­né­rées. Lu­cien fut tout cela à ses dé­buts et il ne quitta la car­rière de so­phiste qu’à l’âge de qua­rante ans pour se li­vrer à l’écriture. Ce fut la forme du dia­logue sa­ti­rique, joi­gnant la raille­rie fa­cile à l’érudition, et les com­mé­rages de bain pu­blic aux ré­mi­nis­cences ho­mé­riques, qu’il adopta pour ses écrits. Il dit lui-même, dans «La Double Ac­cu­sa­tion», com­ment il par­vint à ce genre nou­veau, en par­tant des dia­logues phi­lo­so­phiques du grave Pla­ton, qu’il força à sou­rire : «Quand je l’ai pris, le dia­logue était triste et sombre; ses per­pé­tuelles in­ter­ro­ga­tions le ren­daient sec et aride. Je conviens que cela lui don­nait un air im­po­sant, mais il n’avait rien d’agréable, ni qui pût plaire… Je lui ai ap­pris à se rap­pro­cher des hommes et à mar­cher avec eux sur la terre. Je l’ai dé­li­vré de ce qu’il avait de maus­sade et de re­bu­tant» 7. On re­con­naît, dans ce so­phiste sans re­li­gion, un es­prit pi­quant et libre, pour qui les er­reurs et les cré­du­li­tés hu­maines sont un su­jet de per­pé­tuelle mo­que­rie : «C’est un im­pi­toyable cen­seur de toute su­per­sti­tion et de toute char­la­ta­ne­rie», dit un cri­tique 8, «mais il est in­con­sé­quent dans sa mau­vaise hu­meur; il confond avec les plus vils so­phistes ceux mêmes qu’il a loués ailleurs comme de vrais phi­lo­sophes — par exemple, So­crate et Aris­tote. Il met dans leur bouche un lan­gage in­sensé et fu­rieux qui n’a ja­mais été le leur.» En un mot, si Lu­cien est l’un des grands re­pré­sen­tants du bon sens sa­ti­rique, il a aussi les tra­vers d’un far­ceur qui rit de tout, même de la vertu la plus vraie et la plus réelle. C’est là le dé­faut es­sen­tiel qu’on re­marque dans ses ou­vrages; mais ce dé­faut, tem­péré par l’enjouement iro­nique de son es­prit, dis­pa­raît le plus sou­vent en­tiè­re­ment dans la pu­reté de son style, c’est-à-dire un per­si­flage agréable et in­gé­nieux, qui fait de Lu­cien le plus vol­tai­rien des au­teurs grecs.

«Les moines chré­tiens qui co­piaient et conser­vaient dans les cou­vents une si faible part de la lit­té­ra­ture grecque, ont pré­servé Lu­cien de l’oubli. Grâces leur en se­raient ren­dues s’ils avaient agi en let­trés. Mais ils mon­traient d’autres sou­cis : ils ré­pan­daient ces livres avec zèle, non pour leur charme ou leur es­prit, mais pour leur im­piété à l’égard des [dieux païens]… Tel fut donc le sen­ti­ment au­quel nous de­vons de lire en­core l’œuvre presque en­tière de Lu­cien, avec une ad­mi­ra­tion qui ne va pas tou­jours sans mé­lange : le lec­teur s’arrête sou­vent, chez Lu­cien comme chez Vol­taire, et s’étonne qu’un es­prit si fin puisse à vo­lonté ne l’être plus du tout. Cer­taines de ses pages sont de pures niai­se­ries qui dé­cou­ragent toute ana­lyse et valent exac­te­ment un chant de “La Pu­celle”. Et puis, tout à coup, voici un chef-d’œuvre… “Les Dia­logues des cour­ti­sanes”… Après deux mille an­nées, le lec­teur re­con­naît et dans un monde si loin­tain, tous les per­son­nages de ces “Dia­logues”, sans en ex­cep­ter le moindre… tant le conteur an­tique avait mis ses soins à re­tran­cher, le long de son livre, tout ce qui n’était pas éter­nel», conclut un tra­duc­teur 9.

Il n’existe pas moins de douze tra­duc­tions fran­çaises des «Dia­logues des cour­ti­sanes», mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de l’abbé Guillaume Mas­sieu.

«Γαμεῖς, ὦ Πάμφιλε, τὴν Φίλωνος (var. Φείδωνος) τοῦ ναυκλήρου θυγατέρα καὶ ἤδη σε γεγαμηκέναι φασίν; Οἱ τοσοῦτοι δὲ ὅρκοι οὓς ὤμοσας καὶ τὰ δάκρυα ἐν ἀκαρεῖ πάντα οἴχεται, καὶ ἐπιλέλησαι Μυρτίου νῦν, καὶ ταῦτα, ὦ Πάμφιλε, ὁπότε κύω μῆνα ὄγδοον ἤδη; Τοῦτο γοῦν καὶ μόνον ἐπριάμην τοῦ σοῦ ἔρωτος, ὅτι μου τηλικαύτην πεποίηκας τὴν γαστέρα καὶ μετὰ μικρὸν παιδοτροφεῖν δεήσει — πρᾶγμα ἑταίρᾳ βαρύτατον· οὐ γὰρ ἐκθήσω τὸ τεχθέν, καὶ μάλιστα εἰ ἄρρεν γένοιτο, ἀλλὰ Πάμφιλον ὀνομάσασα ἐγὼ μὲν ἕξω παραμύθιον τοῦ ἔρωτος, σοὶ δὲ ὀνειδιεῖ ποτε ἐκεῖνος, ὡς ἄπιστος γεγένησαι περὶ τὴν ἀθλίαν αὐτοῦ μητέρα.»
— Pas­sage dans la langue ori­gi­nale

«Il est donc vrai, Pam­phile, que tu épouses la fille du pi­lote Phi­lon! C’est même, à ce qu’on dit, une af­faire conclue. Ainsi tes ser­ments et tes larmes se sont éva­nouis en un clin d’œil! Tu ou­blies ta Myr­tie et tu l’oublies huit mois après qu’elle est en­ceinte de toi! Tout le fruit de ma ten­dresse est donc de por­ter un en­fant dans mon sein! J’ai donc la pers­pec­tive si douce pour une cour­ti­sane, de me voir bien­tôt nour­rice; car je ne crois pas que j’expose l’enfant que j’aurai mis au monde, sur­tout si c’est un fils. Je veux qu’il porte le nom de Pam­phile et qu’il me console dans ma dou­leur; je veux qu’un jour, il se pré­sente de­vant toi et te re­proche ta per­fi­die en­vers sa mère.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de l’abbé Mas­sieu

«Tu te ma­ries donc, Pam­phi­los, à la fille de Phei­don l’armateur, et il pa­raît que le ma­riage est déjà consommé. Tant de ser­ments que tu m’as ju­rés, tant de larmes ver­sées se sont donc en­tiè­re­ment éva­nouis en un ins­tant? Tu as ou­blié ta Myr­tion, et cela, Pam­phi­los, quand je suis à mon hui­tième mois de gros­sesse. Voilà donc tout ce que m’a valu ton amour, c’est d’être en­ceinte de tes œuvres et d’avoir bien­tôt à nour­rir un en­fant — charge pe­sante pour une cour­ti­sane; car je n’exposerai pas ce­lui que je met­trai au monde, sur­tout si c’est un gar­çon. Je l’appellerai Pam­phi­los et je le gar­de­rai pour me conso­ler de mon amour, et quelque jour, il s’approchera de toi pour te re­pro­cher d’avoir été in­fi­dèle à sa mal­heu­reuse mère.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion d’Émile Cham­bry (éd. Gar­nier frères, coll. Clas­siques Gar­nier, Pa­ris)

«Alors, tu vas te ma­rier, Pam­phi­los, avec la fille de l’armateur Phi­lon! On dit même que tu es déjà ma­rié. Les grands ser­ments que tu as prê­tés, tes pleurs, tout a dis­paru en un ins­tant. Main­te­nant tu as ou­blié Myr­tion, et cela, Pam­phi­los, alors que je suis déjà en­ceinte de huit mois! Voici donc le seul pro­fit que j’ai re­tiré de ton amour : le ventre si gros que tu m’as fait, et l’obligation de nour­rir un en­fant sous peu — une ca­tas­trophe pour une hé­taïre! Car je ne vais pas ex­po­ser le pe­tit, sur­tout si c’est un gar­çon. Je l’appellerai Pam­phi­los et je le gar­de­rai pour me conso­ler de mon amour : un jour il vien­dra te re­pro­cher d’avoir été in­fi­dèle à sa pauvre mère.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Mme Anne-Ma­rie Oza­nam (éd. Les Belles Lettres, coll. Clas­siques en poche, Pa­ris)

«Ainsi, mon Ave­nant, tu te ma­ries à la fille de Du­pingre le pi­lote. On dit même que tu l’as déjà épou­sée. Tant de ser­ments que tu m’as faits, tant de larmes ver­sées, se sont donc éva­nouis en un ins­tant. Tu ou­blies main­te­nant ta Myr­tille et cela, Ave­nant, quand je suis grosse de huit mois. Voilà donc l’unique fruit de ton amour : mon ventre est tout gon­flé, ce sont tes œuvres. Bien­tôt je de­vrai jouer les nour­rices — charge bien écra­sante pour une fille d’amour. Quant à ex­po­ser le re­je­ton, je m’y re­fuse, sur­tout si c’est un fils. Non, je l’appellerai Ave­nant, il me conso­lera de mon amour, et un jour, s’il te ren­contre, il te re­pro­chera d’avoir été sans foi en­vers sa mal­heu­reuse mère.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de M. Pierre Ma­ré­chaux (éd. Ar­léa, coll. Re­tour aux grands textes, Pa­ris)

«Tu te ma­ries donc, Pam­phile, à la fille de Phi­lon, le pa­tron de vais­seau? On dit même que tu l’as déjà épou­sée. Tant de ser­ments que tu m’as faits se sont donc éva­nouis en un ins­tant? Tu ou­blies à pré­sent ta Myr­tion; et cela, Pam­phile, lorsque je suis à mon hui­tième mois de gros­sesse. Voilà donc tout ce que m’a valu ton amour; tu m’abandonnes en cet état. Bien­tôt, il me fau­dra nour­rir un en­fant — quelle charge pour une cour­ti­sane! Car ne crois pas que j’expose ce­lui dont j’accoucherai, sur­tout si c’est un gar­çon. Je l’élèverai, je le nom­me­rai Pam­phile : il sera la conso­la­tion de ma ten­dresse; et quelque jour, il te re­pro­chera, en t’abordant, d’avoir été in­fi­dèle à sa mal­heu­reuse mère.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Jacques-Ni­co­las Be­lin de Ballu (XVIIIe siècle)

«Tu te ma­ries donc, Pam­phile, à la fille de Phi­lon, le pa­tron de vais­seau? On dit même que tu l’as déjà épou­sée. Tant de ser­ments que tu m’as faits se sont donc éva­nouis en un ins­tant? Tu ou­blies à pré­sent ta Myr­tion; et cela, Pam­phile, lorsque je suis à mon hui­tième mois de gros­sesse. Voilà donc tout ce que m’a valu ton amour; tu m’abandonnes en cet état. Bien­tôt, il me fau­dra nour­rir un en­fant — jo­lie charge pour une cour­ti­sane! Ne crois pas, en ef­fet, que j’expose ce­lui dont j’accoucherai, sur­tout si c’est un gar­çon. Je l’élèverai, je le nom­me­rai Pam­phile : il sera la conso­la­tion de ma ten­dresse; et quelque jour, il te re­pro­chera, en t’abordant, d’avoir été in­fi­dèle à sa mal­heu­reuse mère.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Jacques-Ni­co­las Be­lin de Ballu, re­vue par Louis Hum­bert (XIXe siècle)

«Tu te ma­ries, Pam­phile, à la fille de Phi­don le pi­lote; l’on dit même que tu l’as épou­sée. Tant de ser­ments que tu m’as faits, tant de larmes ver­sées, se sont donc éva­nouis en un ins­tant! Tu ou­blies main­te­nant ta Myr­tium; et cela, Pam­phile, lorsque j’en suis à mon hui­tième mois de gros­sesse. Voilà donc le fruit de tant d’amour : je suis en­ceinte de tes œuvres, et bien­tôt il me fau­dra nour­rir un en­fant — jo­lie charge pour une cour­ti­sane! Car je ne crois pas que j’expose ce­lui dont j’accoucherai, sur­tout si c’est un gar­çon; je l’appellerai Pam­phile; il sera la conso­la­tion de ma ten­dresse; et quelque jour, il te re­pro­chera, s’il te ren­contre, d’avoir été in­fi­dèle à sa mal­heu­reuse mère.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion d’Eugène Tal­bot (XIXe siècle)

«Quoi, Pam­phile! tu te ma­ries à la fille du pi­lote “Hié­ron”? Et que sont de­ve­nus tant de pleurs et de sou­pirs et tous ces ser­ments de ne m’abandonner ja­mais? As-tu ou­blié que je suis grosse de toi et toute prête d’accoucher, “qui est une chose fort avan­ta­geuse à une cour­ti­sane”? Mais ne crains point que j’expose l’enfant; je veux l’élever pour me ser­vir de conso­la­tion, par­ti­cu­liè­re­ment si c’est un fils, afin qu’il te re­proche un jour ta per­fi­die.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Ni­co­las Per­rot d’Ablancourt (XVIIe siècle)

«Épouses-tu la fille du nau­to­nier Phi­lon, Pam­phile? Vrai­ment, on dit que tu es jà fiancé. Tant de ser­ments donc que tu as faits, et tant de larmes ont-elles été en un ins­tant éva­nouies, et as[-tu] ou­blié Mir­tion, et en­core, Pam­phile, étant jà en­ceinte de toi de huit mois? J’ai donc seule­ment ga­gné ceci à t’aimer, que tu m’as fait en­fler le ventre, et bien­tôt [il] me fau­dra nour­rir un en­fant, qui est une chose bien griève à une amou­reuse : car je ne veux pas ex­po­ser mon fruit à l’abandon, si­gnam­ment 10 si c’est un mâle : mais l’ayant fait nom­mer Pam­phile, j’aurai là le sou­las de mon amour : et lui, quel­que­fois t’abordant, te re­pro­chera que tu n’auras été fi­dèle à sa mi­sé­rable mère.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Fil­bert Bre­tin (XVIe siècle)

«Est-il vrai ce que l’on me vient de dire, Pam­phile, c’est que tu épouses la fille du nau­to­nier Phi­lon, et même que tu es déjà fiancé? Faut-il donc que tant de ser­ments ayant été par toi faits en vain, tant de larmes ré­pan­dues, et que main­te­nant tu aies ou­blié Mir­tion, qui est en­ceinte de ton fait [il] y a jà huit mois? Voilà donc tout ce que j’ai ga­gné à t’aimer? Le fruit que j’en re­cueille, c’est que tu m’as fait en­fler le ventre; tel­le­ment que je n’attends que l’heure d’accoucher et de nour­rir un en­fant; ce qui est une chose fort fâ­cheuse aux filles d’amour. Non, non, ne pense pas que je veuille aban­don­ner mon fruit, prin­ci­pa­le­ment si c’est un mâle. Je ne le quit­te­rai ja­mais, et l’ayant fait nom­mer Pam­phile, je l’élèverai, afin qu’il me sou­lage en mon amour, et que, t’abordant quel­que­fois, il te re­proche ta grande in­fi­dé­lité à l’endroit de sa pauvre mère.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Jean Bau­doin (XVIIe siècle)

«Tu épouses, ô Pam­phi­los, la fille de Phei­dôn le pi­lote, et déjà on dit que tu l’as épou­sée! Tous les ser­ments que tu m’as ju­rés, et les pleurs, tout cela s’en est allé en fu­mée. Tu ou­blies Myr­tion main­te­nant, et cela, ô Pam­phi­los, quand je suis en­ceinte, au hui­tième mois; voilà donc tout ce que j’aurai tiré de ton amour, ce gros ventre que tu m’as fait, et dans peu de temps il fau­dra que je nour­risse un en­fant — une bien lourde charge pour une cour­ti­sane! Car ce que j’ai conçu, je ne l’exposerai pas, sur­tout si c’est un en­fant mâle, mais je l’appellerai Pam­phi­los et je le gar­de­rai, moi, comme conso­la­tion d’amour, et un jour en te ren­con­trant, il te re­pro­chera d’avoir été sans foi en­vers sa mal­heu­reuse mère!»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Pierre Louÿs (XIXe siècle)

«Tu vas donc, Pam­phile, épou­ser la fille de Phi­lon le pê­cheur? On dit que c’est fait. Tant de ser­ments que tu m’avais ju­rés se sont donc éva­nouis en un ins­tant? Tu ou­blies ta Myr­tie, et cela, Pam­phile, quand je suis à mon hui­tième mois de gros­sesse! Tout ce que me vaut ton amour, c’est de m’avoir ar­rondi la taille. Bien­tôt, il me fau­dra nour­rir un en­fant. Quelle charge pour une cour­ti­sane! Ne crois pas que je l’expose, sur­tout si c’est un gar­çon. Je l’élèverai, je l’appellerai Pam­phile; ce sera la conso­la­tion de mon amour. Quelque jour, il te re­pro­chera en face d’avoir trahi sa mal­heu­reuse mère.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion d’Antoine-Joseph Pons (XIXe siècle)

«Du­cis, Pam­phile, Phi­do­nis nau­cleri fi­liam; et jam duxisse te aiunt : re­pe­ti­tum au­tem to­ties jus­ju­ran­dum, et la­crimæ, mo­mento tem­po­ris abie­runt om­nia, et Myr­tii nunc obli­tus es, Pam­phile, idque eo tem­pore, cum oc­ta­vum jam men­sem fero ute­rum. Hoc nempe so­lum amo­ris tui pre­tium ha­beo, quod tan­tum mihi ven­trem conci­liasti, et paulo post alen­dus erit in­fans — ne­go­tium me­re­trici mo­les­tis­si­mum. Neque enim, quod na­tum erit, ex­po­nam, in­pri­mis si vi­rile se­cus erit; sed Pam­phi­lum no­mi­nabo, ha­bi­tura illum amo­ris mei so­la­tium : tibi vero ali­quando ad te ac­ce­dens ob­ji­ciet, quam per­fi­dus in mi­se­ram ip­sius ma­trem fue­ris.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion la­tine de Ti­be­rius Hem­ste­rhuis et Jo­hann Mat­thias Ges­ner (XVIIIe siècle)

«Du­cisne uxo­rem, Pam­phile, Phi­lo­nis nau­cleri fi­liam? imo jam duxisse te aiunt. Tot au­tem ju­ra­menta quæ præs­ti­tisti, et la­chrimæ illæ, brevi mo­mento eva­nue­runt om­nia, et Myr­tii nunc es obli­tus, idque Pam­phile, cum oc­ta­vum jam men­sem ex te præ­gnans sim. Sci­li­cet hoc so­lum ex tuo amore conse­cuta sum, quod tam in­gen­tem ute­rum gero : et me pro­pe­diem opor­te­bit pro­lem alere, rem me­re­trici gra­vis­si­mam. Neque enim fœ­tum ex­po­nam, præ­ci­pue si mas nas­ca­tur : sed eo no­mi­nato Pam­philo, equi­dem amo­ris so­la­men ha­bebo. Tibi vero ex­pro­bra­bit ali­quando ac­ce­dens ille ad te, quod per­fi­dus fue­ris in mi­se­ram ip­sius ma­trem.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion la­tine de Jean Be­noît, dit Jo­hannes Be­ne­dic­tus (XVIIe siècle)

«Du­cisne Pam­phile, Phi­lo­nis nau­cleri is­tius fi­liam? Jam enim uxo­rem duxisse te aiunt. Tot au­tem ju­ra­menta quæ ju­rasti, et la­chrimæ istæ, brevi adeo mo­mento om­nia eva­nue­runt? et nunc Myr­tii obli­tus pror­sum es? idque etiam Pam­phile, cum oc­ta­vum jam men­sem ex te præ­gnans sim? Quippe hoc vel so­lum ex tuo amore conse­cuta sum, quod mihi tan­tum im­ple­visti ute­rum, et me non ita multo post li­be­ros alere opor­te­bit, rem me­re­trici gra­vis­si­mam. Neque enim ex­po­nam in­fan­tem, et maxime si mas­cu­lus nas­ca­tur, sed Pam­philo ei no­mine im­po­sito, ego qui­dem so­la­men quod­dam amo­ris ha­bebo : tibi vero ex­pro­bra­bit ali­quando ac­ce­dens ad te ille, quod per­fi­dus fue­ris in mi­se­ram ip­sius ma­trem.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion la­tine de Ja­cob Molt­zer, dit Ja­co­bus Mi­cyl­lus (XVIe siècle)

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  1. En grec «Ἑταιρικοὶ Διάλογοι». Haut
  2. En grec Λουκιανὸς ὁ Σαμοσατεύς. Au­tre­fois trans­crit Lu­cian de Sa­mo­sate. Haut
  3. «Œuvres. Tome II», p. 399. Haut
  4. À ne pas confondre avec «Le Rêve, ou le Coq», qui porte sur un su­jet dif­fé­rent. Haut
  5. «Œuvres. Tome I», p. 14-15 & 17. Haut
  1. «Tome IV», p. 469 & 465. Haut
  2. id. p. 475. Haut
  3. Jean-Fran­çois de La Harpe. Haut
  4. Pierre Louÿs. Haut
  5. «Si­gnam­ment» si­gni­fie «no­tam­ment, par­ti­cu­liè­re­ment». Haut