Rivarol, « L’Universalité de la langue française »

éd. Arléa, coll. Retour aux grands textes, Paris

éd. Ar­léa, coll. Re­tour aux grands textes, Pa­ris

Il s’agit du « Dis­cours sur l’universalité de la langue fran­çaise » d’Antoine Ri­va­roli, dit de Ri­va­rol, im­pro­vi­sa­teur fran­çais, un des plus éblouis­sants es­prits de la fin du XVIIIe siècle. « Il y a parmi les gens du monde cer­taines per­sonnes qui doivent tout [leur] bon­heur à leur ré­pu­ta­tion de gens d’esprit, et toute leur ré­pu­ta­tion à leur pa­resse ». En pla­çant ces mots en tête du « Pe­tit Al­ma­nach de nos grands hommes », Ri­va­rol pen­sait-il à lui-même ? Pro­ba­ble­ment. Il était pa­res­seux et il le sa­vait ; mais c’était le dieu de la conver­sa­tion en cette fin de siècle où la conver­sa­tion était le su­prême plai­sir et la su­prême gloire, et il était chaque jour tra­versé d’inspirations ful­gu­rantes. On rap­porte qu’il no­tait ses « Pen­sées di­verses » sur de pe­tites feuilles vo­lantes, sur des mor­ceaux de pa­pier, qu’il ran­geait en­suite dans des sacs po­sés sur sa table de nuit. Avec ces sacs, qu’il ren­ver­sait pé­rio­di­que­ment, tel un cher­cheur d’or comp­tant ses pé­pites, il vi­sait au pre­mier rang dans les lettres et il était bien ca­pable d’y at­teindre ; mais il fré­quen­tait trop une so­ciété dis­si­pée, mon­daine, une so­ciété qui ne vou­lait qu’être amu­sée ; et en quelques heures de conver­sa­tion, il gas­pillait avec éclat la ma­tière de dix livres. « On n’avait qu’à le tou­cher sur un point, qu’à lui don­ner la note, et le mer­veilleux cla­vier ré­pon­dait à l’instant par toute une so­nate », ex­plique un cri­tique1. Ces suc­cès com­modes, qu’il rem­por­tait chaque soir en cau­sant sur n’importe quel su­jet, et qui n’avaient be­soin, pour être re­nou­ve­lés, que des im­pro­vi­sa­tions de son es­prit lé­gè­re­ment oc­cupé, lui ont ravi ses plus belles an­nées. « Sans cesse ar­ra­ché à lui-même, il a sa­cri­fié tan­tôt à la fri­vo­lité, tan­tôt à la fi­dé­lité, tan­tôt à la né­ces­sité, les heures sa­crées de l’inspiration. Il a per­pé­tuel­le­ment man­qué les oc­ca­sions de de­ve­nir un grand homme », ex­plique un autre cri­tique2.

en quelques heures de conver­sa­tion, il gas­pillait avec éclat la ma­tière de dix livres

Quoi qu’il en soit de la di­la­pi­da­tion de son ta­lent, de la né­gli­gence de ses forces, on peut re­trou­ver dans quelques pages éparses cette dex­té­rité in­ouïe, ces idées vives et justes que ses contem­po­rains ont ad­mi­rées. Mieux que son « Jour­nal po­li­tique na­tio­nal », où il a peint la Ré­vo­lu­tion telle qu’elle était évi­dem­ment, pleine d’absurdités et d’horreurs ; mieux que son « Dis­cours sur l’universalité de la langue fran­çaise », qui a per­mis à cet homme de na­tio­na­lité dou­teuse de rendre hom­mage à sa langue d’élection, en en dé­fen­dant brillam­ment les mé­rites, en en cé­lé­brant les conquêtes, en en éten­dant le pres­tige ; mieux que son traité « De l’homme », où il a dé­crit ar­tis­te­ment com­ment les hu­mains, ayant été pour­vus d’habileté par la na­ture, ont mis à contri­bu­tion la terre, l’air et l’eau pour égayer et trom­per leur courte exis­tence ; mieux que tout cela, ce qui reste de lui, ce sont ses « Pen­sées di­verses ». Elles sont toutes belles ; elles contiennent toutes leur mo­ment de gé­nie ; elles res­tent comme le ves­ti­bule d’un mo­nu­ment im­mense qui n’a ja­mais été achevé, et qu’on re­grette.

Voici un pas­sage qui don­nera une idée du style du « Dis­cours sur l’universalité de la langue fran­çaise » : « Si nous avions les lit­té­ra­tures de tous les peuples pas­sés, comme nous avons celle des Grecs et des Ro­mains, ne fau­drait-il pas que tant de langues se ré­fu­giassent dans une seule par la tra­duc­tion ? Ce sera vrai­sem­bla­ble­ment le sort des langues mo­dernes, et la nôtre leur offre un port dans le nau­frage. L’Europe pré­sente une ré­pu­blique fé­dé­ra­tive com­po­sée d’Empires et de royaumes, et la plus re­dou­table qui ait ja­mais existé. On ne peut en pré­voir la fin, et ce­pen­dant la langue fran­çaise doit en­core lui sur­vivre. Les États se ren­ver­se­ront, et notre langue sera tou­jours re­te­nue dans la tem­pête par deux ancres — sa lit­té­ra­ture et sa clarté — jusqu’au mo­ment où, par une de ces grandes ré­vo­lu­tions qui re­mettent les choses à leur pre­mier point, la na­ture vienne re­nou­ve­ler ses trai­tés avec un autre genre hu­main »3.

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  1. Sainte-Beuve. Haut
  2. Adolphe de Les­cure. Haut
  1. p. 81-82. Haut